Texte intégral
Q - Michel Barnier est l'invité de "C'est arrivé cette semaine". Monsieur Barnier bonjour, les événements de cette semaine sont importants, vous y avez été à tous mêlé directement. Hier, vous représentiez la France aux obsèques de M. Arafat. Mais je vais commencer par ce dont, je crois, Monsieur le Ministre, nous vous attendons le plus ce matin pour donner des précisions : saviez-vous, Monsieur Barnier, que Christian Chesnot et Georges Malbrunot n'étaient plus avec leur chauffeur, Mohamed al-Joundi, ou, comme nous, l'avez-vous appris hier, cette annonce de l'armée américaine ?
R - La situation en Irak est extrêmement complexe, difficile et dangereuse et nous n'avons pas de contacts directs avec le groupe qui a enlevé, il y a maintenant très longtemps, trop longtemps, Christian Chesnot, Georges Malbrunot et Mohamed al-Joundi. Les informations que nous avons reçues tout au long de cette longue période ne sont pas directes, elles sont concordantes quelquefois, voilà pourquoi nous pensons qu'ils sont en vie et bien traités et nous ne savions pas précisément s'ils étaient toujours tous les trois ou séparés.
La preuve est faite aujourd'hui - grâce à la libération de Mohamed al-Joundi, dont je me réjouis profondément pour lui, pour ses proches - qu'ils ont été séparés il y a quatre semaines.
Q - Il y a un mois, c'est à peu près le moment où le député Didier Julia affirmait pouvoir les libérer. Peut-il y avoir un lien ?
R - Franchement, ne me demandez pas de faire des exégèses, des commentaires, je n'ai pas la capacité de commenter publiquement toutes les informations et je pense, franchement que la priorité doit rester, jusqu'à leur libération, la sécurité de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Voilà pourquoi, même si ce n'est pas toujours commode, je m'astreins à faire le moins de commentaires possibles ; nous avons besoin de discrétion, nous avons besoin de cette confidentialité pour pouvoir travailler, nouer les fils, établir des contacts et vérifier toutes les informations que nous recevons.
Q - Mais les Américains vous ont-ils au moins, déjà informés de ce que leur a dit Mohamed al-Joundi et de l'état de santé dans lequel ils l'ont trouvé ?
R - Je ne ferai pas d'autre commentaire sur ce sujet.
Q - Depuis la cassette vidéo que vous avez remise aux familles et qui date du 3 octobre, pouvez-vous nous dire, au moins, si vous avez reçu des preuves, des signes certains que Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont toujours vivants ?
R - Depuis cet enlèvement, nous avons obtenu, vous le savez puisque certaines ont été ou sont publiques, un certain nombre de preuves de vie et c'est d'ailleurs ce que nous demandons à tous les interlocuteurs qui se mettent en rapport avec nous et qui essaient d'être utiles. Nous avons obtenu un certain nombre de preuves de vie, je vous remercie de comprendre que pour la sécurité de vos deux confrères, nous avons besoin de travailler dans la discrétion.
Q - Ce sera, je vous le promets, ma dernière question. Mais comprenez-nous aussi, d'ailleurs mercredi, le Premier ministre lui-même se disait inquiet, en précisant que la région où se trouvaient les otages était en situation de guerre, dans le triangle sunnite disait-il. Peut-on en déduire que nos deux confrères sont, comme leur chauffeur l'était, dans cette même région de Falloujah ?
R - Je ne peux pas confirmer ce point.
Q - Parlons de la Côte d'Ivoire, on sait que, de toute façon, un ministre des Affaires étrangères est en charge de tous les Français qui sont à l'étranger ou qui y vivent. J'ai annoncé le chiffre de 2.000 Français rapatriés. C'est le dernier bilan officiel. Aujourd'hui, à combien en êtes-vous ?
R - Au moment où nous parlons, ce matin, ce sont 2.600 Français qui ont été rapatriés sur des vols affrétés par le ministère des Affaires étrangères et, parmi les 1.400 autres citoyens européens qui ont été rapatriés par d'autres vols, notamment des vols européens affrétés par nos pays voisins et amis que je veux remercier, il y a également un grand nombre de Français. Au total, près de 4.000 personnes sont revenues, probablement pour beaucoup définitivement, de Côte d'Ivoire.
Je veux dire le sentiment de solidarité et d'émotion que nous ressentons quotidiennement, personnellement en entendant les témoignages de tous ces Européens, de tous ces Français, sur les exactions scandaleuses dont ils ont été victimes, les violences. Je veux dire aussi un mot de remerciement à tous ceux qui, en Côte d'Ivoire et ici à Paris, accueillent ces Français et les accueillent bien.
Q - Pardonnez-moi de vous poser la question aussi directement, mais celle-là aussi se pose : à la connaissance du Quai d'Orsay, combien de femmes, ces derniers jours, ont été violées ?
R - Les enquêtes diront précisément quelle est l'ampleur, la gravité de ces exactions. Nous savons en tout cas qu'un certain nombre de femmes ont été l'objet de ces sévices et le président de la République lui-même a dit à quel point ils étaient scandaleux et inadmissibles; il faudra d'ailleurs que les coupables rendent des comptes.
Q - Plusieurs dizaines ?
R - Je ne peux pas dire ces chiffres, ne me demandez pas des chiffres que les enquêtes devront déterminer.
Q - Mais maintenant que l'on commence à comprendre ce qui s'est réellement passé, pouvez-vous encore croire à une solution politique de la crise en Côte d'Ivoire ?
R - Mais quelle autre solution qu'une solution politique peut-on imaginer, sinon la violence qui continuerait ou qui se développerait ? J'entends dire que les Accords de Marcoussis sont morts. Qu'est-ce que c'était Marcoussis en janvier 2003 ? C'était la tentative que ce pays, coupé en deux, se réconcilie, comme l'a encore appelé de ses voeux le président de la République hier. Les hommes politiques, qui ont en charge, en Côte d'Ivoire, l'avenir de leur pays, M. Gbagbo, M. Soro, M. Ouattara, M. Bédié et d'autres encore, assument leur responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations de jeunes Ivoiriens.
Q - Laurent Gbagbo, dans une interview au Washington Post, va maintenant jusqu'à mettre en doute la mort des neuf soldats français. "Je n'ai pas vu de cadavres, je n'ai rien vu" dit-il. C'est avec cet homme-là que vous voulez faire un accord politique en Côte d'Ivoire ?
R - Nous étions, il y a 48 heures, avec le président de la République et les familles de ces neuf soldats auxquels je veux rendre hommage et nous savons bien le drame qui a constitué cette attaque que j'ai qualifiée de délibérée. Je ne sais pas qui a décidé.
Q - Une semaine après, on ne sait toujours pas qui étaient les pilotes et de quel homme ils en ont reçu l'ordre ?
R - Nous avons pensé et nous avons dit que c'était une attaque délibérée d'avions de chasse ivoiriens. Voilà pourquoi le président de la République a immédiatement répliqué en faisant neutraliser tous ces avions pour qu'ils ne portent plus atteinte à la vie de nos soldats.
Q - Le chef d'état-major des armées, le général Bentegeat a dit, hier sur Europe 1, que personnellement, il a bien dit "personnellement", il ne pensait pas que c'était Laurent Gbagbo qui avait donné l'ordre.
R - Mais je viens de vous dire la même chose, nous ne savons pas à quel niveau l'ordre a été donné. En tout cas, quelqu'un a pris la responsabilité de tirer délibérément, après deux passages en rase-mottes, sur ce camp de Français, qui étaient là non pas pour combattre mais pour faire la paix, et finalement de tirer sur ce camp et provoquer neuf morts et des dizaines de blessés.
Q - Sur le fond, comment la France peut-elle continuer à espérer jouer l'arbitre en étant rejetée par toutes les parties ?
R - D'abord, je veux rappeler que la Côte d'Ivoire est et restera un pays ami et que nous resterons un pays ami de la Côte d'Ivoire. Depuis le début dans cette affaire, nous n'avons pas cherché à être seuls, dans un dialogue exclusif avec les Ivoiriens, nous avons cherché à travailler - parce que nous avons une histoire partagée dans ce pays, une langue partagée - avec l'Union africaine, avec les Nations unies.
Hier, au Caire, j'ai eu une discussion avec le président Mbeki, le président d'Afrique du Sud qui est allé en Côte d'Ivoire il y a encore quelques jours, pour essayer de ramener à la raison et au dialogue politique le président Gbagbo et les autres partenaires. Nous ne sommes pas seuls et nous travaillons avec des principes, avec des principes qui sont, en Côte d'Ivoire comme dans d'autres crises, dans les Grands Lacs, à Haïti ou en Irak, les mêmes : la sécurité des populations, la stabilité régionale, la légitimité des institutions et l'intégrité territoriale.
Q - Donc, vous répétez qu'il n'y a pas d'autres solutions que l'entente politique.
R - Mais naturellement, il faut que ces hommes et ces femmes, qui ont en charge le destin de leur pays, je dis bien de leur pays, et l'avenir de ce pays, se mettent autour d'une table pour faire fonctionner des institutions et trouver une solution politique.
Q - Hier au Caire, vous représentiez la France aux obsèques officielles de M. Arafat, avec des chefs d'Etat et de gouvernement, avec des ministres, mais sans le peuple qui n'a pu montrer son émotion qu'au moment de l'inhumation en entrant dans Ramallah. Hier à Washington, aux côtés de Tony Blair, George Bush a dit qu'il croyait possible un Etat palestinien d'ici la fin de son mandat, en 2009. Le croyez-vous ? Et, pour vous, est-ce la première bonne nouvelle de l'après-Arafat ?
R - Oui, je le crois, car le président Bush a déjà dit cela. Le plus tôt sera le mieux, avant même peut-être la fin de ce mandat, je crois qu'il est possible de créer, peut-être même dans des frontières temporaires, cet Etat palestinien qui est une des conditions de la paix et de la sécurité pour tous les pays de cette région et en particulier pour Israël. Je rappelle d'ailleurs que la Feuille de route, sur laquelle nous sommes tous d'accord, fixe clairement l'objectif de ces deux Etats, un Etat d'Israël vivant dans la sécurité...
Q - Et avant 2009 ?
R - Le plus tôt possible, le plus tôt sera le mieux et je pense que c'est possible d'aller plus vite. Il y a aujourd'hui une nouvelle page à écrire, une page qui passe d'abord par des élections en Palestine.
Q - Est-il possible d'organiser des élections en Palestine dans les 60 jours, comme le prévoit la Constitution palestinienne ?
R - C'est possible et c'est nécessaire. Naturellement, il faudra la coopération de l'Etat d'Israël pour faciliter les opérations électorales, compte tenu de ce que sont les Territoires palestiniens, mais c'est possible et c'est nécessaire. C'est la première étape sur cette nouvelle page.
Ensuite, il y a la paix, le dialogue politique, la cessation des violences et cette Feuille de route à laquelle nous tenons et que le président Bush, Tony Blair qui parle en dirigeant européen, les Russes, les Européens unanimes, sont décidés à mettre en oeuvre.
Q - Michel Barnier, il y a quelques jours, vous avez publié à la Une du Monde "Lettre à un ami américain" où vous souhaitiez des actions communes ou complémentaires de l'Europe et des Etats-Unis au Proche-Orient.
R - En voilà une, en voilà une et qui était la première.
Q - Vous citiez aussi, Michel Barnier, l'Afrique. Lorsque vous voyez Laurent Gbagbo se tourner sans cesse vers les Etats-Unis, par exemple, lui demander de reporter le vote qui doit avoir lieu au Conseil de sécurité, ne vous arrive-t-il pas de vous interroger sur le jeu des Etats-Unis en Côte d'Ivoire ?
R - J'ai eu le secrétaire d'Etat, Colin Powell, en plein coeur de cette crise de Côte d'Ivoire, pour exprimer sa solidarité avec la France, son émotion à la suite de l'agression dont neuf soldats Français ont été victimes, et le propos de Colin Powell était extrêmement clair, la solidarité américaine et d'autres pays du Conseil de sécurité n'a pas fait défaut, immédiatement, dans cette crise. Et, pour revenir au Proche-Orient qui est, pour notre génération, l'enjeu principal, le devoir de notre génération est de faire repartir le Processus de paix entre Israéliens et Palestiniens par leur dialogue et par la politique plutôt que par la violence ; je pense qu'il y a là un chantier urgent, prioritaire pour les Américains et pour les Européens, ensemble.
Q - Les agences reprennent déjà vos propos, Paris n'a pas de contact direct avec les ravisseurs des otages français, Paris n'a plus ou n'en a jamais eu ?
R - Nous avons eu des contacts indirects et nous essayons de reprendre ces contacts. Encore une fois, et même si c'est difficile, même si vos auditeurs se disent que le ministre ne peut pas ou ne veut pas dire, je continuerai à garder la même ligne jusqu'à la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Je vous remercie et je remercie ceux qui nous écoutent de comprendre que c'est la condition pour leur sécurité et c'est pour moi la priorité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2004)
R - La situation en Irak est extrêmement complexe, difficile et dangereuse et nous n'avons pas de contacts directs avec le groupe qui a enlevé, il y a maintenant très longtemps, trop longtemps, Christian Chesnot, Georges Malbrunot et Mohamed al-Joundi. Les informations que nous avons reçues tout au long de cette longue période ne sont pas directes, elles sont concordantes quelquefois, voilà pourquoi nous pensons qu'ils sont en vie et bien traités et nous ne savions pas précisément s'ils étaient toujours tous les trois ou séparés.
La preuve est faite aujourd'hui - grâce à la libération de Mohamed al-Joundi, dont je me réjouis profondément pour lui, pour ses proches - qu'ils ont été séparés il y a quatre semaines.
Q - Il y a un mois, c'est à peu près le moment où le député Didier Julia affirmait pouvoir les libérer. Peut-il y avoir un lien ?
R - Franchement, ne me demandez pas de faire des exégèses, des commentaires, je n'ai pas la capacité de commenter publiquement toutes les informations et je pense, franchement que la priorité doit rester, jusqu'à leur libération, la sécurité de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Voilà pourquoi, même si ce n'est pas toujours commode, je m'astreins à faire le moins de commentaires possibles ; nous avons besoin de discrétion, nous avons besoin de cette confidentialité pour pouvoir travailler, nouer les fils, établir des contacts et vérifier toutes les informations que nous recevons.
Q - Mais les Américains vous ont-ils au moins, déjà informés de ce que leur a dit Mohamed al-Joundi et de l'état de santé dans lequel ils l'ont trouvé ?
R - Je ne ferai pas d'autre commentaire sur ce sujet.
Q - Depuis la cassette vidéo que vous avez remise aux familles et qui date du 3 octobre, pouvez-vous nous dire, au moins, si vous avez reçu des preuves, des signes certains que Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont toujours vivants ?
R - Depuis cet enlèvement, nous avons obtenu, vous le savez puisque certaines ont été ou sont publiques, un certain nombre de preuves de vie et c'est d'ailleurs ce que nous demandons à tous les interlocuteurs qui se mettent en rapport avec nous et qui essaient d'être utiles. Nous avons obtenu un certain nombre de preuves de vie, je vous remercie de comprendre que pour la sécurité de vos deux confrères, nous avons besoin de travailler dans la discrétion.
Q - Ce sera, je vous le promets, ma dernière question. Mais comprenez-nous aussi, d'ailleurs mercredi, le Premier ministre lui-même se disait inquiet, en précisant que la région où se trouvaient les otages était en situation de guerre, dans le triangle sunnite disait-il. Peut-on en déduire que nos deux confrères sont, comme leur chauffeur l'était, dans cette même région de Falloujah ?
R - Je ne peux pas confirmer ce point.
Q - Parlons de la Côte d'Ivoire, on sait que, de toute façon, un ministre des Affaires étrangères est en charge de tous les Français qui sont à l'étranger ou qui y vivent. J'ai annoncé le chiffre de 2.000 Français rapatriés. C'est le dernier bilan officiel. Aujourd'hui, à combien en êtes-vous ?
R - Au moment où nous parlons, ce matin, ce sont 2.600 Français qui ont été rapatriés sur des vols affrétés par le ministère des Affaires étrangères et, parmi les 1.400 autres citoyens européens qui ont été rapatriés par d'autres vols, notamment des vols européens affrétés par nos pays voisins et amis que je veux remercier, il y a également un grand nombre de Français. Au total, près de 4.000 personnes sont revenues, probablement pour beaucoup définitivement, de Côte d'Ivoire.
Je veux dire le sentiment de solidarité et d'émotion que nous ressentons quotidiennement, personnellement en entendant les témoignages de tous ces Européens, de tous ces Français, sur les exactions scandaleuses dont ils ont été victimes, les violences. Je veux dire aussi un mot de remerciement à tous ceux qui, en Côte d'Ivoire et ici à Paris, accueillent ces Français et les accueillent bien.
Q - Pardonnez-moi de vous poser la question aussi directement, mais celle-là aussi se pose : à la connaissance du Quai d'Orsay, combien de femmes, ces derniers jours, ont été violées ?
R - Les enquêtes diront précisément quelle est l'ampleur, la gravité de ces exactions. Nous savons en tout cas qu'un certain nombre de femmes ont été l'objet de ces sévices et le président de la République lui-même a dit à quel point ils étaient scandaleux et inadmissibles; il faudra d'ailleurs que les coupables rendent des comptes.
Q - Plusieurs dizaines ?
R - Je ne peux pas dire ces chiffres, ne me demandez pas des chiffres que les enquêtes devront déterminer.
Q - Mais maintenant que l'on commence à comprendre ce qui s'est réellement passé, pouvez-vous encore croire à une solution politique de la crise en Côte d'Ivoire ?
R - Mais quelle autre solution qu'une solution politique peut-on imaginer, sinon la violence qui continuerait ou qui se développerait ? J'entends dire que les Accords de Marcoussis sont morts. Qu'est-ce que c'était Marcoussis en janvier 2003 ? C'était la tentative que ce pays, coupé en deux, se réconcilie, comme l'a encore appelé de ses voeux le président de la République hier. Les hommes politiques, qui ont en charge, en Côte d'Ivoire, l'avenir de leur pays, M. Gbagbo, M. Soro, M. Ouattara, M. Bédié et d'autres encore, assument leur responsabilité vis-à-vis des nouvelles générations de jeunes Ivoiriens.
Q - Laurent Gbagbo, dans une interview au Washington Post, va maintenant jusqu'à mettre en doute la mort des neuf soldats français. "Je n'ai pas vu de cadavres, je n'ai rien vu" dit-il. C'est avec cet homme-là que vous voulez faire un accord politique en Côte d'Ivoire ?
R - Nous étions, il y a 48 heures, avec le président de la République et les familles de ces neuf soldats auxquels je veux rendre hommage et nous savons bien le drame qui a constitué cette attaque que j'ai qualifiée de délibérée. Je ne sais pas qui a décidé.
Q - Une semaine après, on ne sait toujours pas qui étaient les pilotes et de quel homme ils en ont reçu l'ordre ?
R - Nous avons pensé et nous avons dit que c'était une attaque délibérée d'avions de chasse ivoiriens. Voilà pourquoi le président de la République a immédiatement répliqué en faisant neutraliser tous ces avions pour qu'ils ne portent plus atteinte à la vie de nos soldats.
Q - Le chef d'état-major des armées, le général Bentegeat a dit, hier sur Europe 1, que personnellement, il a bien dit "personnellement", il ne pensait pas que c'était Laurent Gbagbo qui avait donné l'ordre.
R - Mais je viens de vous dire la même chose, nous ne savons pas à quel niveau l'ordre a été donné. En tout cas, quelqu'un a pris la responsabilité de tirer délibérément, après deux passages en rase-mottes, sur ce camp de Français, qui étaient là non pas pour combattre mais pour faire la paix, et finalement de tirer sur ce camp et provoquer neuf morts et des dizaines de blessés.
Q - Sur le fond, comment la France peut-elle continuer à espérer jouer l'arbitre en étant rejetée par toutes les parties ?
R - D'abord, je veux rappeler que la Côte d'Ivoire est et restera un pays ami et que nous resterons un pays ami de la Côte d'Ivoire. Depuis le début dans cette affaire, nous n'avons pas cherché à être seuls, dans un dialogue exclusif avec les Ivoiriens, nous avons cherché à travailler - parce que nous avons une histoire partagée dans ce pays, une langue partagée - avec l'Union africaine, avec les Nations unies.
Hier, au Caire, j'ai eu une discussion avec le président Mbeki, le président d'Afrique du Sud qui est allé en Côte d'Ivoire il y a encore quelques jours, pour essayer de ramener à la raison et au dialogue politique le président Gbagbo et les autres partenaires. Nous ne sommes pas seuls et nous travaillons avec des principes, avec des principes qui sont, en Côte d'Ivoire comme dans d'autres crises, dans les Grands Lacs, à Haïti ou en Irak, les mêmes : la sécurité des populations, la stabilité régionale, la légitimité des institutions et l'intégrité territoriale.
Q - Donc, vous répétez qu'il n'y a pas d'autres solutions que l'entente politique.
R - Mais naturellement, il faut que ces hommes et ces femmes, qui ont en charge le destin de leur pays, je dis bien de leur pays, et l'avenir de ce pays, se mettent autour d'une table pour faire fonctionner des institutions et trouver une solution politique.
Q - Hier au Caire, vous représentiez la France aux obsèques officielles de M. Arafat, avec des chefs d'Etat et de gouvernement, avec des ministres, mais sans le peuple qui n'a pu montrer son émotion qu'au moment de l'inhumation en entrant dans Ramallah. Hier à Washington, aux côtés de Tony Blair, George Bush a dit qu'il croyait possible un Etat palestinien d'ici la fin de son mandat, en 2009. Le croyez-vous ? Et, pour vous, est-ce la première bonne nouvelle de l'après-Arafat ?
R - Oui, je le crois, car le président Bush a déjà dit cela. Le plus tôt sera le mieux, avant même peut-être la fin de ce mandat, je crois qu'il est possible de créer, peut-être même dans des frontières temporaires, cet Etat palestinien qui est une des conditions de la paix et de la sécurité pour tous les pays de cette région et en particulier pour Israël. Je rappelle d'ailleurs que la Feuille de route, sur laquelle nous sommes tous d'accord, fixe clairement l'objectif de ces deux Etats, un Etat d'Israël vivant dans la sécurité...
Q - Et avant 2009 ?
R - Le plus tôt possible, le plus tôt sera le mieux et je pense que c'est possible d'aller plus vite. Il y a aujourd'hui une nouvelle page à écrire, une page qui passe d'abord par des élections en Palestine.
Q - Est-il possible d'organiser des élections en Palestine dans les 60 jours, comme le prévoit la Constitution palestinienne ?
R - C'est possible et c'est nécessaire. Naturellement, il faudra la coopération de l'Etat d'Israël pour faciliter les opérations électorales, compte tenu de ce que sont les Territoires palestiniens, mais c'est possible et c'est nécessaire. C'est la première étape sur cette nouvelle page.
Ensuite, il y a la paix, le dialogue politique, la cessation des violences et cette Feuille de route à laquelle nous tenons et que le président Bush, Tony Blair qui parle en dirigeant européen, les Russes, les Européens unanimes, sont décidés à mettre en oeuvre.
Q - Michel Barnier, il y a quelques jours, vous avez publié à la Une du Monde "Lettre à un ami américain" où vous souhaitiez des actions communes ou complémentaires de l'Europe et des Etats-Unis au Proche-Orient.
R - En voilà une, en voilà une et qui était la première.
Q - Vous citiez aussi, Michel Barnier, l'Afrique. Lorsque vous voyez Laurent Gbagbo se tourner sans cesse vers les Etats-Unis, par exemple, lui demander de reporter le vote qui doit avoir lieu au Conseil de sécurité, ne vous arrive-t-il pas de vous interroger sur le jeu des Etats-Unis en Côte d'Ivoire ?
R - J'ai eu le secrétaire d'Etat, Colin Powell, en plein coeur de cette crise de Côte d'Ivoire, pour exprimer sa solidarité avec la France, son émotion à la suite de l'agression dont neuf soldats Français ont été victimes, et le propos de Colin Powell était extrêmement clair, la solidarité américaine et d'autres pays du Conseil de sécurité n'a pas fait défaut, immédiatement, dans cette crise. Et, pour revenir au Proche-Orient qui est, pour notre génération, l'enjeu principal, le devoir de notre génération est de faire repartir le Processus de paix entre Israéliens et Palestiniens par leur dialogue et par la politique plutôt que par la violence ; je pense qu'il y a là un chantier urgent, prioritaire pour les Américains et pour les Européens, ensemble.
Q - Les agences reprennent déjà vos propos, Paris n'a pas de contact direct avec les ravisseurs des otages français, Paris n'a plus ou n'en a jamais eu ?
R - Nous avons eu des contacts indirects et nous essayons de reprendre ces contacts. Encore une fois, et même si c'est difficile, même si vos auditeurs se disent que le ministre ne peut pas ou ne veut pas dire, je continuerai à garder la même ligne jusqu'à la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Je vous remercie et je remercie ceux qui nous écoutent de comprendre que c'est la condition pour leur sécurité et c'est pour moi la priorité.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2004)