Intervention de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur l'action gouvernementale "A chaque problème une loi" et sur les enjeux des prochains scrutins (une chance pour les Français, pour la démocratie, pour l'Europe), à Paris le 13 janvier 2004

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Circonstance : Voeux à la presse à Paris le 13 janvier 2004

Texte intégral

Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et je vous adresse, au nom du Parti socialiste, tous nos voeux.
L'année qui s'ouvre sera, à tous les sens du terme, une année de choix. De choix internationaux, et l'élection américaine revêtira une grande importance. De choix européens, notamment sur le plan constitutionnel. De choix économiques et sociaux en France, sur des sujets aussi essentiels que l'avenir de la Sécurité Sociale, les règles du droit du travail et l'organisation des services publics.
Dans ce contexte, les socialistes veulent faire de l'année 2004 l'année des nouvelles chances.
Nouvelles chances pour la paix, avec l'initiative de Genève au Proche-Orient que nous soutenons et le retour des Nations Unies en Irak, indispensable au règlement de ce conflit.
Nouvelles chances pour l'Europe, avec l'adoption d'une Constitution et l'affirmation d'un projet européen.
Nouvelles chances pour la France, avec un rééquilibrage nécessaire, souhaitable, du pouvoir dans les régions et les départements pour mener une politique juste et efficace.
Nouvelles chances pour la gauche, avec la possibilité qui lui sera donnée de proposer dès aujourd'hui la seule alternative possible à toutes les droites, puisqu'il y en a désormais plusieurs mais qui poursuivent les mêmes objectifs et la même politique. Mais, pour saisir ces chances, une volonté est indispensable. C'est la nôtre. Des choix politiques sont aussi nécessaires. Ils sont possibles en 2004.
Car, nous sommes dans une année électorale. Pas moins de 4 scrutins de niveaux différents s'y succéderont. Il n'y en aura pas d'autre d'ici la fin de la législature. Les Français ont donc là l'occasion en 2004 de faire entendre leur voix.
Tout semble indiquer que la droite redoute cette épreuve. Elle a raison. Ses résultats depuis 18 mois ne plaident pas en effet en sa faveur. Croissance 0 en 2003, chômage en hausse (160 000 chômeurs de plus depuis un an), 7 % de faillite en plus , une production industrielle qui recule, un record historique de déficits publics et sociaux, un endettement qui a dépassé tous les plafonds et un indice très affaibli -au plancher devrais-je dire- du moral des Français, aggravé encore par l'accentuation des inégalités, dont l'exclusion au mois de janvier de 180 000 chômeurs de toute indemnisation est le symbole le plus choquant. Quant à la lutte contre l'insécurité -qui fait l'objet de bulletins de victoire- les statistiques, même habilement construites, quand le mérite des fonctionnaires de police est calculé sur leurs résultats affichés, et grossièrement présentées sans graduation des actes de délinquance selon leur gravité, elles ne peuvent cacher une progression sensible des actes de violences contre les personnes (+7 % en 2003). Si bien que l'on peut dire, au-delà des proclamations et des communiqués déplacés, que la violence n'a pas reculé, elle s'est même durcie.
Jacques Chirac, sans doute plus averti que d'autres de la situation, longtemps silencieux sur la scène politique intérieure, a pris conscience du danger représenté par un Premier ministre affaibli et une majorité en proie aux doutes. Il a donc revêtu sa tenue de campagne, c'est-à-dire ses habits officiels.
Et, comme la période des vux relève pour lui, et ce depuis 9 ans, du plus pur exercice de style, il n'a cette fois pas ménagé sa peine et a reculé très loin les frontières même virtuelles de la promesse.
À chaque problème une loi. Il fallait y songer, même en ces temps d'inflation législative. Pour dissoudre le chômage, une loi de mobilisation pour l'emploi ; pour sauver les territoires, une loi de lutte contre la désindustrialisation ; pour apaiser la colère légitime des scientifiques, une loi-programme sur la recherche ; pour calmer les enseignants, une loi d'orientation sur l'Education. Et, pour les plus crédules, s'il en reste, des TGV pour le siècle prochain ! Qu'importe si, au bout du compte, les réalités démentent au même instant les proclamations, que les actes contredisent les paroles, que les mots perdent leur sens, pourvu que l'opinion s'y perde le temps d'un scrutin. C'est le seul objectif recherché.
Cette méthode est doublement détestable :
Elle affaiblit, abaisse, abîme la politique en pariant sur la naïveté au mieux, la détresse, parfois, ou l'amnésie des citoyens. Elle creuse encore l'écart entre les Français et leurs représentants. Elle jette le doute sur l'ensemble des engagements publics.
Elle occulte aussi la réalité de la politique de la droite. Elle utilise des mots rassurants comme viatique d'une politique inquiétante. Elle fait du trompe-l'oeil un dessein politique. Ainsi, derrière la mobilisation pour l'emploi se dissimulent la fin du contrat à durée indéterminée, l'érosion des droits des salariés, le développement de la précarité pour les travailleurs pauvres avec le développement du RMA et de nouveaux cadeaux aux entreprises sans la moindre contrepartie (c'est la proposition de la taxe professionnelle dont on ne sait pas comment elle sera financée, même si on se doute déjà par qui elle sera payée). Derrière la décentralisation, le transfert vers les collectivités locales des dispositifs sociaux et des charges correspondantes avec leurs conséquences en termes de creusement des inégalités et d'alourdissement des impôts locaux. Derrière le rééquilibrage des comptes sociaux promis nous dit-on pour 2007, c'est la hausse désormais à peine voilée des prélèvements sur les chômeurs et les retraités qui se prépare et le déremboursement du petit risque dont on apprend -par des indiscrétions- qu'il pourrait être décidé par ordonnances en juillet prochain. Je demande solennellement au gouvernement de renoncer, dès à présent, à cette procédure, celle des ordonnances qui dessaisit le Parlement sur un sujet majeur pour l'avenir des Français. Il s'agit là non pas simplement de la défense de nos droits parlementaires, il s'agit tout simplement, dès à présent, de prendre conscience que ce sont les droits sociaux des Français qui sont ainsi mis en cause.
Bref, en tenant un discours optimiste sur la croissance et sur le retour à l'emploi, le chef de l'Etat laisse penser, pour cause d'élections, que le temps des sacrifices est fini, alors que le plus dur est à venir. Mais, l'addition ne sera présentée qu'au lendemain des consultations démocratiques.
Ce cynisme fait courir de graves risques à notre démocratie. Il nourrit en effet tous les extrémismes. Il révèle une conception de la politique bien loin de l'éthique de responsabilité, comme si le 21 avril n'avait jamais existé.
De la même manière, les comportements au sommet même de l'Exécutif ont pris, ces dernières semaines, des formes jusque-là inédites dans notre République.
Un Ministre de l'Intérieur qui utilise un déplacement en Chine pour provoquer le chef de l'Etat, c'est déjà cocace. Un Président de la République qui ne sait comment répondre à cette impatience et endiguer cette voracité -le dîner de ce soir est, si je puis dire, une illustration. Un Premier ministre qui s'enferre dans des problèmes de numéro hiérarchique pour trouver sa place, c'est également une novation dans la Vème République.
Nous pourrions en sourire. C'est le retour de la querelle des Balladuriens et des chiraquiens, 10 ans après, avec le même concours de chausse-trappe, de petits complots et coups tordus et avec les mêmes protagonistes devenus, l'âge avançant, des experts. Tout cela n'est pas digne. C'est l'image de la France qui est en cause. Elle exige des plus hauts responsables de l'Etat, et je le dis au nom de l'idée que je me fais de la République, de se tenir et même de se retenir.
Ainsi, la droite, en cette année 2004, retrouve ses vieilles méthodes, ses vieilles recettes libérales et ses vieux démons.
Les élections sont pour elle un obstacle, un risque, un danger. Tout est donc fait pour les escamoter car, les franchir sans trop de perte serait déjà pour elle une victoire, puisque ce serait la liberté de pouvoir agir à sa guise d'ici la fin de la législature.
Pour la gauche, et singulièrement pour les socialistes, ces consultations doivent être autant de nouvelles chances.
UNE NOUVELLE CHANCE D'ABORD POUR LES FRANÇAIS. À travers les élections territoriales de mars prochain, il s'agit rien de moins que d'utiliser les compétences des régions et des départements pour changer la vie quotidienne de nos concitoyens en matière d'Education, d'environnement, d'emplois, de culture et de services publics.
Et les socialistes feront de l'emploi le thème majeur de leur campagne. C'est la première préoccupation des Français. C'est là que, grâce à l'action du gouvernement de Lionel Jospin, notre crédibilité est la plus forte. C'est là aussi que le Président de la République veut occuper l'espace. C'est sur ce terrain que notre volontarisme s'est traduit en résultats tangibles, quand la droite, en supprimant, un a un, nos dispositifs, a piteusement échoué.
Sans prétendre que l'action territoriale peut valoir politique nationale, nous proposerons un plan régional pour l'emploi, avec un certain nombre de mesures qui seront détaillées le 25 janvier prochain et qui utiliseront ce que nous avons déjà engagé et des dispositifs nouveaux. Nous démontrerons, au plan national, qu'une politique active de croissance et d'emploi est possible, qu'elle passe par le soutien de la consommation surtout au moment où nos exportations peuvent être freinées par le haut niveau de l'euro ; elle passe par un effort de recherche surtout au moment où celui-ci est ralenti ; elle passe par un changement d'assiette des cotisations beaucoup plus efficace que la baisse de la taxe professionnelle ou la diminution sur les sociétés ; elle passe par un contrat d'insertion beaucoup plus sûr pour les bénéficiaires que le RMI ou le RMA ; elle passe par une négociation sur les carrières professionnelles et l'enrichissement du travail, beaucoup plus clair que cette pseudo valorisation du travail qui finit par augmenter le chômage.
UNE NOUVELLE CHANCE POUR LA DEMOCRATIE. Il nous revient d'être exemplaires : d'abord dans l'effectivité de nos propositions ; nous proposerons un contrat qui fixera nos priorités et qui engagera l'ensemble des candidats socialistes pour les élections de mars prochain; ensuite dans le respect de nos partenaires, avec un accord national sur le contenu de nos politiques et des règles de désistement comme de fusion des listes pour le second tour connues dès avant le premier tour. Enfin, dans le rapport avec les citoyens, par la mise en uvre d'une véritable démocratie participative pour la vérification, chaque année et dans chaque région, de l'exécution de nos engagements.
UNE NOUVELLE CHANCE POUR L'EUROPE. L'Europe est aujourd'hui bloquée. L'élargissement s'accomplit sans l'approfondissement, la reprise de la croissance se fait attendre, faute de politique coordonnée au plan budgétaire et monétaire et l'Union européenne ne parvient pas à peser sur le destin du monde, faute d'une volonté partagée.
Les autorités françaises portent une large responsabilité dans cette situation. Elles ont divisé quand il fallait unir. Elles se sont affranchies des règles collectives quand il fallait les redéfinir en commun. Elles ont réduit les ambitions collectives sans accroître notre propre rayonnement.
Les socialistes veulent faire de 2004 une année européenne. L'Europe doit avoir sa Constitution. Elle doit pouvoir financer sa politique d'avenir. Elle doit pouvoir retrouver une croissance élevée pour renforcer son modèle social. Elle doit pouvoir aussi maîtriser la valeur de sa monnaie. Les élections européennes offrent l'occasion de consulter les citoyens sur ces enjeux-là, et notamment l'enjeu constitutionnel. Les élections européennes auront donc une double valeur : institutionnelle -dans quel cadre voulons-nous agir ensemble- et politique -que voulons-nous faire pour l'union dans les cinq ans qui viennent.
Pour toutes ces raisons, nous voulons faire de l'année 2004 une année fructueuse, une année utile. La sanction est nécessaire. Elle ne peut passer que par nous, c'est-à-dire les socialistes et la gauche.
C'est, en effet, en nombre de régions gagnées ou perdues par la droite ou par la gauche que se mesurera le succès ou l'échec. Il n'y a pas d'autre interprétation, il n'y aura pas d'autre commentaire. Il n'y a pas d'autre voie. Mais, la sanction ne peut suffire. Elle peut certes freiner ou arrêter. Mais, elle ne peut pas, à elle seule, changer ou transformer. Les élections à venir ne servent pas, à nos yeux, simplement à punir mais à agir dès cette année.
En 2004, j'appelle donc, comme Premier secrétaire, les socialistes à prendre toutes leurs responsabilités.
Dans la préparation des élections : le scrutin de mars est à la fois national et local. Il faut respecter ce double enjeu. Il y a une politisation du scrutin qui est nié par personne, y compris par le Premier ministre puisqu'il s'est lui-même désigné chef de la majorité, donc de campagne, dans cette confrontation.
Comme Premier secrétaire, je m'y investirai pleinement. Premier meeting en Poitou-Chatentes, je terminerai en Limousin. Je constituerai, dans les prochains jours, un Comité de campagne qui se réunira dès la semaine prochaine, avant le lancement de notre campagne le 25 janvier prochain. La tâche e ce Comité de campagne sera de coordonner nos expressions et notre communication à travers les régions, d'assurer la promotion de nos propositions et de mobiliser les électeurs par rapport aux risques de l'abstention et du vote extrême. Il réunira toutes les sensibilités du Parti socialiste et les personnalités qui ont vocation à soutenir nos candidats. Je veux un collectif cohérent autour du même objectif. Il nous rassemble tous. Chacun comprend l'enjeu. Il ne s'agit pas d'effacer le 21 avril -nous le gardons en mémoire- mais de le dépasser pour ouvrir une nouvelle perspective politique en 2007. C'est le préalable indispensable à la réussite future. C'est la première étape de la reconquête. Elle commence aujourd'hui.
Dans le rassemblement de la gauche. Le Parti socialiste a fait le choix de l'union. Déjà, il est acquis que pour les prochaines élections, nous serons dans 12 régions en liste commune avec les Verts et dans une quinzaine avec nos amis communistes. Nous essaierons de rassembler nos partenaires du PRG et du MRC. Et là où, pour des raisons qui ne relèvent pas d'ailleurs de notre responsabilité, nous partons séparément, nous aurons des accords de fusions de listes et de désistement avant le premier tour.
Le principe est acquis avec les Verts. Il sera précisé autour d'un accord politique. Et il le sera sans doute avec le PC lors d'une rencontre avant la fin de ce mois. Mais, notre conviction est qu'au lendemain des élections régionales, surtout si elles sont victorieuses, il faudra aller plus loin et plus vite et mettre tous ceux qui le voudront au travail dans le cadre d'une structure permanente de liaison pour renforcer l'opposition et préparer la construction d'un vrai projet alternatif.
Dans la mobilisation européenne. Les socialistes veulent prendre toute leur place dans le mouvement progressiste européen. Ce sera le sens de leur participation au Congrès du PSE qui se tiendra en avril prochain à Bruxelles.
Pour le préparer au mieux, nous organiserons une Convention nationale sur l'Europe en avril qui, outre la désignation de nos candidats, adoptera notre projet européen dont nous essaierons de faire partager les principes à nos amis socialistes européens, à travers la multiplication des déplacements en Europe.
Dans l'élaboration de notre projet. Face au libéralisme qui abandonne tant d'individus en chemin et qui délite le lien social, les socialistes veulent bâtir une société des nouvelles chances, à travers l'objectif du plein emploi qui reste le nôtre, à travers un projet éducatif permettant l'égal accès au savoir, à travers la valorisation du travail, à travers une politique de logement et le développement durable, à travers la construction de nouvelles villes.
Au lendemain des consultations électorales, nous accélèrerons la préparation de notre projet alternatif et nous tiendrons deux Conventions programmatiques : l'une sur l'économie et l'emploi, l'autre sur l'Education.
Dans ces moments de confusion entretenue, dans cette période d'inquiétude justifiée, la responsabilité des socialistes est de promouvoir, au-delà même de leur projet, une conception politique fondée sur la volonté et la vérité.
En 2004, les socialistes n'ont pas seulement à rechercher une victoire -elle sera la bienvenue, à conquérir des places -nous ne les refusons pas, ou des lieux de pouvoir -nous essaierons de faire qu'ils soient les plus nombreux. Il leur revient une nouvelle chance à la politique. Son abaissement, dont le principal responsable est le chef de l'Etat, est une menace pour la démocratie. Son redressement est une condition pour réussir à vivre ensemble. C'est mon vu le plus cher.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 13 janvier 2004)