Déclaration de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le développement et les perspectives économiques de la Russie et les relations commerciales franco-russes, Paris le 5 novembre 2003.

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Circonstance : Séminaire sur la Russie à Paris le 5 novembre 2003

Texte intégral


Notre monde est en perpétuelle évolution. Vous le savez mieux que d'autres puisque vous consacrez vos énergies à l'exportation. Mais nous avons trop souvent, en France, une difficulté à regarder au-delà de notre "pré carré" ou de l'immédiate actualité.
Si l'on s'efforce de prendre un peu de recul, que voit-on ?
Au Nord, en schématisant, des pays développés qui concentrent encore l'essentiel de la richesse produite et échangée dans le monde, mais qui sont confrontés à un énorme défi : le vieillissement de la population, avec pour corollaire la remise en question du "welfare state" qui socialise, ou mutualise, les risques de la vie et amortit les cycles économiques. Ne nous y trompons pas : ce que est vrai pour l'Europe ou le Japon, dès aujourd'hui, le sera également pour les Etats-Unis.
Ailleurs, une situation beaucoup plus contrastée :
- d'un côté des continents entiers, comme l'Afrique, mais aussi certaines régions d'Amérique du Sud ou d'Asie, se trouvent exclus des bénéfices de la mondialisation - et la pauvreté ne cesse de s'y s'étendre alors que la démographie demeure très élevée ;
- de l'autre, des nations qui émergent, après une longue absence, en prenant appui à la fois sur une ressource humaine considérable et sur une volonté de rattrapage qui constitue pour elles un vrai projet fédérateur, national et individuel. Parmi ces nations, la Chine et l'Inde ont une grande conscience de ce qu'elles sont : elles conduisent leur développement à leur rythme et selon leur vision, sans trop s'inquiéter de savoir si elles appliquent ou non les recettes des institutions financières internationales. Elles sont en passe de devenir les principaux foyers de la croissance mondiale, en même temps qu'elles imposent une nouvelle division internationale du travail qui accélère les mutations de nos propres modes de production.
La Russie est un cas à part. "Ni en Asie, ni en Europe", disait le général de Gaulle, "elle est en Russie". L'affirmation de son rôle historique, tout au long du XXème siècle, l'a posée en alternative politique et économique à l'Occident. Le résultat a abouti à l'un des plus grands désastres économiques et sociaux que le monde ait connu en temps de paix. Mais au terme d'une décennie de transition, la Russie a changé : elle est aujourd'hui à même de jouer de ses atouts - un immense territoire, plus de 30 fois la France ; des richesses naturelles prodigieuses ; une population disposant d'un haut niveau d'éducation et de formation professionnelle - pour devenir l'un des pôles économiques du XXIème siècle.
Elle est aussi une grande chance pour notre Europe : par sa proximité géographique avec notre grand marché et ses ressources en matières premières, elle constitue un partenaire stratégique pour notre économie. Cette interdépendance entre la Russie et l'Europe est déjà largement dans les faits : l'intensité croissante de nos échanges commerciaux, de nos investissements, les grands projets industriels que nous préparons ensemble sont autant de réalités. Pour la première fois depuis longtemps, nous pouvons imaginer, au moins sur le plan économique, une communauté de destin avec la Russie. Demain, le Sommet de Rome entre l'Union européenne et la Russie, devrait jeter les bases d'un espace économique commun, qui donnera une charpente institutionnelle à cette ambition. L'Union favorisera ainsi, par une relation spécifique, l'insertion de la Russie dans l'économie mondiale, qui devrait se traduire par son entrée à l'Organisation mondiale du Commerce.
Je ne m'étendrai pas trop longtemps sur la dimension politique de notre relation. Pour ce qui est de la France, vous en mesurez sans doute la qualité et l'intensité retrouvées. Nous partageons avec la Russie, dans le respect des valeurs de chacun, une même vision de l'avenir. Celle d'un monde où sauront coexister en harmonie plusieurs pôles de prospérité, la Russie et l'Europe ayant naturellement vocation à se constituer en tant que tels.
Nous pensons que cette convergence de vues, qui renoue avec notre ancienne solidarité, au-delà de la parenthèse communiste, constitue un facteur d'accélération du rapprochement économique dont je parlais tout à l'heure. C'est le rôle des gouvernements de montrer le chemin. A cet égard, les autorités françaises assument pleinement leur choix. Notre message est sans ambiguïté : il est temps que les acteurs économiques français, au-delà des vicissitudes ou de la conjoncture, fassent aussi le pari de la Russie. C'est le message que je suis venu vous délivrer ce matin.
Mais, au-delà des visions stratégiques, le chemin de Moscou me semble pavé de raisons objectives. Je me limiterai à cet égard à quelques éléments de cadrage sur la Russie aujourd'hui :
- c'est d'abord une économie stable et en progression : rapidement sortie de façon spectaculaire de la crise de 1998, elle affiche depuis cinq ans de bons résultats économiques. Depuis 1998, le PIB a augmenté de près de 30 % ; la production industrielle et l'investissement d'un gros tiers. Selon le FMI, la croissance pour 2003 devrait être proche de 6 %.
Or la croissance de ces dernières années a eu deux conséquences favorables :
- elle est allée de pair avec un assainissement des finances publiques. L'excédent budgétaire a dépassé 3 % du PIB en 2002 grâce une politique de maîtrise des dépenses.
- elle s'est répercutée sur le niveau de vie. Sur la période 2000-2002, les salaires réels de la population ont progressé de près de 70 %, permettant une poussée de la consommation (+ 30 % sur cette période) et l'émergence d'une classe moyenne dans la plupart des grandes villes russes.
Cette appréciation est partagée par les analystes : l'agence Moody's vient d'attribuer à la Russie le statut d'investissement (investment grade) tandis que l'OCDE reclassait pour la troisième fois consécutive la Russie en termes de catégorie de primes, désormais en catégorie 4 sur 7 , ce qui constitue un rythme d'amélioration sans précédent.
- c'est aussi un pays convaincu que les réformes sont nécessaires pour enraciner la croissance.
Au titre des réformes les plus marquantes, j'évoquerai :
- la réforme fiscale, qui a permis de moderniser et de réduire les impôts, avec comme illustration la baisse conséquente de 35 % à 24 % de l'impôt sur les bénéfices des entreprises et la disparition de l'impôt sur le chiffre d'affaire.
- l'adoption du nouveau code douanier, au 1er janvier 2004, qui devrait simplifier le système actuel et faciliter le dédouanement des marchandises entrant en Russie.
Bien sûr, d'autres réformes sont sans doute nécessaires pour atteindre l'objectif de "doublement du PIB en dix ans" souhaité par le président Poutine. Elles doivent notamment favoriser la diversification d'une économie encore très largement dépendante du secteur pétrolier, qui représente 10 % à 12 % du PIB et plus de 45 % du produit total des exportations russes.
Vous avez à cet égard un rôle important à jouer pour aider la Russie à développer un secteur industriel moderne, capable de concourir sur le marché domestique comme à l'exportation avec les entreprises occidentales. Pour ce faire, la Russie a besoin de capitaux et de technologies. Or, le secteur bancaire reste insuffisant, même s'il s'est réorganisé après la crise de 1998 : seules trois banques russes figurent parmi les 1 000 premiers établissements de crédits mondiaux. En outre, les difficultés de la transition ont affaibli la capacité de recherche du pays, sauf dans certains secteurs, et ses ressources technologiques. Il y a donc matière à une collaboration fructueuse avec les entreprises qui sont capables d'apporter capitaux et savoir-faire à l'économie russe.
Car, c'est ma troisième remarque, la Russie est aujourd'hui un pays ouvert au business
Avec un taux d'ouverture de 50 %, l'économie russe se tourne de plus en plus vers le monde extérieur :
- si ses exportations demeurent essentiellement composées de matières premières, avec le 1er rang pour les hydrocarbures, elle est devenue en 2001 le 17ème exportateur mondial, juste derrière l'Espagne ;
- en revanche, ses importations sont de plus en plus diversifiées : elles ont cru de 22 % sur les 9 premiers mois de 2003, soutenues par la hausse de la consommation et des investissements, le premier poste d'importation restant les biens d'équipements (36 % des importations en 2002). Au bilan, le marché russe est aujourd'hui, en termes d'importations, présente un potentiel à peu près équivalent à celui du Brésil.
Un mouvement de même ampleur se dessine pour les investissements : selon l'enquête annuelle de AT Kearney, la Russie est désormais à la 8ème place des pays les plus attractifs, alors qu'elle était à la 17ème en 2002. La meilleure appréciation du "risque" Russie se traduit déjà dans la réalité : en régression depuis 1999, les flux d'IDE entrants en Russie ont progressé de 22 % en 2002 et auraient augmenté, selon des données préliminaires, de 35 %, au premier semestre 2003, par rapport à 2002. Simultanément, se dessine un mouvement de diversification des investissements, initialement concentrés dans les secteurs du commerce et de la distribution, en faveur de l'industrie.
Je veux penser que les difficultés récentes, qui suscitent la perplexité de certains d'entre vous, sauront se régler dans des conditions satisfaisantes au regard des principes du droit des affaires.
Dans ce contexte, la présence française s'affirme, mais si elle reste encore insuffisante
Loin derrière l'Allemagne, premier pays exportateur en Russie (9,2 % des importations russes), la France y est le 8ème exportateur, derrière l'Italie, 6ème. La part de marché des entreprises françaises en Russie est modeste (4,1 %) et progresse encore trop lentement.
La situation évolue plus favorablement pour les investissements, plusieurs grands groupes français ayant déjà compris l'importance croissante du marché russe. Renault a annoncé en 2003 le lancement de la production, via sa JV Avtoframos, de nouveaux modèles X90, adaptés aux marchés russes et Est-européen. Auchan vient d'ouvrir à Moscou son troisième hypermarché, dix mois après l'inauguration du premier. Bonduelle construit actuellement une usine de conditionnement de légumes dans le sud du pays. Pendant la visite du Premier ministre français en Russie, le mois, dernier, la société Lessaffre, présente à Saint-Pétersbourg depuis 1999, a signé un accord de rachat d'une levurerie. Dans le secteur bancaire, la Société générale a décidé de lancer un réseau de banques de détail... Et ce ne sont là que quelques exemples d'un mouvement qui s'amorce, même s'il reste essentiellement le fait de grands groupes et concentré sur le "grand Moscou".
Parallèlement à ces investissements, de nombreux partenariats technologiques se mettent en place, qui constituent l'un des meilleurs axes de coopération d'avenir avec les entreprises russes.
C'est évidemment le cas dans le secteur aéronautique et spatial où la SNECMA est engagée dans le programme de l'avion régional russe avec son partenaire Saturn : un nouveau moteur va être conçu et développé pour ce jet régional qui entend concurrencer Embraer et Bombardier. Une coopération se développe également entre Airbus et un industriel russe, Kaskol, qui ont créé ensemble un centre d'ingénierie aéronautique, dans la foulée de l'achat d'Airbus par Aeroflot.
C'est également une réalité pour une entreprise que je connais bien. Arcelor (Usinor à l'époque) qui, dès 2002 s'est engagée avec Severstal, le premier sidérurgiste russe, dans la construction d'une usine de galvanisation en Russie pour la production d'aciers destinés à l'industrie automobile locale. Demain, la coopération entre Arianespace et Soyouz, sur le site de Kourou, donnera une dimension plus ambitieuse encore à cette coopération.
Mais il faut être lucides : tout ceci n'est encore qu'un début et la marge de progression des entreprises françaises en Russie demeure élevée. C'est la raison pour laquelle la mobilisation de tous nous semble nécessaire. Pour sa part, l'Etat est résolu à s'impliquer davantage pour vous accompagner sur ce marché. Il l'a déjà fait en ouvrant très largement les financements garanties par la Coface et en assouplissant leur mise en uvre par l'agrément donné à plusieurs banques russes. Mais au-delà, nous disposons de deux principaux leviers :
- le premier consiste à développer l'information sur la Russie en France et la promotion de l'offre française en Russie. Tel est l'objet du Plan d'action commerciale pour la Russie présenté par le ministre délégué au Commerce extérieur, François Loos, au Comité de l'exportation fin septembre à Paris, et le 6 octobre à Moscou lors du Séminaire intergouvernemental. Outre la DREE et Ubifrance, l'ensemble des partenaires français du développement international (Medef, conseillers du commerce extérieur, CCI) entendent concourir à sa mise en uvre. Ce Plan s'est fixé un objectif : favoriser une présence forte et durable des entreprises françaises en Russie ; il s'appuiera sur les actions prioritaires suivantes :
- développer l'information sur la Russie dans les régions françaises ;
- accroître la participation française aux salons en Russie, au lendemain du grand succès de l'exposition "France Tech" à Moscou qu'a inaugurée Jean Pierre Raffarin ;
- inciter les entreprises françaises à prospecter le pays en dehors de Moscou, notamment dans les grands centres urbains du pays.
Outre la Russie, deux autres pays ont fait jusqu'à présent l'objet d'un Plan d'action : la Chine et les Etats-Unis. C'est dire l'importance accordée par les autorités françaises au renforcement des relations économiques franco-russes. Les autorités russes ont manifesté un grand intérêt pour ce Plan et seront associées à sa mise en uvre, ce qui devrait constituer un gage de sa réussite.
Le second levier demeure l'accompagnement politique de la pénétration des entreprises françaises en Russie. Notre dialogue bilatéral à haut niveau est très dense : le président de la République s'est rendu une fois en Russie cette année, le Premier ministre deux fois, et le président Poutine arrive demain pour sa deuxième visite en France en 2003. La Russie trouve en nous un partenaire convaincu et un avocat dans certaines négociations internationales, comme par exemple son adhésion à l'Organisation mondiale du Commerce. Elle trouve également un interlocuteur de confiance désireux d'aller au-delà des coopérations actuelles, pour définir - par exemple dans ce domaine essentiel qu'est l'énergie - les termes d'une coopération globale, "gagnant/gagnant" sur le long terme.
Pour ma part, je rencontrerai dès ce soir M. Aliochine, vice Premier ministre russe, désormais en charge de la relation avec la France. Je lui proposerai d'établir avec lui et l'administration russe une relation de "nouvelle génération", c'est-à-dire directement orientée vers les enjeux des entreprises, plus réactive, en un mot plus efficace.
Cette feuille de route est celle du gouvernement : mais elle n'a de sens que si vous-mêmes, qui êtes les principaux intéressés, choisissez de croire en la Russie et d'y créer les conditions du succès.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 novembre 2003)