Entretien de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, avec "Le Journal du Dimanche" du 6 juin 2004, sur la présence du chancelier allemand lors du soixantième anniversaire du débarquement allié du 6 juin 1944 et les élections européennes de 2004.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - On célèbre aujourd'hui le soixantième anniversaire du débarquement, est-ce que cela peut donner un nouvel élan à la campagne des européennes ?
R - Sans doute. Depuis 1944, l'Europe, qui s'est réunifiée le 1er mai grâce à l'élargissement, a parcouru du chemin. Elle est devenue un espace de paix, de stabilité et de démocratie. Et elle s'est unifiée avec l'élargissement. Qui aurait pu l'imaginer alors ? La présence aujourd'hui et pour la première fois du chancelier allemand sur les lieux du débarquement est un moment fort de cette célébration. Moi-même j'y vais accompagnée d'un conseiller allemand qui travaille dans mon ministère. C'est aujourd'hui l'occasion de remercier le peuple américain et tous ceux qui nous ont libérés, mais aussi de célébrer l'Europe.
Q - Comment mobiliser les électeurs le 13 juin ?
R - La voix de l'Europe doit être légitimée, reconnue et entendue, tel est l'enjeu des élections européennes. C'est pourquoi, avec mes 24 collègues des pays membres, nous venons de lancer un appel à la mobilisation de nos concitoyens. C'est une première : un texte signé à vingt-cinq et publié le même jour dans chacun des pays de l'Union. Tout le monde a été très enthousiaste à cette idée. L'Europe a besoin de réalisations concrètes, de symboles, d'impulsion, de volonté, de détermination.
Pour beaucoup, elle est synonyme de pesanteur, une sorte de grand "machin" compliqué à mettre en route. Or, l'Europe, ça peut être simple. Le Conseil représente les États, le Parlement, les peuples. Quant à la Commission, elle propose et exécute. L'Europe nous est utile, mais elle doit se construire avec une voix puissante de la France, comme l'a rappelé Jacques Chirac. Et, pour avoir la possibilité de marquer notre influence dans la construction européenne, il faut éviter que les députés européens français ne s'éparpillent dans une multitude de groupes. Quand les politiques ne jouent pas leur rôle, les technocrates prennent le pouvoir, c'est bien connu.
Q - Cela veut dire que les Français doivent siéger soit au Parti populaire européen (PPE), soit au Parti socialiste européen (PSE) ?
R - Je laisse chacun libre de ses appartenances. Être dispersé, c'est séduisant mais pas efficace si l'on veut être plus influent au Parlement européen. Je n'appelle pas les citoyens au vote utile mais à se déterminer en fonction de la qualité des députés qu'ils enverront à Strasbourg. C'est vrai que les grands groupes sont ceux qui ont le plus d'influence. Il faut donc élire des représentants qui puissent porter la voix de la France.
Q - Ne regrettez-vous pas que le vote sur la Constitution européenne intervienne après les élections, lors du Conseil européen des 17 et 18 juin ?
R - Si le texte avait été adopté en décembre, il en aurait été autrement. Je pense qu'aujourd'hui les citoyens sont informés de ce qui est au coeur de ce projet. Les grandes valeurs, les grands objectifs que se fixe l'Union européenne ont été largement présentés. On ne peut pas dire que les électeurs soient dans l'inconnu. On aurait souhaité, c'est vrai, que la Constitution soit approuvée avant l'élargissement.
Q - Comment envisagez-vous votre rôle ?
R - Je souhaiterais, avec Michel Barnier, incarner et diffuser la conscience européenne au sein du gouvernement. Par exemple, la France est dans les dernières de la classe en matière de transposition des directives européennes au plan national. Il faut trouver des méthodes novatrices pour y remédier. Je vais travailler à ce que soit intégrée dans nos administrations et dans nos ministères la culture européenne. Il faut plus de fluidité entre ce qui se passe à Bruxelles et au Parlement national.
Q - Y a-t-il une vision particulière de l'Europe vue de l'espace ?
R - De l'espace, on reconnaît les continents à leur couleur. L'Europe est verdoyante. Elle offre une unité de couleur, à part l'Espagne et le Portugal, qui sont orangés. Le jour de l'élargissement, j'ai offert aux ambassadeurs des Vingt-Cinq une photo de l'Europe prise depuis l'espace. Ils y ont été sensibles et très heureux de découvrir que cette entité qu'est l'Europe est visible d'un satellite : il y a un ciel européen, une terre européenne.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 juin 2004)