Texte intégral
Elsa VECCHI - Le 41ème Salon de l'Agriculture vient de fermer ses portes, et c'est un record absolu : plus de 700.000 visiteurs. Alors agriculture et écologie devraient faire bon ménage, mais, depuis quelques années, on se rend compte que ce n'est pas vraiment le cas : la pollution due au lisier en Bretagne, l'utilisation intempestive des pesticides et insecticides comme le Gaucho ou le Régent interdits depuis le 23 février. Alors, les agriculteurs, amis ou ennemis de l'environnement ? Eh bien nous en parlons aujourd'hui avec Jean-Michel LEMETAYER. Bonjour. Vous êtes le président de la FNSEA, qui regroupe à peu près 50 % des agriculteurs, c'est-à-dire à peu près 320.000 agriculteurs. Et puis à vos côtés, Hubert CARON, bonjour, vous êtes le secrétaire général de la Confédération paysanne qui est emmenée par José BOVE, et vous regroupez près de 28 % des agriculteurs. Messieurs, quand on visite le Salon de l'agriculture, on a quand même l'impression qu'on veut donner une image idyllique de l'agriculture et du monde des agriculteurs. Qu'en pensez-vous ?
Jean-Michel LEMETAYER - Ca peut être l'impression que cela laisse, or je crois qu'avec la présence nombreuse d'agriculteurs, aussi, à ce salon, parce que, parmi les 700.000 visiteurs, il y a eu, on va dire, 140-150.000 agriculteurs, je crois que c'est l'occasion, ce salon est vraiment l'occasion d'un échange fructueux avec les consommateurs, avec les citoyens ; et leur montrer à quel point l'agriculture évolue, à quel point cette agriculture est attachée à développer une politique de qualité et une politique de sécurité de l'alimentation.
Elsa VECCHI - Hubert CARON, vous êtes d'accord avec cela ou pas ? Parce que c'est vrai que cette image idyllique, vous ne la partagez pas.
Hubert CARON - Pour nous, le salon, ce n'est pas notre truc, c'est vraiment la vitrine d'une agriculture industrielle, même si on essaie de mettre de la peinture verte sur cette agriculture qui est en fin de course. On ne montre pas les problèmes sociaux des paysans ; toutes les trois minutes, on perd un paysan en Europe, ça ce n'est pas dit. Donc nous, on a mis notre stand avec simplement un mot d'ordre : derrière la vitrine, la crise... Perte de paysans, peu d'installations, et moi, pour une journée que je suis allé au salon, ça a été pour monter une action, donc...
Elsa VECCHI - Vous avez envahi le stand du ministère...
Hubert CARON - On a envahi le stand du ministère de l'Agriculture pour dénoncer l'alliance entre le ministère et les firmes, qu'elles soient de produits phyto et de la chimie, des engrais, etc... ça c'est très clair au salon, c'est que le ministère soutient cette agriculture industrielle.
Elsa VECCHI - Alors, on va parler d'écologie aujourd'hui. On ne va pas aller voir ni l'économique ni le politique. Alors, selon un sondage LOUIS HARRIS INTERNATIONAL MEDICAL qui date de janvier, neuf Français sur dix jugent que les paysans doivent produire en veillant à protéger l'environnement, et dans le même temps, 40 % les accusent de polluer la nature, donc dans le même sondage. Et selon un sondage IFOP/OUEST FRANCE, c'est 60 % des Français qui vous accusent de polluer la nature. Que pensez-vous de ces chiffres-là ?
Hubert CARON - Eh bien, c'est évident qu'il y a des conséquences sur l'environnement ; les agriculteurs sont de moins en moins nombreux pour produire, et derrière ça, c'est un modèle avec la chimie, utilisation du matériel de manière de plus en plus intensive, qui nous est proposé. Donc derrière, il y a les firmes, derrière cette proposition. Donc nous, on essaie comme on peut, sur le terrain, de pratiquer une autre agriculture, l'agriculture biologique, une agriculture paysanne, on essaie d'aller dans un autre sens, mais nous ne sommes pas soutenus. C'est bien pour cela qu'on envahit les stands, c'est aussi parce qu'il n'y a pas de mesures qui sont prises, si ce n'est des mesures pour faire partir les paysans. Une agriculture de qualité ne se fera qu'avec des paysans nombreux.
Elsa VECCHI - Que pensez-vous de ces chiffres, Jean-Michel LEMETAYER ? Les Français ont envie que les agriculteurs soient respectueux de leur environnement, et en même temps un Français sur deux vous soupçonne ou vous accuse en tout cas, de polluer cet environnement.
Jean-Michel LEMETAYER - Je crois qu'il n'y a pas de quoi être surpris des chiffres. On ne peut pas nier les problèmes concernant l'environnement, sinon on n'aurait pas engagé toutes ces actions concernant les bonnes pratiques agricoles et tout le développement du concept de l'agriculture raisonnée.
Elsa VECCHI - C'est la (sic : le) FARRE, d'ailleurs, que vous avez lancé il y quelques années.
Jean-Michel LEMETAYER - Tout à fait. Et il y a déjà huit ans, je signais à ce même salon de l'Agriculture la charte des bonnes pratiques en élevage. Donc, je crois qu'il faut que nous arrivions à montrer au consommateur, au citoyen, que l'agriculture est engagée dans ces démarches auxquelles il aspire. C'est-à-dire le souci de l'environnement, le souci de la qualité et, j'allais dire, dans un autre sondage, son point numéro 1, c'est la sécurité de son alimentation...
Elsa VECCHI - La sécurité alimentaire, en effet.
Jean-Michel LEMETAYER - Et il a raison. On a été interpellé par les crises sanitaires, et je crois que nous avons le devoir de faire en sorte que, dans l'assiette, dans son assiette, le consommateur trouve une alimentation de qualité, et qui plus est sécurisée.
Elsa VECCHI - Mais là, j'ai presque envie de dire que c'est un discours politique parce que, dans les faits, un chiffre quand même : la France est le deuxième utilisateur de pesticides au monde, et ce derrière les Etats Unis ; donc en surface, ça revient à dire que nous sommes les premiers utilisateurs. Que pensez-vous de cela ? Que va être l'agriculture de demain, est-ce qu'on va pouvoir continuer dans ce sens-là ou pas ?
Hubert CARON - Non, non, il faut changer radicalement de politique ; on est les premiers utilisateurs de pesticides. Le réseau FARRE - on vient d'en parler - qui est soutenu par la FNSEA, est financé à 42 % par les firmes de produits phyto, donc l'UIPP, l'Union nationale des industriels des pesticides. Donc on voit bien cette alliance, avec le ministère aussi, et dans le problème du Régent - on en parlera peut-être après - les décisions ne sont pas prises pour interdire l'utilisation.
Elsa VECCHI - Alors, on peut en parler du Régent. Le Régent et le Gaucho, ce sont deux insecticides qui ont été interdits depuis le 23 février, qui sont utilisés à peu près depuis dix ans ; les stocks restants pourront être utilisés jusqu'à fin mai. Voilà. Parenthèse terminée. C'était il y a dix jours.
Jean-Michel LEMETAYER - Sur la question précédente, il faut quand même rappeler que la France est le premier pays producteur agricole d'Europe, et qu'il ne faut pas être surpris des consommations. Dieu merci, d'ailleurs, celles-ci baissent, y compris d'ailleurs en matière d'engrais. Mais on ne peut pas vouloir avoir cette agriculture performante, pas productiviste comme toujours on veut bien la mettre au banc des accusés, mais performante au bon sens du terme. Tout le monde sait, et monsieur CARON le sait aussi : on ne peut pas produire sans avoir un minimum de volonté de s'occuper de la santé des plantes, des arbres... parce que c'est aussi de cela dont il est question. On a un très grand verger, on un grand secteur de production de légumes ; le secteur viticole - qui se plaint de la qualité de nos vins ? - le premier grenier en matière de production végétale... Donc, il ne faut pas être surpris du niveau des chiffres d'utilisation. Concernant l'UIPP, donc les industries phytosanitaires, je voudrais dire simplement que l'agriculture a un devoir de travailler avec les partenariats, tant en amont qu'en aval. Parce que, dans notre métier d'agriculteurs, il nous faut faire confiance à nos fournisseurs d'un côté - et moi, j'ai plutôt envie de faire confiance aux scientifiques... pas des firmes, aux scientifiques, y compris de la recherche publique ; comme nous devons travailler en partenariat avec notre aval, parce que, au milieu de cette chaîne, seuls nous ne pouvons pas faire. Donc je crois que... arrêtons de jouer aux accusations.
Elsa VECCHI - Sur l'affaire du Gaucho et du Régent, vous ne vous êtes pas prononcé, par exemple...
Jean-Michel LEMETAYER - Si, attendez, j'ai participé à une importante émission...
Elsa VECCHI - Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cela veut dire que...
Jean-Michel LEMETAYER - ... sur une chaîne que vous connaissez bien.
Elsa VECCHI - Est-ce que vous pensez qu'on peut se passer du Gaucho et du Régent, maintenant qu'ils sont interdits ?
Jean-Michel LEMETAYER - Mais on peut toujours se passer...
Elsa VECCHI - Alors, pourquoi ne pas les avoir...
Jean-Michel LEMETAYER - On peut toujours se passer d'un produit de protection des semences...
Elsa VECCHI - Alors, pourquoi les avoir utilisés depuis le départ ?
Jean-Michel LEMETAYER - Et en utiliser d'autres, moins toxiques peut-être.
Elsa VECCHI - Mais pourquoi les avoir utilisés, dans ce cas-là ?
Jean-Michel LEMETAYER - Mais attendez, ce n'est pas à l'agriculteur d'apporter la réponse. L'agriculteur, quand il achète ses semences... moi, j'ai acheté mes semences au mois de décembre, et je pense que mon collègue fait la même chose. Quand j'achète mes semences, je fais confiance à mon fournisseur, et si je dois ne pas semer cette semence-là, je suis prêt à la ramener à mon fournisseur pour en prendre une autre s'il est avéré qu'il ne faut plus utiliser cette semence enrobée de Régent. J'ai d'ailleurs dit que le ministre avait pris une décision trop tardive. Pourquoi ? Parce que l'ensemble des agriculteurs... ça concerne essentiellement le tournesol, et une certaine région de la France, mais concernant cette production et les semis de cette production qui vont arriver très bientôt, les agriculteurs ont fait leurs achats à la fin de l'année. Donc la même décision prise l'automne dernier n'entraînerait plus aucune polémique. Et je regroupe, au sein de la FNSEA, et les apiculteurs et les productions végétales, et il nous faut trouver des solutions pour que, ensemble, eh bien les deux puissent travailler et vivre.
Hubert CARON - Moi, je bondis parce qu'on parle de partenariat, donc en disant : on ne peut pas continuer à avoir une agriculture intensive, sans soutenir, etc... donc on voit bien qu'il y a partenariat, il y a volonté de continuer, de prolonger cette agriculture industrielle. Nous, on dit...
Elsa VECCHI - Alors, quelles sont vos solutions, dans ce cas-là ?
Hubert CARON - Il faut une rupture...
Elsa VECCHI - Quelles sont vos solutions...
Hubert CARON - Eh bien les solutions, c'est que, déjà, sur le terrain, il y ait de nombreux agriculteurs qui réduisent fortement les produits. Il y a des gens qui font de l'agriculture biologique, il y a d'autres possibilités, à condition d'accompagner et de soutenir cette autre agriculture. Et donc, là-dessus, il faut avancer. Et il faut que, syndicalement, on ne peut pas dire qu'on ne doit pas soutenir les agriculteurs, ces industriels chimie. Il faut proposer autre chose. Sur le Régent, il faut être clair : interdisons l'utilisation tout de suite, aidons les agriculteurs à reconduire leurs semences et à les échanger, à trouver d'autres systèmes. Et...
Elsa VECCHI - Mais par exemple, à la Confédération paysanne, que prônez-vous, dans ce cas-là ? Comment travaillez-vous ?
Hubert CARON - Eh bien, on a une agriculture qui est beaucoup moins utilisatrice de produits, on essaye d'observer pour l'utiliser le moins possible, et quand on peut aller jusqu'à l'agriculture biologique, on essaie d'y aller. On pense que, là-dessus, la politique agricole ne soutient pas, par la distribution des aides, ce type d'évolution de l'agriculture. On met toujours en avant les excédents... enfin, les exportations comme étant quelque chose de très positif pour la France...
Elsa VECCHI - C'ets vrai que la France est le premier exportateur d'Europe.
Jean-Michel LEMETAYER - Arrêtons de blesser les agriculteurs. Il y a longtemps que, sur mon exploitation, je fais attention, je fais attention aux fertilisations que je mets, aux phytosanitaires que j'utilise. On fait des analyses de sol ; je mets...
Hubert CARON - Oui, mais d'accord, on fait attention, mais quel combat on mène ? Parce que nous, on a occupé la Direction générale de...
Jean-Michel LEMETAYER - On mène le combat... nous menons le combat d'une agriculture...
Hubert CARON - On va faucher des OGM etc... on n'est pas en train de recevoir 42 % de subventions de...
Jean-Michel LEMETAYER - Mais arrêtons, arrêtons de laisser penser, de laisser croire qu'un agriculteur se lèverait le matin pour empoisonner ou polluer. L'agriculteur, d'abord, c'est son intérêt d'utiliser la bonne dose au bon moment, de ne pas mettre plus de fertilisation qu'en a besoin la plante. Ca serait quand même dommage de laisser croire que les agriculteurs font n'importe quoi, quand on est dans un pays qui a la production la plus nombreuse sous signe de qualité...
Hubert CARON - Non, non, on ne fait pas n'importe quoi. Je dis simplement que, nous aussi, on travaille sur des parcours...
Jean-Michel LEMETAYER - Je ne dis pas que vous ne travaillez pas...
Hubert CARON - ... alternatifs...
Jean-Michel LEMETAYER - Je dis simplement qu'il faut arrêter d'accuser les paysans.
Hubert CARON - On n'accuse pas, je suis paysan, je ne les accuse pas...
Elsa VECCHI - Monsieur CARON est paysan...
Hubert CARON - On essaie de trouver des solutions, mais, à un moment donné, il faut savoir dire non aux industriels, et non pas se laisser financer par eux ; il faut savoir demander au ministère d'interdire des produits, on en retrouve plus d'une centaine dans l'eau de boisson, dans l'eau du robinet...
Elsa VECCHI - Et dans les nappes phréatiques...
Hubert CARON - Dans les nappes phréatiques. Il y a des professeurs, comme BELPOMME, qui est cancérologue, qui nous dit bien que les agriculteurs sont les premiers concernés...
Elsa VECCHI - Que les enfants d'agriculteurs et les agriculteurs ont été largement touchés par les pollutions...
Hubert CARON - Le cancer... tout cela, on le sait tous. Même la Mutualité sociale agricole dit qu'elle met un numéro d'écoute pour aider les agriculteurs qui ont des intoxications. Donc on est conscient qu'il y a un problème avec ces produits. Il faut faire une rupture, et le syndicalisme, l'ensemble des... il faut y aller hardiment pour avancer sur une autre agriculture, et demander aux politiques de prendre des décisions claires et des mesures.
Elsa VECCHI - Alors, dernière question pour conclure ce débat ; Jacques CHIRAC, donc notre président, a plaidé le 27 février pour une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable. Alors, pour vous, comment ça se concilie, et puis pour vous, est-ce que ça peut se concilier tout court ?
Jean-Michel LEMETAYER - Je l'espère, mais ce qui fera qu'on aura une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable, viendra du fait que l'agriculteur, dans son métier, aura la possibilité aussi d'avoir un revenu. Parce que la première... on parle de développement durable, on parle de l'agriculture durable, la première durabilité, c'est de faire en sorte que l'agriculteur, en appliquant des bonnes pratiques agricoles, agronomiques comme en élevage, ait un revenu pour vivre.
Elsa VECCHI - Hubert CARON, le mot de la fin donc sera pour vous.
Hubert CARON - On ne veut pas une entreprise... enfin une agriculture forte, on veut écologiquement une agriculture qui respecte l'environnement. Neuf personnes sur dix, vous le dites, réclament une agriculture qui respecte l'environnement. Nous, c'est ce qu'on demande aussi. Et la meilleure preuve, c'est qu'un dernier sondage vient de montrer, dans OUEST-FRANCE, que 51 % des Français vont confiance à José BOVE et à notre syndicat dans les thèses qu'on défend. Et l'agriculteur doit être du côté du consommateur et de la société qui demande cette autre agriculture.
Jean-Michel LEMETAYER - Mais la FNSEA est du côté des consommateurs, et le sondage, vous savez très bien qu'il reflète, évidemment, l'avis des Français, mais si le président de la FNSEA a la chance de pouvoir s'expliquer plus souvent à la télévision, alors peut-être en allant faucher des OGM, je n'en sais rien, parce qu'il y a des actions-spectacles qui font qu'on est plus à la télévision que d'autres, mais ce n'est pas cela le débat, sans doute que Jean-Michel LEMETAYER sera plus connu des Français, et les Français comprendront l'action que mène la FNSEA...
Hubert CARON - Bon, en tout cas, merci Messieurs. C'est un débat, évidemment, mouvementé, et puis que nous répèterons ; nous referons ce débat, évidemment, parce que c'est un large sujet qu'est l'agriculture pour demain. Merci infiniment d'y avoir participé.
(source http://www.fnsea.fr, le 18 mars 2004)
Jean-Michel LEMETAYER - Ca peut être l'impression que cela laisse, or je crois qu'avec la présence nombreuse d'agriculteurs, aussi, à ce salon, parce que, parmi les 700.000 visiteurs, il y a eu, on va dire, 140-150.000 agriculteurs, je crois que c'est l'occasion, ce salon est vraiment l'occasion d'un échange fructueux avec les consommateurs, avec les citoyens ; et leur montrer à quel point l'agriculture évolue, à quel point cette agriculture est attachée à développer une politique de qualité et une politique de sécurité de l'alimentation.
Elsa VECCHI - Hubert CARON, vous êtes d'accord avec cela ou pas ? Parce que c'est vrai que cette image idyllique, vous ne la partagez pas.
Hubert CARON - Pour nous, le salon, ce n'est pas notre truc, c'est vraiment la vitrine d'une agriculture industrielle, même si on essaie de mettre de la peinture verte sur cette agriculture qui est en fin de course. On ne montre pas les problèmes sociaux des paysans ; toutes les trois minutes, on perd un paysan en Europe, ça ce n'est pas dit. Donc nous, on a mis notre stand avec simplement un mot d'ordre : derrière la vitrine, la crise... Perte de paysans, peu d'installations, et moi, pour une journée que je suis allé au salon, ça a été pour monter une action, donc...
Elsa VECCHI - Vous avez envahi le stand du ministère...
Hubert CARON - On a envahi le stand du ministère de l'Agriculture pour dénoncer l'alliance entre le ministère et les firmes, qu'elles soient de produits phyto et de la chimie, des engrais, etc... ça c'est très clair au salon, c'est que le ministère soutient cette agriculture industrielle.
Elsa VECCHI - Alors, on va parler d'écologie aujourd'hui. On ne va pas aller voir ni l'économique ni le politique. Alors, selon un sondage LOUIS HARRIS INTERNATIONAL MEDICAL qui date de janvier, neuf Français sur dix jugent que les paysans doivent produire en veillant à protéger l'environnement, et dans le même temps, 40 % les accusent de polluer la nature, donc dans le même sondage. Et selon un sondage IFOP/OUEST FRANCE, c'est 60 % des Français qui vous accusent de polluer la nature. Que pensez-vous de ces chiffres-là ?
Hubert CARON - Eh bien, c'est évident qu'il y a des conséquences sur l'environnement ; les agriculteurs sont de moins en moins nombreux pour produire, et derrière ça, c'est un modèle avec la chimie, utilisation du matériel de manière de plus en plus intensive, qui nous est proposé. Donc derrière, il y a les firmes, derrière cette proposition. Donc nous, on essaie comme on peut, sur le terrain, de pratiquer une autre agriculture, l'agriculture biologique, une agriculture paysanne, on essaie d'aller dans un autre sens, mais nous ne sommes pas soutenus. C'est bien pour cela qu'on envahit les stands, c'est aussi parce qu'il n'y a pas de mesures qui sont prises, si ce n'est des mesures pour faire partir les paysans. Une agriculture de qualité ne se fera qu'avec des paysans nombreux.
Elsa VECCHI - Que pensez-vous de ces chiffres, Jean-Michel LEMETAYER ? Les Français ont envie que les agriculteurs soient respectueux de leur environnement, et en même temps un Français sur deux vous soupçonne ou vous accuse en tout cas, de polluer cet environnement.
Jean-Michel LEMETAYER - Je crois qu'il n'y a pas de quoi être surpris des chiffres. On ne peut pas nier les problèmes concernant l'environnement, sinon on n'aurait pas engagé toutes ces actions concernant les bonnes pratiques agricoles et tout le développement du concept de l'agriculture raisonnée.
Elsa VECCHI - C'est la (sic : le) FARRE, d'ailleurs, que vous avez lancé il y quelques années.
Jean-Michel LEMETAYER - Tout à fait. Et il y a déjà huit ans, je signais à ce même salon de l'Agriculture la charte des bonnes pratiques en élevage. Donc, je crois qu'il faut que nous arrivions à montrer au consommateur, au citoyen, que l'agriculture est engagée dans ces démarches auxquelles il aspire. C'est-à-dire le souci de l'environnement, le souci de la qualité et, j'allais dire, dans un autre sondage, son point numéro 1, c'est la sécurité de son alimentation...
Elsa VECCHI - La sécurité alimentaire, en effet.
Jean-Michel LEMETAYER - Et il a raison. On a été interpellé par les crises sanitaires, et je crois que nous avons le devoir de faire en sorte que, dans l'assiette, dans son assiette, le consommateur trouve une alimentation de qualité, et qui plus est sécurisée.
Elsa VECCHI - Mais là, j'ai presque envie de dire que c'est un discours politique parce que, dans les faits, un chiffre quand même : la France est le deuxième utilisateur de pesticides au monde, et ce derrière les Etats Unis ; donc en surface, ça revient à dire que nous sommes les premiers utilisateurs. Que pensez-vous de cela ? Que va être l'agriculture de demain, est-ce qu'on va pouvoir continuer dans ce sens-là ou pas ?
Hubert CARON - Non, non, il faut changer radicalement de politique ; on est les premiers utilisateurs de pesticides. Le réseau FARRE - on vient d'en parler - qui est soutenu par la FNSEA, est financé à 42 % par les firmes de produits phyto, donc l'UIPP, l'Union nationale des industriels des pesticides. Donc on voit bien cette alliance, avec le ministère aussi, et dans le problème du Régent - on en parlera peut-être après - les décisions ne sont pas prises pour interdire l'utilisation.
Elsa VECCHI - Alors, on peut en parler du Régent. Le Régent et le Gaucho, ce sont deux insecticides qui ont été interdits depuis le 23 février, qui sont utilisés à peu près depuis dix ans ; les stocks restants pourront être utilisés jusqu'à fin mai. Voilà. Parenthèse terminée. C'était il y a dix jours.
Jean-Michel LEMETAYER - Sur la question précédente, il faut quand même rappeler que la France est le premier pays producteur agricole d'Europe, et qu'il ne faut pas être surpris des consommations. Dieu merci, d'ailleurs, celles-ci baissent, y compris d'ailleurs en matière d'engrais. Mais on ne peut pas vouloir avoir cette agriculture performante, pas productiviste comme toujours on veut bien la mettre au banc des accusés, mais performante au bon sens du terme. Tout le monde sait, et monsieur CARON le sait aussi : on ne peut pas produire sans avoir un minimum de volonté de s'occuper de la santé des plantes, des arbres... parce que c'est aussi de cela dont il est question. On a un très grand verger, on un grand secteur de production de légumes ; le secteur viticole - qui se plaint de la qualité de nos vins ? - le premier grenier en matière de production végétale... Donc, il ne faut pas être surpris du niveau des chiffres d'utilisation. Concernant l'UIPP, donc les industries phytosanitaires, je voudrais dire simplement que l'agriculture a un devoir de travailler avec les partenariats, tant en amont qu'en aval. Parce que, dans notre métier d'agriculteurs, il nous faut faire confiance à nos fournisseurs d'un côté - et moi, j'ai plutôt envie de faire confiance aux scientifiques... pas des firmes, aux scientifiques, y compris de la recherche publique ; comme nous devons travailler en partenariat avec notre aval, parce que, au milieu de cette chaîne, seuls nous ne pouvons pas faire. Donc je crois que... arrêtons de jouer aux accusations.
Elsa VECCHI - Sur l'affaire du Gaucho et du Régent, vous ne vous êtes pas prononcé, par exemple...
Jean-Michel LEMETAYER - Si, attendez, j'ai participé à une importante émission...
Elsa VECCHI - Qu'en pensez-vous ? Est-ce que cela veut dire que...
Jean-Michel LEMETAYER - ... sur une chaîne que vous connaissez bien.
Elsa VECCHI - Est-ce que vous pensez qu'on peut se passer du Gaucho et du Régent, maintenant qu'ils sont interdits ?
Jean-Michel LEMETAYER - Mais on peut toujours se passer...
Elsa VECCHI - Alors, pourquoi ne pas les avoir...
Jean-Michel LEMETAYER - On peut toujours se passer d'un produit de protection des semences...
Elsa VECCHI - Alors, pourquoi les avoir utilisés depuis le départ ?
Jean-Michel LEMETAYER - Et en utiliser d'autres, moins toxiques peut-être.
Elsa VECCHI - Mais pourquoi les avoir utilisés, dans ce cas-là ?
Jean-Michel LEMETAYER - Mais attendez, ce n'est pas à l'agriculteur d'apporter la réponse. L'agriculteur, quand il achète ses semences... moi, j'ai acheté mes semences au mois de décembre, et je pense que mon collègue fait la même chose. Quand j'achète mes semences, je fais confiance à mon fournisseur, et si je dois ne pas semer cette semence-là, je suis prêt à la ramener à mon fournisseur pour en prendre une autre s'il est avéré qu'il ne faut plus utiliser cette semence enrobée de Régent. J'ai d'ailleurs dit que le ministre avait pris une décision trop tardive. Pourquoi ? Parce que l'ensemble des agriculteurs... ça concerne essentiellement le tournesol, et une certaine région de la France, mais concernant cette production et les semis de cette production qui vont arriver très bientôt, les agriculteurs ont fait leurs achats à la fin de l'année. Donc la même décision prise l'automne dernier n'entraînerait plus aucune polémique. Et je regroupe, au sein de la FNSEA, et les apiculteurs et les productions végétales, et il nous faut trouver des solutions pour que, ensemble, eh bien les deux puissent travailler et vivre.
Hubert CARON - Moi, je bondis parce qu'on parle de partenariat, donc en disant : on ne peut pas continuer à avoir une agriculture intensive, sans soutenir, etc... donc on voit bien qu'il y a partenariat, il y a volonté de continuer, de prolonger cette agriculture industrielle. Nous, on dit...
Elsa VECCHI - Alors, quelles sont vos solutions, dans ce cas-là ?
Hubert CARON - Il faut une rupture...
Elsa VECCHI - Quelles sont vos solutions...
Hubert CARON - Eh bien les solutions, c'est que, déjà, sur le terrain, il y ait de nombreux agriculteurs qui réduisent fortement les produits. Il y a des gens qui font de l'agriculture biologique, il y a d'autres possibilités, à condition d'accompagner et de soutenir cette autre agriculture. Et donc, là-dessus, il faut avancer. Et il faut que, syndicalement, on ne peut pas dire qu'on ne doit pas soutenir les agriculteurs, ces industriels chimie. Il faut proposer autre chose. Sur le Régent, il faut être clair : interdisons l'utilisation tout de suite, aidons les agriculteurs à reconduire leurs semences et à les échanger, à trouver d'autres systèmes. Et...
Elsa VECCHI - Mais par exemple, à la Confédération paysanne, que prônez-vous, dans ce cas-là ? Comment travaillez-vous ?
Hubert CARON - Eh bien, on a une agriculture qui est beaucoup moins utilisatrice de produits, on essaye d'observer pour l'utiliser le moins possible, et quand on peut aller jusqu'à l'agriculture biologique, on essaie d'y aller. On pense que, là-dessus, la politique agricole ne soutient pas, par la distribution des aides, ce type d'évolution de l'agriculture. On met toujours en avant les excédents... enfin, les exportations comme étant quelque chose de très positif pour la France...
Elsa VECCHI - C'ets vrai que la France est le premier exportateur d'Europe.
Jean-Michel LEMETAYER - Arrêtons de blesser les agriculteurs. Il y a longtemps que, sur mon exploitation, je fais attention, je fais attention aux fertilisations que je mets, aux phytosanitaires que j'utilise. On fait des analyses de sol ; je mets...
Hubert CARON - Oui, mais d'accord, on fait attention, mais quel combat on mène ? Parce que nous, on a occupé la Direction générale de...
Jean-Michel LEMETAYER - On mène le combat... nous menons le combat d'une agriculture...
Hubert CARON - On va faucher des OGM etc... on n'est pas en train de recevoir 42 % de subventions de...
Jean-Michel LEMETAYER - Mais arrêtons, arrêtons de laisser penser, de laisser croire qu'un agriculteur se lèverait le matin pour empoisonner ou polluer. L'agriculteur, d'abord, c'est son intérêt d'utiliser la bonne dose au bon moment, de ne pas mettre plus de fertilisation qu'en a besoin la plante. Ca serait quand même dommage de laisser croire que les agriculteurs font n'importe quoi, quand on est dans un pays qui a la production la plus nombreuse sous signe de qualité...
Hubert CARON - Non, non, on ne fait pas n'importe quoi. Je dis simplement que, nous aussi, on travaille sur des parcours...
Jean-Michel LEMETAYER - Je ne dis pas que vous ne travaillez pas...
Hubert CARON - ... alternatifs...
Jean-Michel LEMETAYER - Je dis simplement qu'il faut arrêter d'accuser les paysans.
Hubert CARON - On n'accuse pas, je suis paysan, je ne les accuse pas...
Elsa VECCHI - Monsieur CARON est paysan...
Hubert CARON - On essaie de trouver des solutions, mais, à un moment donné, il faut savoir dire non aux industriels, et non pas se laisser financer par eux ; il faut savoir demander au ministère d'interdire des produits, on en retrouve plus d'une centaine dans l'eau de boisson, dans l'eau du robinet...
Elsa VECCHI - Et dans les nappes phréatiques...
Hubert CARON - Dans les nappes phréatiques. Il y a des professeurs, comme BELPOMME, qui est cancérologue, qui nous dit bien que les agriculteurs sont les premiers concernés...
Elsa VECCHI - Que les enfants d'agriculteurs et les agriculteurs ont été largement touchés par les pollutions...
Hubert CARON - Le cancer... tout cela, on le sait tous. Même la Mutualité sociale agricole dit qu'elle met un numéro d'écoute pour aider les agriculteurs qui ont des intoxications. Donc on est conscient qu'il y a un problème avec ces produits. Il faut faire une rupture, et le syndicalisme, l'ensemble des... il faut y aller hardiment pour avancer sur une autre agriculture, et demander aux politiques de prendre des décisions claires et des mesures.
Elsa VECCHI - Alors, dernière question pour conclure ce débat ; Jacques CHIRAC, donc notre président, a plaidé le 27 février pour une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable. Alors, pour vous, comment ça se concilie, et puis pour vous, est-ce que ça peut se concilier tout court ?
Jean-Michel LEMETAYER - Je l'espère, mais ce qui fera qu'on aura une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable, viendra du fait que l'agriculteur, dans son métier, aura la possibilité aussi d'avoir un revenu. Parce que la première... on parle de développement durable, on parle de l'agriculture durable, la première durabilité, c'est de faire en sorte que l'agriculteur, en appliquant des bonnes pratiques agricoles, agronomiques comme en élevage, ait un revenu pour vivre.
Elsa VECCHI - Hubert CARON, le mot de la fin donc sera pour vous.
Hubert CARON - On ne veut pas une entreprise... enfin une agriculture forte, on veut écologiquement une agriculture qui respecte l'environnement. Neuf personnes sur dix, vous le dites, réclament une agriculture qui respecte l'environnement. Nous, c'est ce qu'on demande aussi. Et la meilleure preuve, c'est qu'un dernier sondage vient de montrer, dans OUEST-FRANCE, que 51 % des Français vont confiance à José BOVE et à notre syndicat dans les thèses qu'on défend. Et l'agriculteur doit être du côté du consommateur et de la société qui demande cette autre agriculture.
Jean-Michel LEMETAYER - Mais la FNSEA est du côté des consommateurs, et le sondage, vous savez très bien qu'il reflète, évidemment, l'avis des Français, mais si le président de la FNSEA a la chance de pouvoir s'expliquer plus souvent à la télévision, alors peut-être en allant faucher des OGM, je n'en sais rien, parce qu'il y a des actions-spectacles qui font qu'on est plus à la télévision que d'autres, mais ce n'est pas cela le débat, sans doute que Jean-Michel LEMETAYER sera plus connu des Français, et les Français comprendront l'action que mène la FNSEA...
Hubert CARON - Bon, en tout cas, merci Messieurs. C'est un débat, évidemment, mouvementé, et puis que nous répèterons ; nous referons ce débat, évidemment, parce que c'est un large sujet qu'est l'agriculture pour demain. Merci infiniment d'y avoir participé.
(source http://www.fnsea.fr, le 18 mars 2004)