Interview de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, à LCI le 8 décembre 2003, sur son interprétation des résultats des référendums organisés en Martinique et en Guadeloupe, sur son refus de voir le droit de grève mis en cause par l'intauration d'un service minimum, sur la question de la laïcité, et sur la préparation des élections régionales de 2004.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

A. Hausser-. La semaine qui s'ouvre sera marquée par le dépôt du rapport sur la laïcité et un débat sur le service garanti à l'Assemblée. Mais tout d'abord, je voudrais connaître votre réaction sur le vote des Antillais, en Guadeloupe et en Martinique, puisque c'est là que le "non" l'a emporté. Qu'y voyez-vous ? Un désaveu des élus, du Gouvernement ?
- "Oui, il y a deux choses : certainement un fossé très profond entre ces populations et les élus, qui avaient appelé de façon quasi unanime à voter "oui" ; et puis, à travers ce "non", l'expression de beaucoup d'inquiétudes, de beaucoup de colère, compte tenu de la situation sociale, aussi bien en Guadeloupe qu'en Martinique, avec un très fort taux de chômage et l'impression sûrement pour ces populations qu'on ne s'occupe pas assez des ces problèmes-là. Ce doit donc être aussi un "non" de protestation."
Vous sentez-vous visée par le désaveu des élus ?
- "Tout responsable se sent interpellé. Il y a vraiment besoin de redonner du sens à la politique. Beaucoup d'hommes et de femmes dans notre pays, à cause de nous peut-être, pensent que la politique ne peut plus changer leur vie. C'est donc un combat important de dire que oui, les politiques peuvent prendre des mesures qui changent la vie quotidienne. On a donc besoin de se battre, de se rassembler, de faire de la politique pour changer la vie."
Débat sur le service "minimum" ou service "garanti", on ne sait pas trop, selon l'appellation. 74 % des Français y seraient favorables, d'après un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche. Cela vous fait bondir ?
- "Non, cela ne me fait pas bondir, parce que je pense que les Français répondent à ce sondage en pensant parfois aux difficultés qui sont occasionnées par les grèves. Mais le droit de grève, c'est quoi ? C'est le droit d'exprimer, de la part des salariés, leur opinion, leur refus de certaines mesures ou de certaines lois, leurs revendications. Et je pense que ce droit de grève est intouchable, c'est un droit qui est constitutionnel. Ensuite, je pense que c'est le dialogue social qui doit dominer la vie dans notre pays, les rapports entre les salariés et les patrons dans les entreprises, les rapports aussi entre les salariés et l'Etat lorsque l'on parle de la fonction publique ou des entreprises publiques. Développons le dialogue social, faisons en sorte qu'il n'y ait plus de situation, comme on l'a vu sur les retraites, où des accords peuvent être signés par une minorité syndicale, changeons les formes de concertation, donnons des droits aux salariés dans les entreprises, et on n'aura pas besoin de porter atteinte au droit de grève."
Vous dites "oui" à la réforme que propose F. Fillon sur le dialogue social ?
- "Ah non, parce que c'est une réforme qui va donner plus de pouvoir aux patrons dans les entreprises, au lieu de donner plus de pouvoir aux salariés, à travers leurs organisations syndicales..."
Il y a aussi la reconnaissance du fait majoritaire dans les entreprises...
- "Oui, dans cette loi, il y a des avancées, mais il y a aussi des aspects très négatifs, comme le fait par exemple que dans une entreprise, on pourra rediscuter, y compris de façon négative, des accords de branche. C'est donc une remise en cause des droits syndicaux."
B. Stasi va remettre son rapport à J. Chirac, sans doute jeudi. La laïcité, qu'est-ce que c'est pour vous ? C'est une nécessité ?
- "La laïcité, c'est d'abord le respect de chacun, le droit pour chacun d'avoir ses opinions philosophiques, politiques, religieuses. C'est d'abord ça, la laïcité, telle qu'elle s'est construite en France. Et je suis très inquiète de la tournure que prend le débat. La laïcité est en effet remise en cause par la montée d'une forme d'intégrisme, par la montée de communautarismes. Il faut donc se battre, il faut vraiment ouvrir un très grand débat public sur toutes les atteintes portées à la laïcité, et ne pas réduire cela à une seule question, le port du voile. Parce que souvent, les filles qui portent le voile, elles le portent parce qu'il y a une remontée d'une sorte d'agression de la part des garçons dans certains quartiers, qui veulent imposer leur loi, il y a une montée d'une forme de fondamentaliste dans certaines religions. Ce n'est donc pas en pointant les filles qui portent le voile, mais c'est plutôt en menant un très grand débat partout dans le pays, pour redonner vie à la République, qu'on fera reculer ces dérives que nous connaissons, c'est-à-dire l'utilisation de signes religieux à des fins politiques. Je suis donc très réservée sur une loi qui serait une loi simplement sur les signes ostentatoires dans les écoles, parce que ce serait encore les enseignants qui seraient pointés, ce serait eux qui devraient définir ce qu'est un signe ostentatoire ou pas. Je suis pour un grand débat public, et puis peut-être, à l'occasion du centenaire de la loi de 1905, peut-être une nouvelle grande loi sur la laïcité."
Oui, parce qu'il ne faut pas se limiter à l'école : on voit le problème dans les hôpitaux...
- "Dans les hôpitaux, dans les centres sociaux, dans la cité tout simplement. C'est donc là qu'il faut agir, pas simplement à l'école."
Les communistes vont voter : il y a des élections internes cette semaine sur les alliances électorales. Vous prônez l'autonomie, mais ne redoutez-vous pas d'être squeezées, entre le PS souvent allié aux Verts et l'extrême gauche LO-LCR qui confirment leur accord ?
- "Surtout pas l'autonomie ! Ce serait vraiment une forme de repli qui n'aurait aucun sens pour moi, parce que ce que je prône, c'est qu'on ait un vaste débat avec l'ensemble des citoyens, l'ensemble des forces de gauche et tout le mouvement social, pour dire quels sont les projets que nous voulons mettre en oeuvre et, à partir de ces projets, quels sont les rassemblements possibles. Et je suis vraiment pour des listes de rassemblement les plus larges possible, à condition que l'on soit d'accord sur les projets. Je prends un exemple pour me faire comprendre : à gauche, il y a débat par rapport à l'Europe. Certains à gauche - je pense aux Verts, je pense au PS - ont appelé à voter "oui" à la Constitution ultralibérale qu'on veut nous installer ; nous, nous sommes contre. On n'a pas les mêmes propositions sur la sécurité sociale, certains veulent augmenter la CSG..."
Mais je voudrais que l'on parle des régionales...
- "Eh bien, justement ! Si on n'est pas d'accord sur les grandes questions dans les régions, sur les projets, ne faisons pas des unions qui soient des unions factices, on va de nouveau tromper les gens ! Essayons de construire des unions à partir d'un débat sur les projets. C'est ce que nous sommes en train de faire."
Mais il peut y avoir union sur des projets qui ne sont pas des projets européens et qui ne sont pas des projets nationaux, mais qui sont des projets régionaux...
- "Travaillons-y !"
Mais vous y avez travaillé dans certaines régions ?
- "Oui, bien sûr, on a tenu des forums dans toutes les régions, on a invité les forces de gauche à s'expliquer sur leurs projets devant les citoyens. On a eu encore, samedi, en Ile-de-France, une rencontre, où beaucoup de monde a participé, J.-P. Huchon était présent, avec d'autres élus régionaux. Le débat se poursuit, les communistes vont se prononcer à partir du point qu'ils vont faire du débat sur les contenus. On veut vraiment battre la droite, on veut la battre durablement, on veut repousser l'extrême droite en Ile-de-France comme ailleurs. Pour cela, il faut une politique qui soit une politique sérieuse, c'est-à-dire pas une politique faite de vagues promesses, mais une politique qui puisse sur quoi on s'engage devant les habitants de telle ou telle région."
Mais quand J.-P. Huchon et F. Hollande disent qu'ils sont prêts à vous faire de la place ?
- "Ce n'est pas une question de place ni de sièges. C'est : sur quelle politique ?"
Mais cela aboutit à cela, quand même...
- "Mais ça, je dirais que c'est le dernier acte. La question essentielle est pourquoi, pour quelle politique en Ile-de-France, pour quelle politique dans d'autres régions ? Comment va-t-on agir sur l'emploi dans les régions, par exemple ? Est-ce que l'on va accepter la décentralisation sauce Raffarin ? Débattons de tout cela."
Quelles questions posez-vous aux communistes d'Ile-de-France, qui doivent se prononcer finalement sur la composition ou non de listes communes ?
- "Ce soir, il y a une conférence régionale qui va élaborer un bulletin de vote. Ce bulletin de vote comportera plusieurs options sur : rassemblement dès le premier tour avec le PS, liste de rassemblement... On va en discuter ce soir, je ne sais pas quelles options vont être adoptées sur le bulletin de vote. Ensuite, les communistes vont se prononcer là-dessus, ils vont se prononcer ensuite sur leurs candidats et candidates. Et puis ils vont se prononcer aussi sur le projet, sur les idées que nous voulons défendre devant les électeurs et les électrices dans chaque région."
Parce que, finalement, les communistes ont voté le budget de la région Ile-de-France ?
- "Oui, ils l'ont voté, après avoir mené une belle bataille pour que ce budget corresponde aux attentes des Franciliens et des Franciliennes."
Et vous n'avez pas envie qu'ils continuent ?
- "Mais si, bien sûr que nous avons envie que la gauche gagne dans cette région et nous avons envie de gérer, avec d'autres, cette région au service des Franciliens et des Franciliennes. Bien sûr que si, on va battre la droite dans cette région, ça j'y compte !"
Un dernier commentaire sur les élections en Russie : le Parti communiste a perdu un quart de ses suffrages et V. Poutine triomphe.
- "Oui, c'est un triomphe qui semble presque un triomphe "à la soviétique", comme on disait dans le temps. Je n'ai pas l'impression, d'après les commentaires que j'entends ce matin, qu'il y a eu un débat très large et très démocratique dans ce pays pour aboutir à ces élections. Les élections sont là, le suffrage universel a tranché, Poutine a plein pouvoir. C'est un peu inquiétant compte tenu de la politique qui est menée par Poutine depuis des années dans ce pays."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 décembre 2003)