Interviews de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, au "Monde" le 5 juin 2004 et dans "Le Figaro" le 7 juin 2004, sur la position de FO concernant le projet gouvernemental de réforme de l'assurance maladie, notamment les modalités de gestion et de financement retenues.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission la politique de la France dans le monde - Le Figaro - Le Monde

Texte intégral

Interview au Monde le 5 juin 2004
LE MONDE - Quelle est votre appréciation sur le projet de réforme de l'assurance-maladie ?
Jean-Claude Mailly : Nous disposons enfin du projet de loi, avec lequel nous avons de nombreux points de désaccord. Ceux-ci portent d'abord sur la logique de maîtrise comptable. Le texte tel qu'il nous est présenté s'inscrit dans cette logique même si le ministre ne parle pas formellement d'"enveloppe". La mécanique prévue pour le pilotage financier est inacceptable. Le Parlement fixe des objectifs, un comité ou une commission d'alerte intervient dès que ces objectifs sont dépassés ; l'Etat et l'assurance-maladie présentent alors des mesures de redressement. Il s'agit bien d'une logique comptable.
LE MONDE - Que pensez-vous des mesures de financement proposées ?
Jean-Claude Mailly : FO avait accepté le prolongement de la CRDS et nous avions dit que si la CSG devait augmenter, cela devrait porter uniquement sur les revenus financiers de placement. Mais nous sommes opposés à toutes les autres mesures, telles que l'augmentation de la CSG pour les retraités. Nous ne sommes pas d'accord non plus avec l'élargissement de l'assiette pour les salariés, qui se traduit par une augmentation de 0,15 % de la CSG. Nous contestons le fait que le gouvernement ne propose que 1 milliard d'euros pour compenser les exonérations de cotisations patronales, soit 2,1 milliards en 2003. De plus, ce milliard, insuffisant, serait financé par une affectation de la taxe sur les tabacs, et donc prélevé sur un budget qui devrait revenir de toute façon intégralement à la "Sécu".
Nous souhaitions une contribution des entreprises qui soit une cotisation patronale. Avec la C3S, il s'agit d'un impôt qui ne concerne pas toutes les entreprises et dont le rendement n'est que de 760 millions. Nous sommes enfin toujours opposés à la franchise de 1 euro payé par acte médical.
LE MONDE - Avez-vous d'autres points de désaccord, notamment sur la place des complémentaires dans le système ?
Jean-Claude Mailly : Ce projet est plein d'ambiguïtés. Concernant le dossier médical partagé, on en accepte le principe, mais on veut de strictes clauses de confidentialité. Pour le moment, elles ne sont pas suffisantes. Il ne suffit pas non plus de dire que ce dossier est la propriété du patient. S'il lui appartient, le patient peut donc le transmettre. Que fera-t-il si le médecin de sa compagnie d'assurances le lui réclame ? Nous ne sommes pas d'accord, le dossier médical personnel doit être réservé au médecin prescripteur, ce que n'est pas, par exemple, le médecin de l'assurance.
LE MONDE - Il y aussi des ambiguïtés concernant les mécanismes de négociation avec les professionnels de santé. Quel va être le rôle exact des complémentaires ?
Jean-Claude Mailly : Que celles-ci soient consultées ne nous pose pas de problèmes, mais les régimes complémentaires ne doivent pas copiloter le système ou pouvoir discuter directement avec les professionnels de santé sur la couverture médicale. Parce que les complémentaires aujourd'hui, ce sont aussi les compagnies d'assurances. Si la porte est ouverte, elles vont rentrer et pourront négocier directement, ce qui serait une amorce de privatisation du système.
LE MONDE - FO serait-elle candidate à assumer un rôle de direction à la Sécurité sociale ?
Jean-Claude Mailly : On ne s'est pas posé la question. Cela n'a jamais été discuté dans notre syndicat ni avec le gouvernement. Les points de désaccord avec le texte ministériel sont nombreux et importants. Même s'il y a eu une évolution positive sur le paritarisme, par exemple. Mais il faut rappeler qu'il ne s'agit pas d'une négociation puisque, in fine, c'est le gouvernement qui prendra ses responsabilités, avec aussi la possibilité d'intégrer des amendements dans le cadre du débat parlementaire.
LE MONDE - Pensez-vous peser sur le gouvernement avec la mobilisation du 5 juin ? S'agit-il vraiment, selon vous, d'une manifestation unitaire ?
Jean-Claude Mailly : Le 5 juin, FO défend ses propres revendications sur le dossier de la Sécurité sociale. Nous n'avons pas voulu rééditer le scénario des retraites de l'année 2003 avec une déclaration commune des syndicats qui comportait des ambiguïtés. On sait très bien qu'il y a des divergences ou des différences entre les syndicats. Nous n'avons pas souhaité entrer dans une mécanique d'illusion. Nous avons tiré le bilan de la lutte contre la réforme des retraites. Nous ne voulons pas non plus d'un scénario de sauts de puce, une manifestation tel jour, puis une autre... Cela ne débouche sur rien.
LE MONDE - Force ouvrière va-t-elle appeler à la grève ?
Jean-Claude Mailly : Nous n'excluons pas une journée de grève interprofessionnelle qui devra être discutée avec les autres confédérations. Et nous allons, bien sûr, regarder d'abord la réalité de la mobilisation du 5 juin.

(Source http://www.force-ouvriere.org, le 7 juin 2004)
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Interview dans Le Figaro économie le 7 juin 2004
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Qu'allez-vous faire au lendemain de ces manifestations ?
Jean-Claude MAILLY. - Nous allons analyser les modifications que le gouvernement doit apporter ce matin à son projet. Si c'est nécessaire à la préservation de la Sécurité sociale, nous discuterons avec les autres syndicats d'une journée de grève interprofessionnelle. Mais nous ne sommes pas dans la logique de manifestations saute-mouton, comme l'an dernier sur les retraites.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Sur le fond de la réforme, vous refusez que l'on fasse payer les actifs, les retraités ou les patients. Mais qui paie alors ?
Jean-Claude MAILLY. - Tout le monde reconnaît aujourd'hui qu'il faut encourager la consommation. Il y a déjà des tensions sur le pouvoir d'achat, ce n'est pas le moment d'en rajouter. C'est pourquoi nous acceptons le prolongement de la CRDS pour financer la dette sociale. En outre, s'agissant des retraités, ils sont déjà pénalisés par les réformes de 1993 et de 2003, avec l'indexation des pensions sur les prix. Au fil du temps, leur niveau de vie relatif par rapport aux salariés va décrocher, d'autant que beaucoup de retraités paient intégralement, et très cher, leur complémentaire santé.
Nous avions demandé la hausse de la CSG sur les revenus financiers, le gouvernement nous a entendus. Nous demandions aussi une hausse de la cotisation des entreprises, seule la contribution de solidarité est relevée, et encore de façon légère par rapport aux autres.
Pour nous, l'essentiel est de partir de la clarification des comptes entre l'Etat et la Sécurité sociale. Or l'Etat ne verse que 1 milliard alors qu'il doit 2,1 milliards au seul titre des exonérations de charges. C'est insuffisant. D'autant qu'il dit que ce versement correspond à une partie des droits tabac, alors que ces derniers devraient revenir intégralement à la Sécurité sociale.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Mais c'est boucher un trou pour en creuser un autre !
Jean-Claude MAILLY. - Nous ne contestons pas que cela suppose un débat budgétaire et un débat sur la solidarité nationale. Nous proposons que ce transfert soit financé notamment par la création d'une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Comme la CGT ?
Jean-Claude MAILLY. - Non. La CGT réclame, elle, une extension de l'assiette des cotisations patronales à la valeur ajoutée. Nous n'en voulons pas : nous sommes favorables, pour les cotisations sociales, à l'assiette salariale.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Vous exigez aussi que l'objectif de dépense maladie voté par le Parlement ne soit qu'indicatif. Or depuis l'origine, en 1996, il a toujours été dépassé. Sans objectif limitatif, comment s'imposer une discipline ?
Jean-Claude MAILLY. - L'objectif doit rester prévisionnel. Si on entre dans une logique d'enveloppe limitative, avec des mesures de redressement lorsqu'elle est dépassée, on accepte un processus de déremboursement. Nous n'en voulons pas. Pour les soins de ville, il faut faire confiance aux négociateurs des conventions médicales pour mettre en place une vraie maîtrise médicalisée avec des engagements réciproques entre l'assurance-maladie et les professions de santé. Quand on veut trouver un accord, on le trouve. En 1993-1994, les références médicales et les bonnes pratiques avaient porté leurs fruits. Et, s'il y a un dépassement, il faut d'abord regarder dans le cadre conventionnel à quoi il est dû avant de prendre le cas échéant des mesures correctrices. Il peut y avoir de multiples raisons à la dérive des dépenses, souvenez-vous de la canicule.
Nous avons demandé la création de la Haute Autorité scientifique. Mais pensez-vous que, si elle a à l'esprit le cadrage financier tel qu'il est prévu dans le projet, elle se déterminera sur l'utilité et l'efficacité des soins en termes exclusivement scientifiques ?
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Faire toujours plus pour la santé, n'est-ce pas faire moins pour l'exclusion, le logement, la recherche...
Jean-Claude MAILLY. - La santé, cela concerne tout de même tout le monde, de la naissance à la mort, et il faut que cela demeure le cas de la manière la plus égalitaire possible. Nous sommes partisans d'une maîtrise médicalisée, mais pas dans un cadre budgétaire fermé, avec la mécanique de rationnement ou d'ouverture plus large au privé ou aux couvertures complémentaires que cela implique.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Est-ce la raison pour laquelle vous refusez que la Mutualité soit davantage associée à la gestion ? L'articulation des interventions de l'assurance-maladie et des complémentaires n'est-elle pas nécessaire face à la déresponsabilisation et aux dysfonctionnements du système de soins ?
Jean-Claude MAILLY. - Nous sommes d'accord pour que la Mutualité puisse donner son avis sur les conventions médicales, pas pour passer des accords tripartites assurance-maladie - assurances complémentaires - professions de santé. Les complémentaires, ce ne sont pas seulement les mutuelles. Il y a aussi les institutions de prévoyance et les assurances privées. Au nom de la libre concurrence, on ne peut plus faire le distinguo. Et on entre alors dans une logique de privatisation.
LE FIGARO ÉCONOMIE. - Vous êtes favorable au retour à la gestion paritaire de 1945 entre syndicats et employeurs. Mais vous estimez que c'est à l'Etat de fixer les niveaux de remboursement et le prix des actes...
Jean-Claude MAILLY. - Nous tenons au paritarisme parce que c'est un rempart contre l'étatisation ou la privatisation. Le projet prévoit que le conseil comprendra un nombre égal de représentants des employeurs et des salariés. C'est un progrès par rapport aux premières versions. Mais nous ne savons toujours pas qui seront les "autres acteurs de santé" représentés dans le conseil, et quel sera leur statut. Le projet ne nous satisfait donc pas encore, car nous voulons que le conseil ait de vrais pouvoirs par rapport au directeur de l'assurance-maladie. Or, dans le schéma qui nous est proposé, les pouvoirs publics qui ne veulent plus apparaître en première ligne délèguent leurs responsabilités à la technocratie. On sent bien qu'ils auraient voulu aller plus loin, mais ils n'osent pas, en tout cas pas avant les échéances électorales de 2007. C'est pourquoi je dis que le projet du gouvernement ressort d'un libéralisme non assumé.
(source http://www.force-ouvriere.org, le 7 juin 2004)