Déclaration de M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie, sur la gestion des déchets radioactifs, Paris le 27 janvier 2005.

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Circonstance : Auditions publiques de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques sur le thème de la gestion des déchets radioactifs à Paris le 27 janvier 2005

Texte intégral

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés,
Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi, en premier lieu, Messieurs les députés Birraux et Bataille, de vous remercier chaleureusement de m'avoir invité à conclure cette journée d'audition. Je dois souligner la rigueur et le professionnalisme avec lesquels vous avez suivi, depuis le début des années 90, le dossier des déchets radioactifs de haute activité à vie longue.
Dans la perspective du rendez-vous de 2006, je suis certain que les différents rapports que vous avez produits ainsi que les travaux de synthèse que vous menez actuellement, seront d'une grande utilité à la fois pour le Gouvernement et pour le Parlement.
I. Je souhaiterais tout d'abord souligner l'importance du sujet qui vous a réunis aujourd'hui
Satisfaire les besoins énergétiques croissants de la planète, tout en respectant notre environnement et en particulier en luttant contre l'effet de serre, est un enjeu politique majeur pour le 21ème siècle. C'est pourquoi, dans le cadre du projet de loi d'orientation sur les énergies, en cours d'examen par le Parlement, j'ai présenté 4 axes pour un développement durable de l'énergie :
(1) relancer la politique des économies d'énergie,
(2) accroître le recours aux énergies renouvelables,
(3) renforcer la recherche sur les nouvelles technologies de l'énergie,
(4) confirmer la place consacrée à l'énergie nucléaire au sein de notre bouquet électrique.
Le nucléaire pourra constituer une source durable d'énergie pour l'avenir, mais seulement à deux conditions :
(1) que les exploitants nucléaires continuent de maintenir un très haut niveau de sûreté,
(2) que soient mises en uvre des solutions de gestion sûres et pérennes pour tous les déchets radioactifs.
De telles solutions sont déjà mises en uvre pour les déchets de très faible, faible et moyenne activité à vie courte. Il reste à trouver de telles solutions pour les déchets de moyenne activité à vie longue et de haute activité, qui ne représentent que 10% du volume mais 99% de la radioactivité !
C'est l'objet des recherches qui ont été engagées dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991. Un plan national de gestion des déchets radioactifs (PNGDR) est en préparation qui dressera le panorama de l'ensemble de ces solutions de gestion existantes ou en cours de définition.
II. Comme vous le savez, la loi de 1991 a initié un programme de recherche important et fixé une échéance pour faire un bilan de ces travaux et prendre les orientations ou les décisions politiques nécessaires
Je veux souligner que ce programme de recherche a, depuis 14 ans, permis d'acquérir de nombreuses connaissances.
Conformément au calendrier prévu par la loi, le Gouvernement devra présenter au Parlement un nouveau projet de loi en 2006. Plusieurs étapes nous mèneront à cet examen parlementaire.
Les acteurs de la recherche (CEA, CNRS, ANDRA) remettront leur rapport à la mi-2005.
Ces rapports seront ensuite évalués d'une part, au plan scientifique, par la Commission nationale d'évaluation (CNE), d'autre part, au plan de la sûreté nucléaire, par l'Autorité de sûreté nucléaire avec l'appui de l'IRSN, enfin, au plan international, par une revue de pairs, organisée par l'OCDE à la demande dans ce sens que j'ai appuyée avec le ministre de la recherche.
Au-delà de cette évaluation technique, s'agissant d'un sujet important pour la protection de la santé et de l'environnement, il est nécessaire que l'information et la discussion ne soient pas réservées à un petit cercle d'experts scientifiques, industriels, associatifs ou administratifs.
Il est essentiel que les Parlementaires s'en saisissent : la contribution de l'Office, au travers des travaux des députés BIRRAUX et BATAILLE, me paraît à cet égard décisive. Il faut aussi que chaque citoyenne ou citoyen puisse s'informer et participer en exprimant ses préoccupations et ses opinions.
C'est pourquoi j'ai souhaité qu'un Livre Blanc soit rédigé et qu'il fasse l'objet d'une consultation du public. Pour l'organisation de cette consultation, j'ai décidé de saisir, conjointement avec mon collège le ministre de l'Ecologie et du Développement Durable, la Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante créée à cet effet par la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité.
Cette saisine est en préparation et sera adressée à la CNDP dans les prochains jours. Cette consultation, dans l'hypothèse où elle serait acceptée par la CNDP, porterait non pas sur un projet précis d'infrastructure mais sur les options générales en matière de gestion des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.
Je souhaite que cette consultation soit menée, à l'automne 2005, avec un esprit de transparence, d'ouverture, de dialogue et de respect.
C'est sur la base des résultats issus des évaluations scientifiques, du débat public ainsi que des propositions de l'Office parlementaire, qu'enfin je proposerai un projet de loi, au premier trimestre 2006.
III. Ayant annoncé la perspective de ce projet de loi, vous comprendrez que je ne me hasarde pas à anticiper son contenu et les résultats des recherches préalables
Je me bornerai donc à vous faire part de quelques convictions et à relever des questions qui devront être examinées.
Tout d'abord, il nous faut aller aussi loin que possible dans la réduction de la nocivité des déchets produits. Le retraitement permet déjà, par la séparation et le recyclage du plutonium produit dans les centrales, de réduire la nocivité des déchets produits. C'est une étape de séparation et de traitement indispensable si nous voulons disposer d'une filière performante qui englobe aussi bien la phase de production d'énergie que celle de traitement des déchets.
Mais il faut aller plus loin. Comme toute industrie, le nucléaire se doit d'essayer de valoriser les matières issues de la production.
Comme cela a été évoqué dans le cadre de votre première journée du 20 janvier dernier, les recherches engagées dans le cadre de l'axe 1 devraient déboucher à l'horizon 2040 sur la définition de nouveaux réacteurs nucléaires aptes à valoriser encore plus de plutonium ou à transmuter les actinides mineurs.
Mais, nous ne pouvons pas nous permettre de tout miser sur le pari que ces technologies réduiront tous les déchets tout de suite, ni qu'elles les réduiront à zéro.
En effet, il faut être réaliste et transparent vis-à-vis de nos concitoyens. Aussi performantes soient-elles en 2040, les technologies de l'axe 1 n'auront pas un rendement égal à 100%, et ne réduiront donc pas à zéro les déchets radioactifs. En outre, elles ne pourront pas s'appliquer à tous les déchets, en particulier pas aux déchets déjà existants. Pour tous ces déchets, il faudra définir une solution de gestion sûre et pérenne à très long terme à partir des potentialités de l'axe 2 et de l'axe 3, ce dernier pouvant permettre de traiter des phases de transitions. Il faudra donc des entreposages et des stockages.
Ainsi, comme cela a souvent été rappelé par les députés BIRRAUX et BATAILLE, les trois axes de recherche ne doivent pas être considérés comme des voies concurrentes mais plutôt comme des solutions complémentaires.
A quel rythme ces solutions devront-elles être mises en uvre et pour quels types de déchets ?
Les entreposages devront-ils plutôt être en surface, comme c'est le cas aujourd'hui à La Hague ou Marcoule, à quelque dizaines de mètres de profondeur ou centaines de mètres ?
Vaut-il mieux des entreposages provisoires ou des stockages réversibles ?
Faut-il plusieurs laboratoires ou un seul peut-il suffire ?
Autant de questions qui devront être éclairées cette année par les résultats de recherche, évaluées par les experts puis discutées avec le Parlement.
Enfin, je veux rassurer ceux qui s'interrogent sur notre capacité à disposer, en 2006, d'éléments d'appréciation suffisants.
Les résultats de recherche sont nombreux et de qualité! Cela a été souligné dans le cadre de la présentation de l'axe 1 la semaine dernière ; cela sera montré la semaine prochaine à propos de l'axe 3. Cela a été évoqué aujourd'hui à propos de l'axe 2 avec en particulier les travaux menés dans le laboratoire de Bure.
Ces travaux ont permis de réaliser de multiples forages depuis la surface, d'atteindre la couche géologique concernée, de construire la niche d'expérimentation à 400 mètres et permettent, en ce moment même, de l'exploiter. Ce n'est certes pas la fin du processus d'acquisition des connaissances mais c'est déjà considérable !
Je veux revenir sur ce mot de processus : car 2006 est une étape importante mais cela ne sera pas la fin du travail. Il nous faut définir collectivement un cheminement clair et lisible au-delà de 2006, pour construire chaque étape de décision sur une base solide. C'est l'une des raisons pour lesquelles la notion de réversibilité a été incluse très tôt, notamment au sein des programmes de recherche sur l'axe 2.
Les travaux menés par l'ANDRA sur ce sujet présentent des avancées remarquables et permettent aux générations actuelles d'esquisser une solution de gestion, tout en léguant aux générations futures la possibilité de maîtriser le processus.
Sans préjuger des résultats de recherche et des discussions qui suivront, je suis d'ores et déjà très sensible à l'intérêt d'intégrer la notion de réversibilité dans les orientations ou les décisions qui seront prises en 2006.
Par ailleurs, au-delà de réponses techniques comme la réversibilité, il convient de prévoir des rendez-vous intermédiaires offrant à chaque fois la possibilité de se reposer les bonnes questions et d'avancer en toute connaissance de cause vers l'étape suivante. Dans ce processus, il importe d'impliquer l'ensemble des acteurs et, en particulier, les collectivités locales qui acceptent de s'engager aux côtés de l'Etat dans la définition et la mise en uvre de solutions de gestion pour les déchets radioactifs.
Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée pour saluer le sens des responsabilités des populations et des élus des départements de Meuse et Haute-Marne. Quand tant d'autres le refusaient, ils ont accepté, dans l'intérêt général, d'accueillir sur leur territoire un laboratoire de recherche sur le stockage des déchets radioactifs, outil indispensable pour faire progresser la connaissance sur le stockage des déchets. Ils ont dépassé les appréhensions compréhensibles et évité les postures idéologiques. Je les en remercie, au nom de tous.
Ces quinze années de recherche ont amené des progrès décisifs dans la compréhension des techniques qui pourraient être utilisées pour gérer de manière sûre les déchets radioactifs.
Au moment de décider des orientations à mettre en place en matière de gestion des déchets radioactifs, il convient d'éviter deux écueils bien connus des décideurs et répertoriés par les anglophones sous les acronymes de NIMBY et NIMTO :
- NIMBY, pour "Not in my backyard" ou "Pas dans mon jardin"
- NIMTO, pour "Not in my term of office" ou "Pas pendant mon mandat"
Sur la base d'un socle de connaissances capitalisées durant quinze années de recherches, avec l'éclairage du débat public qui sera mené en 2005 et enfin, avecle souci de la nécessaire progressivité du processus, je ne doute pas que nous puissions envisager sereinement le futur de la gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 28 janvier 2008)