Texte intégral
Le ministre de la ville que je suis a toutes les bonnes raisons de venir à Rennes. Quand il s'agit, d'illustrer les différentes avancées qui ont pu être conduites en matière de politique de la ville, on bute sur votre ville, incontournable, toujours ancrée sur ses traditions avec fierté, mais aussi moderne, en quête de progrès, avide de nouveauté et fidèle à votre belle devise, " vivre en intelligence " au service de tous les habitants.
C'est pour moi donc un grand plaisir d'être à nouveau parmi vous.
Lors de ma première visite en octobre 98, j'avais pu apprécier en effet l'intelligence avec laquelle vous avez su, dès les débuts de la politique de la ville, comprendre les enjeux de cette politique de solidarité. Sans doute est-ce le propre des villes riches de leur passé.
Rennes est une ville paisible, une ville humaine et elle le restera, parce que vous êtes animés par une détermination collective.
Rennes est une ville pionnière. En matière d'intercommunalité vous avez, au sein du district, réuni 33 communes, pour en faire un espace d'échanges et de partage.
La prévention de la délinquance, le respect de l'environnement, la promotion de l'égalité entre hommes et femmes, la santé, l'art et la culture, les nouvelles technologies : vous veillez à ne rien négliger pour que votre ville s'enorgueillisse d'être l'espace démocratique qui conjugue l'intérêt de chacun avec celui de tous. Les correspondants de nuit, que j'aurai l'occasion d'honorer tout à l'heure en la personne de Jean-Yves Gérard, en sont l'exemple le plus remarquable.
1. Aujourd'hui, à l'occasion de la signature de votre contrat de ville, j'ai choisi de mettre d'abord en relief la qualité du grand projet de ville auquel vous allez consacrer tous vos efforts dans les années qui viennent.
Comme vous le savez le Premier ministre, lors du comité interministériel des villes le 14 décembre dernier, a décidé d'engager un ambitieux programme de renouvellement urbain pour réaffirmer la volonté de ce gouvernement de confirmer, concrétiser et amplifier l'effort de solidarité urbaine.
Des moyens budgétaires exceptionnels vont donner aux quartiers et aux villes de la politique de la ville ce que méritent et ce qu'attendent leurs habitants : justice, égalité des chances et équité pour qu'ils puissent mener une vie normale de citoyens.
Il s'agit de faire un choix collectivement, un choix éminemment politique, pour décider de la société urbaine de demain, en restant fidèles au modèle de ville auquel nous sommes attachés tout en le faisant vivre, respirer, au rythme du XXIème siècle.
Au-delà des programmes d'urbanisme, nous avons, comme vous, une visée humaniste, pour que la ville soit à l'image du désir des habitants.
Car c'est cela la ville, la forme la plus complexe et la plus raffinée de la civilisation, c'est " la chose humaine par excellence ", selon la formule de Claude Levi Strauss. La ville n'est pas une maquette qui a gagné un concours, une vision froide de science fiction comme le XXème siècle a parfois été tenté de le promouvoir, mais un lieu de culture, de rencontres, qui respecte les habitants et qui conjugue progrès, poésie, beauté, histoire et douceur de vivre, pour une société plus fraternelle.
Ici à Rennes, sur deux sites différents, dans le quartier de Villejean et à Saint-Jacques-de-La-Lande, le grand projet de ville que vous initiez est particulièrement intéressant.
Il s'attaque à deux problèmes apparemment opposés et qui pointent chacun la difficile tension entre centre et périphérie. Dans les deux cas, la ségrégation spatiale est l'ennemi numéro un et pour assurer un développement équilibré de la ville, il convient d'abord de RELIER.
A Villejean, quartier conçu à l'origine dans les faubourgs du vieux Rennes, à l'écart du centre historique, le remodelage urbain, la création de structures sociales, la restructuration des espaces sur l'axe du futur métro, vont contribuer au désenclavement du quartier et à sa revalorisation. Vous allez relier le centre au quartier, pour que les habitants sentent qu'ils font partie de la ville à part entière.
A Saint-Jacques-de-La-Lande, le projet consiste à réunir des morceaux de la ville un peu éparpillés, pour donner ce sentiment de cohésion indispensable. Vous avez l'audacieux projet de créer un centre, afin que les gens retrouvent ce qui leur manque, cette image de la ville " ronde ", dont on sent l'unité, qui offre en son cur un lieu de rencontre, de débats, cette idée de la ville européenne à laquelle nous tenons tant. L'expression " lien social " prend alors tout son sens.
On voit bien dans les deux cas qu'il ne s'agit pas de se contenter de boucher les vides, les interstices.
La ville réussie n'est jamais faite d'espaces vides qu'on traverse d'un coup de métro, de routes ou de ponts, mais elle se construit d'espaces de vie, reliés les uns aux autres, dans une urbanité recherchée et consentie.
Nous nous heurtons tous aujourd'hui aux désirs paradoxaux des habitants. Ils veulent la ville tout en la fuyant. Ils veulent " tous vivre avec personne ", revendiquant tout à la fois : logements individuels, transports, équipements culturels. Cela donne l'étalement de la ville, l'accroissement des populations en périphérie, la tentation séparatiste des banlieues résidentielles à l'américaine, le regroupement des riches entre eux et l'isolement des plus exclus. C'est justement ce que refuse ce gouvernement.
Jean-Claude Gayssot, Louis Besson et moi-même allons prochainement présenter devant l'assemblée nationale le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain.
Pour ma part, je vais défendre un titre intitulé " conforter la politique de la ville " qui va consister à rétablir des règles justes, pour une juste répartition de l'habitat social dans toutes les communes, notamment dans certaines communes riches qui ont tout fait pour ne pas construire des logements sociaux en nombre suffisant, contribuant ainsi à concentrer les habitants les plus en difficulté dans les mêmes lieux.
La mixité sociale ne peut pas rester un discours incantatoire, tandis que se développe la séparation progressive des habitants de ce pays. L'alibi du " malgré nous " est inacceptable.
Nous devons organiser des villes qui accueillent tout le monde. C'est notre responsabilité et nous l'assumerons.
2. Je vais, à ce moment de mon intervention, tourner à 180 degrés pour vous parler de l'éducation. Malgré les apparences, nous ne nous éloignerons pas beaucoup des chemins que je viens de tracer.
Ce n'est pas seulement parce que l'actualité s'y prête. Rennes est connue pour réserver une place primordiale à l'éducation. Elle fait partie de l'association du réseau français des villes éducatrices et en assure la présidence. C'est la raison pour laquelle je saisis l'opportunité de la signature du contrat de ville pour signer également aujourd'hui une convention marquant les convergences qui existent entre la charte des villes éducatrices et les objectifs de la politique de la ville en matière d'éducation. Nous sommes convenus de jeter les bases d'une coopération sur la durée des contrats de ville et je m'en réjouis. J'en profite pour remercier ceux qui ont contribué à ce rapprochement : Hubert Chardonnet, le président de l'association, adjoint au maire ici à Rennes, mais aussi tous les membres de ce réseau, dont je connais l'ouverture d'esprit, le dynamisme et le dévouement au service des enfants de leurs villes.
Ces dernières semaines, les violences qui ont sévi dans certains établissements scolaires ont suscité une série de turbulences médiatiques, une avalanche de commentaires, une profusion d'émissions, d'interviews, qui marquent un tournant. On a le sentiment que la société française s'intéresse à l'éducation et prend conscience que les choses doivent changer, que - comme j'ai eu l'occasion de le dire lors des rencontres de Tours - l'éducation est une responsabilité partagée.
Ici, dans cette ville, vous avez compris depuis longtemps la nécessité de coopérer. Vous avez fait vivre avant l'heure la circulaire " Education nationale et politique de la ville, pour la préparation et le suivi des contrats de ville" signée par Ségolène Royal, Claude Allègre et par moi-même, qui affirme que l'école doit travailler avec le reste de la société.
C'est parce qu'on ne doit pas laisser l'éducation nationale accomplir seule la tâche éducative que j'étais aux côtés de Claude Allègre et de Ségolène Royal, il y a une semaine, pour lancer le deuxième volet du plan de lutte contre la violence.
La violence n'est pas seulement scolaire, elle est aussi sur les stades, dans la rue, dans les centres commerciaux, dans les centres de loisirs, elle concerne la ville dans son ensemble, c'est parce qu'il faut y résister collectivement que le gouvernement donne une image d'unité.
Mes chers amis, nous allons désormais exactement dans le sens des villes éducatrices, de ce que vous avez compris depuis longtemps : il faut pour chaque ville en contrat de ville, un PROJET EDUCATIF construit par tous, il faut un projet éducatif local.
A cet égard, il convient de rappeler en tout premier lieu le rôle déterminant des parents. L'école doit leur être ouverte.
On connaît les ravages de la valse hésitation, du père qui dit non et de la mère qui dit oui. Ou le contraire. De l'école qui dit oui ou non, à contresens.
La loi que doivent respecter les enfants doit être connue, simple et cohérente à la maison, à l'école, dans la ville.
J'ai voulu le manifester aujourd'hui en demandant à Pierre Louis Rémy, délégué interministériel à la famille de m'accompagner. J'ai tenu à me rendre avec lui, à l'espace accueil des parents de l'école Jacques Prévert, où le dialogue est la règle.
La résignation, en effet, n'est pas envisageable.
Je suis Ministre délégué à la ville, et je travaille pour que les plus délaissés, ceux qui sont éjectés de la route droite du succès, reprennent confiance. Je ne peux pas admettre que la ligne de départ pour certains enfants soit encore trop souvent une ligne de partage entre riches et pauvres.
Certains jeunes ne partent pas avec les mêmes atouts que les autres. Ils se voient niés dans leurs origines, leur fierté, leurs espoirs alors qu'on leur apprend à l'école les principes de l'égalité républicaine. Ils en éprouvent un vif sentiment d'humiliation et d'injustice.
Ils pensent que la réussite est une question de chance, de hasard.
Pas nous.
L'égalité des chances, dans la République que je défends, pour laquelle ce gouvernement travaille, consiste à faire précisément reculer le hasard :
le hasard de la naissance, du quartier dans lequel on est né, de la couleur de la peau ou de la consonance du nom.
Des progrès spectaculaires ont été accomplis dans l'éducation des enfants et peuvent nous donner le sentiment d'une forte avancée démocratique. C'est vrai, mais c'est insuffisant. Trop de différences existent encore. Dans certains quartiers, la chance joue à plein son rôle disjonctif, alors qu'il faut relier.
Un exemple seulement. Vous le savez, aux dires mêmes des recteurs des académies difficiles, les enseignants et les chefs d'établissement ne se bousculent pas pour travailler dans certains établissements. Les élèves le savent. Comment voulez-vous que ces élèves qui ne sont pas " désirés ", soient motivés pour apprendre, puisqu'ils sont rejetés avant même d'avoir fait leur preuve, et qu'ils peuvent avoir le sentiment d'un sauve-qui-peut général des adultes autour d'eux ?
Il est de notre responsabilité que ces enfants soient persuadés que la vie n'est pas la roulette russe, et que les adultes travaillent pour rétablir la justice, afin qu'ils aient toute leur chance de réussir selon leurs aspirations propres.
L'injustice fait le lit de la violence.
L'échec scolaire aussi, fait le lit de la violence.
Cette question a suscité maints débats, la fameuse question de la transmission des savoirs a fait couler toute l'encre de tous les stylos pédagogiques. Les élèves doivent apprendre ! C'est une évidence, mais apprendre QUOI ? Apprendre pourquoi ?
Mesdames et messieurs, c'est une chose sérieuse et urgente de se poser la question du sens des apprentissages, alors que soixante mille enfants par an en France, sortent sans aucun diplôme de l'école, et qu'ils ont l'impression d'avoir appris pour rien.
Le temps de vie des enfants qui naissent aujourd'hui sera long. Raison de plus pour ne pas se presser de savoir, mais pour se dépêcher de comprendre.
Edgar Morin dans un essai brillant, comme à son habitude, nous enjoint de réfléchir aux sept piliers de la connaissance désormais indispensable dans un siècle nouveau. Il nous demande de réviser nos jugements préconçus et de construire ensemble des modes renouvelés d'accès aux savoirs. Car l'éducation ne peut pas se développer sur l'échec.
L'éducation est transmission, partage mais aussi confiance et vision de l'avenir.
C'est pourquoi j'ai demandé que tous les acteurs locaux, au premier rang desquels se trouvent les élus, organisent des plans d'accompagnement à l'éducation des enfants pour les conduire vers la réussite. Les contrats de ville et les contrats éducatifs locaux qui sont en train d'être signés en seront le cadre.
Pour le dire simplement, je ne veux pas seulement du hip-hop et du foot pour les enfants des banlieues, tandis que d'autres apprennent le violon et découvrent les arts plastiques. Partout où vivent les enfants dans la ville : école, centres culturels, stades, bibliothèques, centres de loisirs, il faut leur offrir des activités de qualité.
Réduire les inégalités, c'est abaisser le seuil des violences.
Le chômage recule, c'est désormais un fait. Les enfants peuvent prétendre à nouveau trouver un travail et leur place dans la société. C'est notre réussite collective, dont nous ne devons exclure personne.
Il nous reste à nous battre pour que TOUS les enfants aient accès, d'une façon ou d'une autre, au plaisir d'apprendre.
J'engage à cesser d'écrire l'éducation ratée, comme c'est hélas le cas dans certains ouvrages parus récemment, mais plutôt à renverser la logique d'échec, à penser l'éducation de façon positive, pour qu'apprendre signifie partager ce qu'on sait avec les autres, créer, innover, inventer de nouvelles choses, de nouvelles uvres humaines.
3. Mesdames et messieurs, je vais devoir conclure.
Le contrat de ville que je me prépare à signer avec vous dans quelques instants est un acte fortement symbolique qui nous engage. Il ne s'agit pas pour moi d'un coup de stylo rapide sur des parapheurs échangés à la hâte, en présence de photographes qui feraient volontiers des photos plusalléchantes médiatiquement.
Ce contrat est l'acte de naissance d'un projet politique partagé, pour une société qui se revendique solidaire et fraternelle.
J'ai développé deux thèmes, tous les deux au cur de votre contrat de ville. Education et mixité sociale.
Dans les deux cas, nous travaillons à refuser la fatalité de l'inégalité organisée par l'économie, et la compétition forcenée. Protéger les plus fragiles et refuser les ségrégations, qu'elles soient dans la ville ou dans l'école, rendre leur dignité à tous, redonner confiance, c'est ce que fait le gouvernement, c'est ce que vous faites quotidiennement, et je tenais à vous en remercier.
Je me plais à citer cette phrase de Rousseau, le citoyen de Genève : " La plupart prennent une ville pour une cité et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville, mais que les citoyens font la cité. "
Mesdames et messieurs, gardons-nous en effet de ne pas dénaturer le mot de cité.
Attachons-nous à faire en sorte que tous les habitants, enfants, jeunes et adultes, en comprennent la portée, et se sentent pleinement des citoyens. C'est le plus sûr moyen de s'émanciper de la violence, de défier les scepticismes et de tenir le cap des valeurs de la République.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 14 février 2000)
C'est pour moi donc un grand plaisir d'être à nouveau parmi vous.
Lors de ma première visite en octobre 98, j'avais pu apprécier en effet l'intelligence avec laquelle vous avez su, dès les débuts de la politique de la ville, comprendre les enjeux de cette politique de solidarité. Sans doute est-ce le propre des villes riches de leur passé.
Rennes est une ville paisible, une ville humaine et elle le restera, parce que vous êtes animés par une détermination collective.
Rennes est une ville pionnière. En matière d'intercommunalité vous avez, au sein du district, réuni 33 communes, pour en faire un espace d'échanges et de partage.
La prévention de la délinquance, le respect de l'environnement, la promotion de l'égalité entre hommes et femmes, la santé, l'art et la culture, les nouvelles technologies : vous veillez à ne rien négliger pour que votre ville s'enorgueillisse d'être l'espace démocratique qui conjugue l'intérêt de chacun avec celui de tous. Les correspondants de nuit, que j'aurai l'occasion d'honorer tout à l'heure en la personne de Jean-Yves Gérard, en sont l'exemple le plus remarquable.
1. Aujourd'hui, à l'occasion de la signature de votre contrat de ville, j'ai choisi de mettre d'abord en relief la qualité du grand projet de ville auquel vous allez consacrer tous vos efforts dans les années qui viennent.
Comme vous le savez le Premier ministre, lors du comité interministériel des villes le 14 décembre dernier, a décidé d'engager un ambitieux programme de renouvellement urbain pour réaffirmer la volonté de ce gouvernement de confirmer, concrétiser et amplifier l'effort de solidarité urbaine.
Des moyens budgétaires exceptionnels vont donner aux quartiers et aux villes de la politique de la ville ce que méritent et ce qu'attendent leurs habitants : justice, égalité des chances et équité pour qu'ils puissent mener une vie normale de citoyens.
Il s'agit de faire un choix collectivement, un choix éminemment politique, pour décider de la société urbaine de demain, en restant fidèles au modèle de ville auquel nous sommes attachés tout en le faisant vivre, respirer, au rythme du XXIème siècle.
Au-delà des programmes d'urbanisme, nous avons, comme vous, une visée humaniste, pour que la ville soit à l'image du désir des habitants.
Car c'est cela la ville, la forme la plus complexe et la plus raffinée de la civilisation, c'est " la chose humaine par excellence ", selon la formule de Claude Levi Strauss. La ville n'est pas une maquette qui a gagné un concours, une vision froide de science fiction comme le XXème siècle a parfois été tenté de le promouvoir, mais un lieu de culture, de rencontres, qui respecte les habitants et qui conjugue progrès, poésie, beauté, histoire et douceur de vivre, pour une société plus fraternelle.
Ici à Rennes, sur deux sites différents, dans le quartier de Villejean et à Saint-Jacques-de-La-Lande, le grand projet de ville que vous initiez est particulièrement intéressant.
Il s'attaque à deux problèmes apparemment opposés et qui pointent chacun la difficile tension entre centre et périphérie. Dans les deux cas, la ségrégation spatiale est l'ennemi numéro un et pour assurer un développement équilibré de la ville, il convient d'abord de RELIER.
A Villejean, quartier conçu à l'origine dans les faubourgs du vieux Rennes, à l'écart du centre historique, le remodelage urbain, la création de structures sociales, la restructuration des espaces sur l'axe du futur métro, vont contribuer au désenclavement du quartier et à sa revalorisation. Vous allez relier le centre au quartier, pour que les habitants sentent qu'ils font partie de la ville à part entière.
A Saint-Jacques-de-La-Lande, le projet consiste à réunir des morceaux de la ville un peu éparpillés, pour donner ce sentiment de cohésion indispensable. Vous avez l'audacieux projet de créer un centre, afin que les gens retrouvent ce qui leur manque, cette image de la ville " ronde ", dont on sent l'unité, qui offre en son cur un lieu de rencontre, de débats, cette idée de la ville européenne à laquelle nous tenons tant. L'expression " lien social " prend alors tout son sens.
On voit bien dans les deux cas qu'il ne s'agit pas de se contenter de boucher les vides, les interstices.
La ville réussie n'est jamais faite d'espaces vides qu'on traverse d'un coup de métro, de routes ou de ponts, mais elle se construit d'espaces de vie, reliés les uns aux autres, dans une urbanité recherchée et consentie.
Nous nous heurtons tous aujourd'hui aux désirs paradoxaux des habitants. Ils veulent la ville tout en la fuyant. Ils veulent " tous vivre avec personne ", revendiquant tout à la fois : logements individuels, transports, équipements culturels. Cela donne l'étalement de la ville, l'accroissement des populations en périphérie, la tentation séparatiste des banlieues résidentielles à l'américaine, le regroupement des riches entre eux et l'isolement des plus exclus. C'est justement ce que refuse ce gouvernement.
Jean-Claude Gayssot, Louis Besson et moi-même allons prochainement présenter devant l'assemblée nationale le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain.
Pour ma part, je vais défendre un titre intitulé " conforter la politique de la ville " qui va consister à rétablir des règles justes, pour une juste répartition de l'habitat social dans toutes les communes, notamment dans certaines communes riches qui ont tout fait pour ne pas construire des logements sociaux en nombre suffisant, contribuant ainsi à concentrer les habitants les plus en difficulté dans les mêmes lieux.
La mixité sociale ne peut pas rester un discours incantatoire, tandis que se développe la séparation progressive des habitants de ce pays. L'alibi du " malgré nous " est inacceptable.
Nous devons organiser des villes qui accueillent tout le monde. C'est notre responsabilité et nous l'assumerons.
2. Je vais, à ce moment de mon intervention, tourner à 180 degrés pour vous parler de l'éducation. Malgré les apparences, nous ne nous éloignerons pas beaucoup des chemins que je viens de tracer.
Ce n'est pas seulement parce que l'actualité s'y prête. Rennes est connue pour réserver une place primordiale à l'éducation. Elle fait partie de l'association du réseau français des villes éducatrices et en assure la présidence. C'est la raison pour laquelle je saisis l'opportunité de la signature du contrat de ville pour signer également aujourd'hui une convention marquant les convergences qui existent entre la charte des villes éducatrices et les objectifs de la politique de la ville en matière d'éducation. Nous sommes convenus de jeter les bases d'une coopération sur la durée des contrats de ville et je m'en réjouis. J'en profite pour remercier ceux qui ont contribué à ce rapprochement : Hubert Chardonnet, le président de l'association, adjoint au maire ici à Rennes, mais aussi tous les membres de ce réseau, dont je connais l'ouverture d'esprit, le dynamisme et le dévouement au service des enfants de leurs villes.
Ces dernières semaines, les violences qui ont sévi dans certains établissements scolaires ont suscité une série de turbulences médiatiques, une avalanche de commentaires, une profusion d'émissions, d'interviews, qui marquent un tournant. On a le sentiment que la société française s'intéresse à l'éducation et prend conscience que les choses doivent changer, que - comme j'ai eu l'occasion de le dire lors des rencontres de Tours - l'éducation est une responsabilité partagée.
Ici, dans cette ville, vous avez compris depuis longtemps la nécessité de coopérer. Vous avez fait vivre avant l'heure la circulaire " Education nationale et politique de la ville, pour la préparation et le suivi des contrats de ville" signée par Ségolène Royal, Claude Allègre et par moi-même, qui affirme que l'école doit travailler avec le reste de la société.
C'est parce qu'on ne doit pas laisser l'éducation nationale accomplir seule la tâche éducative que j'étais aux côtés de Claude Allègre et de Ségolène Royal, il y a une semaine, pour lancer le deuxième volet du plan de lutte contre la violence.
La violence n'est pas seulement scolaire, elle est aussi sur les stades, dans la rue, dans les centres commerciaux, dans les centres de loisirs, elle concerne la ville dans son ensemble, c'est parce qu'il faut y résister collectivement que le gouvernement donne une image d'unité.
Mes chers amis, nous allons désormais exactement dans le sens des villes éducatrices, de ce que vous avez compris depuis longtemps : il faut pour chaque ville en contrat de ville, un PROJET EDUCATIF construit par tous, il faut un projet éducatif local.
A cet égard, il convient de rappeler en tout premier lieu le rôle déterminant des parents. L'école doit leur être ouverte.
On connaît les ravages de la valse hésitation, du père qui dit non et de la mère qui dit oui. Ou le contraire. De l'école qui dit oui ou non, à contresens.
La loi que doivent respecter les enfants doit être connue, simple et cohérente à la maison, à l'école, dans la ville.
J'ai voulu le manifester aujourd'hui en demandant à Pierre Louis Rémy, délégué interministériel à la famille de m'accompagner. J'ai tenu à me rendre avec lui, à l'espace accueil des parents de l'école Jacques Prévert, où le dialogue est la règle.
La résignation, en effet, n'est pas envisageable.
Je suis Ministre délégué à la ville, et je travaille pour que les plus délaissés, ceux qui sont éjectés de la route droite du succès, reprennent confiance. Je ne peux pas admettre que la ligne de départ pour certains enfants soit encore trop souvent une ligne de partage entre riches et pauvres.
Certains jeunes ne partent pas avec les mêmes atouts que les autres. Ils se voient niés dans leurs origines, leur fierté, leurs espoirs alors qu'on leur apprend à l'école les principes de l'égalité républicaine. Ils en éprouvent un vif sentiment d'humiliation et d'injustice.
Ils pensent que la réussite est une question de chance, de hasard.
Pas nous.
L'égalité des chances, dans la République que je défends, pour laquelle ce gouvernement travaille, consiste à faire précisément reculer le hasard :
le hasard de la naissance, du quartier dans lequel on est né, de la couleur de la peau ou de la consonance du nom.
Des progrès spectaculaires ont été accomplis dans l'éducation des enfants et peuvent nous donner le sentiment d'une forte avancée démocratique. C'est vrai, mais c'est insuffisant. Trop de différences existent encore. Dans certains quartiers, la chance joue à plein son rôle disjonctif, alors qu'il faut relier.
Un exemple seulement. Vous le savez, aux dires mêmes des recteurs des académies difficiles, les enseignants et les chefs d'établissement ne se bousculent pas pour travailler dans certains établissements. Les élèves le savent. Comment voulez-vous que ces élèves qui ne sont pas " désirés ", soient motivés pour apprendre, puisqu'ils sont rejetés avant même d'avoir fait leur preuve, et qu'ils peuvent avoir le sentiment d'un sauve-qui-peut général des adultes autour d'eux ?
Il est de notre responsabilité que ces enfants soient persuadés que la vie n'est pas la roulette russe, et que les adultes travaillent pour rétablir la justice, afin qu'ils aient toute leur chance de réussir selon leurs aspirations propres.
L'injustice fait le lit de la violence.
L'échec scolaire aussi, fait le lit de la violence.
Cette question a suscité maints débats, la fameuse question de la transmission des savoirs a fait couler toute l'encre de tous les stylos pédagogiques. Les élèves doivent apprendre ! C'est une évidence, mais apprendre QUOI ? Apprendre pourquoi ?
Mesdames et messieurs, c'est une chose sérieuse et urgente de se poser la question du sens des apprentissages, alors que soixante mille enfants par an en France, sortent sans aucun diplôme de l'école, et qu'ils ont l'impression d'avoir appris pour rien.
Le temps de vie des enfants qui naissent aujourd'hui sera long. Raison de plus pour ne pas se presser de savoir, mais pour se dépêcher de comprendre.
Edgar Morin dans un essai brillant, comme à son habitude, nous enjoint de réfléchir aux sept piliers de la connaissance désormais indispensable dans un siècle nouveau. Il nous demande de réviser nos jugements préconçus et de construire ensemble des modes renouvelés d'accès aux savoirs. Car l'éducation ne peut pas se développer sur l'échec.
L'éducation est transmission, partage mais aussi confiance et vision de l'avenir.
C'est pourquoi j'ai demandé que tous les acteurs locaux, au premier rang desquels se trouvent les élus, organisent des plans d'accompagnement à l'éducation des enfants pour les conduire vers la réussite. Les contrats de ville et les contrats éducatifs locaux qui sont en train d'être signés en seront le cadre.
Pour le dire simplement, je ne veux pas seulement du hip-hop et du foot pour les enfants des banlieues, tandis que d'autres apprennent le violon et découvrent les arts plastiques. Partout où vivent les enfants dans la ville : école, centres culturels, stades, bibliothèques, centres de loisirs, il faut leur offrir des activités de qualité.
Réduire les inégalités, c'est abaisser le seuil des violences.
Le chômage recule, c'est désormais un fait. Les enfants peuvent prétendre à nouveau trouver un travail et leur place dans la société. C'est notre réussite collective, dont nous ne devons exclure personne.
Il nous reste à nous battre pour que TOUS les enfants aient accès, d'une façon ou d'une autre, au plaisir d'apprendre.
J'engage à cesser d'écrire l'éducation ratée, comme c'est hélas le cas dans certains ouvrages parus récemment, mais plutôt à renverser la logique d'échec, à penser l'éducation de façon positive, pour qu'apprendre signifie partager ce qu'on sait avec les autres, créer, innover, inventer de nouvelles choses, de nouvelles uvres humaines.
3. Mesdames et messieurs, je vais devoir conclure.
Le contrat de ville que je me prépare à signer avec vous dans quelques instants est un acte fortement symbolique qui nous engage. Il ne s'agit pas pour moi d'un coup de stylo rapide sur des parapheurs échangés à la hâte, en présence de photographes qui feraient volontiers des photos plusalléchantes médiatiquement.
Ce contrat est l'acte de naissance d'un projet politique partagé, pour une société qui se revendique solidaire et fraternelle.
J'ai développé deux thèmes, tous les deux au cur de votre contrat de ville. Education et mixité sociale.
Dans les deux cas, nous travaillons à refuser la fatalité de l'inégalité organisée par l'économie, et la compétition forcenée. Protéger les plus fragiles et refuser les ségrégations, qu'elles soient dans la ville ou dans l'école, rendre leur dignité à tous, redonner confiance, c'est ce que fait le gouvernement, c'est ce que vous faites quotidiennement, et je tenais à vous en remercier.
Je me plais à citer cette phrase de Rousseau, le citoyen de Genève : " La plupart prennent une ville pour une cité et un bourgeois pour un citoyen. Ils ne savent pas que les maisons font la ville, mais que les citoyens font la cité. "
Mesdames et messieurs, gardons-nous en effet de ne pas dénaturer le mot de cité.
Attachons-nous à faire en sorte que tous les habitants, enfants, jeunes et adultes, en comprennent la portée, et se sentent pleinement des citoyens. C'est le plus sûr moyen de s'émanciper de la violence, de défier les scepticismes et de tenir le cap des valeurs de la République.
(source http://www.ville.gouv.fr, le 14 février 2000)