Texte intégral
Q- Bonjour D. Strauss-Kahn. Avec vous, nous allons parler de la Constitution européenne, parce que vous publiez un livre qui s'appelle tout simplement "Oui". Mais d'abord, revenons sur la mort de Y. Arafat : une nouvelle direction palestinienne s'est mise en place. On parle beaucoup de relance du processus de paix. Pensez-vous que cela soit possible ?
R- En tout cas, il faut l'espérer. Beaucoup pensaient qu'Arafat était un obstacle à la paix. D'autres pensent au contraire qu'il avait plus de capacités que d'autres - parce qu'il était plus charismatique -, d'aller vers la paix et de signer des traités difficiles. Je ne sais pas. Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que la donne est nouvelle. Les futurs dirigeants, en train de se décider, du peuple palestinien sont, dit-on, des "modérés" qui ont la volonté de trouver un accord avec Israël. Il faut que, de toute façon, tout soit fait aujourd'hui, aussi bien la réélection de Bush, d'un côté, qui doit s'impliquer plus qu'il ne l'a fait par le passé dans le Proche-Orient, que la situation nouvelle créée par Arafat, tout aujourd'hui doit aller dans le sens de la remise sur la table de la question palestinienne, de la manière de trouver des frontières sures, définitives pour Israël, et la cohabitation pacifique entre un Etat palestinien et Israël. On a peut-être une carte.
Q- Le travailliste S. Peres demande à A. Sharon de faire des gestes envers la nouvelle direction palestinienne. Pensez-vous qu'Ariel Sharon est prêt à faire ces gestes ?
R- Je pense que la situation dans laquelle il est, n'est pas facile et que, dans ces conditions, il peut en effet saisir l'occasion pour sortir de la nasse dans laquelle il est. Il faut espérer qu'il le fasse. Je n'ai pas d'information particulière sur ce qu'A. Sharon veut faire ou d'autres. Je pense simplement que la configuration politique dans laquelle nous sommes, permet de rebattre les cartes. Parfois, en politique, on est coincé par une situation, on ne sait pas comment en sortir. Là, la disparition d'Arafat permet d'avoir une situation nouvelle, et l'objectif ne peut être évidemment que de rechercher la paix.
Q- Ne faut-il pas d'abord des élections en Palestine pour désigner le successeur d'Arafat ?
R- Cela relève des Palestiniens. Ce que je comprends, c'est que c'est bien difficile d'organiser des élections en Palestine, parce que les listes électorales n'existent pas, mais c'est leur affaire. Il faut que les Palestiniens décident entre eux, comment ils entendent organiser la succession d'Arafat. Evidemment, pour nous, les élections paraissent le moyen le plus naturel, mais c'est leur affaire. Ce qui compte, c'est qu'assez rapidement, le peuple palestinien se retrouve représenté comme il l'entend par ses dirigeants, et que ceux-ci puissent reprendre le dialogue.
Q- A terme, faut-il un Etat palestinien, selon vous ?
R- Bien sûr, bien sûr.
Q- Quel rôle l'Europe peut-elle jouer dans la relance du processus de paix ?
R- Le malheur, c'est que l'Europe n'en joue pas beaucoup. Les Etats- Unis jouent un rôle ; en bien, en mal, on en pense ce que l'on en veut, mais ils jouent un rôle. L'Europe joue très peu de rôle, et cela vient notamment de ce que l'Europe politique n'existe pas encore, que l'on n'a pas réussi à avoir une présence internationale de l'Europe sur la scène géopolitique. Et la conséquence de cela, c'est qu'en effet, l'Europe ne pèse pas.
Q- L'Europe justement. Vous publiez un livre pour dire "oui" à l'Europe, au moment précisément, où L. Fabius publie, lui, un livre pour dire "non". On a l'impression que ça chauffe au PS...
R- Ça débat, et quand ça débat, évidemment, c'est toujours un peu chaud et c'est normal. J'aime mieux être dans un parti qui débat et qui est capable de temps en temps d'avoir des opinions affirmées, plutôt qu'un parti qui serait un parti godillot, où les militants ne s'exprimeraient jamais. Donc, c'est bien que l'on débatte. Il faut savoir quel sera le résultat de ce débat. Voyez-vous, à l'instant, vous me posiez la question : "L'Europe pèse-t-elle dans le conflit du Proche-Orient ?". Pourquoi ne pèse-t-elle pas ? Parce que l'Europe politique n'est pas encore créée. Ce que ce Traité nous propose, c'est de commencer à créer l'Europe politique, de commencer à avoir un président de l'Europe, un ministre des Affaires étrangères de l'Europe, c'est-à-dire quelqu'un capable de porter la voix de l'Europe, qui n'est pas obligatoirement la même que celle des Etats-Unis. Si on ne le fait pas, si on n'adopte pas ce Traité, on reste dans la situation antérieure, et on continuera à être un peu manchots sur cette scène internationale.
Q- Là-dessus, L. Fabius est plutôt d'accord. Là où il n'est pas d'accord, c'est qu'il dit que cette Constitution institue une Europe vraiment libérale et il dit qu'un socialiste ne peut pas être pour...
R- Sauf que, tout ce qui est libéral dans ce texte, est ce qui existait avant, pour lequel tout le monde, tous les socialistes ont toujours voté. Et ce qui maintenant change, c'est ce qui n'est pas libéral. Ce que l'on crée, pour la première fois, dans ce nouveau texte, ce sont justement des références à ce qui est social - au plein emploi, au progrès social, à la protection sociale, au rôle des syndicats, à l'égalité entre les hommes et les femmes. Tout cela n'existait pas avant ; cela existera demain si on adopte le Traité. Et le paradoxe de ceux qui trouvent que, finalement, au total, le paquet est trop libéral, c'est que tout ce qui est neuf, c'est socialiste et social-démocrate, et que tout ce qui est vieux, c'est ce qu'ils trouvent trop libéral. Je crois que cela n'est pas raisonnable. Je crois que l'on ne peut pas, au nom de quelque chose que l'on voudrait encore mieux, refuser le pas en avant qui nous est proposé. Les socialistes se sont battus pendant les élections européennes pour l'Europe sociale.
Q- Justement, Fabius dit : ce qui est là, ce n'est pas du tout ce pourquoi on s'est battus au moment des élections.
R- Ce qui est là, ce n'est pas encore ce que l'on veut, mais c'est le moyen d'aller vers ce que l'on veut. Si on refuse cela, nous retournons au Traité de Nice. On n'a pas le choix entre ce Traité et un traité idéal. On a le choix entre prendre ce Traité ou rester dans le précédent qui est le Traité de Nice. Et le Traité de Nice, tout le monde est d'accord pour dire qu'il est encore plus éloigné de ce que nous voulons que celui-là. Donc, prenons cette étape. D'ailleurs, tous les socialistes européens ne s'y sont pas trompés ; tous les partis socialistes européens, tous, sauf le petit parti de Malte, tous sont en faveur du Traité, comme les syndicats d'ailleurs. C'est bizarre. Les syndicats, d'habitude, ne se mouillent pas en termes politiques. Il disent : ce n'est pas notre affaire. Là, tous les syndicats européens - 84 syndicats européens - ont décidé qu'il fallait y aller, sauf deux qui ont voté contre, et sept qui se sont abstenus. Donc, plus de 70 syndicats européens disent : ce Traité, finalement, on le veut. Pourquoi ? Parce qu'ils y retrouvent leurs objectifs ; ils se battent pour les salariés, ils y retrouvent leurs objectifs.
Q- Les partisans du "non" disent que s'il y a un "non", c'est une bonne chose parce qu'il faudra se remettre autour de la table et on aboutira là à un bon texte...
R- Le problème, c'est que s'il y a un "non", on sera tout seuls autour de la table. Parce que tous nos partenaires trouvent que ce Traité, et vous le disiez à l'instant, est un pas en avant ; ils ne comprennent pas notre attitude, tous nos partenaires socialistes, socio-démocrates en Europe. Et s'il y a un "non" de la France, le Traité ne pourra pas être mis en uvre, mais cela veut dire aussi que l'on mettra très longtemps avant de reconquérir la confiance de nos propres amis, ceux avec lesquels on a travaillé la main dans la main pour faire ce texte, on leur dit maintenant qu'on n'en veut plus. Il faut être sacrément prétentieux pour changer d'avis à la dernière minute et croire que parce qu'on va changer d'avis, les autres vont nous suivre, qu'ils vont accepter l'idée que, finalement, "on est les meilleurs, eux ne savaient pas, ils se sont trompés, et en revenant derrière nous, on va faire mieux que ce que l'on avait réussi à faire précédemment". La réalité, c'est que si nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord pour faire adopter ce texte, il faudra des années avant que la France retrouve son influence.
Q- Les socialistes vont se prononcer le 1er décembre, il y aura un petit référendum interne au PS. Si c'est le "non" qui l'emporte, que se passe-t-il ?
R- Dans les deux cas, c'est important. C'est un vote important, on a mobilisé les militants, on a écrit des livres - L. Fabius, moi-même, d'autres ont écrit des livres -, ce n'est donc pas une petite question. On ne peut pas dire que le vote n'aura pas d'importance, et que, quel que soit le résultat, cela ne change rien. Si le "oui" l'emporte, nous restons dans la traditions des socialistes, celle qui remontre très loin dans le passé, à Jaurès, à Blum, surtout à Mitterrand. Le socialisme, c'est un parti dont l'identité est européenne. A ce moment-là, la direction peut continuer, nous pouvons préparer...
Q- Les partisans du "non" disent qu'ils sont européens...
R- Ils le disent, je suis plus sceptique... [...] Si le "non" l'emporte, c'est parfaitement légitime. Démocratiquement, dans le parti, je considère qu'il est possible que le "non" l'emporte. Mais dans ce cas-là, c'est une autre orientation et je pense pour ma part qu'il faut une autre direction. Il faut que ceux qui veulent voter "non", si le "non" l'emporte, assument ce "non", dirigent le parti et construisent un projet sur la base du "non". Pour ma part, c'est quasiment impossible de construire un projet sur la base du "non" à l'Europe, qui puisse gagner l'élection présidentielle.
Q- Mais "autre parti", vous voulez dire un parti beaucoup plus à gauche, un parti complètement différent ?
R- Pas obligatoirement plus à gauche, mais c'est un parti qui a rompu avec sa tradition, avec son histoire, qui change d'orientation. Ce qu'on a le droit de faire bien sûr. Mais c'est un parti assez différent. Et je ne souhaite pas que les militants quittent le parti ; au contraire, je souhaite qu'ils y restent. Mais je sais que beaucoup seraient très déçus, parce qu'ils ont adhéré au PS sur l'idée que, finalement, ce parti était le moteur de la construction européenne. Donc, il ne faut pas dramatiser, mais il y a un vrai enjeu, c'est normal qu'il y ait cet enjeu, parce que c'est une question majeure pour l'avenir de la France. Mais je crois que pour les socialistes, comme pour la France, comme pour l'Europe, un "non" à ce Traité, qui comprend beaucoup d'avancées, aucun recul, auquel il faut encore ajouter des choses pour qu'il deviennent parfait, mais le parfait n'existe pas, annoncerait...
Q- Fabius dit qu'on ne peut pas modifier ce Traité...
R- Mais bien sûr qu'on peut. Tous les traités ont été modifiés ! Celui de Rome...
Q- Il dit : "C'est l'unanimité donc on n'y arrivera pas"...
R- Qu'avez-vous vu à la télévision l'autre jour ? Vous avez vu les 25 chefs d'Etat signer ; sur ce Traité, il y avait bien l'unanimité. Bien sûr qu'on arrive à trouver l'unanimité : on l'a trouvée à Maastricht, on l'a trouvée à Amsterdam en 1997, à Nice en 2001, on la trouve encore aujourd'hui, bien sûr, et heureusement, puisqu'il faut l'unanimité. Vous ne voudriez quand même pas avoir un traité que vous signez, et où les autres le changent sans vous demander votre avis ! Heureusement qu'il faut l'unanimité, c'est notre protection.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 novembre 2004)
R- En tout cas, il faut l'espérer. Beaucoup pensaient qu'Arafat était un obstacle à la paix. D'autres pensent au contraire qu'il avait plus de capacités que d'autres - parce qu'il était plus charismatique -, d'aller vers la paix et de signer des traités difficiles. Je ne sais pas. Ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que la donne est nouvelle. Les futurs dirigeants, en train de se décider, du peuple palestinien sont, dit-on, des "modérés" qui ont la volonté de trouver un accord avec Israël. Il faut que, de toute façon, tout soit fait aujourd'hui, aussi bien la réélection de Bush, d'un côté, qui doit s'impliquer plus qu'il ne l'a fait par le passé dans le Proche-Orient, que la situation nouvelle créée par Arafat, tout aujourd'hui doit aller dans le sens de la remise sur la table de la question palestinienne, de la manière de trouver des frontières sures, définitives pour Israël, et la cohabitation pacifique entre un Etat palestinien et Israël. On a peut-être une carte.
Q- Le travailliste S. Peres demande à A. Sharon de faire des gestes envers la nouvelle direction palestinienne. Pensez-vous qu'Ariel Sharon est prêt à faire ces gestes ?
R- Je pense que la situation dans laquelle il est, n'est pas facile et que, dans ces conditions, il peut en effet saisir l'occasion pour sortir de la nasse dans laquelle il est. Il faut espérer qu'il le fasse. Je n'ai pas d'information particulière sur ce qu'A. Sharon veut faire ou d'autres. Je pense simplement que la configuration politique dans laquelle nous sommes, permet de rebattre les cartes. Parfois, en politique, on est coincé par une situation, on ne sait pas comment en sortir. Là, la disparition d'Arafat permet d'avoir une situation nouvelle, et l'objectif ne peut être évidemment que de rechercher la paix.
Q- Ne faut-il pas d'abord des élections en Palestine pour désigner le successeur d'Arafat ?
R- Cela relève des Palestiniens. Ce que je comprends, c'est que c'est bien difficile d'organiser des élections en Palestine, parce que les listes électorales n'existent pas, mais c'est leur affaire. Il faut que les Palestiniens décident entre eux, comment ils entendent organiser la succession d'Arafat. Evidemment, pour nous, les élections paraissent le moyen le plus naturel, mais c'est leur affaire. Ce qui compte, c'est qu'assez rapidement, le peuple palestinien se retrouve représenté comme il l'entend par ses dirigeants, et que ceux-ci puissent reprendre le dialogue.
Q- A terme, faut-il un Etat palestinien, selon vous ?
R- Bien sûr, bien sûr.
Q- Quel rôle l'Europe peut-elle jouer dans la relance du processus de paix ?
R- Le malheur, c'est que l'Europe n'en joue pas beaucoup. Les Etats- Unis jouent un rôle ; en bien, en mal, on en pense ce que l'on en veut, mais ils jouent un rôle. L'Europe joue très peu de rôle, et cela vient notamment de ce que l'Europe politique n'existe pas encore, que l'on n'a pas réussi à avoir une présence internationale de l'Europe sur la scène géopolitique. Et la conséquence de cela, c'est qu'en effet, l'Europe ne pèse pas.
Q- L'Europe justement. Vous publiez un livre pour dire "oui" à l'Europe, au moment précisément, où L. Fabius publie, lui, un livre pour dire "non". On a l'impression que ça chauffe au PS...
R- Ça débat, et quand ça débat, évidemment, c'est toujours un peu chaud et c'est normal. J'aime mieux être dans un parti qui débat et qui est capable de temps en temps d'avoir des opinions affirmées, plutôt qu'un parti qui serait un parti godillot, où les militants ne s'exprimeraient jamais. Donc, c'est bien que l'on débatte. Il faut savoir quel sera le résultat de ce débat. Voyez-vous, à l'instant, vous me posiez la question : "L'Europe pèse-t-elle dans le conflit du Proche-Orient ?". Pourquoi ne pèse-t-elle pas ? Parce que l'Europe politique n'est pas encore créée. Ce que ce Traité nous propose, c'est de commencer à créer l'Europe politique, de commencer à avoir un président de l'Europe, un ministre des Affaires étrangères de l'Europe, c'est-à-dire quelqu'un capable de porter la voix de l'Europe, qui n'est pas obligatoirement la même que celle des Etats-Unis. Si on ne le fait pas, si on n'adopte pas ce Traité, on reste dans la situation antérieure, et on continuera à être un peu manchots sur cette scène internationale.
Q- Là-dessus, L. Fabius est plutôt d'accord. Là où il n'est pas d'accord, c'est qu'il dit que cette Constitution institue une Europe vraiment libérale et il dit qu'un socialiste ne peut pas être pour...
R- Sauf que, tout ce qui est libéral dans ce texte, est ce qui existait avant, pour lequel tout le monde, tous les socialistes ont toujours voté. Et ce qui maintenant change, c'est ce qui n'est pas libéral. Ce que l'on crée, pour la première fois, dans ce nouveau texte, ce sont justement des références à ce qui est social - au plein emploi, au progrès social, à la protection sociale, au rôle des syndicats, à l'égalité entre les hommes et les femmes. Tout cela n'existait pas avant ; cela existera demain si on adopte le Traité. Et le paradoxe de ceux qui trouvent que, finalement, au total, le paquet est trop libéral, c'est que tout ce qui est neuf, c'est socialiste et social-démocrate, et que tout ce qui est vieux, c'est ce qu'ils trouvent trop libéral. Je crois que cela n'est pas raisonnable. Je crois que l'on ne peut pas, au nom de quelque chose que l'on voudrait encore mieux, refuser le pas en avant qui nous est proposé. Les socialistes se sont battus pendant les élections européennes pour l'Europe sociale.
Q- Justement, Fabius dit : ce qui est là, ce n'est pas du tout ce pourquoi on s'est battus au moment des élections.
R- Ce qui est là, ce n'est pas encore ce que l'on veut, mais c'est le moyen d'aller vers ce que l'on veut. Si on refuse cela, nous retournons au Traité de Nice. On n'a pas le choix entre ce Traité et un traité idéal. On a le choix entre prendre ce Traité ou rester dans le précédent qui est le Traité de Nice. Et le Traité de Nice, tout le monde est d'accord pour dire qu'il est encore plus éloigné de ce que nous voulons que celui-là. Donc, prenons cette étape. D'ailleurs, tous les socialistes européens ne s'y sont pas trompés ; tous les partis socialistes européens, tous, sauf le petit parti de Malte, tous sont en faveur du Traité, comme les syndicats d'ailleurs. C'est bizarre. Les syndicats, d'habitude, ne se mouillent pas en termes politiques. Il disent : ce n'est pas notre affaire. Là, tous les syndicats européens - 84 syndicats européens - ont décidé qu'il fallait y aller, sauf deux qui ont voté contre, et sept qui se sont abstenus. Donc, plus de 70 syndicats européens disent : ce Traité, finalement, on le veut. Pourquoi ? Parce qu'ils y retrouvent leurs objectifs ; ils se battent pour les salariés, ils y retrouvent leurs objectifs.
Q- Les partisans du "non" disent que s'il y a un "non", c'est une bonne chose parce qu'il faudra se remettre autour de la table et on aboutira là à un bon texte...
R- Le problème, c'est que s'il y a un "non", on sera tout seuls autour de la table. Parce que tous nos partenaires trouvent que ce Traité, et vous le disiez à l'instant, est un pas en avant ; ils ne comprennent pas notre attitude, tous nos partenaires socialistes, socio-démocrates en Europe. Et s'il y a un "non" de la France, le Traité ne pourra pas être mis en uvre, mais cela veut dire aussi que l'on mettra très longtemps avant de reconquérir la confiance de nos propres amis, ceux avec lesquels on a travaillé la main dans la main pour faire ce texte, on leur dit maintenant qu'on n'en veut plus. Il faut être sacrément prétentieux pour changer d'avis à la dernière minute et croire que parce qu'on va changer d'avis, les autres vont nous suivre, qu'ils vont accepter l'idée que, finalement, "on est les meilleurs, eux ne savaient pas, ils se sont trompés, et en revenant derrière nous, on va faire mieux que ce que l'on avait réussi à faire précédemment". La réalité, c'est que si nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord pour faire adopter ce texte, il faudra des années avant que la France retrouve son influence.
Q- Les socialistes vont se prononcer le 1er décembre, il y aura un petit référendum interne au PS. Si c'est le "non" qui l'emporte, que se passe-t-il ?
R- Dans les deux cas, c'est important. C'est un vote important, on a mobilisé les militants, on a écrit des livres - L. Fabius, moi-même, d'autres ont écrit des livres -, ce n'est donc pas une petite question. On ne peut pas dire que le vote n'aura pas d'importance, et que, quel que soit le résultat, cela ne change rien. Si le "oui" l'emporte, nous restons dans la traditions des socialistes, celle qui remontre très loin dans le passé, à Jaurès, à Blum, surtout à Mitterrand. Le socialisme, c'est un parti dont l'identité est européenne. A ce moment-là, la direction peut continuer, nous pouvons préparer...
Q- Les partisans du "non" disent qu'ils sont européens...
R- Ils le disent, je suis plus sceptique... [...] Si le "non" l'emporte, c'est parfaitement légitime. Démocratiquement, dans le parti, je considère qu'il est possible que le "non" l'emporte. Mais dans ce cas-là, c'est une autre orientation et je pense pour ma part qu'il faut une autre direction. Il faut que ceux qui veulent voter "non", si le "non" l'emporte, assument ce "non", dirigent le parti et construisent un projet sur la base du "non". Pour ma part, c'est quasiment impossible de construire un projet sur la base du "non" à l'Europe, qui puisse gagner l'élection présidentielle.
Q- Mais "autre parti", vous voulez dire un parti beaucoup plus à gauche, un parti complètement différent ?
R- Pas obligatoirement plus à gauche, mais c'est un parti qui a rompu avec sa tradition, avec son histoire, qui change d'orientation. Ce qu'on a le droit de faire bien sûr. Mais c'est un parti assez différent. Et je ne souhaite pas que les militants quittent le parti ; au contraire, je souhaite qu'ils y restent. Mais je sais que beaucoup seraient très déçus, parce qu'ils ont adhéré au PS sur l'idée que, finalement, ce parti était le moteur de la construction européenne. Donc, il ne faut pas dramatiser, mais il y a un vrai enjeu, c'est normal qu'il y ait cet enjeu, parce que c'est une question majeure pour l'avenir de la France. Mais je crois que pour les socialistes, comme pour la France, comme pour l'Europe, un "non" à ce Traité, qui comprend beaucoup d'avancées, aucun recul, auquel il faut encore ajouter des choses pour qu'il deviennent parfait, mais le parfait n'existe pas, annoncerait...
Q- Fabius dit qu'on ne peut pas modifier ce Traité...
R- Mais bien sûr qu'on peut. Tous les traités ont été modifiés ! Celui de Rome...
Q- Il dit : "C'est l'unanimité donc on n'y arrivera pas"...
R- Qu'avez-vous vu à la télévision l'autre jour ? Vous avez vu les 25 chefs d'Etat signer ; sur ce Traité, il y avait bien l'unanimité. Bien sûr qu'on arrive à trouver l'unanimité : on l'a trouvée à Maastricht, on l'a trouvée à Amsterdam en 1997, à Nice en 2001, on la trouve encore aujourd'hui, bien sûr, et heureusement, puisqu'il faut l'unanimité. Vous ne voudriez quand même pas avoir un traité que vous signez, et où les autres le changent sans vous demander votre avis ! Heureusement qu'il faut l'unanimité, c'est notre protection.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 novembre 2004)