Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, dans "Panorama du médecin" le 17 mai 2004, sur la réforme de l'assurance maladie, notamment la question des modalités de gestion et le prix de la consultation médicale.

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Média : Le Panorama du médecin - Panorama du médecin

Texte intégral

Panorama du médecin: Avant toute chose, la réforme de l'assurance maladie, telle qu'elle est actuellement envisagée, vous paraît-elle susceptible de menacer le paritarisme dans la gestion des caisses d'assurance maladie ?
Jean-Claude Mailly : " Les pistes de réflexion du gouvernement ne sont pas explicites sur le sujet. La présence des représentants syndicaux à la Caisse nationale d'assurance maladie se justifie par le salaire différé, c'est-à-dire les cotisations sociales qui représentent la majorité des ressources de la Cnamts. Nous estimons que si le Medef ne revient pas à la Cnamts, cela ne remet pas en cause la gestion paritaire, d'autres organisations pouvant représenter le patronat. En tout état de cause, nous ne souhaitons pas un copilotage entre l'assurance maladie et les complémentaires de santé, dont les assurances privées, ce qui serait l'amorce d'une privatisation de la Sécurité sociale ".
Les professionnels de santé et notamment les médecins de ville s'inquiètent des effets concrets de cette réforme: ont-ils raison, selon vous, de se montrer réticents ?
" Les ordonnances de 1996 ont eu un effet néfaste sur les relations entre l'assurance maladie et les médecins en introduisant la culpabilisation de ceux-ci comme moteur. Force ouvrière était et reste opposée à toute forme de culpabilisation, qui, à la longue, se révèle contre-productive. Or, cela découlait d'une approche comptable de la maîtrise des dépenses. Le médecin et les professions de santé, mais aussi les assurés sociaux sont considérés comme des irresponsables qu'il faut frapper au porte-monnaie. Si cette approche restait la même, les professions de santé auraient matière à s'inquiéter, c'est pourquoi nous opposons la maîtrise médicalisée à la maîtrise comptable ".
Force ouvrière avait signé un certain nombre d'accords avec la CSMF, comment comptez-vous les proroger, au regard de la nouvelle répartition des pouvoirs dans la gestion du système de santé ?
" Il faudrait connaître cette répartition pour commencer ! Force ouvrière est pour relancer une politique conventionnelle dynamique avec les professions de santé basée sur la confiance. Ce qui ne veut pas dire que les conventions ne se feront pas sur la base d'objectifs, ceux-ci étant fondés sur la maîtrise médicalisée et le bon usage des soins. Rappelons que la convention de 1993 avait permis d'enregistrer des résultats dès 1994 avant qu'elle ne soit remise en cause par le plan Juppé, dicté pour des raisons économiques et budgétaires ".
Vous-même, êtes-vous favorable à un regroupement de la médecine de ville et de l'hôpital sous une même autorité de régulation ?
" Non. Qui dit "régulation" sous-entend enveloppe financière. Cela signifierait la concurrence de l'hôpital et de la médecine de ville dans l'attribution des fonds. C'est également la création d'agences régionales de santé qui auraient ainsi à gérer dépenses hospitalières et dépenses ambulatoires. Cette hypothèse est évoquée dans les fiches de travail du gouvernement. Force ouvrière n'est pas opposée à la coordination ville hôpital sur la base du partage des compétences et des missions, mais reste opposée une régulation financière qui aboutit à répartir la pénurie ".
Pensez-vous que le plan "Hôpital 2007" est aujourd'hui caduc et, dans cette optique, que préconisez-vous pour sortir l'institution de la crise ?
" 'Hôpital 2007', c'est 900 postes supprimés à l'AP-HP de Paris, 300 aux Hospices civils de Lyon. C'est la tarification à l'activité, ce qui entraînera la sélection des activités les plus rentables. L'OFCE estime que la T2A représenterait la suppression de 10 % des emplois hospitaliers, soit 80 000 postes. Force ouvrière demande l'arrêt de ce plan, l'interruption de la suppression de lits et, au contraire, une réappréciation des besoins en moyens matériels et en personnel. Et nous réclamons la négociation d'un véritable plan de soins qui intègre la question de la démographie du personnel, des besoins en effectifs, de la nécessité de la formation professionnelle, des postes de praticiens non pourvus, de l'application des 35 heures, etc., mais également des besoins de population. Personne ne peut nous dire si Hôpital 2007 est caduc, mais la Fédération Force ouvrière s'attache à renouer des liens avec le ministère pour exiger la réouverture de négociations sur l'hôpital et son avenir. Et il serait urgent que le ministre reçoive les fédérations syndicales concernées ".
Pour en revenir à la médecine de ville, êtes-vous favorable aux espaces de liberté tarifaire que réclament certaines catégories de médecins ?
" Je pense que ce type de problème est typiquement celui qui doit être évoqué entre la Cnamts et les professions médicales dans le cadre d'une négociation conventionnelle. Je ne m'étendrai pas si ce n'est pour dire que toute négociation pour Force ouvrière devra partir de l'intérêt du malade et qu'il ne doit pas y avoir d'inégalité d'accès aux soins. Nous sommes en particulier inquiets du développement des "zones d'ombre" où le manque de praticiens en secteur 1 est particulièrement criant. ll y a des efforts à faire de la part des jeunes médecins qui s'installent, efforts qui devraient évidemment être reconnus. Tout comme il est anormal que dans certaines zones urbaines les spécialistes soient tous en honoraires libres ".
D'un point de vue global, considérez-vous qu'il est aujourd'hui possible de faire des économies sur les dépenses de santé? Et dans quels domaines ?
" Les économies sont toujours souhaitables si elles n'entament pas la qualité des soins, ni l'accès à ceux-ci. Force ouvrière condamnerait sans équivoque toute mesure de "franchise de soins" ce qui évoque les assurances privées ou toute idée "d'une pièce par ordonnance ou par boîte de médicament". L'idée de définir un "périmètre de soins" (rapport du Haut Conseil) évoque le panier de soins qu'on diminue en fonction des économies à réaliser. C'est typiquement ce dont nous ne voulons pas. Ce serait préparer la privatisation de l'assurance maladie, ce qui n'est pas la meilleure façon de garantir 1a solidarité d'un système à laquelle les salariés sont attachés; ceux qui parlent d'économies ne croient pas à la maîtrise médicalisée ".
Une question n'a pas encore été abordée dans ce projet de réforme, celle de la survie des régimes spéciaux: estimez-vous qu'il sera nécessaire et donc acceptable de les fondre dans un régime particulier ?
" La question des régimes spéciaux n'a pas été abordée par les pouvoirs publics. Au moment où nos camarades se battent contre la privatisation d'EDF/GDF qui entraînerait la mise en cause du régime spécial des agents, ce ne serait pas très indiqué pour les pouvoirs publics d'annoncer qu'en réalité on envisage de le faire disparaître ".
Dans ce registre, comment définiriez- vous une "juste" politique du médicament ?
Force ouvrière estime que le médicament procède de plusieurs aspects: son utilité médicale tout d'abord. Nous sommes favorables à l'institution d'une haute autorité scientifique indépendante qui délivre des avis scientifiques, argumentés sur futilité médicale. Sur les tarifs et les taux de remboursement ensuite: ce ne peut qu'être le fait des pouvoirs publics qui, en fonction de considérations de santé publique, décideront du prix et du remboursement. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne doit pas y avoir plus de transparence, bien au contraire ".
(source http://www.force-ouvriere.org, le 27 mai 2004)