Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front national, à "Radio classique" le 26 mars 2004, sur les résultats des élections régionales.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

H. Lauretr-. Bonjour M. Le Pen.
- "Bonjour."
Q- Alors, le Front national - le vote Front national - ne profite à personne mais nuit à tout le monde et particulièrement la droite. Le leit motiv vous le connaissez, mais il se vérifie.
R - "A la vérité, le vote Front national profite au Front national. Dans une élection proportionnelle, qui est destinée à désigner des élus qui doivent siéger pendant six ans à l'Assemblée régionale, eh bien le vote Front national, c'est le vote de ceux qui n'approuvent ni la gauche ni la droite dans les politiques très parallèles et, quelquefois même convergentes, qu'elles ont menées depuis 30 ans. "
Q- En toute hypothèse, M. Le Pen, le Front national ne présidera aucune région.
R - "Non, mais il s'en passera et j'aurais pu, je pense, présider la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Mais par un acte tout à fait et totalitaire, le gouvernement français m'a interdit de me présenter en s'appuyant sur des raisonnements dont le moins que l'on puisse dire, est qu'ils sont contestables juridiquement."
Q- Parlons plutôt de l'avenir, si vous le voulez bien. Marine Le Pen, votre fille, a fait un score que beaucoup considèrent comme la traduction d'un échec en Ile-de-France. A quoi attribuez-vous ce recul, en tout cas ?
R - "Non mais c'est faux, c'est un recul par rapport à 1998 et par rapport à l'élection présidentielle, si on veut, mais qui n'est pas du tout comparable. Mais en revanche, si on la compare avec les dernières élections, c'est-à-dire les élections législatives et les élections municipales, c'est un progrès considérable. C'est vrai que l'Ile-de-France n'a jamais été favorable au Front national. Il y a 5 500 000 fonctionnaires en France, il doit bien y en avoir 3 000 000 dans la région parisienne, ce qui explique d'ailleurs..."
Q- C'est l'explication, selon vous ?
R - "Je pense que ça peut en être une, en tout cas ça explique pourquoi la gauche a encore des positions dans cette région."
Q- Et est-ce que ça ne traduit pas, tout simplement, le fait que votre discours, votre implantation et plus généralement les valeurs que vous portez, ne font plus florès et que, au fond, vous avez atteint une sorte de...
R - "Non, je vous rappelle d'abord que nous avons gagné 300 000 voix sur le plan national par rapport à 1998..."
Q- Par rapport à 98, mais...
R - "... et que nous sommes des champions indiscutés à l'indice de performance. C'est-à-dire que nous avons des résultats, si on met en haut le résultat et en bas les moyens pour l'acquérir, nous n'avons ni radio, ni télévision, ni soutien d'aucune sorte..."
Q- Vous êtes à la radio ce matin, M. Le Pen.
R - "Oui, c'est vrai, 5 minutes par an, je vous en remercie beaucoup, mais le chien survit des miettes qui tombent de la table des maîtres."
Q- Par rapport à 98, vous avez progressé dans 14 régions, cette progression est d'ailleurs très sensible. On le voit, en Picardie, 4,5 %, dans le Nord-Pas-de-Calais, plus de 2,5 %, vous avez reculé dans huit autres, très nettement, je le disais, en Ile-de-France, mais aussi en PACA. Est-ce que le fait que vous n'ayez pas pu vous présenter en PACA, vous, personnellement, justifie ces 3 % de recul ?
R - "Ah sûrement, sûrement. Ça a cassé la dynamique de la campagne, non seulement sur le plan de la PACA, mais sur le plan national, parce que les électeurs du Front national avaient tout de même rêvé de la possibilité de voir le président national diriger une région. Ca aurait été, c'est vrai, un tremblement de terre politique."
Q- Est-ce que c'était véritablement votre aspiration, on n'a pas toujours l'impression que c'est ce que vous souhaitiez ?
R - "Non, ce n'est pas ça, mais une fois qu'on me met hors de cause, je ne vais pas me griffer le visage et me répandre des cendres sur la tête. Je fais autre chose. Je m'oriente d'une autre manière et je continue le combat, sans avoir des pleurs dans les yeux. Mais il n'en reste pas moins que cela a été un acte, je crois, décisif, qui explique en tous les cas, sinon le recul, je le rappelle aussi d'autre part, que M. Muselier disposait de 1 400 élus dans cette région, qu'il y a 38 députés sur 40, qu'il y a 12 sénateurs sur 14..."
Q- Parlons de M. Vauzelle qui est en meilleure position en meilleure posture que M. Muselier, manifestement...
R - "Non mais il y a un maillage, si vous voulez, dont je ne dispose pas du tout. Nous avons un maire dans la région, deux conseillers généraux. C'est dire que c'est sans commune mesure. Et nous avons, en face de nous, pour des raisons d'ailleurs toujours inexpliquées, probablement parce qu'indicibles, un front non seulement politique mais social, économique, religieux, etc., inexplicable sauf pour ceux qui..."
Q- Religieux ?
R - "Oui ben oui, de temps en temps, [il y a] un évêque ou un pasteur qui nous voue aux gémonies. Et tout cela, pour une seule raison : c'est que nous sommes nationalistes, c'est que la Nation et ceux qui s'opposent à l'évolution révolutionnaire du monde vers le mondialisme, et c'est pour cela qu'elle est haïe, et le nationalisme est haï. Et nous, les patriotes, nous sommes détestés de ce chef. Voilà la véritable explication que personne n'ose avouer."
Q- Dernier meeting de campagne et ultime exhortation, par exemple, en Ile-de-France, du tandem Copé/Sarkozy, à l'adresse de vos électeurs : " Eh bien voter FN c'est comme si vous faites gagner la gauche, tout simplement ". C'est vrai, c'est vrai.
R - "J'ai cru d'ailleurs que Sarkozy, par un détour de la procédure électorale..."
Q- Vous préférez l'élection de M. Huchon ?
R - "... était devenu candidat parce que j'ai vu les affiches de M. Copé : il y avait Sarkozy/Copé. Alors j'ai pensé que, je ne sais pas, que Sarkozy était entré dans le jeu sans le savoir."
Q- C'est de bonne guerre.
R - "Non ce n'est pas de bonne guerre, ce n'est surtout pas de bonne guerre, légale, parce qu'un candidat est un candidat. Sarkozy n'est pas candidat. Or Sarkozy aujourd'hui, c'est l'apprenti sorcier, le petit apprenti sorcier des urnes. On le met à toutes les sauces, on nous dit : " l'élection n'est pas nationale, pas du tout, pensez donc " et le ministre de l'Intérieur a du faire 35 ou 36 réunions. Il est vrai que c'est l'Attila de poche, lui ; là où il passe, généralement, le vote ne repousse plus, mais ça ne fait rien, on l'envoie quand même toujours..."
Q- Précisez ce que vous voulez dire.
R - "Ben oui, ça veut dire que partout où il est passé, eh bien il n'a pas obtenu les résultats qu'il serait en droit d'obtenir s'il était le personnage mythique qui, avec sa baguette magique, fait changer les choses."
Q- Je réitère ma question : vous préférez au fond la réélection, la reconduction de J.-P. Huchon, par exemple, en Ile-de-France, plutôt que l'arrivée de J.-F. Copé.
R - "Ce serait exactement la même chose. Je rappelle que la dernière fois, M. Huchon a été mis en place par la droite qui avait la possibilité de prendre la région avec notre appui et qui n'en a pas voulu et que pendant la mandature, ils ont voté 98 % des mesures de M. Huchon."
Q- Et qui s'enorgueillit.
R - "Ça m'est parfaitement égal, ce sera pareil, d'autant que l'on s'occupe, là, de repeindre la cuisine alors que le feu est à la maison France. Or, nous, c'est cela qui nous intéresse. Ce qui nous intéresse c'est d'avoir des élus. Cette élection est faite pour avoir des élus régionaux. Le Front national est qualifié pour avoir des élus dans 17 régions. Plus il aura d'élus, plus son opposition démocratique réelle sera forte et utile au pays. "
Q- Plus sa capacité de nuisance, vous disent vos détracteurs.
R - "Capacité de nuisance, on peut dire que la police est une capacité de nuisance pour les gangsters, ça c'est sûr !"
Q- En l'état actuel des choses, vous êtes crédité - alors, je sais ce qu'il faut penser des sondages ou des choses de ce genre, mais...
R - "Oui, des sondages et des attentats, tout cela se mélange, juste avant
les élections..."
Q- C'est-à-dire.
R - "Ah ben, je ne sais pas moi. Il me semble que l'AZF, on va découvrir un jour, quand même, que ce n'est pas par hasard que l'on a parlé de terrorisme, qu'on a mis le pays en état d'alerte, etc..."
Q- Vous êtes en train de dire, J.-M. Le Pen, que c'est une pure manipulation ?
R - "Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la presse, qui hésite entre manipulation et provocation..."
Q- Mais la presse se sert des conjonctures mais vous ?
R - " qui trouve, en tous les cas, très étonnant que tout ceci se produise en période électorale. Et je pense que comme les incendies en Allemagne, les incendies d'hôtels turcs, cela cesse le lendemain de l'élection."
Q- Manipuler l'opinion, on a vu ce que cela a coûté à M. Aznar.
R - "Oui, en effet, parce que l'élection était immédiatement après, là ils ont trois ans devant eux, avant que l'élection ne donne l'occasion au pays de s'en rendre compte, mais dans 15 jours tout cela sera oublié... "
Q- C'est-à-dire.
R - "Hélas."
Q- Hélas ?
R - "C'est que d'ailleurs M. Sarkozy et ses amis, M. Copé, traitent les électeurs du Front national comme des girouettes, en leur demandant leurs voix. Ce qui ne manque pas de cynisme, au même moment où partout où nous sommes en position dominante, si j'ose dire, dans les cantonales, eh bien le RPR, l'UDF, l'UMP, appellent à voter socialiste ou communiste contre les gens du Front national. On se moque du monde !"
Q- Il y a une partie non négligeable de nos électeurs qui, par exemple, en Ile-de-France, se reporteront sur la liste Copé.
R - "Je ne le crois pas, je crois qu'il y aura beaucoup plus, d'ailleurs c'est ce que disait le sondage, beaucoup plus de gens, de Santini, de l'UDF, qui se porteront sur Huchon, plutôt que sur Copé et les gens du Front national..."
Q- C'est sans doute la clef du second tour.
R - "Les gens du Front national, s'ils ne sont pas des girouettes voteront Front national. Ils confirmeront, et ils seront même renforcés par ceux qui ne se reconnaissent ni dans la politique de M. Raffarin, ni dans la politique de M. Hollande."
Q- Quel enseignement, quelle stratégie, J.-M. Le Pen, vous suggère cette élection pour la suite ? parce qu'il faut bien tout de même penser à la suite, jusque et y compris pour vous, sans vouloir vous froisser le moins du monde, je ne sache pas que vous soyez éternel, quelle stratégie...
R - "Moi ni personne. Ni aucun de nous."
Q- Alors quelle stratégie, au fond, pour un Front national qui manifestement a atteint les limites de...
R - "Ah bon, qu'est-ce qui vous fait dire ça ? Manifestement il a atteint ? Non, je ne crois pas du tout. "
Q- C'est ce que suggère...
R - "Je crois que le Front national a une vocation à être majoritaire et à gouverner et il est sur cette route-là, car je voudrais vous faire remarquer que depuis 30 ans, il n'a cessé de progresser, lentement, certes, mais de progresser tout de même. Alors, vous me demandez ce que je vais faire demain ? Eh bien, lundi matin, je commence par campagne européenne qui va durer très peu de temps, elle dure moins de trois mois."
Q- C'est-à-dire ? Qu'est-ce que vous diriez, par exemple, s'agissant des européennes ?
R - "Eh bien je dirais que la France se redonne les moyens de sa souveraineté et de sa puissance, faute de quoi..."
Q- Donc vous êtes un anti... vous êtes contre la Convention, vous êtes contre l'évolution institutionnelle...
R - "Oui, tout à fait. Faute de quoi, tout ce que nous faisons ici en France, en matière électorale, ne sert à rien. Nous désignons des gens qui n'ont pas de pouvoir. Prenons le cas des députés : 85 % des lois qui s'appliquent en France ne sont pas décidées à Paris, par l'Assemblée nationale, mais à Bruxelles par l'Assemblée européenne, alors..."
Q- Et ça, ça vous choque dès lors qu'on construit un espace européen, ça vous choque ?
R - "Je crois qu'il n'existe pas l'espace européen. L'Europe est en retard. Seule l'évolution du monde a conduit au mondialisme, et paradoxalement dans ce mondialisme... "
Q- Et le nationalisme franco-français, vous pensez que c'est l'avenir du monde ?
R- "C'est en tous les cas l'avenir de la France, c'est ce que je crois. C'est que dans cet ensemble mondial, ce village mondial, l'Etat Nation, l'Etat national, reste la structure encore la plus performante pour défendre la liberté, la prospérité, l'identité, la langue, la culture des peuples. La culture, ça ne vous est pas tout à fait indifférent puisque vous êtes Radio Classique."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 mars 2004)