Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, devant la communauté française, sur les relations franco-jordaniennes, la situation au Proche-Orient et la nouvelle Constitution européenne, Amman le 21 juin 2004.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Egypte et en Jordanie du 20 au 22 juin 2004 : les 20 et 21, au Caire en Egypte-les 21 et 22 à Amman en Jordanie

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Chers Amis,
Chers Compatriotes,
Je voudrais vous remercier et dire à Jean-Michel Casa et son épouse que je suis très heureux de les retrouver : nous avons eu quelques "combats" communs avec votre ambassadeur, avec notre ambassadeur, sur un front plus européen si je puis dire. Et donc je suis heureux de vous retrouver ici et de saluer l'équipe de l'ambassade.
C'est ma première visite au Proche-Orient, j'ai voulu la commencer aujourd'hui au Caire en Egypte et ce soir et demain à Amman en Jordanie, deux pays qui sont importants, qui sont en paix avec Israël. Ce sont deux pays assez névralgiques et stratégiques s'agissant de ce qui se passe dans cette région, en tout cas deux partenaires importants pour nous, pour la France, et le processus de paix. Je suis heureux de me trouver aujourd'hui ici et, d'avoir demain un certain nombre de contacts politiques, naturellement avec le ministre des Affaires étrangères, Marwan Muasher, et également avec le Roi Abdallah II avec lequel je déjeunerai.
Je vais évoquer, permettez-moi de vous le dire, de le dire aux citoyens que vous êtes - et vous êtes en première ligne dans cette région -, un certain nombre de grands dossiers où la France, naturellement, souhaite être active avec nos autres partenaires européens et où la Jordanie a un rôle, je le répète, névralgique, qu'il s'agisse du conflit israélo-palestinien qui est pour nous, pour vous, probablement au coeur, et au centre de toutes les frustrations, de beaucoup d'humiliations dans cette région, dans les pays arabes, comme il est au coeur et à la source de beaucoup d'instabilité, non seulement dans cette région mais dans beaucoup d'autres parties du monde et dans toutes nos sociétés, notamment en France aujourd'hui.
La Jordanie a un rôle constructif, modéré, au moment où nous-mêmes, pays européens, nous voulons être, dans ce que l'on appelle le Quartet, une sorte d'aiguillon ou de moteur pour redonner un élan à ce processus de paix qui est en panne, c'est le moins que je puisse dire.
Et puis il y a, tout près de vous, l'Irak, dont la Jordanie a été traditionnellement une sorte de poumon ou d'artère dans le passé. Là encore, ce pays a un rôle constructif, et il s'agit, concernant l'Irak, à partir du moment où nous avons travaillé, nous aussi, de manière constructive depuis quelques semaines à cette nouvelle résolution, de réussir, pied à pied, étape par étape, la sortie politique de cette tragédie autrement que par les armes, c'est-à-dire par un gouvernement souverain qui prenne en main le destin de ce pays et par la préparation d'élections au mois de janvier prochain.
Le troisième sujet de conversation que je veux avoir avec les autorités de ce pays est ce qu'on appelle le Grand Moyen-Orient, cette initiative américaine qui a été beaucoup amendée, notamment il y a quelques jours, sous l'impulsion du président de la République et aussi d'autres dirigeants, le Roi Abdallah et le président égyptien, pour mieux prendre en compte la réalité politique, sociologique, l'identité des pays arabes plutôt que de plaquer sur ceux-ci un modèle très construit venant d'en haut. Et puisque dans cette initiative, comme dans le processus entre l'Europe et les pays arabes, la Jordanie a, me semble-t-il, tracé la route en organisant des élections législatives et en réformant son économie, je pense qu'il y a, pour moi, une sorte d'enseignement à retirer de cette rencontre, de l'observation de ce qui se passe dans ce pays.
Nous ne sommes pas seulement spectateurs de ce qui s'y passe. Je voudrais dire un mot de l'action de l'Union européenne, puisque vous le savez, je viens de passer cinq années au sein de l'exécutif européen, et j'ai pu voir combien et comment l'Union, c'est-à-dire nos vingt-quatre autres partenaires et nous-mêmes, avons accompagné la modernisation et la réforme de la Jordanie sur le plan politique et sur le plan économique, y compris à travers des crédits importants, je pense au programme MEDA.
Voilà pourquoi nous avons avec ce pays une très bonne relation politique et économique et voilà comment la France, à travers ses programmes européens, à travers sa propre aide bilatérale, est devenue un partenaire majeur du développement de la Jordanie. Je me suis fait communiquer les chiffres avant de vous dire ces quelques mots. C'est clair que nous sommes, et vous êtes les premiers à le savoir, le premier investisseur étranger dans ce pays avec 1 milliard d'euros d'investissements et je prends le risque de citer quelques grandes entreprises comme France Télécom, Lafarge, Suez ou Accor et de rappeler aussi la coopération que nous avons engagée avec notre compagnie européenne Airbus.
Je voulais vous dire ces quelques mots des grands sujets politiques dont nous devons parler avec les autorités jordaniennes, dont j'ai parlé avec les autorités égyptiennes et dont je reparlerai la semaine prochaine pour la deuxième étape de cette entrée pour moi dans le Proche-Orient, puisque mercredi prochain je passerai une nuit à Ramallah et je rencontrerai le président Arafat dans la journée avant, dans une troisième séquence, de faire une visite bilatérale en Israël.
Je vais conclure ces quelques mots en évoquant cette communauté française que vous constituez, vous saluer, Mesdames et Messieurs, Chers Compatriotes, dans la diversité de vos engagements, professionnels, associatifs, spirituels, diplomatiques, militaires, peut-être suis-je en train d'oublier telle ou telle des responsabilités qui sont les vôtres, ne m'en veuillez pas. Ce que je sais, ce qu'on m'a dit, ce que je comprends, c'est que cette communauté française que vous constituez, dont vous êtes les représentants ce soir, à peu près mille personnes, est à la fois jeune - cela se voit -, dynamique, vous me l'expliquerez par vous-mêmes et qu'elle est en croissance. Et pour autant, avec et au-delà de ce volontarisme, de ces réussites économiques auxquelles beaucoup d'entre vous contribuent - c'est vrai que la coopération économique est faite de beaucoup de "success stories" ici, en Jordanie - vous avez comme tous nos compatriotes expatriés, des préoccupations, des sensibilités, des inquiétudes et je veux simplement vous dire, sans abuser de votre attention, que le ministre français des Affaires étrangères, Mesdames et Messieurs, sera personnellement attentif à ces préoccupations.
Quelquefois je fais sourire en expliquant à des communautés de Français de l'étranger que moi aussi je viens de vivre cinq ans comme maints d'entre vous, Bruxelles n'a rien à voir avec Amman, naturellement, que je viens de vivre cinq ans comme Français de l'étranger avec mes enfants inscrits au Lycée français de Bruxelles. Encore une fois les choses ne sont pas comparables, mais je peux comprendre certains problèmes et certaines préoccupations, en particulier, et j'y suis personnellement attentif, ainsi que la ministre de la Défense, la question de la sécurité. Naturellement là encore, les choses ne sont pas comparables d'une capitale ou d'un endroit à l'autre ; et probablement il y a ici des risques. On l'a vu récemment, il y en a d'autres plus sérieux, plus graves, plus inquiétants, dans d'autres capitales ; naturellement je pense à nos compatriotes qui sont peu nombreux mais très actifs à Bagdad, en Arabie Saoudite ou, en ce moment, à un grand sujet de préoccupation pour nous qui est celui de la Côte d'Ivoire. Mais ici et là, comme ailleurs, nous devons être vigilants. Evidemment, nous faisons confiance aux services de ce pays ; je crois que nous avons, Monsieur l'Ambassadeur, des raisons de faire confiance aux services de ce pays. Cela ne nous interdit pas de prendre nous-mêmes des précautions et encore une fois je vous dis l'attention personnelle que je porterai à cette question.
C'est aussi en pensant à cette question de sécurité que j'ai pris la décision de vous attribuer, Monsieur l'Ambassadeur, un crédit exceptionnel pour renforcer le mur d'enceinte de l'école. Naturellement, j'ai dit la confiance que nous avons dans les services jordaniens, j'ai dit également la vigilance que chacun et chacune d'entre vous doit avoir dans son comportement quotidien en même temps que sous l'autorité de l'ambassadeur avec les services spécialisés, les circuits où les précautions nécessaires doivent être prises. En tout cas je voulais vous dire, vous redire, l'attention personnelle que je continuerai de porter, avec vous et avec vos responsables, avec les représentants des Français de l'étranger qui vous aident, les parlementaires qui vous représentent, à cette question de la sécurité. Cette confiance dans l'activité, le dynamisme, le volontarisme de la communauté française ici à Amman, je voulais vous dire que vous en trouverez une preuve concrète, au-delà des mots, dans la décision, que je veux confirmer, de lancer le chantier de la nouvelle ambassade. Ce chantier que votre prédécesseur, Monsieur l'Ambassadeur, avait engagé il y a quelques années. Et donc, sous l'impulsion de Jean-Michel Casa et avec l'attention vigilante de l'ensemble du Quai d'Orsay, ce chantier est désormais classé, j'espère qu'il sera mené à bonne fin.
Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que je voulais vous dire, et des sujets politiques, et des grands sujets d'inquiétude et de crise qui se déroulent tout autour de vous et très près de vous, auxquels la France veut apporter, pour leur solution, une contribution active, bien sûr avec ses propres amitiés, ses propres relations, sa propre histoire et aussi, de plus en plus, avec nos partenaires européens. Vous me permettrez de dire un dernier mot de ce qui se passe sur le continent européen. Les 17 et 18 juin, les chefs d'Etat et de gouvernement, le président de la République - dont je vous apporte le salut très cordial ce soir et qui m'a demandé de vous saluer puisqu'il sait que je suis ici, avec les autres chefs d'Etat - ont conclu une négociation extrêmement difficile et extrêmement importante, M. Casa y a contribué en son temps au Quai d'Orsay : c'est le chantier de la Constitution européenne. C'est un texte important qui a été finalement approuvé par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement et qui doit maintenant être ratifié par chacun de nos peuples, par chacun de nos pays soit par le référendum, soit par la voie parlementaire. C'est un texte important que vous pouvez lire d'ailleurs, c'est même probablement la première fois qu'un texte européen est lisible ! Donc, je vous encourage à le lire. Vous le trouverez sur Internet. C'est un texte dans lequel nous avons rappelé, en les constitutionnalisant, les droits des citoyens à travers la Charte des droits fondamentaux, les valeurs qui nous réunissent, les raisons pour lesquelles nous sommes ensemble, nous les pays européens, les politiques que nous voulons conduire ensemble, celles qui restent de la compétence des Etats et des régions ; donc il y a, pour la première fois, une clarification des compétences, nous avons également perfectionné le fonctionnement des institutions européennes qui sont en effet complexes, en Commission, au Conseil des ministres, au Conseil européen, au Parlement européen et puis nous avons également, et c'est très important, mis dans cette Constitution les outils nécessaires pour que cette Union devienne, s'il y a une volonté, un acteur politique majeur dans le monde, qu'elle ne se contente pas d'être un grand supermarché, ce qui n'est pas si mal, ni une communauté solidaire avec des politiques communes, la concurrence, le commerce, la politique régionale européenne dont j'ai eu la charge pendant cinq ans, qu'elle soit cela, mais en plus de cela, qu'elle soit une puissance politique, avec une politique étrangère commune.
Nous allons bientôt avoir un ministre européen des Affaires étrangères, qui ne remplacera pas, qui ne se substituera pas aux ministres des Affaires étrangères nationaux, mais qui renforcera leur rôle par une politique étrangère commune dans certains domaines. Et puis il y a les outils de défense commune. Si je vous dis cela en tant que citoyens français c'est aussi parce que dans cette région dont vous êtes des acteurs pour la France, il y a des raisons, de vraies raisons, pour que l'Union européenne joue un rôle politique qu'elle n'a pas su jouer ou pas pu jouer dans le passé. Je pourrais dire la même chose des crises successives dans les Balkans ou des crises en Afrique. Nous devons avoir cette capacité, en tant qu'Européens, non seulement d'apporter de l'argent pour reconstruire mais pour contribuer au règlement des crises, pour stabiliser des régions et agir avec notre influence. Dans cette Constitution que nous avons maintenant entre les mains, il y a les moyens, ou les outils, pour permettre à cette Union européenne de jouer ce rôle. Au lieu qu'il y ait dans le monde une seule grande super puissance et le désert tout autour, il faut qu'il y ait plusieurs puissances, plusieurs acteurs qui dialoguent entre eux et qui font que ce monde soit plus stable et plus équilibré.
Je pense que ce que je vous dis est non seulement dans l'intérêt de l'Union européenne elle-même qui est de faire valoir ses intérêts, son idée, sa vision du monde pour sa propre stabilité, mais que c'est aussi l'intérêt de la planète d'être organisée entre plusieurs pôles, entre plusieurs puissances qui s'équilibrent et qui dialoguent entre elles. Voilà, je voulais vous dire ces quelques mots, en adressant à chacune et chacun d'entre vous mon salut très cordial et je suis très heureux de cette première visite. Je reviendrai, Monsieur l'Ambassadeur, soyez-en assuré, même si je suis en fonction depuis, en fait, une dizaine de petites semaines, je n'ai pas vu vraiment le temps passer. Et puis je tiens à dire que j'ai été heureux de saisir cette occasion de venir ainsi en plusieurs étapes dans cette région.
Je vous remercie beaucoup de ce que vous faites, de ce que vous êtes pour l'image de la France, dans toutes ses dimensions : culturelle, politique, administrative, militaire ou économique. Je vous dis simplement, s'agissant des problèmes que vous pouvez rencontrer dans votre vie quotidienne, l'attention personnelle que j'y porterai, comme ministre des Affaires étrangères. Merci.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2004)