Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à LCI le 15 décembre 2004, sur l'ouverture de négociations en vue de l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne et la réforme constitutionnelle préalable au référendum sur la Constitution européenne.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q. Vous êtes à Strasbourg où le Parlement européen va faire un vote, qui aura valeur consultative, sur les négociations d'adhésion avec la Turquie. Mais précisément, à la veille d'un sommet européen cette fois, qui va décider du coup d'envoi de ces négociations d'adhésion. Le chef de l'Etat va s'exprimer ce soir ; vous-même, qu'attendez-vous, a minima, ou qu'espérez-vous de la prestation de J. Chirac ?
R. J'attends que J. Chirac, d'abord, regarde ce que pense le peuple français. Je crois qu'il est informé, il le sait, il le sent. Il sait, il sent que le peuple français n'est pas favorable à l'entrée de la Turquie. Donc, c'est la première chose. Il faut qu'il nous explique pourquoi lui, en tant que chef d'Etat, conduisant les destinées de la France, il va donner son accord jeudi et vendredi, demain et après-demain, alors que le peuple français n'est pas du tout dans le même état d'esprit. Et puis, la deuxième chose : il va nous expliquer pourquoi, j'espère, il appellera les Français à voter sur la question de la Turquie dans quinze ans, par référendum - je ne sais pas s'il va reprendre cette idée, mais je le suppose -, alors que lui va voter demain et après-demain. Il y a deux catégories de Français : il y a les Français, les citoyens français, et puis celui qu'ils ont élu. Lui a de la chance, il va voter demain et après-demain, et les Français voteront beaucoup plus tard. Tout cela c'est une mascarade. Il faut que J. Chirac prenne conscience - je ne comprends pas sa position - du saut dans le vide que l'Europe va faire dans quelques heures, car ce n'est plus l'Europe, c'est "l'Eurasie", et l'Eurasie ce n'est pas l'Europe !
Q. Mais alors, si précisément, au cours de ce sommet, J. Chirac obtient que soit préservée une alternative à l'adhésion, si d'aventure les négociations présentent cette adhésion comme une chose difficile, est-ce une éventualité qui vous convient, le maintien de cette alternative ?
R. Si vous me passez l'expression, M. Séguillon, c'est "une bidouille". Il est très possible que dans leurs conversations, J. Chirac, M. Erdogan et M. Schröder se soient dit : il faut que l'on en sorte par rapport à nos peuples respectifs, et on va inventer une écran de fumée. Alors pourquoi pas mettre dans le texte, un petit codicille pour calmer les Français... Mais je crois que, fondamentalement, depuis le 6 octobre, la Commission de Bruxelles a donné l'indication majeure, elle a donné le "la", elle a dit : c'est l'adhésion. Et le Conseil va suivre, ce sera l'ouverture pour l'adhésion. Quand vous entrez dans un magasin, quand vous entrez dans un garage pour acheter une voiture, ce n'est pas pour acheter du café en principe ! Alors, évidemment...
Q. Mais vous avez remarqué que la France est quand même relativement isolée dans cette affaire ; il n'y a pratiquement que l'Autriche qui est sur la même position que l'opinion française. Pensez-vous que J. Chirac devrait claquer la porte au sommet de
Bruxelles, demain ?
R. C'est intéressant ce que vous dites : "la France est isolée". Eh bien oui ! On nous fait croire que la France a un pouvoir d'influence énorme en Europe, et on voit bien, on l'a vu avec la nomination, ici, à Strasbourg et Bruxelles, d'un "commissaire steward", M. Barrot. C'est ce que l'on a eu de mieux ; on pensait avoir le pilote, le copilote, on a 'le commissaire steward". Et puis maintenant, on est isolé dans tous les domaines.
Q. Pourquoi dites-vous "un commissaire steward" ?
R. Parce qu'on a le commissaire aux Transports, il est chargé des plans de vols mais ce n'est pas lui qui pilote l'avion - c'est une image, merci de me la faire préciser. Et donc, cela veut dire que M. Barrot est coupeur de citrons, il est autour de M. Barroso - je l'ai encore vu il y a quelques heures -, et voilà. Il tourne la tête comme devant un match de tennis, ce n'est pas lui qui commande. Donc, c'est triste pour la France. Et là, dans cette affaire, J. Chirac a quand même une possibilité : il a le veto. C'est une des dernières fois ! Après, il n'y aura plus de veto avec la Constitution européenne, cela sera à la moulinette majoritaire. Mais là, il y a le veto ! Donc, de grâce, qu'il utilise son veto ! Ce n'est pas honteux de dire que l'entrée de la Turquie dans l'Europe est une folie ! J'ai lu hier une dépêche de l'Associated Press : un sondage Gallup a été fait récemment, très important, en Turquie, le 25 novembre, voici les résultats : 44 % des habitants de la Turquie disent leur désir de quitter la Turquie, de déménager pour chercher du travail en cas d'adhésion. C'est-à-dire qu'il faut bien savoir qu'avec l'adhésion, il n'y a plus de frontières ! C'est-à-dire que la frontière, les nouvelles frontières, c'est l'Irak, la Syrie, etc. Il n'y a plus de frontières ! Donc, la Turquie est un peuple...
Q. Donc, l'argument que vous brandissez, c'est l'immigration ? C'est la crainte ?
R. Il y en a d'autres. Il y en a un tout simple, c'est que la Turquie n'est pas européenne. Mais c'est vrai que c'est un argument qui a été peu utilisé : l'immigration, les délocalisations, tous les déséquilibres que la Turquie va apporter.
Q. Au mois de janvier, il va y avoir un débat à l'Assemblée nationale pour voter une révision constitutionnelle, d'abord pour mettre en compatibilité la Constitution française et la Constitution ou le projet de Traité institutionnel européen, mais aussi pour prévoir un référendum, précisément, sur les nouveaux entrants, dont la Turquie, à partir de probablement 2006 ou 2007, après que la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie seront entrées dans l'Union européenne. Voterez-vous cette révision constitutionnelle ? Voterez-vous ce référendum ?
R. C'est naturellement un écran de fumée, puisqu'il y a un référendum qui arrive, qui est devant nous, et on nous en promet un autre ! Pendant des années on réclamait un référendum et voilà que l'on va en avoir deux : un maintenant, sur la Constitution, et un autre dans quinze ans ! La plupart des Français qui sont consultés, ou ceux que j'entends me disent : "On va profiter du premier pour dire ce que l'on pense de la question de la Turquie". Il faut savoir que, la Turquie a signé - M. Erdogan a signé - le Traité constitutionnel récemment - c'est un beau symbole -, le 30 octobre dernier à Rome. La Turquie a participé à la Convention...
Q. Cela veut dire qu'il en accepte les droits et les devoirs.
R. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu'il y a une étroite imbrication - d'ailleurs, il y a une coïncidence du calendrier - entre la question de la Turquie et la question de la Constitution. On n'a jamais vu qu'un jour, dans l'histoire du monde, un peuple se donne une Constitution, en l'occurrence le soi-disant peuple européen, sans définir son périmètre. C'est absurde ! Et donc, les deux questions sont liées ; donc, le référendum de M. Chirac pour dans quinze ans - "aux calendes turques" si l'on peut dire -, les Français n'y croient pas. Et d'ailleurs, vous voyez que cela ne prend pas. Vous-mêmes, les commentateurs cela vous fait sourire.
Q. Précisément, ce soir, vous allez lancer votre campagne, à la fois en faveur du non à la Constitution et du non à la Turquie. Pour ce qui concerne la campagne sur la Constitution européenne, vous avez écrit au Premier ministre pour souhaiter que soient financés aussi bien les partis ou les formations qui appellent le non, que celles qui appellent au oui. Réponse au Grand Jury RTL-LCI-Le Monde de J.-P. Raffarin : " Je ne suis pas hostile à ce que les partis politiques aient les moyens de faire campagne. Cela n'a pas été le cas jusqu'à présent en matière de référendum. Je rappelle simplement que les finances publiques sont dans un état qui m'oblige à être attentif à toutes les dépenses".
R. Très bien. C'est une bonne réponse.
Q. Cela vous suffit-il ?
R. C'est-à-dire que j'espère que c'est une réponse positive. La question qui se pose est très simple pour quelqu'un comme moi : vais-je faire la quête dans le métro avec mon harmonica, avec quels moyens vais-je faire campagne ? Avec une souscription ? Oui, c'est ce que l'on va faire mais cela coûte cher les meetings, les déplacements, etc. C'est peu de moyens. La démocratie directe en France n'est pas financée, c'est une lacune que reconnaît le Premier ministre ; la démocratie représentative l'est. Donc, il serait logique qu'il y ait, pour le camp du oui et pour le camp du non, quelques subsides pour, par exemple, envoyer une profession de foi, comme on fait pour toutes les élections.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 15 décembre 2004)