Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "LCI" le 17 septembre 2004, notamment sur les sanctions possibles du parti à l'encontre de M-F Stirbois et J. Bompard en raison de certaines de leurs prises de position.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Hier soir, devant le bureau exécutif du FN, comparaissaient J. Bompard, le maire d'Orange, et M.-F. Stirbois. On s'attendait qu'ils soient sanctionnés, c'est du moins, ce que vous aviez souhaité. Or la décision a été remise, je ne sais à quand, peut-être aux calendes grecques. Vous avez été mis en minorité, semble-t-il, au bureau exécutif. Est-ce que c'est le début de la fin de l'autorité de J.-M. Le Pen ?
R- Je ne crois pas. L'autorité est absolument nécessaire dans tous les mouvements, quand elle est légitime, et en particulier, dans un mouvement d'opposition qui est plus menacé que quiconque par les pressions extérieures et par les difficultés de la vie, qui, comme vous savez, n'est pas un long fleuve tranquille.
Q- Le fractionnisme, vous l'aviez déjà connu avec B. Mégret.
R- Pas seulement. Il y a toujours eu aux franges de l'extrême droite du FN, une contestation permanente, qui s'est quelquefois incarnée, institutionnalisée dans des partis, comme le Parti des Forces Nouvelles, mais qui a toujours été latente en quelque sorte. On ne peut pas espérer, d'ailleurs on ne le souhaite pas non plus, réunir absolument tous les courants qui constituent la pensée nationale.
Q- Néanmoins, sur le cas Bompard et M.-F. Stirbois, la décision est remise en délibéré, "en attente, c'est le communiqué officiel, d'informations complémentaires". Quelles informations complémentaires attendez-vous ?
R- C'est ce que font généralement les instances judiciaires, je vous le rappelle, après le débat et la...
Q- Mais attendez ! ce n'est pas ce que vous souhaitiez au départ, vous souhaitiez qu'ils soient sanctionnés.
R- Non, non. Je n'avais pas mis de conditions.
Q- C'est ce que vous aviez dit il y a une semaine.
R- Je n'avais pas mis de condition de date. J'ai dit et souhaité en effet que les contraventions au règlement et les dérapages qui se sont produits en particulier pendant la campagne électorale européenne reçoivent une sanction de façon à ce qu'ils servent aussi à l'éducation générale du mouvement.
Q- Hier, c'était le bureau exécutif, lundi, ce sera le bureau politique, qui est plus large, puisqu'il regroupe une cinquantaine de personnes. Est-ce que vous souhaitez que la semaine prochaine soient sanctionnés J. Bompard et M.-F. Stirbois ?
R- Le bureau politique n'a pas qualité pour le faire. Règlementairement, il y a plusieurs voies possibles. Cela peut être le président, cela peut être le bureau exécutif. Mais le président a choisi que cette instance serait le bureau exécutif. C'est donc le bureau exécutif, seul, qui est responsable de ce problème. Le bureau politique a d'autres sujets à son ordre du jour.
Q- J'entends bien, mais qu'est-ce qui va se passer pour J. Bompard et
M.-F. Stirbois ?
R- Mais je ne sais pas. On vous le dira en temps utile.
Q- Vous ne le savez pas, mais vous avez quand même des intentions. Est-ce que de votre point de vue, du point de vue du président du FN, ils doivent être ramenés à la base, exclus du parti ?
R- Non, il n'a jamais été question de leur exclusion du parti. La question qui a été posée - d'ailleurs, ils ont été suspendus du bureau politique, parce que le bureau politique au FN, c'est un peu le gouvernement du président, et ceux qui en font partie, ont accepté en quelque sorte la discipline générale que celui-ci incarne. Or, il y a deux solutions : si on n'est plus d'accord avec le président, on peut, comme l'a fait Monsieur Antony, démissionner du bureau politique. Et si on veut rester au bureau politique tout en continuant de mener à l'intérieur, ce qui est normal, mais à l'extérieur, une contestation publique qui évidemment reçoit le meilleur accueil de la part des médias du système - bien sûr, chaque fois, tout ce qui peut affaiblir le FN, est accueilli avec faveur...
Q- Vous leur reprochez l'université d'été ?
R- Pas essentiellement. Je reproche des prises de position qui ont été faites pendant la campagne électorale, à un moment où il était nécessaire de réunir nos forces, et non point de les disperser.
Q- Vous êtes minoritaire au bureau politique, maintenant ?
R- Je ne crois pas. Si je suis minoritaire, j'en prendrai acte, et ce n'est pas le bureau politique qui m'a élu, c'est moi qui fais élire le bureau politique.
Q- Le reproche que fait M. Bompard et ce n'est pas la première fois d'ailleurs qu'il vous fait ce reproche, c'est un fonctionnement que certains disent stalinien, d'autres monarchique, avec droit de succession pour votre fille.
R- C'est inexact. Il y a des instances démocratiques au FN. Il y a le bureau politique, il y a le conseil national. Je constate que dans ces deux instances, M. Bompard n'apparaît presque jamais. Il ne vient pas aux réunions, et il préfère communiquer par communiqués publics ou par prises de position publique, ou interviews. Je crois que c'est une manière détestable de maintenir l'unité nécessaire d'un mouvement surtout au moment où va se décider le destin du pays, dans le référendum sur la Constitution européenne.
Q- Si une majorité du bureau politique, lundi, souhaite que ne soit pas sanctionnés M.-F. Stirbois et J. Bompard, vous vous plierez à cette décision ?
R- J'en prendrai acte, bien sûr, parce que je tiens compte de l'opinion de mes amis, même si c'est moi qui les ai placés là où ils sont.
Q- Pour le reste, vous avez deux échéances : le prochain référendum et l'échéance présidentielle. Vous allez réorganiser votre parti en fonction de cette campagne de référendum ?
R- Je crois que tous les mouvements ont toujours intérêt à se perfectionner, à se moderniser, à utiliser les moyens qui sont à leur disposition, qui, chez nous, sont relativement peu nombreux, d'entrer en communication avec le public. C'est le cas par exemple. Nous devons moderniser notre communication Internet, par exemple, puisque nous n'avons que des moyens de presse très modestes, et nous ne devons qu'à l'invitation gracieuse des médias de pouvoir de temps en temps nous exprimer. Je rappelle qu'aux élections européennes, j'ai eu droit à une minute vingt secondes pour faire la campagne.
Q- Il faut oxygéner un peu le parti, comme dirait M. Bompard ?
R- Ce sont des formules. On oxygène le parti en travaillant à son unité d'abord. Un cadavre n'a pas besoin d'oxygène, ni un grand malade non plus. Je crois qu'oxygéner, cela veut dire qu'il faut faire vivre le mouvement
Q- [Lors de la] campagne de référendum, [vous militerez] pour le "non", j'imagine à la Constitution ?.
R- Oui.
Q- L. Fabius, J.-M. Le Pen, même combat maintenant ?
R- Même combat bien sûr. Dans une mesure où la question est alternative - oui et non -, il est évident qu'on peut se retrouver dans le camp du "non" avec beaucoup de gens dont on ne partage pas les convictions dans beaucoup d'autres domaines. C'est ainsi qu'il y a des communistes, peut-être de M. Fabius, et peut-être des socialistes et beaucoup d'autres.
Q- Un mot sur l'Irak. On a parlé d'union sacrée des forces politiques pour souhaiter et obtenir la libération des otages pris en Irak. Cette union sacrée existe toujours pour vous ? Etes-vous totalement solidaire avec le Gouvernement dans
sa démarche ?
R- Nous avons été solidaires de la démarche française. Mais je constate que le Gouvernement a réduit considérablement l'espace de cette unanimité nationale, puisqu'il a invité les partis représentés à l'Assemblée nationale, et seulement eux, à s'associer en quelque sorte à sa démarche. Je trouve que c'est une démarche qui est tout à fait contraire à l'unanimité ou à l'unité nationale. C'est une vue politique des choses et je regrette personnellement que le FN n'ait pas été, comme d'autres partis non représentés à l'Assemblée nationale, invités par le Gouvernement à apprendre et à savoir ce qui se passe. Je rappelle que dans le domaine des otages en Irak, je suis à ma connaissance le seul qui aie ramené soixante otages d'Irak en 1990 et qui aie participé activement à la libération des otages français. Mais cela n'est pas...
Q- Ce n'est pas tout à fait la même situation.
R- Ce n'est pas tout à fait la même situation. Je rappelle que les "otages", entre guillemets, étaient en ce moment-là placés par le Gouvernement irakien sur des sites qui risquaient d'être attaqués ou bombardés.
Q- Une dernière question et la réponse est simple : si vous étiez aujourd'hui américain, vous voteriez J. Kerry ou G. Bush.
R- Je ne veux pas me placer dans cette alternative. Je n'ai de sympathie ni pour la politique de l'un ni pour la politique de l'autre. Je me contente de penser à la politique française. C'est déjà un énorme problème.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 septembre 2004)