Interview de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à France Inter le 8 juillet 2004, sur les effectifs des enseignants, le respect du principe de laïcité et les engagements du gouvernement en favuer de la recherche.

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Média : France Inter

Texte intégral

E. Delvaux-. Le Bac d'abord : ceux qui ont passé l'oral de rattrapage seront fixés aujourd'hui ou demain. Ce bac, quelques experts le jugent, aujourd'hui, obsolète. Pourquoi êtes-vous, au contraire, attaché au maintien du baccalauréat ?
R- "Parce que c'est un examen qui marque à la foi la fin de l'adolescence, qui marque la fin d'une période de la vie, et qui prépare à affronter la suivante. La vie d'adulte est faite de compétitions, elle est faite d'examens permanents, ne serait-ce que les entretiens d'embauche. Et il faut que la jeunesse s'habitue ces confrontations - même si elles sont un peu difficiles - que représentent un grand examen, un grand oral, un grand concours. Et donc voilà, c'est la raison pour laquelle je pense que, même s'il y a des aménagements à apporter, même si l'idée de faire plus de place au contrôle continue est une idée qu'il faut développer, il doit rester un grand rendez-vous comme celui-là parce que c'est utile pour préparer l'avenir."
Q- Concernant les effectifs d'enseignants à l'Education nationale comme dans d'autres ministères, vous aimeriez être épargné par les efforts budgétaires que réclame Bercy. Vous venez de rencontrer N. Sarkozy. Etes-vous parvenu à le convaincre ?
R - "Ce n'est pas que j'aimerais "être épargné", je suis membre d'un Gouvernement qui a une très lourde responsabilité, s'agissant de la réduction du déficit de l'Etat - vous savez, quand on dépense 25 % de plus que les ressources d'un pays, c'est une situation qui ne peut conduire, à terme, qu'à une catastrophe. Ce que je souhaite pour l'Education nationale, c'est simplement que les règles qui s'appliquent soient des règles justes, intelligentes, qui permettent au système de fonctionner. Il y a des domaines dans l'Education nationales, des secteurs où les effectifs baissent. Il faut accepter, dans ces secteurs, que les effectifs des enseignants baissent aussi. Il y a des domaines où les effectifs augmentent ; il faut, là, que nous trouvions des solutions pour qu'il y ait plus d'enseignants devant les élèves. Et d'une manière plus générale, nous avons besoin d'une réforme globale de notre système, car aujourd'hui, si l'on fait bêtement une règle de trois entre le nombre d'enseignants et le nombre d'élèves, il y en a 1 pour 12. En réalité, on sait que la situation est très différente : il y a des enseignants qui ont des classes avec beaucoup d'élèves, qui ont beaucoup de mal à faire face à cette situation, et puis il y en a qui n'ont pas d'élèves devant eux. Et donc, il faut que nous arrivions aussi à faire évoluer les choses dans ce domaine."
Q- Si je vous comprend bien, vous vous voulez en matière d'enseignants et de postes d'enseignants, un peu répartir les effectifs en fonction de la démocratie...
R - "En fonction des besoins."
Q- Cela dit, l'Education nationale représente tout de même 52 % des fonctionnaires. Alors, au moment où la fonction publique doit se serrer la ceinture, ne serait-il pas illogique de penser que cette même fonction publique serait la première concernée ?
R - "Il faut savoir aussi quelles sont les priorités du pays. Si on veut, demain, une croissance renforcée, si la France veut rester au premier plan des grandes puissances industrielles, si la France veut continuer à rayonner, il faut qu'elle ait des jeunes qui soient bien formés. C'est donc un investissement pour l'avenir. Je pense qu'il y a des secteurs de l'appareil de l'Etat où l'effort de rationalisation est plus urgent qu'à l'Education nationale".
Q- Oui mais, chaque ministère tient le même discours, l'armée tient le même discours, tous les ministères défendent leur budget.
R - "Ce sera au Premier ministre et au président de la République d'arbitrer entre les priorités. Mais il sera difficile de considérer que l'Education nationale n'est pas la première des priorités."
Q- Sur l'épineux sujet du voile : l'Union des organisations islamiques de France vient de conseiller aux élèves musulmanes de se présenter à la rentrée prochaine, dans les tenues qu'elles auront choisi de porter. Prenez-vous cela comme une provocation de la part de l'UOIF ?
R - "J'ai lu les déclarations de l'UOIF, elles sont plus contrastées. Au fond, on sent bien qu'une grande partie des représentants de la communauté musulmane en France souhaite que l'intégration soit une réalité, et que les jeunes filles musulmanes se plient à la loi. Et puis, il y a une partie manifestement, qui exprime un avis différent, et qui - comment dirais-je ? - souhaite en découdre avec la République. Il faut que cette partie-là sache que, la République sera intraitable, elle sera d'une fermeté absolue. Cette fermeté ne sera pas stupide, c'est-à-dire que nous allons dialoguer avec ces jeunes filles pour qu'elles comprennent les raisons pour lesquelles on leur demande de ne pas porter le voile à l'école. Mais personne ne doit se tromper - et j'y veillerai personnellement - : il n'y aura pas d'exception. La République sera ferme !"
Q- Et les chefs d'établissement auront dans ce cas un rôle primordial, vous leur mettez beaucoup de pression sur les épaules...
R - "Ils ont un rôle primordial. Au fond, je leur ai dit, il n'y a pas longtemps, qu'ils étaient un peu les combattants avancés de cette République moderne que nous voulons restaurer. Je pense qu'ils acceptent ce rôle avec une certaine fierté. Parce qu'il correspond pour beaucoup à leur conviction. Et c'est vrai que beaucoup va reposer sur eux."
Q- Tolérance : vous croyez que le message que lancera J. Chirac, aujourd'hui, au Chambon-sur-Lignon, sera entendu jusque dans les cours d'écoles ?
R - "Je le souhaite, parce que, la France fait face, aujourd'hui, à une situation, avec la montée du racisme et de l'antisémitisme, qui sont non seulement une honte pour notre pays - on commence à nous regarder de l'extérieur, parfois en exagérant, mais enfin... -, avec un jugement qui n'est pas acceptable pour le pays des droits de l'homme. Et puis, c'est une situation extrêmement dangereuse pour notre cohésion nationale. Un pays qui ne s'aime pas ne peut pas réussir. Et donc, il faut que nous réussissions à effacer cette montée de l'antisémitisme. On sait que cette montée de l'antisémitisme est d'abord liée aux tensions internationales, mais qu'elle est liée aussi au fait qu'il y a dans notre pays des communautés qui ne se sentent pas bien dans le République, qui ont l'impression d'être rejetées - c'est le cas pour une part de la communauté musulmane. Donc, l'effort d'intégration que nous engageons, et le président de la République va rappeler aujourd'hui, est fondamental pour l'avenir de notre pacte social."
Q- Vous êtes aussi ministre de la Recherche, vous êtes arrivé à ce poste il y a trois mois avec des promesses budgétaires pour calmer la fronde des chercheurs, notamment promesse de 3 milliards d'euros supplémentaires. "Paroles, paroles", disent aujourd'hui les chercheurs qui ne voient rien venir. Ce matin, pouvez-vous les rassurer ?
R - "Non, les chercheurs demandaient des postes en 2004, ils les ont eus. Et l'effort a été considérable, puisque nous avons créé plus de 1 400 postes qui n'étaient pas prévus dans le budget 2004 pour eux. Et en échange..."
Q- Les chercheurs ne sont pas trop inquiets sur les postes, mais sur les promesses budgétaires...
R - "Quand on passe un contrat, il faut respecter les termes du contrat. Pour 2004, mon contrat c'était : créer les postes qu'ils demandaient, et la partie qu'ils devaient, eux, respecter dans ce contrat, c'était engager une réflexion de fond sur une réforme profonde de notre système de recherche publique, car les vraies raisons de la crise du système de la recherche, ne sont pas tant budgétaires ou liées aux postes, que liées à l'organisation de ce système qui est complètement sclérosé. Cette réflexion est engagée, donc, pour l'instant, tout le monde a respecté les termes du contrat,. Il y a des propositions très intéressantes qui viennent d'être faites, notamment sur une organisation beaucoup plus souple des carrières de chercheurs, sur la mise en place de systèmes d'évaluation beaucoup plus exigeants, sur la création d'un comité d'orientation stratégique qui permettrait de définir les grandes orientations nationales en matière de recherche. Donc, maintenant, l'étape à venir, c'est à la fois le budget 2005, dans lequel nous allons respecter les engagements qui ont été pris, et c'est l'accomplissement par les chercheurs du travail de réflexion que je leur ai demandé pour que nous enclenchions une réforme avant la fin de l'année. Autrement dit, je dis aux chercheurs : il n'y aura pas, ou plutôt, les chercheurs disent : il n'y aura pas de réforme de la recherche sans moyens supplémentaires. Et je leur dis : vous avez raison, mais il n'y aura pas de moyens supplémentaires sans réforme de la recherche."
Q- Un mot politique : sur l'UMP et les luttes d'influence liées à la succession d'A. Juppé. Entre la position de J. Chirac, qui ne veut pas qu'un ministre deviennent en même temps président de l'UMP, et celle de N. Sarkozy qui, lui, veut tout prendre, comment vous positionnez-vous ?
R - "D'abord, je crois qu'il n'y a pas de discussion possible. Le président de la République a tranché cette question. C'est son rôle. Il a dit qu'on ne pourrait pas être président de l'UMP et ministre en même temps. Très bien. Dont acte. Cette règle devra s'appliquer pour tout le monde et dans la durée. Et donc, ceux qui feront campagne pour la présidence de l'UMP, devront, s'ils sont élus, quitter le Gouvernement, ce qui n'est pas une règle critiquable en soi. Ce qu'il faudra trouver pour l'avenir, c'est une solution qui permette au Gouvernement et à l'UMP de travailler en parfaite harmonie et en toute loyauté."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouveernement, le 8 juillet 2004)