Texte intégral
Point de presse :
Je suis arrivé mardi matin en provenance d'Arusha où j'avais été porté le message du président Chirac à la réunion organisée par Nelson Mandela sur le processus de paix au Burundi. Depuis trois jours donc, des représentants de l'Union européenne ont pu dialoguer avec l'ensemble des pays latino-américains, je ne reviens pas sur la manière dont ce dialogue a été organisé avec le Groupe de San José pour les pays d'Amérique centrale, de la communauté andine, ce matin, du Mercosur, hier, et du Groupe de Rio qui les regroupe, à l'instant.
Moi, je veux faire observer puisque nous sommes au Portugal et ça me paraît important de le rappeler que si l'Europe est en mesure aujourd'hui d'avoir une relation de confiance avec le continent latino-américain, c'est très largement le résultat de l'entrée dans l'Europe de l'Espagne et du Portugal. J'ai dit ce matin, que quand j'étais député européen, il y a 20 ans, que le dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine était à peu près inexistant et je crois que c'est intéressant de rappeler que nous devons à l'arrivée de l'Espagne et du Portugal dans l'Europe cette ouverture vers le monde latino-américain qui paraît important pour l'Europe, c'est une première observation.
La seconde, c'est que le dialogue a été très franc, très direct. Le concept de dialogue politique qu'on emploie facilement de manière abusive, a été vérifié là, puisque nous avons, bel et bien, parlé des problèmes politiques qui se posent chez eux. On a évoqué la situation du Venezuela, de l'Equateur, du Guatemala, puisque tous ces pays viennent de connaître des phases politiques actives. Dans le même temps, nos interlocuteurs nous ont interrogés sur la situation européenne et en particulier cette actualité autrichienne qui évidemment les interpellent. Nous en avons évidemment profité pour dire pourquoi les quatorze pays européens avaient fait le choix d'avoir, vis à vis, de l'Autriche d'aujourd'hui un comportement particulier.
Cette réunion, venant après l'échec de Seattle, a donné au débat sur l'OMC, qui est en train d'ailleurs de reprendre, une coloration particulière et j'ai profité de l'occasion, ce matin, pour rappeler les causes de l'échec de Seattle, telles que la France, en tous cas, les analysent : crise de confiance dans la relation Nord-Sud parce qu'insuffisante application des pays en développement dans la préparation de Seattle ; crise de confiance entre la société civile et la société politique ; crise de confiance dans le multilatéralisme, un multilatéralisme qui est remis en question dans son efficacité, on peut observer qu'il y a eu quand même énormément de milliard mobilisés sans que les inégalités s'en trouvent véritablement réduites ; mise en doute, aussi, parfois de la cohérence du système multilatéral, quand on voit les contradictions qui ont pu avoir lieu dans le passé entre les politiques de la Banque mondiale et celle du Fonds monétaire, sans oublier parfois les incohérences, aussi, entre les institutions de Washington et celle des Nations unies. C'est, me semble-t-il, cette terrible crise de confiance qui explique très largement l'échec de Seattle. Depuis Seattle, il s'est passé des choses qui quelque part nous redonnent espoir. La première, c'est la conclusion des Accords de Lomé. Elle est intervenue à Bruxelles, il y a une dizaine de jours sous présidence portugaise, il faut quand même le souligner, et on a fait la preuve après 18 mois de négociation, qu'il était possible d'arriver à un accord, à la condition de prendre le temps d'écouter, de donner à chaque participant la possibilité, vraiment, de jouer un rôle plein, de s'impliquer dans la négociation et le résultat, c'est aussi intéressant en ce sens que non seulement, on s'est mis d'accord sur les aspects commerciaux, mais on a pu parler très franchement, y compris de sujets difficiles, comme la corruption, et la bonne gouvernance, et je crois que Lomé qui a été conclue, je le rappelle, entre les 15 pays européens et les 71 pays ACP, ce qui n'est pas rien, quand même, à l'échelle de la planète, c'est la preuve qu'il ne faut pas désespérer du rapport Nord-Sud, c'est important de le rappeler.
La seconde bonne nouvelle, c'est la CNUCED qui s'est tenu à Bangkok la semaine dernière à laquelle, j'ai eu le plaisir de participer et qui a été ce que j'ai appelé un début de thérapie après l'échec de Seattle. Je crois qu'on a commencé à reconstruire le dialogue avec les pays en développement. Et ce qui a facilité cette confiance retrouvée, c'est qu'on a vu arriver tous les dirigeants des grandes organisations internationales : Michel Camdessus, pour le FMI, James Wolfensohn, pour la Banque mondiale, Mike Moore, pour l'OMC, sans oublier les directeurs des agences, la CNUCED est quand même une agence des Nations unies importante. Et tous ont affirmé et témoigné d'une volonté de cohérence, en particulier sur le grand objectif qu'est la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté, et on peut espérer que cette volonté d'une plus grande cohérence, là aussi, va mieux prendre en compte les aspects sociaux du développement, ceci était important.
Reste, que si nous voulons réussir un nouveau cycle OMC et il faut le réussir, il faut s'en donner les moyens et non seulement il nous faut associer mieux les pays en développement, en leur donnant, par exemple, les moyens techniques, voire matériels, de pratiquer à ces discussions, mais il faut être capable aussi de faire vivre le multilatéralisme y compris dans ces organes dirigeants, ça veut dire ouvrir les organes dirigeants du FMI, de la Banque mondiale, ou des Nations unies davantage aux pays en développement, de façon à ce qu'ils soient mieux représentatifs de la communauté internationale. Si on sait y arriver, et je pense que la France a l'intention de faire des propositions à l'occasion de sa présidence dans quelques mois à partir du 1er juillet 2000, je crois qu'on est en mesure d'espérer, je le répète, non seulement pouvoir ouvrir ce cycle, mais le conclure en y mettant le temps sans doute, mais je crois que l'on a de bonne chance d'y arriver.
Voilà ce que j'ai dit ce matin. J'ai compris que mon discours avait été bien reçu par les pays latino-américains notamment quand j'ai rappelé que nos vieilles démocraties elles-mêmes, auraient parfois du mal à mettre en oeuvre les contraintes que les organisations internationales leur imposent parfois, et lorsque j'ai dénoncé la dictature des indicateurs économiques et financiers, j'ai évidemment rejoint les préoccupations fortes des pays latino-américains qui sont encore des démocraties fragiles où les armées n'ont pas encore, complètement, pris l'habitude de rester dans les casernes et où, pour reprendre l'expression d'un représentant latino-américain, les armées oisives peuvent vouloir se mêler trop facilement de la vie politique.
Voilà, j'ai déjà été trop bavard, j'en reste là au cas, très improbable, où vous auriez encore besoin d'informations, parce que je vous ai tout dit, je suis à votre disposition.
Q - Oui, Monsieur le Ministre, tout à l'heure, on a eu un entretien avec le ministre des Affaires étrangères chilien, M. Valdes, qui nous a annoncé que la France l'avait rassuré concernant le cas Pinochet, qu'il n'y aurait pas un éventuel appel de la France dans le cas, d'une éventuelle libération du général Pinochet ?
R - Commenter les propos de M. Valdes, qui lui-même faisait référence aux déclarations de M. Védrine, non, je n'étais pas présent à l'entretien et je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec Hubert Védrine. Je n'ai pas a commenter cette déclaration, je ne vais pas commenter les déclarations du ministre des Affaires étrangères, je risque de le répéter, donc je ne peux pas non plus commenter des déclarations du ministre Valdes.
Q - Et vous avez rencontré M. Valdes pendant la journée d'aujourd'hui ?
R - Oui, mais nous avons parlé de mon voyage au Chili, il y a quelques mois, on a parlé de la coopération entre le Chili et la France.
Q - En ce qui concerne l'Autriche, il y a des pays qui commence à dire, qu'il faut changer la position des Quatorze parce que le gouvernement d'Autriche a déjà donné des garanties suffisantes et qu'elle ne va pas mettre en cause les valeurs de l'Union européenne, que pensez-vous de ça ?
R - Qui dit cela ?
Q - L'Irlande.
R - Ce n'est pas la position de la France. Lionel Jospin a été très ferme sur le signal qu'il fallait adresser aux Autrichiens, et que nous nous adressons à nous même aussi, je veux dire, ce n'est pas toujours facile de le faire comprendre aux Autrichiens, mais il est clair que ce rappel de principes qui ont fondé l'Europe vaut pour l'Autriche, mais vaut aussi pour tous les Européens, y compris nos propres ressortissants, c'est ce que j'ai eu l'occasion de dire en réponse à Mme Rosario Green, qui nous a interrogés justement sur notre attitude vis à vis de l'Autriche. J'ai eu l'occasion d'en parler hier soir avec Mme Ferrero Waldner, que j'ai connu avant, quand elle était ministre de la Coopération. Donc, nous avons eu l'occasion de reparler un peu de cette situation, je lui ai dis mes regrets que nous en soyons arrivé là, mais l'attitude que nous avons prise, qui nous paraît compatible avec un fonctionnement normal de l'Europe, n'est pas, chacun le comprend, n'est pas, il faut encore l'expliquer, dirigée contre le peuple autrichien, mais c'est un rappel, une sorte de mise en garde. Nous avons payé cher pour savoir que la xénophobie, le culte de l'identité nationale pouvait produire d'énormes dégâts. Il n'est pas question, vis à vis des générations futures, de pouvoir encourir le reproche "vous avez laissé faire", donc nous espérons, je le répète, que les Autrichiens comprendront ce message.
Q - Vous avez dit que vous aviez eu une bonne réceptivité de la part des latino-américains, globalement votre attitude ?
R - Je n'ai pas parlé de ce dossier particulier, je parlais de l'intervention faite ce matin davantage sur l'OMC, le multilatéral, les relations internationales, mais nous avons donné des explications à nos amis latino-américains qui nous interrogés, et d'ailleurs on pouvait s'y attendre sur cette relation singulière entre les Quatorze et l'Autriche.
Q - Juste pour revenir, très rapidement, vous comptez rencontrer M. Valdes, tout à l'heure, pour lui demander des explications sur ces déclarations ?
R - Non, parce qu'il prend l'avion en ce moment et moi aussi dans quelques instants, non je n'ai pas besoin.
Q - Ne craignez-vous pas de réactions contraires, si ça se confirme, à Paris des groupes de défense des Droits de l'Homme ?
R - Je ne sais pas ce qu'a dit M. Hubert Védrine à M. Valdes, et je ne sais pas exactement ce que M. Valdes vous a dit. Je lui en donne acte, j'entends cette information, donc si je devais en parler avec quelqu'un, ce serait avec M. Védrine, mais comme il est en ce moment avec M. Jospin en Palestine, puisqu'ils font un voyage au Moyen-Orient. Je ne doute pas que si M. Védrine lui a dit ça, c'est que c'était le résultat d'une concertation avec Matignon et probablement l'Elysée, c'est tout ce que je peux en dire.
Q - On se reverra en avril au Caire (à l'occasion du Sommet Union européenne-Afrique) ?
R - Probablement, si je dis cela c'est parce que, au même moment, il y a la réunion des ministres de la Zone franc en Guinée équatoriale à Malabo, j'y assisterai. M. Chirac sera au Caire, bien évidemment. Est-ce que ce sera M. Védrine ou moi qui l'accompagnerons, je ne peux pas encore en juger.
Q - Dans quelles mesures ce dialogue politique latino-américain peut apporter des enseignements pour l'ouverture de ce dialogue avec l'Afrique ?
R - D'abord, je crois qu'il serait intéressant d'ouvrir une relation Afrique-Amérique latine, qui devrait pouvoir se développer. J'y serais tout à fait favorable, il y a déjà un certain nombre de relations entre pays lusophones, entre le Brésil, l'Angola. En tout cas, puisque vous me parlez de cette question, moi, je voudrais me féliciter qu'on ait réussi à surmonter les obstacles qui, au départ, s'opposaient à la tenue de ce premier sommet entre l'Europe et l'Afrique, cela me paraît très important et la France, qui a une relation ancienne et particulière avec l'Afrique, ne peut que se réjouir de voir toute l'Europe s'intéresser à l'Afrique.
Q - Et parler d'une seule voix ?
R - Pourquoi pas, ce n'est pas forcément sur l'Afrique que nous avons le plus de difficultés à nous entendre, mais il arrive que la France se sente un peu seule dans certaines régions d'Afrique, donc elle aimerait bien que d'autres soient à côté d'elle pour aider ce continent à se sortir d'une situation qui reste très difficile.
Q - En partenariat avec la Grande-Bretagne et le groupe des Cinq ?
R - Il y a déjà eu, vous savez entre la Grande-Bretagne et la France, il y a une volonté d'agir de concert en Afrique, avec l'Allemagne nous avons aussi des choses à dire, je ne parle pas bien sûr du Portugal qui a aussi une relation ancienne avec l'Afrique et je suis, d'ailleurs, en train de réfléchir à un voyage que je ferais avec Luis Amado, probablement en Afrique de l'Ouest, pour faire la preuve, justement, que la France et le Portugal agissent de concert.
Q - Quels pays ?
R - En Afrique de l'Ouest, peut être en Guinée-Bissao, peut être au Cap Vert, au Sénégal. Ce sont les pays qui figurent dans les hypothèses.
Q - Et quel est l'objectif de cette visite ?
R - Montrer que la France et le Portugal ont la même volonté d'aider ces pays là, notamment parce qu'ils sortent de crise.
Q - Pourquoi est-il nécessaire de le faire ensemble ?
R - Parce que, il n'y a pas si longtemps, les médias ont pu faire croire que la France et le Portugal étaient opposés. C'était évidemment faux et la meilleure manière d'en faire la démonstration c'est d'aller là-bas ensemble.
Q - Quelles sont les relations entre la France et la Guinée-Bissao en ce moment ?
R - Nous avons pris acte avec satisfaction du déroulement des élections et du résultat, qui permet à une nouvelle équipe de reprendre en main la situation. Nous avons, il y a quelques mois, déploré l'attitude qu'avaient pu avoir certains éléments à l'encontre de la France, et notamment de notre poste diplomatique et de notre centre culturel. Aujourd'hui, je le répète, la Guinée-Bissao s'est inscrite dans un processus démocratique. Des élections ont eu lieu, un gouvernement est en place, il faut maintenant aider ce gouvernement à reprendre le chemin du développement, c'était pour parler de cela, et le faire savoir à Bissao, que j'envisage de faire ce voyage avec Luis Amado./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2000)
Déclaration :
Merci Messieurs les Présidents,
Mes chers Collègues,
C'est en effet du deuxième point, dont je voulais vous entretenir, mais il retentit nécessairement sur la situation de nos deux régions. Mais auparavant, autorisez-moi à porter un jugement sur ce dialogue, puisque nous sommes presque au terme de nos travaux.
Je voudrais dire tout l'intérêt que j'ai trouvé dans l'échange très direct, très franc, que nous avons eu, et j'ai ressenti cet intérêt en tant que ministre français, en tant aussi qu'ancien député européen. Il y a 20 ans, j'étais au Parlement européen et le dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine était à peu près absent.
C'était avant l'entrée en Europe de l'Espagne et du Portugal. Et je voudrais dire, sans crainte d'être démenti par mes autres collègues européens, que, parmi les effets positifs qu'aura eus l'entrée du Portugal et de l'Espagne en Europe, il y a incontestablement cette ouverture de l'Europe vers l'Ouest.
Je suis sûr que nous n'en serions pas là si nos deux pays ibériques ne nous avaient rejoints. Il reste à faire en sorte que tous les pays européens portent le même intérêt au continent latino-américain et il reste sans doute encore du travail à faire pour atteindre cette sensibilité identique.
Il est vrai que nous avons des histoires différentes dans notre relation avec l'Amérique latine, il est vrai aussi que nous avons des intérêts différents et je voudrais, évidemment, plaider votre compréhension, pour prendre en compte précisément ces intérêts souvent différents, opposés, qui compliquent parfois notre dialogue en particulier, sur le plan commercial. Mais d'une manière générale, je voudrais après mon collègue hollandais, dire ma conviction, que y compris dans ces dossiers difficiles, et nous pensons à l'agriculture, nous pensons au service, je crois que la ligne est donnée, et nous irons très certainement, et je pense assez vite, vers des progrès significatifs.
Je voudrais dire aussi combien nous sommes favorablement impressionnés par la solidarité que les pays latino-américains développent entre eux. La crise du Paraguay en avait été un exemple, la crise qu'a connue l'Equateur, en est un autre, et cette solidarité que vous manifestez entre vous est un très bon argument pour plaider la solidarité de l'Europe à vos côtés.
Pour en revenir à l'OMC, comme le disait ce matin, dans une autre enceinte, José Vicente Rangel, il y a autant de lectures de l'échec de Seattle, qu'il y avait de pays participants, mais on peut tout de même se mettre d'accord sur quelques raisons plus fondamentales, dès lors que l'on a mis de côté l'argument conjoncturel, celui d'un calendrier électoral qui ne donnait pas au pays hôte le meilleur confort, notamment dans les discussions commerciales.
Parmi les raisons plus profondes, je crois qu'il y a en réalité une triple crise de confiance : Seattle a mis en évidence la crise de confiance Nord-Sud, ou plus exactement une crise de défiance des pays du Sud vis-à-vis des pays du Nord, et en particulier lorsqu'ils ont vu qu'ils pouvaient être utilisés, et manipulés, comme masse de manuvre entre pays du Nord, opposés au niveau de leurs propres intérêts.
Crise de confiance des pays du Sud, qui ont eu le sentiment de ne pas être impliqués dans la préparation de l'OMC. Deuxième crise de confiance, entre la société civile et la société politique : pour la première fois la société civile a fait irruption dans le champ international, extraordinairement servie par les médias dont nous savons bien, car c'est la loi du genre, qu'ils ont plus tendance a rendre compte de ce qui se passe à l'extérieur des enceintes internationales qu'à l'intérieur des enceintes internationales. Il est vrai que leur accès dans nos propres enceintes est souvent limité. Et puis, crise de confiance dans le multilatéralisme, doute quant à son efficacité, en dépit des milliards mobilisés, les inégalités continuent à se creuser, tout aussi quant à sa cohérence. Il est vrai que, on a vu dans le passé, les politiques du Fonds monétaire international sont parfois contradictoires avec celle de la Banque mondiale, et réciproquement, et je ne parle pas des contradictions qui peuvent exister entre les institutions de Bretton Woods, d'une part et la constellation des Nations unies, d'autre part. Mais, il y avait surtout une remise en question de ce que l'on peut appeler aussi la dictature des indicateurs économiques, et je suis près à reconnaître que nos vieilles démocraties auraient eu probablement du mal, elles-mêmes, à appliquer les plans contraignants que les institutions internationales obligent les jeunes démocraties à mettre en oeuvre. Et dans des démocraties où les armées n'ont pas encore, totalement, pris l'habitude de rester dans les casernes, on voit bien ce que les torsions sociales, que la mise en oeuvre de certaines contraintes économiques entraîne, peuvent provoquer.
Depuis Seattle, je crois qu'on peut considérer, qu'il y a eu deux bonnes nouvelles : la première, et notre déclaration finale y fera allusion, c'est le succès des négociations de Lomé. Je sais que vous n'êtes pas partie prenante, vous-même, pays latino-américains, à de rares exceptions près, à cette négociation, mais je crois que nous avons fait la preuve qu'à la condition d'apporter suffisamment d'écoute, à condition que chacun ait le sentiment d'être vraiment impliqué dans la négociation, on peut arriver à un résultat. Lomé a été aussi l'occasion pour la première fois d'un dialogue très franc, très libre, y compris sur des questions délicates, comme la bonne gouvernance ou la lutte contre la corruption. Et puis, il y a eu la CNUCED, à Bangkok, il y a quelques jours, où nous avons senti une volonté de plus grande cohérence de la part des dirigeants des grandes institutions, qu'il s'agisse du fonds, de la Banque ou des grandes agences onusiennes. On peut considérer que ceci a été le début de la croissance retrouvée entre le Nord et le Sud. Bangkok aura été une sorte de thérapie, qui est venue, je pense, au bon moment.
La question de la société civile ou du dialogue avec la société civile est beaucoup plus difficile, car la société civile se manifeste comme étant extraordinairement diverse, souvent contradictoire, mais je voudrais, dès à présent, mettre en garde contre une tendance que nous sentons parfois, qui voudrait que la société civile puisse se subsister aux Etats. Gardons-nous d'encourager l'opposition entre la société civile et les Etats, c'est d'un partenariat des Etats et de la société civile dont nous avons besoin. Et je crois que s'agissant, notamment, des pays en développement, je ne crois pas que l'on puisse considérer qu'il y a trop d'Etat, il n'y a pas assez d'Etats structurés disposant d'administration conséquentes, efficaces, capables de mettre en place les éléments de régulation et de participer à la lutte contre la pauvreté.
Nous avons tous à faire face aux inégalités dans nos propres pays, mais vous conviendrez que nous essayons par une politique fiscale redistributive, par la mise en place d'amortisseurs sociaux de participer, nous aussi, à la lutte contre les inégalités. J'aimerais bien, et je crois que c'est utile, que notre dialogue entre l'Europe et le continent latino-américain puisse intégrer aussi la recherche de ces moyens de réduction des inégalités politiques, conduite par les Etats, et pas seulement dans le cadre de la solidarité internationale.
Une autre bonne nouvelle, c'est je crois un large consensus pour considérer que l'intégration régionale mérite d'être encouragé, car elle est à la fois condition de développement mais aussi de sécurité. Et puis le multilatéralisme. J'ai entendu la revendication des pays en développement souhaitant d'être impliqués, de disposer de moyens pour mieux préparer ces grandes enceintes. Je crois qu'il faut que nous allions plus loin, il faut en quelque sorte démocratiser le multilatéralisme, il faut que nous acceptions, nous les pays du Nord, d'ouvrir davantage aux autres le pouvoir au sein des institutions multilatérales que j'évoquais à l'instant. Et je voudrais vous dire la volonté de la France de faire des propositions à cet égard, lorsqu'elle va, dans quelques mois, assurer la présidence de l'Union européenne.
Je crois enfin, et se sera mon dernier mot, qu'il y a aujourd'hui un large consensus sur le besoin de trouver le point d'équilibre entre la libération des échanges mais aussi la régulation de ce qu'on appelle la globalisation. Même les plus fervents partisans du libéralisme, instruits par les crises que la planète vient de connaître, reconnaissent la nécessité d'une régulation publique. Il faut que nous puissions, là aussi, essayer de réaliser l'alliance entre votre continent et notre Europe pour faire progresser ces idées au sein des grandes rencontres internationales et je crois qu'il faudra que nous prenions l'habitude de nous concerter mieux à la veille des grandes échéances qui nous attendent, qu'il s'agisse là encore, je le répète, des rencontres de New York ou de celles de Washington.
Voilà, Messieurs les Présidents, mes chers Collègues, les observations que je voulais livrer à cette occasion, en me félicitant, une fois encore, d'avoir pu participer à c'est très intéressant échange entre nos deux continents, je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2000)
Je suis arrivé mardi matin en provenance d'Arusha où j'avais été porté le message du président Chirac à la réunion organisée par Nelson Mandela sur le processus de paix au Burundi. Depuis trois jours donc, des représentants de l'Union européenne ont pu dialoguer avec l'ensemble des pays latino-américains, je ne reviens pas sur la manière dont ce dialogue a été organisé avec le Groupe de San José pour les pays d'Amérique centrale, de la communauté andine, ce matin, du Mercosur, hier, et du Groupe de Rio qui les regroupe, à l'instant.
Moi, je veux faire observer puisque nous sommes au Portugal et ça me paraît important de le rappeler que si l'Europe est en mesure aujourd'hui d'avoir une relation de confiance avec le continent latino-américain, c'est très largement le résultat de l'entrée dans l'Europe de l'Espagne et du Portugal. J'ai dit ce matin, que quand j'étais député européen, il y a 20 ans, que le dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine était à peu près inexistant et je crois que c'est intéressant de rappeler que nous devons à l'arrivée de l'Espagne et du Portugal dans l'Europe cette ouverture vers le monde latino-américain qui paraît important pour l'Europe, c'est une première observation.
La seconde, c'est que le dialogue a été très franc, très direct. Le concept de dialogue politique qu'on emploie facilement de manière abusive, a été vérifié là, puisque nous avons, bel et bien, parlé des problèmes politiques qui se posent chez eux. On a évoqué la situation du Venezuela, de l'Equateur, du Guatemala, puisque tous ces pays viennent de connaître des phases politiques actives. Dans le même temps, nos interlocuteurs nous ont interrogés sur la situation européenne et en particulier cette actualité autrichienne qui évidemment les interpellent. Nous en avons évidemment profité pour dire pourquoi les quatorze pays européens avaient fait le choix d'avoir, vis à vis, de l'Autriche d'aujourd'hui un comportement particulier.
Cette réunion, venant après l'échec de Seattle, a donné au débat sur l'OMC, qui est en train d'ailleurs de reprendre, une coloration particulière et j'ai profité de l'occasion, ce matin, pour rappeler les causes de l'échec de Seattle, telles que la France, en tous cas, les analysent : crise de confiance dans la relation Nord-Sud parce qu'insuffisante application des pays en développement dans la préparation de Seattle ; crise de confiance entre la société civile et la société politique ; crise de confiance dans le multilatéralisme, un multilatéralisme qui est remis en question dans son efficacité, on peut observer qu'il y a eu quand même énormément de milliard mobilisés sans que les inégalités s'en trouvent véritablement réduites ; mise en doute, aussi, parfois de la cohérence du système multilatéral, quand on voit les contradictions qui ont pu avoir lieu dans le passé entre les politiques de la Banque mondiale et celle du Fonds monétaire, sans oublier parfois les incohérences, aussi, entre les institutions de Washington et celle des Nations unies. C'est, me semble-t-il, cette terrible crise de confiance qui explique très largement l'échec de Seattle. Depuis Seattle, il s'est passé des choses qui quelque part nous redonnent espoir. La première, c'est la conclusion des Accords de Lomé. Elle est intervenue à Bruxelles, il y a une dizaine de jours sous présidence portugaise, il faut quand même le souligner, et on a fait la preuve après 18 mois de négociation, qu'il était possible d'arriver à un accord, à la condition de prendre le temps d'écouter, de donner à chaque participant la possibilité, vraiment, de jouer un rôle plein, de s'impliquer dans la négociation et le résultat, c'est aussi intéressant en ce sens que non seulement, on s'est mis d'accord sur les aspects commerciaux, mais on a pu parler très franchement, y compris de sujets difficiles, comme la corruption, et la bonne gouvernance, et je crois que Lomé qui a été conclue, je le rappelle, entre les 15 pays européens et les 71 pays ACP, ce qui n'est pas rien, quand même, à l'échelle de la planète, c'est la preuve qu'il ne faut pas désespérer du rapport Nord-Sud, c'est important de le rappeler.
La seconde bonne nouvelle, c'est la CNUCED qui s'est tenu à Bangkok la semaine dernière à laquelle, j'ai eu le plaisir de participer et qui a été ce que j'ai appelé un début de thérapie après l'échec de Seattle. Je crois qu'on a commencé à reconstruire le dialogue avec les pays en développement. Et ce qui a facilité cette confiance retrouvée, c'est qu'on a vu arriver tous les dirigeants des grandes organisations internationales : Michel Camdessus, pour le FMI, James Wolfensohn, pour la Banque mondiale, Mike Moore, pour l'OMC, sans oublier les directeurs des agences, la CNUCED est quand même une agence des Nations unies importante. Et tous ont affirmé et témoigné d'une volonté de cohérence, en particulier sur le grand objectif qu'est la réduction des inégalités et la lutte contre la pauvreté, et on peut espérer que cette volonté d'une plus grande cohérence, là aussi, va mieux prendre en compte les aspects sociaux du développement, ceci était important.
Reste, que si nous voulons réussir un nouveau cycle OMC et il faut le réussir, il faut s'en donner les moyens et non seulement il nous faut associer mieux les pays en développement, en leur donnant, par exemple, les moyens techniques, voire matériels, de pratiquer à ces discussions, mais il faut être capable aussi de faire vivre le multilatéralisme y compris dans ces organes dirigeants, ça veut dire ouvrir les organes dirigeants du FMI, de la Banque mondiale, ou des Nations unies davantage aux pays en développement, de façon à ce qu'ils soient mieux représentatifs de la communauté internationale. Si on sait y arriver, et je pense que la France a l'intention de faire des propositions à l'occasion de sa présidence dans quelques mois à partir du 1er juillet 2000, je crois qu'on est en mesure d'espérer, je le répète, non seulement pouvoir ouvrir ce cycle, mais le conclure en y mettant le temps sans doute, mais je crois que l'on a de bonne chance d'y arriver.
Voilà ce que j'ai dit ce matin. J'ai compris que mon discours avait été bien reçu par les pays latino-américains notamment quand j'ai rappelé que nos vieilles démocraties elles-mêmes, auraient parfois du mal à mettre en oeuvre les contraintes que les organisations internationales leur imposent parfois, et lorsque j'ai dénoncé la dictature des indicateurs économiques et financiers, j'ai évidemment rejoint les préoccupations fortes des pays latino-américains qui sont encore des démocraties fragiles où les armées n'ont pas encore, complètement, pris l'habitude de rester dans les casernes et où, pour reprendre l'expression d'un représentant latino-américain, les armées oisives peuvent vouloir se mêler trop facilement de la vie politique.
Voilà, j'ai déjà été trop bavard, j'en reste là au cas, très improbable, où vous auriez encore besoin d'informations, parce que je vous ai tout dit, je suis à votre disposition.
Q - Oui, Monsieur le Ministre, tout à l'heure, on a eu un entretien avec le ministre des Affaires étrangères chilien, M. Valdes, qui nous a annoncé que la France l'avait rassuré concernant le cas Pinochet, qu'il n'y aurait pas un éventuel appel de la France dans le cas, d'une éventuelle libération du général Pinochet ?
R - Commenter les propos de M. Valdes, qui lui-même faisait référence aux déclarations de M. Védrine, non, je n'étais pas présent à l'entretien et je n'ai pas eu l'occasion d'en parler avec Hubert Védrine. Je n'ai pas a commenter cette déclaration, je ne vais pas commenter les déclarations du ministre des Affaires étrangères, je risque de le répéter, donc je ne peux pas non plus commenter des déclarations du ministre Valdes.
Q - Et vous avez rencontré M. Valdes pendant la journée d'aujourd'hui ?
R - Oui, mais nous avons parlé de mon voyage au Chili, il y a quelques mois, on a parlé de la coopération entre le Chili et la France.
Q - En ce qui concerne l'Autriche, il y a des pays qui commence à dire, qu'il faut changer la position des Quatorze parce que le gouvernement d'Autriche a déjà donné des garanties suffisantes et qu'elle ne va pas mettre en cause les valeurs de l'Union européenne, que pensez-vous de ça ?
R - Qui dit cela ?
Q - L'Irlande.
R - Ce n'est pas la position de la France. Lionel Jospin a été très ferme sur le signal qu'il fallait adresser aux Autrichiens, et que nous nous adressons à nous même aussi, je veux dire, ce n'est pas toujours facile de le faire comprendre aux Autrichiens, mais il est clair que ce rappel de principes qui ont fondé l'Europe vaut pour l'Autriche, mais vaut aussi pour tous les Européens, y compris nos propres ressortissants, c'est ce que j'ai eu l'occasion de dire en réponse à Mme Rosario Green, qui nous a interrogés justement sur notre attitude vis à vis de l'Autriche. J'ai eu l'occasion d'en parler hier soir avec Mme Ferrero Waldner, que j'ai connu avant, quand elle était ministre de la Coopération. Donc, nous avons eu l'occasion de reparler un peu de cette situation, je lui ai dis mes regrets que nous en soyons arrivé là, mais l'attitude que nous avons prise, qui nous paraît compatible avec un fonctionnement normal de l'Europe, n'est pas, chacun le comprend, n'est pas, il faut encore l'expliquer, dirigée contre le peuple autrichien, mais c'est un rappel, une sorte de mise en garde. Nous avons payé cher pour savoir que la xénophobie, le culte de l'identité nationale pouvait produire d'énormes dégâts. Il n'est pas question, vis à vis des générations futures, de pouvoir encourir le reproche "vous avez laissé faire", donc nous espérons, je le répète, que les Autrichiens comprendront ce message.
Q - Vous avez dit que vous aviez eu une bonne réceptivité de la part des latino-américains, globalement votre attitude ?
R - Je n'ai pas parlé de ce dossier particulier, je parlais de l'intervention faite ce matin davantage sur l'OMC, le multilatéral, les relations internationales, mais nous avons donné des explications à nos amis latino-américains qui nous interrogés, et d'ailleurs on pouvait s'y attendre sur cette relation singulière entre les Quatorze et l'Autriche.
Q - Juste pour revenir, très rapidement, vous comptez rencontrer M. Valdes, tout à l'heure, pour lui demander des explications sur ces déclarations ?
R - Non, parce qu'il prend l'avion en ce moment et moi aussi dans quelques instants, non je n'ai pas besoin.
Q - Ne craignez-vous pas de réactions contraires, si ça se confirme, à Paris des groupes de défense des Droits de l'Homme ?
R - Je ne sais pas ce qu'a dit M. Hubert Védrine à M. Valdes, et je ne sais pas exactement ce que M. Valdes vous a dit. Je lui en donne acte, j'entends cette information, donc si je devais en parler avec quelqu'un, ce serait avec M. Védrine, mais comme il est en ce moment avec M. Jospin en Palestine, puisqu'ils font un voyage au Moyen-Orient. Je ne doute pas que si M. Védrine lui a dit ça, c'est que c'était le résultat d'une concertation avec Matignon et probablement l'Elysée, c'est tout ce que je peux en dire.
Q - On se reverra en avril au Caire (à l'occasion du Sommet Union européenne-Afrique) ?
R - Probablement, si je dis cela c'est parce que, au même moment, il y a la réunion des ministres de la Zone franc en Guinée équatoriale à Malabo, j'y assisterai. M. Chirac sera au Caire, bien évidemment. Est-ce que ce sera M. Védrine ou moi qui l'accompagnerons, je ne peux pas encore en juger.
Q - Dans quelles mesures ce dialogue politique latino-américain peut apporter des enseignements pour l'ouverture de ce dialogue avec l'Afrique ?
R - D'abord, je crois qu'il serait intéressant d'ouvrir une relation Afrique-Amérique latine, qui devrait pouvoir se développer. J'y serais tout à fait favorable, il y a déjà un certain nombre de relations entre pays lusophones, entre le Brésil, l'Angola. En tout cas, puisque vous me parlez de cette question, moi, je voudrais me féliciter qu'on ait réussi à surmonter les obstacles qui, au départ, s'opposaient à la tenue de ce premier sommet entre l'Europe et l'Afrique, cela me paraît très important et la France, qui a une relation ancienne et particulière avec l'Afrique, ne peut que se réjouir de voir toute l'Europe s'intéresser à l'Afrique.
Q - Et parler d'une seule voix ?
R - Pourquoi pas, ce n'est pas forcément sur l'Afrique que nous avons le plus de difficultés à nous entendre, mais il arrive que la France se sente un peu seule dans certaines régions d'Afrique, donc elle aimerait bien que d'autres soient à côté d'elle pour aider ce continent à se sortir d'une situation qui reste très difficile.
Q - En partenariat avec la Grande-Bretagne et le groupe des Cinq ?
R - Il y a déjà eu, vous savez entre la Grande-Bretagne et la France, il y a une volonté d'agir de concert en Afrique, avec l'Allemagne nous avons aussi des choses à dire, je ne parle pas bien sûr du Portugal qui a aussi une relation ancienne avec l'Afrique et je suis, d'ailleurs, en train de réfléchir à un voyage que je ferais avec Luis Amado, probablement en Afrique de l'Ouest, pour faire la preuve, justement, que la France et le Portugal agissent de concert.
Q - Quels pays ?
R - En Afrique de l'Ouest, peut être en Guinée-Bissao, peut être au Cap Vert, au Sénégal. Ce sont les pays qui figurent dans les hypothèses.
Q - Et quel est l'objectif de cette visite ?
R - Montrer que la France et le Portugal ont la même volonté d'aider ces pays là, notamment parce qu'ils sortent de crise.
Q - Pourquoi est-il nécessaire de le faire ensemble ?
R - Parce que, il n'y a pas si longtemps, les médias ont pu faire croire que la France et le Portugal étaient opposés. C'était évidemment faux et la meilleure manière d'en faire la démonstration c'est d'aller là-bas ensemble.
Q - Quelles sont les relations entre la France et la Guinée-Bissao en ce moment ?
R - Nous avons pris acte avec satisfaction du déroulement des élections et du résultat, qui permet à une nouvelle équipe de reprendre en main la situation. Nous avons, il y a quelques mois, déploré l'attitude qu'avaient pu avoir certains éléments à l'encontre de la France, et notamment de notre poste diplomatique et de notre centre culturel. Aujourd'hui, je le répète, la Guinée-Bissao s'est inscrite dans un processus démocratique. Des élections ont eu lieu, un gouvernement est en place, il faut maintenant aider ce gouvernement à reprendre le chemin du développement, c'était pour parler de cela, et le faire savoir à Bissao, que j'envisage de faire ce voyage avec Luis Amado./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2000)
Déclaration :
Merci Messieurs les Présidents,
Mes chers Collègues,
C'est en effet du deuxième point, dont je voulais vous entretenir, mais il retentit nécessairement sur la situation de nos deux régions. Mais auparavant, autorisez-moi à porter un jugement sur ce dialogue, puisque nous sommes presque au terme de nos travaux.
Je voudrais dire tout l'intérêt que j'ai trouvé dans l'échange très direct, très franc, que nous avons eu, et j'ai ressenti cet intérêt en tant que ministre français, en tant aussi qu'ancien député européen. Il y a 20 ans, j'étais au Parlement européen et le dialogue entre l'Europe et l'Amérique latine était à peu près absent.
C'était avant l'entrée en Europe de l'Espagne et du Portugal. Et je voudrais dire, sans crainte d'être démenti par mes autres collègues européens, que, parmi les effets positifs qu'aura eus l'entrée du Portugal et de l'Espagne en Europe, il y a incontestablement cette ouverture de l'Europe vers l'Ouest.
Je suis sûr que nous n'en serions pas là si nos deux pays ibériques ne nous avaient rejoints. Il reste à faire en sorte que tous les pays européens portent le même intérêt au continent latino-américain et il reste sans doute encore du travail à faire pour atteindre cette sensibilité identique.
Il est vrai que nous avons des histoires différentes dans notre relation avec l'Amérique latine, il est vrai aussi que nous avons des intérêts différents et je voudrais, évidemment, plaider votre compréhension, pour prendre en compte précisément ces intérêts souvent différents, opposés, qui compliquent parfois notre dialogue en particulier, sur le plan commercial. Mais d'une manière générale, je voudrais après mon collègue hollandais, dire ma conviction, que y compris dans ces dossiers difficiles, et nous pensons à l'agriculture, nous pensons au service, je crois que la ligne est donnée, et nous irons très certainement, et je pense assez vite, vers des progrès significatifs.
Je voudrais dire aussi combien nous sommes favorablement impressionnés par la solidarité que les pays latino-américains développent entre eux. La crise du Paraguay en avait été un exemple, la crise qu'a connue l'Equateur, en est un autre, et cette solidarité que vous manifestez entre vous est un très bon argument pour plaider la solidarité de l'Europe à vos côtés.
Pour en revenir à l'OMC, comme le disait ce matin, dans une autre enceinte, José Vicente Rangel, il y a autant de lectures de l'échec de Seattle, qu'il y avait de pays participants, mais on peut tout de même se mettre d'accord sur quelques raisons plus fondamentales, dès lors que l'on a mis de côté l'argument conjoncturel, celui d'un calendrier électoral qui ne donnait pas au pays hôte le meilleur confort, notamment dans les discussions commerciales.
Parmi les raisons plus profondes, je crois qu'il y a en réalité une triple crise de confiance : Seattle a mis en évidence la crise de confiance Nord-Sud, ou plus exactement une crise de défiance des pays du Sud vis-à-vis des pays du Nord, et en particulier lorsqu'ils ont vu qu'ils pouvaient être utilisés, et manipulés, comme masse de manuvre entre pays du Nord, opposés au niveau de leurs propres intérêts.
Crise de confiance des pays du Sud, qui ont eu le sentiment de ne pas être impliqués dans la préparation de l'OMC. Deuxième crise de confiance, entre la société civile et la société politique : pour la première fois la société civile a fait irruption dans le champ international, extraordinairement servie par les médias dont nous savons bien, car c'est la loi du genre, qu'ils ont plus tendance a rendre compte de ce qui se passe à l'extérieur des enceintes internationales qu'à l'intérieur des enceintes internationales. Il est vrai que leur accès dans nos propres enceintes est souvent limité. Et puis, crise de confiance dans le multilatéralisme, doute quant à son efficacité, en dépit des milliards mobilisés, les inégalités continuent à se creuser, tout aussi quant à sa cohérence. Il est vrai que, on a vu dans le passé, les politiques du Fonds monétaire international sont parfois contradictoires avec celle de la Banque mondiale, et réciproquement, et je ne parle pas des contradictions qui peuvent exister entre les institutions de Bretton Woods, d'une part et la constellation des Nations unies, d'autre part. Mais, il y avait surtout une remise en question de ce que l'on peut appeler aussi la dictature des indicateurs économiques, et je suis près à reconnaître que nos vieilles démocraties auraient eu probablement du mal, elles-mêmes, à appliquer les plans contraignants que les institutions internationales obligent les jeunes démocraties à mettre en oeuvre. Et dans des démocraties où les armées n'ont pas encore, totalement, pris l'habitude de rester dans les casernes, on voit bien ce que les torsions sociales, que la mise en oeuvre de certaines contraintes économiques entraîne, peuvent provoquer.
Depuis Seattle, je crois qu'on peut considérer, qu'il y a eu deux bonnes nouvelles : la première, et notre déclaration finale y fera allusion, c'est le succès des négociations de Lomé. Je sais que vous n'êtes pas partie prenante, vous-même, pays latino-américains, à de rares exceptions près, à cette négociation, mais je crois que nous avons fait la preuve qu'à la condition d'apporter suffisamment d'écoute, à condition que chacun ait le sentiment d'être vraiment impliqué dans la négociation, on peut arriver à un résultat. Lomé a été aussi l'occasion pour la première fois d'un dialogue très franc, très libre, y compris sur des questions délicates, comme la bonne gouvernance ou la lutte contre la corruption. Et puis, il y a eu la CNUCED, à Bangkok, il y a quelques jours, où nous avons senti une volonté de plus grande cohérence de la part des dirigeants des grandes institutions, qu'il s'agisse du fonds, de la Banque ou des grandes agences onusiennes. On peut considérer que ceci a été le début de la croissance retrouvée entre le Nord et le Sud. Bangkok aura été une sorte de thérapie, qui est venue, je pense, au bon moment.
La question de la société civile ou du dialogue avec la société civile est beaucoup plus difficile, car la société civile se manifeste comme étant extraordinairement diverse, souvent contradictoire, mais je voudrais, dès à présent, mettre en garde contre une tendance que nous sentons parfois, qui voudrait que la société civile puisse se subsister aux Etats. Gardons-nous d'encourager l'opposition entre la société civile et les Etats, c'est d'un partenariat des Etats et de la société civile dont nous avons besoin. Et je crois que s'agissant, notamment, des pays en développement, je ne crois pas que l'on puisse considérer qu'il y a trop d'Etat, il n'y a pas assez d'Etats structurés disposant d'administration conséquentes, efficaces, capables de mettre en place les éléments de régulation et de participer à la lutte contre la pauvreté.
Nous avons tous à faire face aux inégalités dans nos propres pays, mais vous conviendrez que nous essayons par une politique fiscale redistributive, par la mise en place d'amortisseurs sociaux de participer, nous aussi, à la lutte contre les inégalités. J'aimerais bien, et je crois que c'est utile, que notre dialogue entre l'Europe et le continent latino-américain puisse intégrer aussi la recherche de ces moyens de réduction des inégalités politiques, conduite par les Etats, et pas seulement dans le cadre de la solidarité internationale.
Une autre bonne nouvelle, c'est je crois un large consensus pour considérer que l'intégration régionale mérite d'être encouragé, car elle est à la fois condition de développement mais aussi de sécurité. Et puis le multilatéralisme. J'ai entendu la revendication des pays en développement souhaitant d'être impliqués, de disposer de moyens pour mieux préparer ces grandes enceintes. Je crois qu'il faut que nous allions plus loin, il faut en quelque sorte démocratiser le multilatéralisme, il faut que nous acceptions, nous les pays du Nord, d'ouvrir davantage aux autres le pouvoir au sein des institutions multilatérales que j'évoquais à l'instant. Et je voudrais vous dire la volonté de la France de faire des propositions à cet égard, lorsqu'elle va, dans quelques mois, assurer la présidence de l'Union européenne.
Je crois enfin, et se sera mon dernier mot, qu'il y a aujourd'hui un large consensus sur le besoin de trouver le point d'équilibre entre la libération des échanges mais aussi la régulation de ce qu'on appelle la globalisation. Même les plus fervents partisans du libéralisme, instruits par les crises que la planète vient de connaître, reconnaissent la nécessité d'une régulation publique. Il faut que nous puissions, là aussi, essayer de réaliser l'alliance entre votre continent et notre Europe pour faire progresser ces idées au sein des grandes rencontres internationales et je crois qu'il faudra que nous prenions l'habitude de nous concerter mieux à la veille des grandes échéances qui nous attendent, qu'il s'agisse là encore, je le répète, des rencontres de New York ou de celles de Washington.
Voilà, Messieurs les Présidents, mes chers Collègues, les observations que je voulais livrer à cette occasion, en me félicitant, une fois encore, d'avoir pu participer à c'est très intéressant échange entre nos deux continents, je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mars 2000)