Interview de M. François Baroin, porte-parole de l'UMP, à La Chaîne info le 2 février 2004, sur la condamnation d'Alain Juppé dans l'affaire des emplois fictifs au RPR et sur le débat sur le projet de loi pour l'interdiction de signes religieux à l'école.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. En tant que porte-parole de l'UMP, vous avez téléphoné à A. Juppé ce week-end ?
R- "Je l'ai eu ce week-end au téléphone, bien sûr."
Q- Est-ce qu'il avait déjà pris sa décision, ses décisions ?
R- "S'il a pris sa décision, il ne me l'a pas dit. Je l'ai trouvé en forme et j'ai trouvé une grande force, une grande autorité morale ; c'est un roc."
Q- Il avait récupéré ?
R- "Il avait récupéré dans les circonstances que l'on peut imaginer pour un homme qui a entendu la sentence qui a été annoncée par le tribunal correctionnel de Nanterre et que vous savez. "
Q- Et à laquelle il ne s'attendait pas ?
R- "A laquelle, même si l'on peut s'attendre, sous une forme ou sous une autre, c'est de toute façon, lorsque l'on est un homme face à cette décision de justice, une grande épreuve qui suppose beaucoup de force, beaucoup de courage, beaucoup de dignité, ce qui a été son attitude tout au long de l'instruction du tribunal lorsqu'il a délibéré et de la manière dont cette annonce a été effectuée. "
Q- Est-ce que vous diriez, à l'instar d'autres politiques, qu'il s'agit d'un "jugement de politiques" ?
R- "Pour ma part, je ne me laisserai pas entraîner sur des commentaires concernant le jugement ni sur la décision en elle-même, ni sur les attendus. Il y a des instances qui sont souveraines en la matière"
Q- Les attendus ne vous ont pas choqués ?
R- "On peut avoir sa réflexion personnelle, on peut toujours s'interroger sur le point de savoir si un magistrat est là pour dire le droit, juger des faits, ce qui est demandé. Les magistrats sont toujours dans un exercice difficile ; c'est probablement compliqué de rechercher la vérité, c'est probablement difficile de juger en conscience. C'est probablement un exercice supplémentaire de difficulté s'agissant, au fond, de la vie ou de la mort d'un homme politique aussi important qui a cette expérience, comme A . Juppé, et qui a aussi ses perspectives d'avenir. Donc, c'est un exercice trop difficile sur lequel je ne suis pas qualifié pour me fonder, néanmoins je ne veux pas aller sur le terrain du commentaire car cela nous entraînerait trop loin."
Q- Mais quand vous dites, "quand il s'agit de la vie ou de la mort d'un homme politique", en fait, vous entendez bien par-là que la vie politique d'A. Juppé est en question ?
R- "Ce qui est en cause, c'est l'inéligibilité. En d'autres termes"
Q- J'ai bien dit : la vie politique...
R- " L'effet de ricochet lié au droit. C'est pour cela que je ne critique pas les magistrats ; c'est probablement le droit en lui-même qui, par ce ricochet, entraîne dix ans d'inéligibilité. Cela nous amène à réfléchir, en effet, sur l'avenir d'A. Juppé, cela nous touche. Je dois dire qu'A. Juppé s'est tenu très informé tout au long du week-end de ce qui s'est dit. C'est un homme qui a été très à l'écoute, très à l'écoute des témoignages d'amitié, très à l'écoute de tout ce qui lui a été relayé concernant l'immensité des soutiens qui lui ont été envoyés par Internet, au téléphone, dans nos permanences, il y a eu également"
Q- Vous les avez répertoriés déjà ?
R- "... Enormément de témoignages qui sont arrivés spontanément, vous avez des organisations qui se sont montées dans des départements, vous avez des fédérations qui ont voulu également s'organiser. A. Juppé, ce n'est pas un homme politique tout à fait comme les autres ; il a bien sûr été Premier ministre et il a aussi une vision d'homme d'Etat, c'est un homme qui a des perspectives d'avenir. Que l'on aime ou que l'on n'aime pas A. Juppé, personne ne peut contester ses qualités d'homme d'Etat, personne ne peut contester son autorité, personne ne peut contester son courage et personne ne peut contester sa vision. C'est la raison pour laquelle nous devons, en effet - je veux dire, toutes celles et tous ceux qui pensent que la politique est une dignité, est une grande exigence et nécessite des gens de qualité - organiser un dispositif de soutien et d'amitié et puis imaginer ce que pourrait être (inaud.)."
Q- Pour lui dire : " Alain, ne t'en vas pas !" ?
R- "Lorsqu'on est son ami, A. Juppé président de l'UMP, lorsque l'on est son militant, et puis lorsque l'on est sincère, de gauche ou de droite, voir disparaître des hommes de cette qualité, ce serait regrettable."
Q- Mais jusqu'à présent A. Juppé avait fait savoir que s'il était condamné, il quitterait la vie politique. Il fait appel pour diverses raisons, est-ce que d'après vous ou d'après ce que vous savez ou pressentez, il va rester à la tête de l'UMP et conserver ses mandats électoraux ?
R- "Il réunit en ce moment même ses collaborateurs à Bordeaux. Il nous a informé qu'il remonterait à Paris ce soir, et nous avons le maintien des réunions qui sont prévues, aussi bien pour le bureau politique demain, que pour le congrès dont vous savez qu'il doit présenter tous les candidats investis pour les élections régionales de mars prochain. Donc, son calendrier est maintenu. Il a toujours dit, en effet, qu'une peine infamante serait pour lui disqualifiante, s'agissant de sa propre carrière. Mais que je sache, s'il y a des cours d'appel, c'est qu'il y a des possibilités d'atténuer des jugements qui sont considérés comme n'étant pas conformes à l'exposé des faits et à l'exposé des arguments de bonne foi qu'A. Juppé et ses conseils ont présenté tout au long de la plaidoirie et devant ce tribunal. C'est la raison pour laquelle le temps de l'appel et le temps de la mobilisation, plus tous les messages qui sont arrivés - c'est un vrai choc, les journalistes titrent sur "le séisme", c'est un tremblement de terre en tant que tel, c'est une épreuve personnelle, mais c'est également un vrai choc -, je pense que tout ce qui remonte aujourd'hui ne doit pas le laisser insensible. "
Q- C'est un vrai choc parce que l'on cherche à attaquer, à atteindre J. Chirac à travers A. Juppé ?
R- "C'est un vrai choc, d'abord, parce que c'est A. Juppé. A. Juppé est le point d'équilibre de la droite. Bien sûr, il bénéficie de la confiance inaltérable du président de la République, mais il est aussi celui qui a fondé l'UMP."
Q- Mais par delà la confiance, on sent bien à travers les attendus, le jugement, que c'est au système de la mairie de Paris que l'on a voulu s'en prendre quand J. Chirac était maire de Paris.
R- "J'entends des commentaires hallucinants là-dessus. Je crois que même le président de la République a droit à la présomption d'innocence, même une ligne de défense, lorsque l'on est sur sa bonne foi, justifie que l'on puisse aller jusqu'au bout de la défense de ses arguments de bonne foi, même un homme politique mis en examen a le droit à la présomption d'innocence. Il faut arrêter cet amalgame, il faut arrêter cette confusion et il faut se battre politiquement, avec des armes politiques et avec des arguments de conviction. Moi, ma conviction personnelle, c'est qu'une personnalité comme A . Juppé, par delà les digressions intellectuelles ou politiques vis-à-vis du président de la République, et que tout ce qu'il a fait dans 15 ans passés et tout ce qu'il peut encore faire, nécessitent, en effet, que quelle que soit la sévérité du jugement, on se mobilise autour de lui pour lui dire de rester."
Q- Est-ce qu'il est plus facile de se battre quand on est en dehors ou quand on est à la tête de la mairie de Bordeaux, de l'UMP et qu'on est député ?
R- "Il est difficile, dans la nouvelle situation, de se battre. Cela suppose beaucoup de courage et beaucoup de force."
Q-Est-ce qu'il en a assez actuellement ?
R- "Je suis impressionné par la force, en quelque sorte, tranquille, qui l'anime et cette capacité d'écoute malgré l'immense bruit fait autour de cette décision."
Q-Savez-vous si A. Juppé va tenir une conférence de presse ?
R- "Je ne sais pas encore quelle forme cela pourra prendre. Ce que je sais, c'est qu'il fera ce qu'il a dit, c'est-à-dire s'exprimer très rapidement. Est-ce que c'est ce soir, est-ce que c'est demain ? Ce que je puis vous dire, c'est qu'il a tout entendu, qu'il a tout écouté et il s'est organisé en conséquence, rapidement, et que pour la semaine rien n'est changé."
Q-Il a décidé ?
R- "Il a probablement décidé."
Q- Un mot, avant qu'on se sépare, sur le débat sur la laïcité qui va s'ouvrir demain à l'Assemblée. Vous étiez partisan du terme "visible" pour parler des signes religieux, est-ce que vous êtes convaincu que l'adjectif n'a pas de valeur juridique et que donc il faut le terme "ostensible" ?
R- "Visible, ostensible, ostentatoire... J'étais sur une ligne plutôt dure, plutôt dans le sens de l'efficacité à 100 %. Donc, j'étais sur une ligne "visible" et sur une ligne "signes religieux et politiques". Le président de la République, après le débat qu'il a organisé, a tranché ; je suis donc sur une ligne "ostensible". Ce qui compte, c'est ce qui marche et ce qui marche, c'est la manière dont on va avancer pour réaffirmer la laïcité comme principe essentiel et pour protéger nos jeunes dans nos écoles."
Q- Vous espérez un vote du PS ?
R- "Ce serait bien. Je trouve que sur un sujet comme celui-ci, ce serait rassurant pour les Français sur ce qui, aujourd'hui, apparaît réellement comme une menace."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 février 2004)