Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale, sur la crise des effectifs des étudiants en chirurgie et les missions attribuées dans ce contexte au Conseil national de la chirurgie, Paris le 17 juin 2004.

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Circonstance : Installation du Conseil national de la chirurgie

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
La chirurgie est peut être une des spécialités les plus nobles. Pour elle, plus que pour toutes les autres, la médecine y est pratiquée davantage comme un art qu'une science. Art de la main, une main qui coupe, qui tranche, qui enlève pour soulager. Art de l'esprit qui imagine de nouveaux gestes, qui répète des gestes ancestraux ou qui allie, désormais, l'intelligence de l'homme et la puissance de la technique.
Messieurs les chirurgiens, vous pouvez être fiers de votre métier.
L'apparition de nouvelles technologies a révolutionné la pratique chirurgicale. Son environnement s'est ainsi modifié par les progrès incessants des équipements chirurgicaux qui permettent aujourd'hui, par l'imagerie ou par l'endoscopie, de diagnostiquer plus finement et d'opérer en allégeant l'intervention et en diminuant les complications post-opératoires.
La chirurgie française occupe sans conteste le haut du cortège de la chirurgie mondiale, preuves en sont les nombreux articles y faisant référence dans les revues internationales, ou l'afflux d'étudiants étrangers qui viennent suivre une formation dans notre pays. Et pour cause : la robotique, la téléchirurgie, par exemple, sont à mettre au crédit des équipes françaises.
Aujourd'hui pourtant, malgré l'excellence française, il existe un véritable malaise au sein de votre profession.
Résultat, si rien n'est fait, nous aurons perdu 22% de nos chirurgiens dans dix ans. Aujourd'hui, déjà, l'age moyen d'un chirurgien est de 51 ans, alors que ce métier est éprouvant et requiert une dextérité sans comparaison avec d'autres métiers.
Nous ne pouvons laisser la France se vider ainsi de ses chirurgiens. La situation est grave.
Il est urgent d'inverser la tendance. Pour notre santé à tous, et celle de nos enfants, il est de notre devoir aujourd'hui d'ouvrir les yeux sur la pénurie qui nous guette. Cette pénurie n'est pas une hypothèse, c'est une certitude. Si nous ne parvenons pas à rendre son attractivité à cette profession, les listes d'attente n'auront de cesse de s'allonger et à terme, bon nombre d'entre nous sera dans l'obligation de se faire opérer à l'étranger. Et comme toujours, les premiers pénalisés seront les plus modestes d'entre nous.
Je ne laisserai pas faire cela.
Je refuse ce fatalisme selon lequel les meilleurs étudiants en médecine se détournent aujourd'hui de la chirurgie à cause de sa pénibilité, alors qu'ils se battaient pour suivre cette spécialité quand j'étais moi même étudiant, il y a moins de trente ans.
Ma priorité ira donc à la lutte contre le malaise de la chirurgie, par tous les moyens, dans les meilleurs délais.
Ce malaise, je le connais. Je le comprends. Il tire son origine de plusieurs sources.
Des sources économiques, d'abord, avec l'absence de revalorisation des actes chirurgicaux depuis une dizaine d'années.
Des sources démographiques ensuite, avec l'installation durable d'une pénurie de chirurgiens et d'anesthésistes, un manque crucial d'infirmières, et la mise en place de la réduction du temps de travail conjuguée aux réglementations européennes sur le repos compensateur. Autant de mesures qui ont diminué le temps de travail des soignants, créant ainsi le sentiment d'un incessant manque de moyens alors même que les personnels hospitaliers sont toujours aussi nombreux et aussi dévoués.
Les difficultés démographiques tiennent aussi à la diminution d'attractivité d'une discipline contraignante. J'y vois ici l'impact le plus insidieux des 35 heures : celui qui a fait perdre à la valeur travail ses couleurs, en particulier dans l'esprit de notre jeunesse. La fameuse pénibilité du travail, si souvent décriée, et si rarement mis en balance avec la noblesse des métiers correspondants et l'épanouissement personnel qu'il engendre.
Des sources juridiques, enfin, et surtout, justifient votre malaise, messieurs les chirurgiens, et votre mécontentement, avec l'augmentation de la responsabilité civile et l'accroissement de la judiciarisation de votre profession.
Il s'agit donc d'une véritable crise de confiance qui touche la chirurgie publique comme la chirurgie privée.
A la suite d'un premier rapport réalisé par Messieurs Domergue et Giudicelli en 2003, des premières mesures ont été prises qui vont dans le bon sens. Je rappellerai, par exemple, la circulaire sur les schémas régionaux d'organisation sanitaire qui, pour la première fois, incite les acteurs à regrouper les plateaux techniques chirurgicaux afin de concentrer les ressources et de garantir la qualité de prise en charge. L'augmentation, par ailleurs, du numerus clausus à 7000 en deux ans, tant pour les médecins que pour les infirmiers qui contribuera à réduire à terme les difficultés de recrutement. Enfin, les modifications des modes de financement des hôpitaux et des cliniques privés permettront de mieux rémunérer l'activité chirurgicale.
Tout ceci est bon, mais tellement insuffisant. Je comprends votre impatience, messieurs. Pour une bonne part, elle est largement justifiée par les faits et par l'insuffisance flagrante des mesures prises par les gouvernements successifs, quelle que soit leur tendance.
Il nous faut réagir. Et vite !
C'est la raison pour laquelle, j'ai décidé aujourd'hui d'installer un conseil national de la chirurgie autour d'un président, mon ami Jacques Domergue. Ce conseil regroupera tous les acteurs représentatifs des chirurgiens, qu'ils soient professionnels, libéraux ou hospitaliers ainsi que les établissements publics et privés. L'objectif de ce conseil est extrêmement simple : me proposer des solutions concrètes avant la fin du mois d'octobre pour réconcilier les Français avec leurs chirurgiens et arrêter l'hémorragie des effectifs, en améliorant les conditions de travail dans ce métier, et le revenu.
Je souhaite que le conseil national puisse examiner, dans un premier temps, quatre questions prioritaires, pour jeter les bases de la mobilisation nationale que je proposerai au Président de la République cet automne :
L'évaluation des pratiques professionnelles par la mise en place de référentiels spécialités par spécialités sur les deux ou trois pathologies les plus fréquentes
Responsabilité civile professionnelle : la loi actuelle est-elle soutenable ? Les pratiques des assureurs sont-elles justifiées ?
Mode d'exercice et plateau technique : aujourd'hui un chirurgien isolé peut il encore exercer ?
La démographie et la formation : comment former aujourd'hui un chirurgien ? L'enseignement des facultés est-il adapté à l'exercice actuel ?
La future nomenclature des actes chirurgicaux.
Parmi ces questions, vous le savez, la deuxième est sans doute la plus essentielle. Et je voudrais, mesdames et messieurs les membres du conseil faire preuve de courage et de précision. J'attends d'ici à la fin de l'été, vos propositions, pour répondre aux difficultés liées à la responsabilité civile professionnelle et notamment, à l'explosion récente des primes.
C'est la raison pour laquelle j'ai décidé de ne pas attendre l'automne pour ce sujet précis.
Dès le mois de juillet, je souhaite proposer un amendement gouvernemental au projet de loi sur l'Assurance Maladie, afin de répondre à ce douloureux problème qui a conduit à une dégradation sans précédent du pouvoir d'achat des professionnels médicaux et en particulier des chirurgiens. Je souhaite que le conseil émette un avis sur cet amendement, afin de garantir qu'il réponde effectivement, et le plus courageusement possible, au problème cuisant qu'il doit résoudre.
Bien entendu, le conseil aura toute latitude pour auditionner les personnalités ou organisations qu'elle souhaite afin de déterminer les mesures les plus efficientes pour l'avenir de la chirurgie.
Mais, au-delà de cette première mission d'urgence, le conseil national, qui sera une structure permanente, pourra être saisi sur des projets de restructurations de plateaux techniques pour lesquels l'avis des experts est bien souvent un gage d'apaisement. Dans ce cadre, le conseil ne devra pas hésiter à se rendre sur le terrain afin que ses préconisations puissent tenir compte de toutes les parties en présence.
Il reviendra, enfin, au conseil d'informer le Ministre des évolutions de l'exercice chirurgical en France et des implications sur les politiques publiques que cela peut induire.
Vous le voyez, j'ai souhaité doter cette structure de missions fortes, urgentes, courageuse. Parce que chacun doit se sentir concerné par l'avenir de la chirurgie. Car sans chirurgien, la santé des Français ne sera plus protégée.
Monsieur le président Domergue, j'attends vos propositions d'actions concrètes pour la fin de l'été. Et je ne doute pas qu'elles seront à la hauteur de la détresse de cette profession, et à travers elle, de l'inquiétude légitime des Français pour leur santé.
Je vous remercie.


(Source http://www.sante.gouv.fr, le 21 juin 2004)