Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre jordanien des affaires étrangères, M. Marwan Muasher, et entretien avec la radio jordanienne le 22 juin 2004 à Amman, sur les relations franco-jordaniennes, la situation au Proche-Orient et le transfert de souveraineté en Irak.

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Circonstance : Voyage de Michel Barnier en Egypte et en Jordanie, du 20 au 22 juin 2004 : les 20 et 21 au Caire en Egypte-les 21 et 22 à Amman en Jordanie

Média : Presse étrangère - Radio jordanienne

Texte intégral

(Conférence de presse de M. Michel Barnier avec le ministre jordanien des affaires étrangères, M. Marwan Muasher, à Amman le 22 juin 2004) :
Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, bonjour à chacune et chacun d'entre vous. Vous me permettrez de dire à Marwan Muasher que moi aussi je suis très sincèrement heureux de la qualité et de l'amitié de la relation que nous avons nouée il y a quelques semaines à Paris et qui se conforte aujourd'hui à l'occasion de cette première visite pour moi dans le Royaume de Jordanie.
Et je voudrais dire aussi le privilège que je ressens d'être reçu tout à l'heure à l'occasion du déjeuner, par Sa Majesté le Roi Abdallah II. C'est donc ma première visite en Jordanie et c'est ici, comme hier en Egypte, que je souhaitais, comme nouveau ministre des Affaires étrangères de la République française, aller à la rencontre du Proche-Orient et ce n'est pas par hasard que j'ai effectué cette première étape ici compte tenu de la place névralgique et positive que tient la Jordanie dans l'ensemble de cette région.
Naturellement le grand sujet d'inquiétude, qui est au coeur de beaucoup d'instabilité dans cette région et dans le monde, reste le conflit israélo-palestinien et cela a été l'un des sujets principaux de notre conversation, quelques jours avant que je me rende, la semaine prochaine, à Ramallah pour un entretien avec le président Arafat et quelques semaines avant que je me rende en Israël.
Et je veux dire la très grande concordance de vues que nous avons avec le gouvernement jordanien sur la nécessité d'une relance du processus de paix, la reprise d'un dialogue entre Israéliens et Palestiniens, et la mise en oeuvre rigoureuse, progressive, volontariste de ce qu'on appelle la Feuille de route et le rôle important de monitoring que peut jouer le Quartet dont nous faisons partie en tant qu'Européens.
C'est dans cet esprit, avec cette Feuille de route, dans le cadre du Quartet, et parce que le retrait de Gaza, qui doit être complet, est une étape, je dis bien une étape, un élément d'un plan global et une étape de cette Feuille de route, que nous soutenons l'initiative égyptienne dont nous avons parlé hier au Caire.
Nous avons naturellement évoqué la crise irakienne et la situation de ce grand pays qui est si proche de la Jordanie, et j'ai dit à Marwan Muasher dans quel esprit constructif la France a voulu participer à la négociation au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour aboutir à cette résolution 1546 qui encadre, cette fois-ci de manière claire, le processus politique qui est engagé à Bagdad dont nous souhaitons la réussite.
Une des clefs de cette réussite, c'est la vraie souveraineté dont doit disposer le gouvernement de M. Allaoui et à sa capacité à maîtriser, avec toutes les compétences nécessaires, le destin de l'Irak. J'ai redit au ministre que, en concertation avec le nouveau gouvernement irakien, à partir du 1er juillet, nous sommes prêts, nous en tant qu'Européens, et la France, à contribuer, à prendre notre part à la reconstruction politique et économique de l'Irak.
Naturellement nous avons également évoqué avec le ministre les grandes ambitions de réforme et de modernisation. Nous en avons beaucoup parlé à l'occasion du G8 à Sea Island et voilà quelques années que nous en parlons de manière plus partenariale dans le cadre du Processus de Barcelone. Il me semble que la conception de ce processus, telle qu'elle a été engagée il y a une dizaine d'années, mérite d'être continuée, relancée, renforcée - nous en avions d'ailleurs parlé il y a quelques semaines en Irlande - comme un dialogue équilibré entre deux ensembles politiques qui se respectent et qui travaillent ensemble.
Il me semble que l'attitude et l'engagement du Royaume de Jordanie pour la réforme économique, pour la réforme politique, est un bon exemple de la capacité de ces pays à s'engager dans ce mouvement de modernisation.
J'ai ici les chiffres, mais je ne vais pas en abuser, du partenariat entre l'Union européenne et la Jordanie, soit à travers des crédits directs, soit à travers la Banque européenne d'investissement, et donc, au-delà des mots, il s'agit d'un partenariat équilibré et aussi de soutien concret et important sur le plan financier.
Nous avons également évoqué la qualité de nos relations bilatérales qui sont, à l'image des relations entre Sa Majesté le Roi et le président de la République, des relations nouvelles qui se créent entre nous, des relations anciennes, efficaces, dynamiques qui existent entre beaucoup d'acteurs économiques en Jordanie et d'entreprises françaises.
Donc j'ai souhaité que dans beaucoup de domaines, puisqu'il y a encore beaucoup de projets, de besoins en équipements, en modernisation de ce pays, que la France puisse continuer à jouer ce rôle de partenaire pour la modernisation de la Jordanie.
Q - (A propos de la position française vis-à-vis de la Feuille de route/du rôle du Quartet/du retrait de Gaza)
R - La France, comme les vingt-quatre autres pays européens, qui sont unanimes sur cette question, s'en tient à cette Feuille de route dont la crédibilité et l'utilité ont été réaffirmées il y a quelques semaines à Washington à l'intérieur du Quartet et y compris par le président Bush. C'est la seule route, c'est le seul chemin, il n'y a pas d'alternative pour aboutir à l'objectif qui nous est commun de deux Etats vivant côte à côte, pacifiquement, un Etat d'Israël dans la sécurité et un Etat palestinien viable. La seule alternative, c'est la spirale de violence, de terreur et de sang, et donc nous nous en tenons, je le répète, à cette Feuille de route comme nous nous tenons à la seule méthode qui est celle de la concertation et du dialogue politique entre Israéliens et Palestiniens.
Nous sommes l'un des partenaires de ce Quartet en tant qu'Européens et nous pensons que ce Quartet doit jouer un rôle pro-actif, volontariste, d'ailleurs le ministre en parlait comme le cadre, ou dans une forme de monitoring, pour la Feuille de route. La première étape dont il faut assurer le monitoring c'est celle qui a été promise par le Premier ministre, M. Sharon, qui doit être un retrait complet du territoire de Gaza, et pour réussir ce retrait, pour tenir cette promesse, il y a un certain nombre de conditions, notamment la question de la sécurité, voilà pourquoi l'initiative égyptienne doit être soutenue c'est ce que j'ai dit hier et que je confirme aujourd'hui.
Le retrait de Gaza est une étape, un élément d'un plan global, c'est aussi un point important pour la Jordanie et pour nous. Et il y a d'autres conditions auxquelles nous pouvons contribuer en tant qu'Européens et en tant que Français au-delà des questions de sécurité : la reconstruction économique des services publics, la viabilité de Gaza. Toutes ces questions seront traitées comme c'est normal par le Haut Représentant, le Secrétaire général de l'Union européenne, Javier Solana. Nous continuons de lui apporter notre soutien.
Q - Comment la France peut-elle participer à la reconstruction de l'Irak ?
R - S'agissant de l'Irak, dans le dialogue que nous allons avoir avec le nouveau gouvernement à partir du 1er juillet, les choses sont ouvertes et nous prendrons notre part à cette reconstruction politique et économique : l'assistance administrative, la justice, la formation des forces de sécurité, la reconstruction économique, l'allègement de la dette, sur tous ces sujets il y a des éléments de la reconstruction politique et économique de l'Irak à laquelle les Européens et parmi eux et avec eux, les Français, participeront.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pouvez un petit peu nous expliquer la position de la France concernant la participation des forces de l'OTAN à la préservation de la sécurité en Irak ?
R - Sur la question de l'intervention éventuelle de l'OTAN en Irak, je veux confirmer ce que j'ai dit il y a plusieurs semaines : d'une manière générale, et avant même qu'il ne soit à nouveau question de l'OTAN, il n'y aura pas, ni demain, ni après-demain, de soldats français en Irak.
La question de la sécurité, de la stabilisation de l'Irak, reste posée, on le voit bien tous les jours, avec le cycle de violences qui se déroule dans ce pays. Quel est le meilleur moyen pour assurer, dans cette période transitoire, entre le 1er juillet prochain et 2005, la stabilité ? Nous travaillons dans le cadre d'une résolution des Nations unies à laquelle nous avons contribué, encore une fois, de manière constructive, pour sortir de cette occupation et de cette spirale de violence, en sortir autrement que par les armes et le relais sera pris par cette force multinationale. Le sentiment que la France a exprimé, c'est un sentiment de précaution à propos du signal que l'on donne pour réussir cette période extrêmement fragile, extrêmement sensible, notamment vis-à-vis du peuple irakien. Et ce que nous avons dit, je l'avais dit le lendemain de ma nomination, en allant au Conseil de l'OTAN à Bruxelles. Il nous semble contre-productif, si l'on doit réussir cette période sensible, d'aller planter le drapeau de l'OTAN à Bagdad. Voilà ce que nous avons exprimé et que je confirme.
Q - Monsieur le Ministre, la Feuille de route avait parlé de l'envoi d'observateurs internationaux dans les Territoires palestiniens ? Quelle est la position française ? Que peut faire l'autorité palestinienne pour relancer le processus de paix ?
R - Sur la manière de relancer le processus de paix qui est en panne, il faut que chacun fasse un effort, on ne relance pas un processus de paix aussi grave, aussi nécessaire si personne ne bouge et donc voilà pourquoi les initiatives qui sont prises, notamment par les pays de cette région, sont importantes pour relancer le dialogue. Et dans le cadre de ce processus de paix, il faut naturellement que l'Autorité palestinienne fasse ce mouvement, continue ses réformes, continue à lutter contre l'extrémisme et le terrorisme. Il y a un mouvement nécessaire de la part de tous les partenaires.
Et actuellement la question de l'organisation des services de sécurité, pour être efficaces, fait partie de ces réformes et de ces mouvements qui sont nécessaires de la part de l'Autorité palestinienne. Celle-ci peut compter sur la coopération, le soutien de différents partenaires, c'est le cas de l'Egypte, c'est le cas de la Jordanie qui a affirmé sa disponibilité et c'est le cas, naturellement, de plusieurs pays de l'Union européenne.
S'agissant de présence militaire, de force internationale, je crois qu'il est trop tôt pour dire les choses. Nous avons toujours pensé qu'une présence internationale, sous une forme ou sous une autre, pouvait être une garantie, une assurance, un élément de la réussite de cette étape et puis des autres, par la suite, et nous restons dans cet état d'esprit et avec cette disponibilité.
Q - Monsieur le Ministre, quelle est votre position au sujet des allégations de détournement de fonds dont fait l'objet Mme Soha Arafat ?
R - Sur le cas particulier que vous avez évoqué, je ne peux pas naturellement faire de commentaire sauf pour dire que, à ma connaissance, la justice a été informée par une banque de mouvements de fonds. Il y a une procédure habituelle qui a été engagée, et c'est à la justice de déterminer librement la suite de cette procédure et à ma connaissance il n'y a pas de suite qui a été décidée.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2004)
(Entretien de Michel Barnier avec la radio jordanienne, à Amman le 22 juin 2004) :
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que vous pouvez nous évaluer votre première visite ici en Jordanie et votre rencontre avec Sa Majesté ?
R - C'est en effet ma première visite dans le Royaume de Jordanie et je tenais beaucoup à ce que, pour ces premières journées au Proche-Orient, où il y a tant de conflits à régler tout autour de la Jordanie, ce soit ici que je marque une première étape pour d'abord consolider la relation très ancienne, très amicale entre le Royaume de Jordanie et la République française qui existe sur le plan culturel, sur le plan économique et j'en veux pour preuve la relation très fidèle et très amicale entre Sa Majesté le Roi Abdallah II et le président de la République Jacques Chirac. Mais je suis ici aussi pour travailler ensemble, Jordaniens et Français, avec d'autres, pour trouver des solutions aux conflits qui nous entourent et qui concernent non seulement cette région, mais le monde entier.
Q - Au cours de votre conférence de presse ce matin vous avez dit qu'au sommet du G8 la Jordanie était considérée comme un modèle dans le domaine des réformes, pourquoi la considérez-vous comme un modèle ?
R - Parce que ce pays, sous l'impulsion de Sa Majesté le Roi Abdallah II, a engagé depuis 1999 un mouvement de modernisation, de réformes économiques, de réformes politiques avec des élections législatives et a fait une place plus importante aux femmes. Donc il y a un mouvement qui est assez exemplaire, et naturellement on ne peut pas imaginer le progrès sans la réforme, sans le mouvement. Et il nous semble que la Jordanie, sans donner de leçons aux autres, a engagé elle-même et par elle-même ce mouvement qui peut servir d'exemple.
Q - Est-ce qu'il va y avoir une contribution de la France sur les plans politique et économique dans ce domaine ?
R - La France et la Jordanie ont une coopération très ancienne, Beaucoup d'entreprises françaises ont accompagné le processus de modernisation et de réforme engagé par le roi depuis quelques années. Nous avons des instituts, des outils culturels. Nous encourageons ce processus par une vraie coopération, et ce n'est pas seulement d'ailleurs la France qui le fait, l'Union européenne est aussi présente par des crédits de coopération pour accompagner cette modernisation de la société et de l'économie jordaniennes.
Q - Concernant votre tournée ici au Proche-Orient, vous avez parlé d'une force internationale en cas de retrait israélien de la Bande de Gaza. Mais on sait qu'Israël a toujours refusé l'existence d'une force internationale, est-ce que vous avez l'intention d'entreprendre des démarches pour l'obliger à accepter l'existence d'une telle force ?
R - Je n'ai pas parlé d'une force militaire internationale, il faut être précis, j'ai eu beaucoup d'entretiens hier au Caire et aujourd'hui ici à Amman avec Sa Majesté le Roi Abdallah II et avec Marwan Muasher. Nous avons des entretiens très constructifs. Nous voulons être utiles, les Européens, la France et c'est dans cet esprit que nous nourrissons, et nous entretenons un dialogue aujourd'hui en Jordanie. La semaine prochaine je me rendrai à Ramallah et dans quelques semaines j'aurai une visite bilatérale en Israël. Il faut réussir cette première étape et je dis bien cette première étape qu'est le retrait de Gaza et nous pensons depuis longtemps qu'il faudrait, d'une manière ou d'une autre, certaines garanties, certaines assurances. Prenons une présence internationale, je ne peux pas dire sous quelle forme mais nous avons simplement indiqué notre disponibilité pour cela.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juin 2004)