Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte Ouvrière" les 6, 13, 20, 27 septembre 2004, sur la prise d'otage et le carnage dans l'école d'Ossétie dans le sud de la Russie, les positions de Laurent Fabius et Nicolas Sarkozy sur les délocalisations, les cadeaux fiscaux pour les nantis, l'exploitation des pauvres en Haïti après le cyclone.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

06/09/2004
CETTE BARBARIE QUI NOUS CONCERNE AUSSI
400 morts, 600, peut-être plus, des enfants pour la plupart, après l'effroyable carnage dans une école d'Ossétie, dans le Sud de la Russie.
Devant l'horreur des images d'enfants défigurés, calcinés, mutilés, il est difficile de déterminer qui sont les plus salauds : les preneurs d'otages ou les forces d'intervention russes.
Salauds, les membres du commando de preneurs d'otages le sont certainement. Ils le sont comme tous ceux qui pratiquent des méthodes terroristes quel qu'en soit le prétexte. Mais ils le sont encore plus dans ce contexte où les victimes sont des gosses pris en otage le jour même de leur rentrée en classe.
Mais les commandos de l'armée russe qui sont intervenus, en prétendant l'avoir fait pour sauver les otages, ne sont pas meilleurs. Bien que les autorités russes couvrent le déroulement des faits d'un voile de silence et de mensonges, il semble bien que les militaires russes voulaient surtout la peau de leurs adversaires tchétchènes, sans se soucier du tout des écoliers enfermés. Comment des troupes entraînées n'auraient-elles pas pu savoir qu'en attaquant l'école avec des chars et en tirant au canon sur le bâtiment où étaient entassées un millier de personnes, enfants, parents et enseignants, ils feraient un véritable massacre ?
Que cette intervention ait été décidée au plus haut niveau ou qu'elle soit le fait d'un enchaînement de circonstances et de décisions du commandement local ne change rien à l'affaire. La façon dont l'intervention s'est déroulée est bien l'expression du mépris, à l'égard de leur propre peuple, de ceux qui ont pris la décision.
Les dirigeants russes invoquent la "main de l'étranger" et exhibent la présence, parmi les preneurs d'otage, d'Arabes ou de Turcs. Mais il n'est pas besoin d'invoquer Al Qaïda pour expliquer l'apparition, en Tchétchénie, de ces bandes armées terroristes qui s'appuient sur l'indignation suscitée par la répression russe pour tenter de s'imposer comme chefs à leur peuple.
La guerre que la Russie mène en Tchétchénie est une guerre infâme. Les dirigeants russes la mènent avec la complicité du monde impérialiste dit civilisé. Comment s'étonner de la complicité avec Poutine d'un George Bush qui mène une autre guerre infâme en Irak ? Comment s'étonner de la complicité de nos propres dirigeants ? Car la guerre en Tchétchénie n'est ni plus ni moins infâme que l'avait été la guerre d'Algérie.
Plusieurs centaines d'enfants ont payé de leur vie l'action des bandes armées terroristes tchétchènes, mais aussi la politique de leurs propres dirigeants. Et ces hommes et ces femmes dont la télévision montre les visages en pleurs, Russes, Ossètes, Tchétchènes confondus, n'en ont pas fini de payer la politique de leurs dirigeants. Les Tchétchènes paieront, car la tragédie de Beslan servira de prétexte aux autorités russes pour intensifier une répression dont les principales victimes ne sont pas les bandes armées mais la population civile. Mais la population russe paiera aussi, parce que ses enfants ne meurent pas seulement lors des prises d'otages par des terroristes, mais comme soldats dans la guerre elle-même. Elle le paiera encore, parce que le "combat contre le terrorisme" servira inévitablement de prétexte pour durcir le régime pour tous.
Et de répression russe en attentats tchétchènes, les uns comme les autres auront creusé un fossé de sang de plus en plus profond entre peuples qui vivent mêlés dans une même région et dont la vie est faite, pour tous, de la même pauvreté.
Les rencontres entre "grands de ce monde", qui font désormais une large place à Poutine, sont l'occasion pour les hommes politiques et les médias de se réjouir du retour de la Russie dans ce monde dit libre, où seuls le profit et l'exploitation sont libres. Quant à nous, pensons à ces femmes et à ces hommes, comme nous, qui paient pour les crimes de leurs dirigeants ou de ceux qui voudraient le devenir.
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 8 septembre 2004)
13/09/2004
FABIUS/SARKOZY DEMAGOGUES SUR LES DELOCALISATIONS ET MUETS SUR LES LICENCIEMENTS
L'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius avait posé, la semaine dernière, quatre conditions à Chirac menaçant de voter Non au prochain référendum si ses conditions n'étaient pas satisfaites. Invité dimanche soir à l'émission Le Grand Jury RTL-Le Monde, il a été plus catégorique en affirmant que sa "pente naturelle" est de "voter contre" le référendum prévu par Chirac sur la constitution européenne. Et d'affirmer que la priorité étant à ses yeux "la question de l'emploi et des délocalisations" et ne trouvant pas, dans le projet de constitution, "ce qui permettrait de changer de politique", il ne pourrait pas l'approuver.
Laurent Fabius a été ministre de l'Economie du gouvernement Jospin. Qu'a-t-il donc fait à l'époque pour empêcher les grandes entreprises de licencier ? Qu'a-t-il donc fait ne serait-ce que pour sauvegarder l'emploi dans le secteur public, à l'Education nationale, à la SNCF, à La Poste qui dépendent directement de l'Etat ? Même maintenant qu'il est dans l'oppo- sition, il pèse ses mots. Lors de son interview télévisée de la semaine dernière, s'il a fait plusieurs envolées contre les délocalisations, il s'est bien gardé d'exprimer une opposition aux licen- ciements. Il a même évité de prononcer le mot.
Mais pour bien des entreprises, la menace de délocalisation n'est qu'un prétexte pour licencier. Et ce qui est catastrophique pour les travailleurs, c'est d'être licenciés. Mais Laurent Fabius se sent responsable vis-à-vis du grand patronat lorsqu'il propose une "harmonisation fiscale européenne" au prétexte que cela empêcherait les délocalisations tout en gardant le silence sur les licenciements.
Sur ce point, il a été rejoint par Sarkozy qui vient de proposer aux ministres des Finances européens de supprimer les aides européennes à tous les pays nouvellement intégrés dont la politique fiscale d'aides à leurs industries favorise les délocalisations. Mais ni Fabius ni Sarkozy, parfaitement d'accord sur ce point, n'ont pensé à réclamer que, pour mettre fin au "dumping social" comme ils disent, des pays de l'Est européen, on aligne les salaires d'Europe de l'Est sur ceux des pays occidentaux. L'un comme l'autre veulent surtout protéger tout à la fois les intérêts des industriels français qui produisent ici, mais en même temps leur laisser la possibilité de trouver, en Europe de l'Est ou ailleurs, une main-d'oeuvre moins chère parce que plus exploitée. L'un comme l'autre laissent entendre hypocritement que, pour empêcher les patrons de fermer des usines ici, il faudrait les décourager d'en ouvrir là-bas. Façon de suggérer aux travailleurs en France que, si leur emploi est menacé ici, c'est la faute aux travailleurs de là-bas et pas au patronat.
En réalité, Fabius pas plus que Sarkozy, Raffarin ou Chirac, n'a que faire de l'intérêt des travailleurs menacés de chômage en France. Car, si c'était le cas, ils imposeraient aux grandes entreprises l'interdiction des licenciements, quitte à répartir le travail entre tous en prenant sur les profits. Cela sauverait les dizaines de milliers d'emplois que ces entreprises détruisent bon an mal an. Cela serait dans l'intérêt de l'écrasante majorité de la société, y compris de tous ceux, petits commerçants etc., qui vivent des achats des travailleurs. Mais cela menacerait les 10, 15 voire 25 % de profits que les grandes entreprises doivent dégager pour plaire à la Bourse.
En réalité, ce qui préoccupe Fabius c'est son avenir de présidentiable et le souci de se démarquer dans son propre parti de François Hollande ou de Dominique Strauss-Kahn, ses rivaux dans la course à la candidature, partisans eux du Oui. Fabius mise sur le Non parce qu'il sait que le Oui est d'autant plus mal vu dans l'électorat de gauche qu'il serait, non seulement un Oui à la constitution européenne faite pour la bourgeoisie, mais aussi un Oui à Chirac.
Mais autant dire que, même si Fabius gagne son pari présidentiel et s'il peut capitaliser sur sa personne un éventuel succès du Non, les travailleurs ne peuvent pas plus compter sur Fabius ou sur ses rivaux du PS, qu'ils ne peuvent compter sur Chirac-Raffarin pour arrêter les licenciements et pour stopper la montée du chômage de plus en plus catastrophique pour le monde du travail.
5Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 15 septembre 2004)
20/09/2004
DES CADEAUX FISCAUX POUR LES NANTIS, LES PRÉLEVEMENTS POUR LES AUTRES
Sur TF1 dimanche soir, Raffarin, patelin, se voulait rassurant, d'abord pour lui-même estimant qu'il resterait à la tête du gouvernement. Pour les autres, il propose un "contrat France 2005" : baisse du chômage, école, lutte contre la vie chère.
La promesse de baisser le chômage, dans la bouche d'un Premier ministre sous le gouvernement duquel le chômage s'aggrave et les plans de licenciements se multiplient, tient de la provocation.
"Contre la vie chère", Raffarin promet, sans rire, des mesures aussi radicales que de prier les grandes surfaces qui, lors du passage à l'euro, ont arrondi leurs prix vers le haut, d'arrondir leurs prix vers le bas. Les grandes surfaces feront évidemment ce qu'elles veulent mais il est plus facile de promettre des baisses de prix que des augmentations de salaires que les intéressés pourraient prendre au sérieux.
Et il faut du culot pour parler de "mobilisation pour l'école" alors même que des postes d'enseignants sont supprimés.
Le Premier ministre se posait en défenseur de l'intérêt général. Mais ses mesures fiscales montrent que le dit intérêt général pour lui, c'est l'intérêt de la fraction la mieux lotie de la population.
En relevant de 10 000 à 15 000 euros le plafond des dépenses ouvrant droit à une réduction de 50 % pour les employés de maison, il fait un cadeau fiscal de 2500 euros annuels de plus aux familles les plus aisées. C'est comme si le budget de l'Etat prenait en charge près de la moitié du salaire de la bonne, du jardinier ou du chauffeur de maître qui travaille pour une famille de cadres ou de bourgeois. Et le syndicat des impôts dénonce à juste titre, avec des arguments chiffrés à l'appui, des situations où une famille aisée avec des enfants, grâce à cette déduction supplémentaire, ne paiera plus d'impôts sur le revenu, alors que son employé s'il est célibataire, payé au Smic, y sera assujetti.
Oui, comme l'ont dit certains dirigeants socialistes, c'est bien une mesure de classe. Mais rappelons que la déduction pour les employés de maison est une invention, de 1992, de la ministre socialiste Martine Aubry. La droite n'avait plus qu'à augmenter le montant du cadeau !
Et ces mesures fiscales s'ajoutent à d'autres, prises au cours du dernier mois, comme la diminution des impôts sur l'héritage.
La "politique sociale" du gouvernement ne sert pas les moins favorisés et encore moins ceux tombés dans la pauvreté, souvent à cause du chômage mais parfois même en disposant d'un travail. Elle sert en priorité ces "classes moyennes" qui constituent la majorité de son électorat. Et non seulement ces cadeaux fiscaux ne vont pas à ceux qui en ont vraiment besoin, mais c'est à eux qu'on va en faire payer le prix.
Car c'est pour compenser tous ces cadeaux électoraux consentis aux familles aisées et plus encore aux plus riches, sous la forme de subventions et d'allégement de charges sur les bénéfices, qu'on fait des économies sur tout ce qui peut concerner les classes populaires. Des économies sur des dépenses de santé, des économies sur les écoles, et sur les bureaux de poste considérés non rentables que l'on ferme.
Au même moment, va entrer en application un aspect de la "réforme" des retraites, qui est passé à l'époque inaperçu, et qui consiste à supprimer la pension de reversion au-delà d'un certain plafond. Mais ce plafond est fixé pour toucher un grand nombre de retraités modestes.
Alors oui, ce gouvernement mène ouvertement une politique de classe. Des cadeaux pour les possédants et des prélèvements supplémentaires pour les classes populaires. Mais les gouvernements socialistes ont mené une politique similaire et ce n'est pas le fait qu'ils l'aient menée avec hypocrisie qui la rend meilleure.
Les étiquettes des gouvernements changent, mais ils restent au service des privilégiés et des puissants. C'est seulement lorsque les travailleurs, les exploités, les pauvres, en ont assez et qu'ils explosent au point d'intimider les possédants, que les gouvernements commencent à se préoccuper un peu de "l'intérêt général".
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 22 septembre 2004)
27/09/2004

LES CYCLONES TUENT, MAIS L'ORDRE SOCIAL ENCORE PLUS
Une succession de cyclones a semé la désolation dans plusieurs îles de la Mer des Caraïbes et en Floride aux Etats-Unis. En Haïti, la tempête tropicale a fait 2500 morts officiellement recensés, et près de 300 000 sans abri. Et ces chiffres sont en-dessous de la vérité car personne ne connaît le nombre d'habitants dans les quartiers pauvres ou les villages submergés par l'eau. Nul ne peut prédire non plus combien de femmes, d'hommes, d'enfants mourront par la suite de dysenterie, de typhus ou de choléra, tant ces épidémies menacent avec l'eau boueuse comme seule boisson, charriant des immondices, des cadavres d'hommes et d'animaux. Et combien d'autres mourront tout simplement de soif ou de faim ?
Mais pourquoi le nombre de victimes en Haïti est-il 50 fois plus important que dans l'ensemble des autres régions touchées ? La même pluie tropicale a fait plus de dégâts que partout car les collines ont été déboisées par les pauvres pour qui le charbon de bois est le seul moyen de survivre ; parce qu'il n'y a pas de système d'évacuation des eaux ; parce que les pauvres s'entassent dans des cases de fortune ; parce qu'ils n'ont même pas été avertis de l'approche de la tempête et de toute façon ils n'avaient pas où fuir.
Ceux qui sont morts, sont morts surtout de la pauvreté. La leur propre et celle de tout ce pays sans infrastructure et sans équipement.
La fatalité ? Non, Haïti meurt en réalité de l'organisation capitaliste de la société, dont son histoire résume toutes les violences.
Il y a deux siècles seulement, Haïti était encore une colonie française. La plus riche de toutes les colonies de l'époque, "la perle des Antilles". Mais le travail des esclaves, qui produisaient du sucre pour la France n'a enrichi que les propriétaires et les trafiquants d'esclaves, faisant la fortune de bien des familles bourgeoises de France.
Et lorsque, il y a deux siècles, les esclaves se sont révoltés et ont vaincu les troupes de Napoléon pour se libérer, toutes les grandes puissances se sont liguées pour faire payer leur audace aux esclaves. Avec la complicité de la couche de profiteurs haïtiens, la France a réussi à imposer au pays le dédommagement des anciens propriétaires d'esclaves. Les anciens esclaves ont dû racheter une liberté qu'ils avaient pourtant conquise. Pendant près d'un siècle, Haïti, ses classes populaires, ont dû payer. Et même une fois la dette remboursée, le pays continue à être saigné. Les paysans survivent dans une effroyable misère et les rares ouvriers qui ont du travail sont payés un euro par jour, notamment par des filiales des grandes sociétés occidentales.
Et nos dirigeants osent se vanter des 40 tonnes de nourriture envoyée par la France, alors que même les chiffres officiels parlent de 250 000 sans abri, dont une grande partie n'ont pas mangé depuis une semaine ! A peine plus de 100 grammes de riz par personne, que de toute façon les sinistrés n'ont pas la possibilité de cuire ! Comment s'étonner des scènes d'émeutes lorsqu'attraper une miche de pain jetée du haut d'un camion entouré de soldats est une question de vie ou de mort ?
Au lieu d'envoyer de la nourriture en quantité suffisante, la France y envoie des ministres. Et pendant que les dirigeants des Etats-Unis déploient des merveilles technologiques pour tuer en Afghanistan ou en Irak, ils laissent crever de faim des gens, survivant depuis plus d'une semaine juchés sur le toit de leur maison, alors que Haïti est à moins d'une heure de vol des côtes américaines.
Décidément, le système capitaliste qui pour enrichir une poignée de riches laisse crever littéralement des populations entières, est vraiment un système pourri !
(Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 28 septembre 2004)