Texte intégral
Conférence de presse du 15 janvier :
Q- MADAME LE MINISTRE - J'ai eu deux entretiens aujourd'hui avec des membres de l'Administration, le premier avec Donald Rumsfeld, comme prévu, et le second avec Condoleezza Rice. Je dois dire que l'atmosphère de ces deux entretiens a été extrêmement agréable, très courtoise, avec une volonté de marquer une attitude des Etats-Unis à l'égard de la France qui était très ouverte, très constructive. D'ailleurs l'entretien avec Donald Rumsfeld nous a permis d'aborder beaucoup de grands sujets - aussi bien l'OTAN, les relations OTAN-Union européenne que l'Afghanistan -. Notre conversation a été particulièrement longue puisque l'on a débordé de plus d'une demi-heure la durée de l'entretien qui avait été prévue.
R- Ensuite, avec Condoleezza Rice, nous avons abordé directement le fait qu'il y avait eu une tension entre nos deux pays au sujet de l'Irak et notre volonté commune de faire en sorte que la situation irakienne redevienne positive aussi bien le peuple irakien lui-même que pour la stabilité de la région d'une façon générale.
Nous avons également traité des questions relatives à l'Afghanistan. Comme avec Donald Rumsfeld, j'ai fait part des observations que m'inspirait mon dernier voyage à la mi-décembre. Nous avons notamment parlé des conditions du déroulement de la Loya Jirga, des perspectives. Condoleezza Rice, comme Donald Rumsfeld, a souligné les problèmes que causaient à plusieurs niveaux le problème de la culture du pavot, le trafic de drogue dans ce pays et le passage des Taliban de part et d'autre de la frontière.
Q- Et puis, nous avons enfin avec Condoleezza Rice évoqué les problèmes de la Côte d'Ivoire. Nous l'avons informée de ce qu'était la situation notamment dans la perspective de l'emploi d'une force des Nations Unies pour assurer la partie " désarmement " des Accords de Marcoussis. Je lui ai fait part de mon impression et du souhait que cette force puisse se mettre le plus rapidement en place.
R- Le Monde de ce soir, je ne sais pas si vous l'avez vu, évoque la possibilité que la France finalement envoie des troupes en Irak dans le cadre d'une décision de l'OTAN ou bien dans le cadre éventuellement d'une force de l'ONU. Est-ce que c'est un sujet dont vous avez parlé ? Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est faux ?
Q- Ce n'est pas le sujet dont nous avons parlé. C'est un sujet qui ne se pose absolument pas. Vous connaissez la position de la France. Elle n'a absolument pas changé.
R- Dans le futur, notamment en matière de formation, qu'êtes-vous prêts à faire ? dans un cadre bilatéral ou bien dans un cadre multilatéral ? Avez-vous annoncé quelque chose à vos interlocuteurs ?
Q- C'est tout à fait prématuré. Nous avons déjà dit depuis pas mal de temps que dès lors que nous passerions à une phase qui serait celle du retour des Irakiens , nous étions bien entendu prêts pour participer à la reconstruction de l'Irak. Pour cette reconstruction, il y a des choses que nous savons particulièrement bien faire, puisque nous les faisons déjà notamment en Afghanistan. Nous le faisons également dans les Balkans, c'est la formation d'une armée nationale, ce sont les formations de police et de gendarmerie. Nous avons dit que nous serions disponibles à une phase, celle que nous souhaitons la plus rapide possible, c'est-à-dire celle de la transition vers un retour de la souveraineté irakienne.
R- Mais nous avons dit que nous le ferions en étroite collaboration avec les Allemands et peut-être d'ailleurs éventuellement avec les Japonais, puisque le Ministre de la Défense japonais que je recevais ce matin à Paris m'a fait part de son souhait de pouvoir participer à une opération de ce genre.
Q- Que disent les autorités américaines quand la France souhaite attendre la date du 1er juillet ? Que c'est trop tard, après la bataille ?
R- Non, pas du tout. Ce n'est pas du doute le sentiment de ce que j'ai entendu. Je crois que les Américains, comme Condoleezza Rice, sont extrêmement intéressés, sont extrêmement reconnaissants à la France de son attitude constructive en ce qui concerne la nouvelle phase dans le cadre de la reconstruction générale de l'Irak. Cela a été dit plusieurs fois, je n'ai pas en tête l'expression exacte, mais ceux qui m'accompagnaient pourraient vous le dire. Et cela leur paraît tout à fait normal. D'abord que cela ne se passe que dans une nouvelle phase, après le 1er juillet puisque c'est la date qui a été annoncée et répétée par eux au cours de cet entretien, notamment dans les domaines où effectivement notre expérience est reconnue.
Q- La formation de la police se ferait-elle en Irak, sur place, ou en Jordanie ?
R- Les Allemands, qui ont avancé sur ce projet, sont plutôt pour une formation qui, à l'origine, devait se tenir aux Emirats Arabes Unis et pourrait avoir lieu en Jordanie.
Q- Cette aide que vous proposez représenterait un investissement de quel ordre ?
R- Dans les domaines de la formation, c'est trop tôt aujourd'hui pour le dire avec précision. En Afghanistan, par exemple, nous avons 50 militaires qui font le travail. Cela dépend des besoins, cela dépend des participants, cela dépendra des circonstances.
Q- Un accord avec l'autorité souveraine irakienne après le 1er juillet pour une action de formation interviendra-t-il dans le cadre bilatéral, onusien ou dans celui de l'OTAN ?
R- Pour nous, cela se fait dans un cadre où nous avons besoin effectivement de la demande du gouvernement irakien et ensuite il y aura plusieurs pays qui participeront ensemble. Moi, je la vois plutôt bilatérale.
Q- Est-ce que vous avez évoqué d'autres contrats, proposés à la France et auxquels la France pourrait répondre ?
R- Pas dans le cadre de ces entretiens dans le domaine de la défense. Mais vous savez que ce sont des sujets qui ont déjà été évoqués et je crois que c'est d'ailleurs le Président Bush qui a, il y a quelques jours, fait part d'une éventuelle participation de la France
Q- Il n'y a pas eu de précision à l'occasion de ces rencontres ?
R- Je n'en ai pas demandé parce que c'est un peu en dehors des contacts qui ont été faits par ailleurs. Nous avons parlé de choses très concrètes en ce qui concerne les domaines de la défense.
Q- Vous avez dit que Donald Rumsfeld était très ouvert et détendu. Quels signes, quels mots a-t-il employés qui vous ont conduit à cette conclusion ?
R- Je ne peux pas citer de signes ou de mots précis. C'est plus d'une façon générale, une attitude. Et notamment la discussion très approfondie que nous avons eue, par exemple, sur la défense européenne et sur les relations de la défense européenne et de l'OTAN. Cela est un point très positif. Ensuite, il y a toute l'insistance qu'il a mise à se réjouir de l'action de la France menée aux côtés des Etats-Unis en Afghanistan et dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons évoqué très précisément le travail des forces spéciales. Lui même a rappelé que c'était d'ailleurs dans la continuation de ce qui s'était fait depuis des années, que ce travail de lutte contre le terrorisme était une coopération ancienne. Il a aussi rappelé l'excellence du travail des forces spéciales dont il a, à nouveau, félicité la France.
Q- Sur la discussion avec Donald Rumsfeld, notamment sur la défense européenne, néanmoins quand Rumsfeld est venu à Bruxelles en novembre dernier à l'OTAN il a manifesté toute désapprobation sur la construction de l'Union européenne de la défense et notamment d'un QG autonome. Est-ce que le fait que les discussions soient ouvertes signifie qu'il est plus compréhensif à l'égard de cette défense européenne?
R- C'est tout à fait le sentiment. Et c'est justement en comparaison avec son attitude du mois de novembre que j'ai trouvé effectivement une attitude beaucoup plus ouverte, beaucoup plus compréhensive et une vraie discussion que nous avons eue : depuis quand finalement peut-on considérer que l'Europe de la défense existe ? Sur l'attitude d'un certain nombre de pays européens notamment quant au problème de leurs capacités. Comment l'Europe pouvait amener ces pays à faire l'effort nécessaire que Donald Rumsfeld leur demande depuis longtemps? Sur notre commune appréciation ? Sur la déployabilité et l'interopérabilité des forces ?
C'est vrai que, sur un certain nombre de ces points, nous nous sommes retrouvés.
Q- Qu'est-ce qui l'aurait fait évolué en deux mois ?
R- Je pense que c'est peut-être l'Ambassadeur qui pourrait vous le dire, parce qu'il a un contact permanent avec les autorités américaines. Il y a, je crois depuis quelque temps, une évolution générale de l'Administration américaine et une vraie volonté de tourner la page. Je crois qu'ils souhaitent reprendre des relations qui soient des relations positives et, je dirais, des relations normales.
Q- Est-ce que cette bonne disposition pourrait aller jusqu'à accepter un rôle majeur, plus important dans les décisions ou le processus décisionnel de l'OTAN, comme le Président Chirac lors des ses vux militaires avait évoqué la propre évolution de la France à l'égard notamment de la force de réaction rapide et de souhaiter que cette contribution soit reconnue et donc que la France ait un rôle majeur, plus important ?
R- J'ai trouvé en la matière aussi que les réponses étaient beaucoup plus positives et en tous les cas, avec moins d'objections que celles qui avaient été promulguées il y a plusieurs mois.
Q- Mais cette évolution de point de vue sur la défense européenne n'est-elle pas due plus à l'influence des Britanniques qu'à une volonté de faire plaisir à la France ?
R- Je pense que les Britanniques ont fait évoluer la position essentiellement sur un point, sur la cellule de planification des deux commandements. J'ai l'impression que là aussi, la page a été tournée, et que c'est accepté comme quelque chose d'existant. Il fallait ensuite essayer de faire en sorte, comme nous l'avons toujours dit, d'éviter toute duplication inutile et d'autre part, rassurer la clarté de communication entre nos institutions. Cette clarté de communication implique effectivement qu'il y ait une volonté de dialogue. Comme je vous le disais au début, c'est toute une série de petits faits qui, ajoutés à une attitude générale et une ambiance générale, donnent un vrai sentiment que les choses ont évolué.
Q- MONSIEUR L'AMBASSADEUR - Madame le Ministre, en un mot, je crois qu'on peut dater la volonté de tourner la page aux propos que le Président Bush a tenus devant la presse exactement le 15 décembre en réponse à une question et après avoir cherché ses mots, il a dit : " messieurs les journalistes, vous venez de parler de la France et de l'Allemagne, eh bien, je veux vous dire. (Et là, on a eu le sentiment qu'il présentait une vision qui avait été mûrement réfléchie et qui peut se résumer en un mot) : nous avons eu une vraie différence, la volonté est de tendre la main, et je sais que de l'autre côté, la même volonté existe et nous devons bâtir ensemble ". Et les mêmes mots ont été utilisés la veille par James Baker au moment où il partait pour Paris. Vous savez qu'il a commencé cette tournée par un déplacement en France, donc c'était visiblement une sorte de moment choisi par le Président des Etats-Unis pour annoncer, signaler une volonté de modification en positif du ton et du fond de la relation avec la France et l'Allemagne. Et depuis, nous voyons s'égrainer de semaine en semaine ces signaux positifs, et le séjour du Ministre de la Défense, la première visite ministérielle de l'année, confirme totalement ces signaux positifs, en traitant de la substance.
Q-Mais, est-ce que vos propos rassurants ne sont pas contredits par les faits quand même ? Quand les Etats-Unis apportent un soutien appuyé, par exemple, au projet japonais sur Iter, est-ce que ce n'est pas une façon de sanctionner un peu la France ?
R- Sur ce sujet, je ne crois pas. Je crois que le fait que les Etats-Unis veulent tourner la page et se rapprocher de la France ne veut pas dire qu'ils vont renoncer à leurs intérêts nationaux notamment économiques. Et leurs intérêts économiques sont aujourd'hui beaucoup plus tournés vers le Japon que vers l'Europe. Sous cet angle là, il faut voir beaucoup plus que des interprétations disant que l'on cherche à punir la France. Je crois que c'est tout simplement le fait que les Etats-Unis ne perdent jamais le sens de leurs intérêts économiques. Je dirais qu'à la limite c'est normal, de la même façon que nous le faisons aussi. C'est quand même un des ressorts fondamentaux de la politique américaine, voire de la politique internationale.
Q- Avez-vous parlé d'Iter ?
R- Non pas du tout.
Q- Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de la qualité des entretiens avec Donald Rumsfeld ? Et avec Condoleezza Rice, qu'est-ce qui vous a permis de penser qu'ils étaient plus chaleureux qu'il y a dix mois ?
R- Il y a treize mois. Là aussi, dans la qualité des discussions et dans l'approbation très nette et chaleureuse de l'attitude et de l'analyse de la France, aussi bien quand ils parlaient de l'Irak. Bien entendu, pour nous, rien ne pouvait se faire avant le transfert du pouvoir. C'est tout à fait normal, tout à fait naturel. Et ils le comprennent très bien. C'est lorsque nous parlions de l'ensemble des pays de la région. C'est le fait de prendre en considération les analyses de la France qui connaît bien ce monde. Ce sont, là aussi, les remerciements qui peuvent être faits des appréciations très positives de la contribution de la France, notamment en Afghanistan.
Q- Est-ce que c'est plus facile pour un Ministre de la Défense de tourner la page ? Plus facile que pour M. de Villepin ?
R- Je n'ai pas pour habitude de me mettre à la place des autres. J'ai rencontré Donald Rumsfeld il y a trois mois environ. Nous reprenons une relation normale. Ils sont en train de tourner la page, de fermer aussi le sujet
Q- Ce retournement est-il dû au hasard ou à une conjonction favorable compte tenu du fait que l'Amérique entre en année électorale ?
R- Je ne crois pas au hasard. Mais je dirais qu'il y a toute une série de choses. Et il y a le temps. Probablement aussi le fait que certaines vérités sont venues conforter les analyses que nous avons pu faire. Par conséquent, des suspicions de mauvaise foi et d'autres sont tombées d'elles-mêmes. Il y a également sans doute la volonté en Irak même de passer à autre chose, de tourner une nouvelle page, de tourner la page sur le terrain, de la tourner aussi sur le plan diplomatique. Il y a aussi le pragmatisme qui guide les relations entre Etats. Cela fait pas mal de mois que, pour moi, le problème n'est pas vraiment celui des politiques, parce que les politiques sont, par la force des choses, pragmatiques et que nos relations reprennent donc un rythme normal.
A la limite, j'ai été toujours plus inquiète de l'impact que pouvaient avoir certains articles ou propos tenus dans certains medias télévisés, sur l'opinion publique parce que l'on agit sur des durées beaucoup plus longues que les politiques. J'ai toujours pensé qu'avec l'Administration , avec la force des choses, on reviendrait à des relations normales.
Q- Alors, vous pensez que l'on tourne la page de la vieille Europe ?
R- Pourquoi pas ? Rumsfeld déjà, je me demande si ce n'était pas à Bruxelles, avait dit il n'avait pas voulu opposer les jeunes qui seraient dynamiques aux vieux qui seraient passéistes. Il faisait référence à la culture.
Q- Sur la Côte d'Ivoire, avez-vous parlé de la date du 4 février ? Est-ce que vous avez aussi demandé à vos interlocuteurs pourquoi ils étaient plutôt favorables à 4 000 hommes, ils étaient un peu réticents ?
R- Ceci n'a pas été du tout évoqué. Le nombre d'hommes n'a pas été évoqué. Ce n'est pas avec moi d'ailleurs qu'il doit l'être, mais avec les Nations Unies. En revanche, j'ai insisté sur la date du 4 février auprès de Condoleezza Rice, en lui disant que j'avais vraiment l'impression que nous étions dans un créneau de temps dont il fallait profiter pour aller de l'avant.
Q- Avez-vous senti des réticences ? Avez-vous des bons espoirs sur un nouveau mandat de l'ONU ?
R- Condoleezza Rice m'a dit qu'elle allait regarder cela de très près.
Q- Sur l'Afghanistan, lors de votre entretien avec Mme Rice, est-ce que vous avez ressenti une inquiétude de sa part sur le déroulement de la Loya Jirga ? Est-ce que vous en avez parlé ?
R- Je l'ai trouvée extrêmement optimiste sur la Loya Jirga, considérant que c'est une nouvelle avancée démocratique dans ce contexte. Rien que le fait que les gens aient discuté pendant des semaines en aboutissant à un résultat, était une chose extrêmement encourageante. Elle m'a d'ailleurs fait part d'un certain nombre de choses que je ne connaissais pas, et qui sont intéressantes sur le déroulement de la Loya Jirga, avec une pression de la base sur les dirigeants, les seigneurs de la guerre le dernier jour. Sur ce plan là, elle est plutôt optimiste, sans se cacher évidemment qu'un certain nombre de Taliban ont repassé la frontière du Pakistan et que probablement aussi, des éléments d'Al Qaïda se retrouvent de nouveau sur le terrain. Cela veut dire qu'il y a du travail à faire. Mais nous sommes convenues que notre présence pour aider à la reconstruction de ce pays, pour éradiquer les problèmes du terrorisme, et pour lutter contre la drogue, c'est essentiel.
Q- Est-ce qu'elle attend plus de la France en Afghanistan ?
R- Elle considère que la France, et elle me l'a dit, faisait un gros effort.
Q- Est-ce qu'elle vous a demandé plus ?
R- Non. Je viens de vous le dire. Elle considère que la France - à travers ces trois actions : la FIAS, la formation des militaires et la présence des forces spéciales -, était un des pays qui faisaient le plus. Elle m'a remerciée, et notamment la France, tout en disant qu'il faudrait que les pays qui sont tellement favorables à l'extension de la FIAS en fassent un peu plus, surtout si l'on veut étendre la FIAS en dehors de Kaboul. C'est l'analyse que nous faisons en commun avec Donald Rumsfeld. Merci.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Entretien avec France 2 le 16 janvier :
Q- France 2 :
Quels signes ostensibles laissent penser qu'une page est tournée dans les relations entre Américains et Français ?
R- Michèle Alliot-Marie :
Tout d'abord les déclarations des gens que j'ai rencontrés et qui, quasiment sous cette forme, ont exprimé cette volonté. D'autre part le fait de l'attitude, de l'examen en commun des situations sur lesquelles des coopérations sont possibles, et même nécessaires, qu'il s'agisse de l'Afghanistan, qu'il s'agisse d'autres domaines.
Q- La coopération militaire continuera à se développer avec les Américains.
R- En matière militaire les relations ont toujours été excellentes. Nous travaillons ensemble efficacement dans la lutte contre le terrorisme ; les échanges entre nos services de renseignement se sont toujours faits dans la plus grande clarté et j'ai constaté aussi bien hier à Washington que je l'avais constaté sur le terrain en Afghanistan combien le travail des forces spéciales françaises est apprécié de nos partenaires américains.
Q- Lundi il y a une réunion importante ici à New York pour le retour des Nations unies en Irak. Est-ce que ce sera aussi un moment important pour que la France, à son tour, joue aussi un rôle important en Irak ?
R- La France a toujours marqué sa disponibilité à participer à la reconstruction de l'Irak dès lors que le gouvernement légitime irakien lui en ferait la demande, c'est à dire donc à partir du 1er juillet prochain et d'abord dans des domaines qui sont, si je puis dire, ses domaines d'excellence, d'expérience en tous les cas tels que la formation, par exemple, de la future armée, de la future police irakienne, en liaison avec nos amis et partenaires allemands comme nous le faisons déjà en Afghanistan.
Q- Il s'agit d'un souhait ou des contacts ont déjà été établis ?
R- Nous avons marqué notre disponibilité. Nous en avons parlé avec nos partenaires allemands qui sont très désireux aussi que cette opération puisse se faire en coopération.
Q- La France souhaite que les Nations unies puissent revenir au plus vite en Irak ?
R- Absolument. Depuis le début ce que nous souhaitons c'est que la communauté internationale puisse le plus rapidement possible prendre en charge cette situation et, de ce point de vue, nous estimons en effet que cette réunion de lundi prochain est un pas important. ..
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Entretien au Washington Post le 16 janvier :
Q- Washington Post :
Les rapports entre la France et le Pentagone ont été froissés récemment suite à la guerre en Irak avec la participation américaine limitée au Salon international de l'aéronautique et de l'espace de Paris l'année dernière ainsi que les contacts militaires réduits. La France a également été " dés-invitée " du Global Air Chiefs Conference à Washington en septembre dernier. Quel est votre point de vue sur l'état actuel des relations entre le ministère de la Défense et le Pentagone ? Reste t-il des points sur lesquels la relation n'a pas atteint son niveau d'avant guerre ? Les communications portuaires américaines avec la France ont-elles repris ?
R- Michele Alliot-Marie :
Il est vrai que nous avons été en désaccord avec les Etats-Unis au sujet de l'Irak, mais cela ne représente qu'une infime partie de l'ensemble de nos relations. Il est vraiment regrettable que cela ait amené certaines personnes à ignorer les actions militaires que nous conduisons côte à côte à travers le monde.
En Afghanistan, nos hommes participent ensemble à former l'armée afghane et à traquer Al Qaida et les Taliban. Récemment, je me suis rendu compte moi-même de l'étroitesse des relations opérationnelles que nos militaires français ont avec les forces américaines en Afghanistan, en particulier dans le cadre des opérations spéciales. Nous partageons les mêmes risques dans ces actions.
Dans les Balkans, nous sommes présents en Bosnie où nous sommes les seconds plus gros fournisseurs de troupes après les Etats-Unis, ainsi qu'au Kosovo et en Macédoine.
Dans les Caraïbes, nous traquons les trafiquants de drogue ensemble.
Dans la Corne d'Afrique, en Océan Indien, nous travaillons ensemble pour protéger les routes maritimes et combattre les risques liés au terrorisme et à la prolifération.
En ce qui concerne la prolifération, nous jouons un rôle actif dans l'Initiative de Sécurité lancée par les Etats-Unis et c'est ensemble que nous avons pris part aux premières manuvres en Mer de Corail.
Nous sommes attachés au maintien d'un dialogue permanent et de relations étroites entre nos armées afin de préserver leur interopérabilité.
En somme, notre coopération couvre un grand nombre de domaines. Ne laissons pas l'arbre cacher la forêt !
Quant aux escales dans nos ports, il n'y a eu aucune annulation, contre toute attente. Des bâtiments français font régulièrement escale dans les ports américains. La Jeanne d'Arc va effectivement bientôt arriver à Baltimore.
Q- On spécule beaucoup sur l'envoi probable de troupes françaises en Irak dans le cadre d'une mission menée par l'OTAN, avec l'aval de l'ONU. Si et quand le transfert de la souveraineté irakienne a lieu en juin. Cette spéculation est-elle juste ? Quelle serait l'ampleur d'une éventuelle contribution française en Irak ?
R- Il ne doit y avoir aucune ambiguïté: stabiliser l'Irak est dans l'intérêt de tous ; que ce soit, bien sûr pour les Irakiens et pour les habitants du Moyen Orient, mais aussi pour le monde occidental et musulman. La France souhaite participer à la stabilisation et à la sécurisation de l'Irak.
Quelle est la meilleure façon d'y parvenir ? Nous pensons qu'il faut prendre en compte les attentes du gouvernement provisoire irakien vis-à-vis de la communauté internationale, et que la sécurité de l'Irak concerne d'abord et avant tout les Irakiens eux-mêmes. Nous avons proposé d'aider à entraîner les forces armées et de police irakiennes en mettant en place une centre de formation des forces de sécurité, qui pourrait grandement bénéficier de l'expérience de notre gendarmerie. C'est devant le Conseil de Sécurité que devrait être discuté le rôle de la Communauté internationale en Irak, et nous nous sommes déjà déclarés en faveur de l'idée d'un rôle de l'OTAN en Irak.
Q- Dans quelles circonstances la France serait-elle prête à envisager de revenir dans la structure militaire intégrée de l'OTAN ?
R- Cette question n'est, d'une certaine manière, plus d'actualité. L'OTAN s'est en effet engagée dans une réforme en profondeur, que nous soutenons complètement, comme le président Jacques Chirac l'a clairement exprimé lors du Sommet de Prague de novembre 2002 et encore récemment à l'occasion de la cérémonie des vux aux armées à l'Elysée. Notre contribution en soldats à l'OTAN est incontestablement extrêmement importante, et nous sommes prêts à fournir à la nouvelle force de réaction de l'OTAN son deuxième contingent militaire. Nous avons l'intention d'assumer toutes nos responsabilités au sein de l'OTAN, et souhaitons, en toute légitimité, participer à l'élaboration et à la mise en uvre des opérations menées avec les capacités que nous procurons à l'Alliance. C'est également un signal clair de la détermination de la France à assumer pleinement ses responsabilités.
Q- Comment envisagez-vous dorénavant le développement de la Force de Défense Européenne ? Quand sera-t-elle totalement opérationnelle ? Le fait que le siège de cette force soit placée au siège de l'OTAN va-t-il compromettre la volonté initiale de la France de garder cette force européenne indépendante de l'OTAN ?
R- Il faut comprendre une chose : nous avons une ambition naturelle pour l'Europe - l'ambition qu'elle soit un partenaire crédible et robuste des Etats-Unis dans la stabilisation de notre monde dangereux. Il n'y aucun risque de voir des structures européennes militaires s'ériger en doublon de cellules militaires pré-existantes, pas plus qu'il n'y a de compétition. Ce que nous voulons développer, ce sont en effet nos capacités, qui pourront être mises à la disposition de l'Europe ou de l'Alliance. Rivaliser avec les Etats-Unis n'est pas notre ambition. Etre autonome ne signifie pas être concurrent. Nous voulons prendre notre part pour le maintien de la paix dons notre monde multipolaire et nous développer, dans l'intérêt à la fois de l'Alliance Atlantique et de toutes les opérations inintéressantes pour l'OTAN et dont l'Europe pourrait vouloir assumer la responsabilité.
Laissez-moi vous donner deux exemples concrets. L'été dernier, l'Europe a envoyé, à la demande de l'ONU, une force dans l'Est du Congo pour stabiliser la région. Cette opération était une mesure d'urgence, dans un pays où les risques de violence sont extrêmement élevés. Grâce à cette intervention européenne, la stabilisation de la région est envisageable. L'OTAN aura bientôt achevé sa mission en Bosnie, et l'Europe se prépare à l'y remplacer, car de nombreuses tâches doivent encore être accomplies dans cette partie du continent, prioritaire à nos yeux. Un Général français se prépare d'ailleurs à prendre la tête de la force de l'OTAN au Kosovo dès octobre prochain. En quoi y a-t-il rivalité avec les Etats-Unis ou l'Alliance dans ces deux opérations ? Je ne le vois honnêtement pas.
Q- Combien de temps pensez-vous que les troupes françaises resteront en Côte d'Ivoire ?
R- Nous sommes présents en Côte d'Ivoire en plein accord avec les Ivoiriens, sur la base du mandat de l'ONU, pour assister la mise en uvre de l'accord politique pluripartite ivoirien. Ce dernier a reçu la bénédiction de l'Union Africaine et de la communauté internationale. Des soldats africains sont également déployés en Côte d'Ivoire. Je m'y suis rendue en personne le 31 décembre et ai constaté que la situation y évoluait de manière encourageante. Il reste encore beaucoup à faire, en matière de désarmement et pour la démobilisation et le retour à la vie civile des combattants. En ce qui concerne toutes ces tâches, l'ONU a une expertise inégalée, et il serait donc logique qu'elle y déploie une opération de maintien de la paix. J'ai l'intention de débattre de cette question avec Donald Rumsfeld et Kofi Annan, que je rencontrerai durant mon séjour.
Interview réalisée à Paris par Keith Richb
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Discours devant le Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Wahington, le 16 janvier :
Q- Et si l'on renouvelait le partenariat transatlantique ?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse d'être au CSIS aujourd'hui.
Vous le savez, j'aime mes séjours aux Etats-Unis et je suis honorée d'être aujourd'hui au milieu d'une assemblée aussi brillante d'experts des questions internationales et stratégiques.
Après mes entretiens de Washington, je serai demain à New York pour évoquer avec le Secrétaire Général des Nations Unies plusieurs dossiers de l'actualité internationale.
Ce matin, j'ai tenu à être parmi vous pour vous parler du lien transatlantique.
I - L'ETAT DU LIEN TRANSATLANTIQUE
Q- Disons le franchement ; L'année 2003 a été difficile pour tous, pour la relation franco-américaine comme pour les relations transatlantiques au sens large.
R- Bien sûr, c'est l'affaire d'Iraq qui est à l'origine de ces difficultés.
Mais au-delà de cette crise, de nombreux observateurs, des deux côtés de l'Atlantique, s'interrogent sur ce qu'ils appellent la " dérive des continents " et l'affaiblissement du lien transatlantique.
Q- Une divergence transatlantique ?
A l'appui de cette thèse, sont généralement relevées des divergences américano-européennes portant sur :
- L'opportunité de l'emploi de la force armée et les moyens accordés aux armées (cf. la thèse de Kagan) ;
- Le mode de gestion internationale des crises et le rôle des Nations Unies ;
- Les relations avec le monde arabo-musulman ;
- La gestion plus ou moins libérale de l'économie ;
- Et certains facteurs sociaux fondamentaux tels que la place de la religion dans la société, la peine de mort, la responsabilité publique dans la protection sociale, etc.
Pour résumer, certains de nos intellectuels affirment qu'il faut s'habituer à ce que les Etats-Unis, à la population plus jeune et d'origine de moins en moins européenne, suivent une voie spécifique et qu'ils s'éloignent de
l'approche européenne et transatlantique des affaires du
monde.
Certaines différences et évolutions de fond sont en effet indéniables, comme :
- un vieillissement plus marqué de l'Europe. Il influe sur son besoin de préserver au maximum le confort de ses populations grâce à un système avantageux de protection sociale ;
- des expériences historiques et géographiques différentes. Elles peuvent conduire les Européens à rechercher instinctivement le dialogue et le compromis.
- une sensibilité différente à l'égard du monde arabo-musulman, alors que les Américains entendent faire face résolument aux nouveaux défis de sécurité, en particulier depuis le 11 septembre qui marque la fin
de l'illusion d'un pays immunisé contre les risques
extérieurs.
Q- Des différences existent donc.
R- Je crois qu'elles sont cependant exacerbées aujourd'hui par certaines thèses néo-conservatrices radicales, à l'antipode des sensibilités européennes.
Cette situation est-elle appelée à durer ? Quelles seront les leçons tirées de l'affaire iraquienne, mais aussi de la gestion d'autres crises internationales en cours ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.
Q- La France contre le lien transatlantique ?
R- Il y a en revanche un paradoxe à ce que la France soit actuellement stigmatisée, par certains à Washington, comme un adversaire stratégique des Etats-Unis.
Il convient, à cet égard, de se référer à des faits objectifs et à des réalités, sociales, économiques et stratégiques incontestables.
a) La France est, comme les Etats-Unis, un pays riche de sa diversité ethnique et religieuse, même si notre vision des modes d'intégration est historiquement différente.
b) La France est un pays plutôt " jeune " en Europe : les évolutions démographiques négatives y sont moins marquées qu'ailleurs.
c) La France fait - seule en Europe avec le Royaume Uni - un effort important en matière de Défense et de modernisation de ses équipements. Elle a, elle aussi, une tradition d'intervention militaire partout dans le monde. Elle dispose de forces spéciales adaptées à la lutte contre le terrorisme, particulièrement appréciées des militaires américains.
d) Et puis pourquoi l'oublier ? La France est le plus ancien allié des Etats-Unis. Le sang de nos soldats a tant de fois été versé côte à côte et nous célèbrerons ensemble dans quelques mois le 60ème anniversaire du débarquement en Normandie.
Rien ne prédispose la France et les Etats-Unis à diverger dans la phase actuelle, bien au contraire car nous sommes en effet confrontés aux mêmes défis internationaux : la persistance de crises régionales dures, les attaques d'un terrorisme mondialisé, le risque persistant de prolifération des armes de destruction massive, les menaces sur l'environnement, les pandémies, la pauvreté, les mouvements migratoires incontrôlés, la faillite d'Etats de plus en plus nombreux
L'efficacité implique d'agir ensemble sur des bases claires
Q- La vraie question est à mes yeux la suivante : Le moment n'est-il pas venu, pour tous ceux qui partagent les mêmes valeurs fondamentales, de s'asseoir et de discuter de la façon de traiter ensemble tous ces problèmes ?
R- Mais il faudrait d'abord qu'entre nous les choses soient claires et qu'on n'hésite pas à exprimer quelques vérités :
a) Oui, nous souhaitons que notre modèle démocratique devienne la norme dans le monde. Mais nous savons que la démocratie ne se décrète pas et que, pour que la greffe prenne, elle doit prendre en compte les réalités historiques et socio-culturelles des pays où elle s'implante.
Discutons donc ensemble de la manière de mieux la promouvoir !
b) Oui, le terrorisme est une grande menace à la stabilité et au développement du monde. La lutte contre ses auteurs est une priorité nationale et internationale. La France en a souffert bien avant d'autres, ce qui lui donne une véritable expertise en la matière. La coopération entre nos services de renseignement reflète clairement notre souci commun. Mais la lutte contre le terrorisme n'aboutira que si nous nous attaquons aussi aux causes du terrorisme, qui sont les sentiments de frustration face à l'injustice et à la pauvreté. Cette humiliation est exploitée par des fanatiques. Travaillons donc ensemble à éradiquer la violence aveugle mais aussi ce qui peut la susciter !
c) Oui, les Etats-Unis sont la première puissance mondiale et nous sommes heureux que ce soit un pays ami et allié. La France ne cherche absolument pas à contrer systématiquement les Etats-Unis dans le monde ni à diminuer leur influence.
Elle souhaite simplement faire valoir sa vision des choses comme elle respecte celle des autres.
Discutons donc de la façon de tirer le meilleur profit du monde globalisé d'aujourd'hui, tout en préservant la diversité de la planète car c'est une richesse commune.
d) Non, la France n'est ni anti-israélienne ni antisémite. Elle a été l'un des premiers pays à reconnaître Israël et conserve une coopération étroite avec ce pays.
Il y a certes eu des actes antisémites odieux en France. Le Président de la République est particulièrement déterminé sur cette question et le gouvernement très vigilant.
e) En revanche, nous devrions tous être plus à l'écoute du monde arabo-musulman : le sentiment d'injustice et d'humiliation y est en effet très répandu. Il est utilisé par les réseaux terroristes.
A nous donc de montrer de la considération pour sa civilisation, qui est très ancienne : de la compréhension pour ses problèmes, qui sont très réels : de la détermination à régler collectivement le conflit israélo-arabe ; et de la volonté à faciliter son insertion dans la modernité.
Nous devons aider les musulmans modérés à contrer la montée d'un Islam radical, fruit de la faillite de nombreux Etats et de l'exploitation qu'en font des fanatiques assoiffés de pouvoir.
Cela, il est de notre responsabilité commune de le faire ensemble mais chacun avec ses cartes, car il s'agit d'un problème complexe et délicat.
f) Oui, l'Alliance Atlantique est importante pour nous tous. C'est notre garantie collective dans un monde plein d'incertitudes. Nous devons donc continuer à l'adapter pour qu'elle demeure un instrument efficace au service de notre sécurité commune.
Le développement accéléré de l'Europe de la Défense renforcera l'Alliance car il témoigne de la volonté des Européens de mieux assurer leur part de responsabilité
g) Oui, l'ONU est notre maison commune. Elle n'est pas une organisation comme une autre. Elle constitue la norme internationale de référence.
Elle est aussi le lieu du dialogue et de l'action collective. A nous donc de la rendre plus opérante en l'adaptant, dans sa composition et ses missions, aux nouvelles réalités internationales.
h) Oui, le monde devient multipolaire. Ce mot ne devrait pas être considéré comme politiquement incorrect ou agressif à l'encontre des Etats-Unis. Qui ne voit en effet l'émergence de la Chine, de l'Inde, du Brésil ? Qui pourrait ignorer la construction européenne ou la place de la Russie ?
Ces pôles d'influence ne sont pas nécessairement antagonistes. Le monde multipolaire doit au contraire être un monde de partenariats. Et nous devrons veiller au maintien du lien privilégié entre les pôles européen et américain.
Disons le simplement, la seule alternative au monde multipolaire serait le chaos.
II - POUR UNE RELATION TRANSATLANTIQUE FORTE ET RESPONSABLE
Quand on mesure l'ampleur de la tâche à accomplir pour gérer notre planète de manière plus rationnelle et plus juste, l'énergie de chacun n'est pas de trop. Chaque région du monde, chaque pays doit y apporter sa contribution.
Plus que d'autres, les Etats-Unis et l'Europe qui sont à l'origine de la démocratie et des droits de l'homme et qui sont les plus avancés technologiquement, ont une responsabilité particulière. La coopération transatlantique est nécessaire pour l'équilibre du monde.
Face aux difficultés que les Etats-Unis rencontrent dans certaines parties du monde, ils ont besoin du soutien de leurs alliés européens. De son côté l'Europe n'a aucun intérêt à ce que les Etats-Unis se décrédibilisent au Moyen-Orient et adoptent par la suite une politique plus isolationniste. Un retrait américain de la scène internationale pourrait être très préjudiciable à l'Europe, comme cela a été le cas dans le passé.
Dans une perspective plus globale, le monde a besoin d'une alliance occidentale. Ce n'est pas une puissance telle que la Chine, l'Inde ou le Brésil qui s'investira en Afrique ou cherchera à régler le conflit israélo-palestinien. Réinventons donc le lien transatlantique, pour donner un sens à la réorganisation en cours de notre monde globalisé.
Le renouvellement de la relation transatlantique passe par le dépassement des oppositions qui se sont exprimées au cours de l'année 2003. Une nouvelle donne est nécessaire qui pourrait s'articuler autour de deux ambitions partagées :
Q- Une vision commune, des approches complémentaires ?
R- Européens et Américains ont des responsabilités partagées pour construire un monde pacifique : Il s'agit de créer les conditions pour que la majorité de l'humanité puisse accéder aux bénéfices de la modernité et de la stabilité.
Nous entendons, nous Français, inscrire notre action dans une perspective européenne. Les Européens apportent l'exemple d'un travail de rapprochement entre nations autour d'objectifs ambitieux. Ils proposent surtout une méthode, celle de la réconciliation de peuples divisés par l'histoire et celle du partage de la souveraineté au sein d'institutions nouvelles. Ils ont par ailleurs une large expérience des difficultés du processus de modernisation et des spécificités culturelles, en particulier au sein du monde arabo-musulman.
Les Etats-Unis pour leur part donnent l'exemple de la remarquable vitalité de leur société et de leur capacité à inventer le monde de demain dans de nombreux domaines. Ils sont capables de faire preuve d'une grande générosité. Leur disponibilité et leur capacité militaire à s'engager pour maîtriser les facteurs de menace peuvent être un atout majeur lorsqu'elles s'inscrivent dans une démarche collective.
La relation entre les Etats-unis et l'Europe a donc vocation à rester centrale pour les deux partenaires et à constituer un pivot des relations internationales.
Q- Des méthodes d'action compatibles qu'il convient de mieux coordonner
R- Les difficultés que nous connaissons parfois entre nous tiennent le plus souvent à des choix de stratégie dans l'action. C'est donc dans ce domaine que nous devons faire le plus grand effort pour travailler ensemble sans renoncer à être nous même.
a) Nos actions doivent s'efforcer de créer le consensus le plus large possible dans la communauté internationale et dans les opinions publiques. Pour y parvenir, nous devons nous appuyer sur le droit international et nous avons intérêt à tirer tout le parti possible de l'ONU. le G-8 constitue aussi un cadre très utile pour faire émerger un nouveau mode de gouvernance internationale construit autour de responsabilités partagées.
b) L'OTAN constitue l'instrument politique de la relation transatlantique et pas seulement un réservoir de forces de soutien aux coalitions créées en fonction des missions. Elle dispose de nombreux moyens de travailler avec l'UE pour gérer les crises et les défis nouveaux. C'est également un cadre de travail important avec la Russie.
c) L'Union Européenne, s'affirme chaque jour un peu plus sur la scène internationale. Elle est pour vous un partenaire essentiel. Sa réussite renforcera notre efficacité commune. Son échec comme ses divisions nuiraient sérieusement à notre capacité à agir. L'UE dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité et de la défense a vocation à agir avec les Etats-Unis de façon constructive.
CONCLUSION : UN NOUVEL ETAT D'ESPRIT POSITIF A BATIR ENSEMBLE.
Après une période difficile, nous devons donc ensemble - Français, Européens, Américains - retrouver le chemin de l'écoute réciproque dans un esprit d'amitié sereine et de confiance. Des tâches écrasantes nous attendent au niveau mondial en matière de développement, de santé et d'environnement. Nous aurons d'autant plus de chances de réussir que nous travaillerons dans le respect mutuel et de façon complémentaire.
Les progrès récemment enregistrés en matière de non-prolifération avec l'Iran et avec la Libye montrent que la pluralité des approches peut porter ses fruits dans le monde complexe où nous vivons. Une certaine flexibilité dans le rôle dévolu à chacun nous permettra de combiner au mieux les moyens dont nous disposons. Il peut y avoir un espace pour la différence sans que cela signifie déloyauté ou volonté d'affaiblir l'autre.
Nous devons maintenir un dialogue permanent et confiant pour anticiper ensemble les crises et les moyens de les maîtriser. Il n'y aura jamais trop de canaux de communication entre nous. Il faut créer et entretenir un tissu dense de relations d'échanges et de travail.
L'année à venir sera aussi riche en évènements inattendus et en opportunités que celle qui vient de s'écouler. Tirons donc les leçons du passé et tournons nous vers l'avenir. La France le souhaite. Elle croit toujours en notre vieille alliance.
Notre main est tendue. Je suis convaincue que vous la prendrez !
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 janvier 2004)
Q- MADAME LE MINISTRE - J'ai eu deux entretiens aujourd'hui avec des membres de l'Administration, le premier avec Donald Rumsfeld, comme prévu, et le second avec Condoleezza Rice. Je dois dire que l'atmosphère de ces deux entretiens a été extrêmement agréable, très courtoise, avec une volonté de marquer une attitude des Etats-Unis à l'égard de la France qui était très ouverte, très constructive. D'ailleurs l'entretien avec Donald Rumsfeld nous a permis d'aborder beaucoup de grands sujets - aussi bien l'OTAN, les relations OTAN-Union européenne que l'Afghanistan -. Notre conversation a été particulièrement longue puisque l'on a débordé de plus d'une demi-heure la durée de l'entretien qui avait été prévue.
R- Ensuite, avec Condoleezza Rice, nous avons abordé directement le fait qu'il y avait eu une tension entre nos deux pays au sujet de l'Irak et notre volonté commune de faire en sorte que la situation irakienne redevienne positive aussi bien le peuple irakien lui-même que pour la stabilité de la région d'une façon générale.
Nous avons également traité des questions relatives à l'Afghanistan. Comme avec Donald Rumsfeld, j'ai fait part des observations que m'inspirait mon dernier voyage à la mi-décembre. Nous avons notamment parlé des conditions du déroulement de la Loya Jirga, des perspectives. Condoleezza Rice, comme Donald Rumsfeld, a souligné les problèmes que causaient à plusieurs niveaux le problème de la culture du pavot, le trafic de drogue dans ce pays et le passage des Taliban de part et d'autre de la frontière.
Q- Et puis, nous avons enfin avec Condoleezza Rice évoqué les problèmes de la Côte d'Ivoire. Nous l'avons informée de ce qu'était la situation notamment dans la perspective de l'emploi d'une force des Nations Unies pour assurer la partie " désarmement " des Accords de Marcoussis. Je lui ai fait part de mon impression et du souhait que cette force puisse se mettre le plus rapidement en place.
R- Le Monde de ce soir, je ne sais pas si vous l'avez vu, évoque la possibilité que la France finalement envoie des troupes en Irak dans le cadre d'une décision de l'OTAN ou bien dans le cadre éventuellement d'une force de l'ONU. Est-ce que c'est un sujet dont vous avez parlé ? Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est faux ?
Q- Ce n'est pas le sujet dont nous avons parlé. C'est un sujet qui ne se pose absolument pas. Vous connaissez la position de la France. Elle n'a absolument pas changé.
R- Dans le futur, notamment en matière de formation, qu'êtes-vous prêts à faire ? dans un cadre bilatéral ou bien dans un cadre multilatéral ? Avez-vous annoncé quelque chose à vos interlocuteurs ?
Q- C'est tout à fait prématuré. Nous avons déjà dit depuis pas mal de temps que dès lors que nous passerions à une phase qui serait celle du retour des Irakiens , nous étions bien entendu prêts pour participer à la reconstruction de l'Irak. Pour cette reconstruction, il y a des choses que nous savons particulièrement bien faire, puisque nous les faisons déjà notamment en Afghanistan. Nous le faisons également dans les Balkans, c'est la formation d'une armée nationale, ce sont les formations de police et de gendarmerie. Nous avons dit que nous serions disponibles à une phase, celle que nous souhaitons la plus rapide possible, c'est-à-dire celle de la transition vers un retour de la souveraineté irakienne.
R- Mais nous avons dit que nous le ferions en étroite collaboration avec les Allemands et peut-être d'ailleurs éventuellement avec les Japonais, puisque le Ministre de la Défense japonais que je recevais ce matin à Paris m'a fait part de son souhait de pouvoir participer à une opération de ce genre.
Q- Que disent les autorités américaines quand la France souhaite attendre la date du 1er juillet ? Que c'est trop tard, après la bataille ?
R- Non, pas du tout. Ce n'est pas du doute le sentiment de ce que j'ai entendu. Je crois que les Américains, comme Condoleezza Rice, sont extrêmement intéressés, sont extrêmement reconnaissants à la France de son attitude constructive en ce qui concerne la nouvelle phase dans le cadre de la reconstruction générale de l'Irak. Cela a été dit plusieurs fois, je n'ai pas en tête l'expression exacte, mais ceux qui m'accompagnaient pourraient vous le dire. Et cela leur paraît tout à fait normal. D'abord que cela ne se passe que dans une nouvelle phase, après le 1er juillet puisque c'est la date qui a été annoncée et répétée par eux au cours de cet entretien, notamment dans les domaines où effectivement notre expérience est reconnue.
Q- La formation de la police se ferait-elle en Irak, sur place, ou en Jordanie ?
R- Les Allemands, qui ont avancé sur ce projet, sont plutôt pour une formation qui, à l'origine, devait se tenir aux Emirats Arabes Unis et pourrait avoir lieu en Jordanie.
Q- Cette aide que vous proposez représenterait un investissement de quel ordre ?
R- Dans les domaines de la formation, c'est trop tôt aujourd'hui pour le dire avec précision. En Afghanistan, par exemple, nous avons 50 militaires qui font le travail. Cela dépend des besoins, cela dépend des participants, cela dépendra des circonstances.
Q- Un accord avec l'autorité souveraine irakienne après le 1er juillet pour une action de formation interviendra-t-il dans le cadre bilatéral, onusien ou dans celui de l'OTAN ?
R- Pour nous, cela se fait dans un cadre où nous avons besoin effectivement de la demande du gouvernement irakien et ensuite il y aura plusieurs pays qui participeront ensemble. Moi, je la vois plutôt bilatérale.
Q- Est-ce que vous avez évoqué d'autres contrats, proposés à la France et auxquels la France pourrait répondre ?
R- Pas dans le cadre de ces entretiens dans le domaine de la défense. Mais vous savez que ce sont des sujets qui ont déjà été évoqués et je crois que c'est d'ailleurs le Président Bush qui a, il y a quelques jours, fait part d'une éventuelle participation de la France
Q- Il n'y a pas eu de précision à l'occasion de ces rencontres ?
R- Je n'en ai pas demandé parce que c'est un peu en dehors des contacts qui ont été faits par ailleurs. Nous avons parlé de choses très concrètes en ce qui concerne les domaines de la défense.
Q- Vous avez dit que Donald Rumsfeld était très ouvert et détendu. Quels signes, quels mots a-t-il employés qui vous ont conduit à cette conclusion ?
R- Je ne peux pas citer de signes ou de mots précis. C'est plus d'une façon générale, une attitude. Et notamment la discussion très approfondie que nous avons eue, par exemple, sur la défense européenne et sur les relations de la défense européenne et de l'OTAN. Cela est un point très positif. Ensuite, il y a toute l'insistance qu'il a mise à se réjouir de l'action de la France menée aux côtés des Etats-Unis en Afghanistan et dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons évoqué très précisément le travail des forces spéciales. Lui même a rappelé que c'était d'ailleurs dans la continuation de ce qui s'était fait depuis des années, que ce travail de lutte contre le terrorisme était une coopération ancienne. Il a aussi rappelé l'excellence du travail des forces spéciales dont il a, à nouveau, félicité la France.
Q- Sur la discussion avec Donald Rumsfeld, notamment sur la défense européenne, néanmoins quand Rumsfeld est venu à Bruxelles en novembre dernier à l'OTAN il a manifesté toute désapprobation sur la construction de l'Union européenne de la défense et notamment d'un QG autonome. Est-ce que le fait que les discussions soient ouvertes signifie qu'il est plus compréhensif à l'égard de cette défense européenne?
R- C'est tout à fait le sentiment. Et c'est justement en comparaison avec son attitude du mois de novembre que j'ai trouvé effectivement une attitude beaucoup plus ouverte, beaucoup plus compréhensive et une vraie discussion que nous avons eue : depuis quand finalement peut-on considérer que l'Europe de la défense existe ? Sur l'attitude d'un certain nombre de pays européens notamment quant au problème de leurs capacités. Comment l'Europe pouvait amener ces pays à faire l'effort nécessaire que Donald Rumsfeld leur demande depuis longtemps? Sur notre commune appréciation ? Sur la déployabilité et l'interopérabilité des forces ?
C'est vrai que, sur un certain nombre de ces points, nous nous sommes retrouvés.
Q- Qu'est-ce qui l'aurait fait évolué en deux mois ?
R- Je pense que c'est peut-être l'Ambassadeur qui pourrait vous le dire, parce qu'il a un contact permanent avec les autorités américaines. Il y a, je crois depuis quelque temps, une évolution générale de l'Administration américaine et une vraie volonté de tourner la page. Je crois qu'ils souhaitent reprendre des relations qui soient des relations positives et, je dirais, des relations normales.
Q- Est-ce que cette bonne disposition pourrait aller jusqu'à accepter un rôle majeur, plus important dans les décisions ou le processus décisionnel de l'OTAN, comme le Président Chirac lors des ses vux militaires avait évoqué la propre évolution de la France à l'égard notamment de la force de réaction rapide et de souhaiter que cette contribution soit reconnue et donc que la France ait un rôle majeur, plus important ?
R- J'ai trouvé en la matière aussi que les réponses étaient beaucoup plus positives et en tous les cas, avec moins d'objections que celles qui avaient été promulguées il y a plusieurs mois.
Q- Mais cette évolution de point de vue sur la défense européenne n'est-elle pas due plus à l'influence des Britanniques qu'à une volonté de faire plaisir à la France ?
R- Je pense que les Britanniques ont fait évoluer la position essentiellement sur un point, sur la cellule de planification des deux commandements. J'ai l'impression que là aussi, la page a été tournée, et que c'est accepté comme quelque chose d'existant. Il fallait ensuite essayer de faire en sorte, comme nous l'avons toujours dit, d'éviter toute duplication inutile et d'autre part, rassurer la clarté de communication entre nos institutions. Cette clarté de communication implique effectivement qu'il y ait une volonté de dialogue. Comme je vous le disais au début, c'est toute une série de petits faits qui, ajoutés à une attitude générale et une ambiance générale, donnent un vrai sentiment que les choses ont évolué.
Q- MONSIEUR L'AMBASSADEUR - Madame le Ministre, en un mot, je crois qu'on peut dater la volonté de tourner la page aux propos que le Président Bush a tenus devant la presse exactement le 15 décembre en réponse à une question et après avoir cherché ses mots, il a dit : " messieurs les journalistes, vous venez de parler de la France et de l'Allemagne, eh bien, je veux vous dire. (Et là, on a eu le sentiment qu'il présentait une vision qui avait été mûrement réfléchie et qui peut se résumer en un mot) : nous avons eu une vraie différence, la volonté est de tendre la main, et je sais que de l'autre côté, la même volonté existe et nous devons bâtir ensemble ". Et les mêmes mots ont été utilisés la veille par James Baker au moment où il partait pour Paris. Vous savez qu'il a commencé cette tournée par un déplacement en France, donc c'était visiblement une sorte de moment choisi par le Président des Etats-Unis pour annoncer, signaler une volonté de modification en positif du ton et du fond de la relation avec la France et l'Allemagne. Et depuis, nous voyons s'égrainer de semaine en semaine ces signaux positifs, et le séjour du Ministre de la Défense, la première visite ministérielle de l'année, confirme totalement ces signaux positifs, en traitant de la substance.
Q-Mais, est-ce que vos propos rassurants ne sont pas contredits par les faits quand même ? Quand les Etats-Unis apportent un soutien appuyé, par exemple, au projet japonais sur Iter, est-ce que ce n'est pas une façon de sanctionner un peu la France ?
R- Sur ce sujet, je ne crois pas. Je crois que le fait que les Etats-Unis veulent tourner la page et se rapprocher de la France ne veut pas dire qu'ils vont renoncer à leurs intérêts nationaux notamment économiques. Et leurs intérêts économiques sont aujourd'hui beaucoup plus tournés vers le Japon que vers l'Europe. Sous cet angle là, il faut voir beaucoup plus que des interprétations disant que l'on cherche à punir la France. Je crois que c'est tout simplement le fait que les Etats-Unis ne perdent jamais le sens de leurs intérêts économiques. Je dirais qu'à la limite c'est normal, de la même façon que nous le faisons aussi. C'est quand même un des ressorts fondamentaux de la politique américaine, voire de la politique internationale.
Q- Avez-vous parlé d'Iter ?
R- Non pas du tout.
Q- Est-ce que vous pouvez nous donner un exemple de la qualité des entretiens avec Donald Rumsfeld ? Et avec Condoleezza Rice, qu'est-ce qui vous a permis de penser qu'ils étaient plus chaleureux qu'il y a dix mois ?
R- Il y a treize mois. Là aussi, dans la qualité des discussions et dans l'approbation très nette et chaleureuse de l'attitude et de l'analyse de la France, aussi bien quand ils parlaient de l'Irak. Bien entendu, pour nous, rien ne pouvait se faire avant le transfert du pouvoir. C'est tout à fait normal, tout à fait naturel. Et ils le comprennent très bien. C'est lorsque nous parlions de l'ensemble des pays de la région. C'est le fait de prendre en considération les analyses de la France qui connaît bien ce monde. Ce sont, là aussi, les remerciements qui peuvent être faits des appréciations très positives de la contribution de la France, notamment en Afghanistan.
Q- Est-ce que c'est plus facile pour un Ministre de la Défense de tourner la page ? Plus facile que pour M. de Villepin ?
R- Je n'ai pas pour habitude de me mettre à la place des autres. J'ai rencontré Donald Rumsfeld il y a trois mois environ. Nous reprenons une relation normale. Ils sont en train de tourner la page, de fermer aussi le sujet
Q- Ce retournement est-il dû au hasard ou à une conjonction favorable compte tenu du fait que l'Amérique entre en année électorale ?
R- Je ne crois pas au hasard. Mais je dirais qu'il y a toute une série de choses. Et il y a le temps. Probablement aussi le fait que certaines vérités sont venues conforter les analyses que nous avons pu faire. Par conséquent, des suspicions de mauvaise foi et d'autres sont tombées d'elles-mêmes. Il y a également sans doute la volonté en Irak même de passer à autre chose, de tourner une nouvelle page, de tourner la page sur le terrain, de la tourner aussi sur le plan diplomatique. Il y a aussi le pragmatisme qui guide les relations entre Etats. Cela fait pas mal de mois que, pour moi, le problème n'est pas vraiment celui des politiques, parce que les politiques sont, par la force des choses, pragmatiques et que nos relations reprennent donc un rythme normal.
A la limite, j'ai été toujours plus inquiète de l'impact que pouvaient avoir certains articles ou propos tenus dans certains medias télévisés, sur l'opinion publique parce que l'on agit sur des durées beaucoup plus longues que les politiques. J'ai toujours pensé qu'avec l'Administration , avec la force des choses, on reviendrait à des relations normales.
Q- Alors, vous pensez que l'on tourne la page de la vieille Europe ?
R- Pourquoi pas ? Rumsfeld déjà, je me demande si ce n'était pas à Bruxelles, avait dit il n'avait pas voulu opposer les jeunes qui seraient dynamiques aux vieux qui seraient passéistes. Il faisait référence à la culture.
Q- Sur la Côte d'Ivoire, avez-vous parlé de la date du 4 février ? Est-ce que vous avez aussi demandé à vos interlocuteurs pourquoi ils étaient plutôt favorables à 4 000 hommes, ils étaient un peu réticents ?
R- Ceci n'a pas été du tout évoqué. Le nombre d'hommes n'a pas été évoqué. Ce n'est pas avec moi d'ailleurs qu'il doit l'être, mais avec les Nations Unies. En revanche, j'ai insisté sur la date du 4 février auprès de Condoleezza Rice, en lui disant que j'avais vraiment l'impression que nous étions dans un créneau de temps dont il fallait profiter pour aller de l'avant.
Q- Avez-vous senti des réticences ? Avez-vous des bons espoirs sur un nouveau mandat de l'ONU ?
R- Condoleezza Rice m'a dit qu'elle allait regarder cela de très près.
Q- Sur l'Afghanistan, lors de votre entretien avec Mme Rice, est-ce que vous avez ressenti une inquiétude de sa part sur le déroulement de la Loya Jirga ? Est-ce que vous en avez parlé ?
R- Je l'ai trouvée extrêmement optimiste sur la Loya Jirga, considérant que c'est une nouvelle avancée démocratique dans ce contexte. Rien que le fait que les gens aient discuté pendant des semaines en aboutissant à un résultat, était une chose extrêmement encourageante. Elle m'a d'ailleurs fait part d'un certain nombre de choses que je ne connaissais pas, et qui sont intéressantes sur le déroulement de la Loya Jirga, avec une pression de la base sur les dirigeants, les seigneurs de la guerre le dernier jour. Sur ce plan là, elle est plutôt optimiste, sans se cacher évidemment qu'un certain nombre de Taliban ont repassé la frontière du Pakistan et que probablement aussi, des éléments d'Al Qaïda se retrouvent de nouveau sur le terrain. Cela veut dire qu'il y a du travail à faire. Mais nous sommes convenues que notre présence pour aider à la reconstruction de ce pays, pour éradiquer les problèmes du terrorisme, et pour lutter contre la drogue, c'est essentiel.
Q- Est-ce qu'elle attend plus de la France en Afghanistan ?
R- Elle considère que la France, et elle me l'a dit, faisait un gros effort.
Q- Est-ce qu'elle vous a demandé plus ?
R- Non. Je viens de vous le dire. Elle considère que la France - à travers ces trois actions : la FIAS, la formation des militaires et la présence des forces spéciales -, était un des pays qui faisaient le plus. Elle m'a remerciée, et notamment la France, tout en disant qu'il faudrait que les pays qui sont tellement favorables à l'extension de la FIAS en fassent un peu plus, surtout si l'on veut étendre la FIAS en dehors de Kaboul. C'est l'analyse que nous faisons en commun avec Donald Rumsfeld. Merci.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Entretien avec France 2 le 16 janvier :
Q- France 2 :
Quels signes ostensibles laissent penser qu'une page est tournée dans les relations entre Américains et Français ?
R- Michèle Alliot-Marie :
Tout d'abord les déclarations des gens que j'ai rencontrés et qui, quasiment sous cette forme, ont exprimé cette volonté. D'autre part le fait de l'attitude, de l'examen en commun des situations sur lesquelles des coopérations sont possibles, et même nécessaires, qu'il s'agisse de l'Afghanistan, qu'il s'agisse d'autres domaines.
Q- La coopération militaire continuera à se développer avec les Américains.
R- En matière militaire les relations ont toujours été excellentes. Nous travaillons ensemble efficacement dans la lutte contre le terrorisme ; les échanges entre nos services de renseignement se sont toujours faits dans la plus grande clarté et j'ai constaté aussi bien hier à Washington que je l'avais constaté sur le terrain en Afghanistan combien le travail des forces spéciales françaises est apprécié de nos partenaires américains.
Q- Lundi il y a une réunion importante ici à New York pour le retour des Nations unies en Irak. Est-ce que ce sera aussi un moment important pour que la France, à son tour, joue aussi un rôle important en Irak ?
R- La France a toujours marqué sa disponibilité à participer à la reconstruction de l'Irak dès lors que le gouvernement légitime irakien lui en ferait la demande, c'est à dire donc à partir du 1er juillet prochain et d'abord dans des domaines qui sont, si je puis dire, ses domaines d'excellence, d'expérience en tous les cas tels que la formation, par exemple, de la future armée, de la future police irakienne, en liaison avec nos amis et partenaires allemands comme nous le faisons déjà en Afghanistan.
Q- Il s'agit d'un souhait ou des contacts ont déjà été établis ?
R- Nous avons marqué notre disponibilité. Nous en avons parlé avec nos partenaires allemands qui sont très désireux aussi que cette opération puisse se faire en coopération.
Q- La France souhaite que les Nations unies puissent revenir au plus vite en Irak ?
R- Absolument. Depuis le début ce que nous souhaitons c'est que la communauté internationale puisse le plus rapidement possible prendre en charge cette situation et, de ce point de vue, nous estimons en effet que cette réunion de lundi prochain est un pas important. ..
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Entretien au Washington Post le 16 janvier :
Q- Washington Post :
Les rapports entre la France et le Pentagone ont été froissés récemment suite à la guerre en Irak avec la participation américaine limitée au Salon international de l'aéronautique et de l'espace de Paris l'année dernière ainsi que les contacts militaires réduits. La France a également été " dés-invitée " du Global Air Chiefs Conference à Washington en septembre dernier. Quel est votre point de vue sur l'état actuel des relations entre le ministère de la Défense et le Pentagone ? Reste t-il des points sur lesquels la relation n'a pas atteint son niveau d'avant guerre ? Les communications portuaires américaines avec la France ont-elles repris ?
R- Michele Alliot-Marie :
Il est vrai que nous avons été en désaccord avec les Etats-Unis au sujet de l'Irak, mais cela ne représente qu'une infime partie de l'ensemble de nos relations. Il est vraiment regrettable que cela ait amené certaines personnes à ignorer les actions militaires que nous conduisons côte à côte à travers le monde.
En Afghanistan, nos hommes participent ensemble à former l'armée afghane et à traquer Al Qaida et les Taliban. Récemment, je me suis rendu compte moi-même de l'étroitesse des relations opérationnelles que nos militaires français ont avec les forces américaines en Afghanistan, en particulier dans le cadre des opérations spéciales. Nous partageons les mêmes risques dans ces actions.
Dans les Balkans, nous sommes présents en Bosnie où nous sommes les seconds plus gros fournisseurs de troupes après les Etats-Unis, ainsi qu'au Kosovo et en Macédoine.
Dans les Caraïbes, nous traquons les trafiquants de drogue ensemble.
Dans la Corne d'Afrique, en Océan Indien, nous travaillons ensemble pour protéger les routes maritimes et combattre les risques liés au terrorisme et à la prolifération.
En ce qui concerne la prolifération, nous jouons un rôle actif dans l'Initiative de Sécurité lancée par les Etats-Unis et c'est ensemble que nous avons pris part aux premières manuvres en Mer de Corail.
Nous sommes attachés au maintien d'un dialogue permanent et de relations étroites entre nos armées afin de préserver leur interopérabilité.
En somme, notre coopération couvre un grand nombre de domaines. Ne laissons pas l'arbre cacher la forêt !
Quant aux escales dans nos ports, il n'y a eu aucune annulation, contre toute attente. Des bâtiments français font régulièrement escale dans les ports américains. La Jeanne d'Arc va effectivement bientôt arriver à Baltimore.
Q- On spécule beaucoup sur l'envoi probable de troupes françaises en Irak dans le cadre d'une mission menée par l'OTAN, avec l'aval de l'ONU. Si et quand le transfert de la souveraineté irakienne a lieu en juin. Cette spéculation est-elle juste ? Quelle serait l'ampleur d'une éventuelle contribution française en Irak ?
R- Il ne doit y avoir aucune ambiguïté: stabiliser l'Irak est dans l'intérêt de tous ; que ce soit, bien sûr pour les Irakiens et pour les habitants du Moyen Orient, mais aussi pour le monde occidental et musulman. La France souhaite participer à la stabilisation et à la sécurisation de l'Irak.
Quelle est la meilleure façon d'y parvenir ? Nous pensons qu'il faut prendre en compte les attentes du gouvernement provisoire irakien vis-à-vis de la communauté internationale, et que la sécurité de l'Irak concerne d'abord et avant tout les Irakiens eux-mêmes. Nous avons proposé d'aider à entraîner les forces armées et de police irakiennes en mettant en place une centre de formation des forces de sécurité, qui pourrait grandement bénéficier de l'expérience de notre gendarmerie. C'est devant le Conseil de Sécurité que devrait être discuté le rôle de la Communauté internationale en Irak, et nous nous sommes déjà déclarés en faveur de l'idée d'un rôle de l'OTAN en Irak.
Q- Dans quelles circonstances la France serait-elle prête à envisager de revenir dans la structure militaire intégrée de l'OTAN ?
R- Cette question n'est, d'une certaine manière, plus d'actualité. L'OTAN s'est en effet engagée dans une réforme en profondeur, que nous soutenons complètement, comme le président Jacques Chirac l'a clairement exprimé lors du Sommet de Prague de novembre 2002 et encore récemment à l'occasion de la cérémonie des vux aux armées à l'Elysée. Notre contribution en soldats à l'OTAN est incontestablement extrêmement importante, et nous sommes prêts à fournir à la nouvelle force de réaction de l'OTAN son deuxième contingent militaire. Nous avons l'intention d'assumer toutes nos responsabilités au sein de l'OTAN, et souhaitons, en toute légitimité, participer à l'élaboration et à la mise en uvre des opérations menées avec les capacités que nous procurons à l'Alliance. C'est également un signal clair de la détermination de la France à assumer pleinement ses responsabilités.
Q- Comment envisagez-vous dorénavant le développement de la Force de Défense Européenne ? Quand sera-t-elle totalement opérationnelle ? Le fait que le siège de cette force soit placée au siège de l'OTAN va-t-il compromettre la volonté initiale de la France de garder cette force européenne indépendante de l'OTAN ?
R- Il faut comprendre une chose : nous avons une ambition naturelle pour l'Europe - l'ambition qu'elle soit un partenaire crédible et robuste des Etats-Unis dans la stabilisation de notre monde dangereux. Il n'y aucun risque de voir des structures européennes militaires s'ériger en doublon de cellules militaires pré-existantes, pas plus qu'il n'y a de compétition. Ce que nous voulons développer, ce sont en effet nos capacités, qui pourront être mises à la disposition de l'Europe ou de l'Alliance. Rivaliser avec les Etats-Unis n'est pas notre ambition. Etre autonome ne signifie pas être concurrent. Nous voulons prendre notre part pour le maintien de la paix dons notre monde multipolaire et nous développer, dans l'intérêt à la fois de l'Alliance Atlantique et de toutes les opérations inintéressantes pour l'OTAN et dont l'Europe pourrait vouloir assumer la responsabilité.
Laissez-moi vous donner deux exemples concrets. L'été dernier, l'Europe a envoyé, à la demande de l'ONU, une force dans l'Est du Congo pour stabiliser la région. Cette opération était une mesure d'urgence, dans un pays où les risques de violence sont extrêmement élevés. Grâce à cette intervention européenne, la stabilisation de la région est envisageable. L'OTAN aura bientôt achevé sa mission en Bosnie, et l'Europe se prépare à l'y remplacer, car de nombreuses tâches doivent encore être accomplies dans cette partie du continent, prioritaire à nos yeux. Un Général français se prépare d'ailleurs à prendre la tête de la force de l'OTAN au Kosovo dès octobre prochain. En quoi y a-t-il rivalité avec les Etats-Unis ou l'Alliance dans ces deux opérations ? Je ne le vois honnêtement pas.
Q- Combien de temps pensez-vous que les troupes françaises resteront en Côte d'Ivoire ?
R- Nous sommes présents en Côte d'Ivoire en plein accord avec les Ivoiriens, sur la base du mandat de l'ONU, pour assister la mise en uvre de l'accord politique pluripartite ivoirien. Ce dernier a reçu la bénédiction de l'Union Africaine et de la communauté internationale. Des soldats africains sont également déployés en Côte d'Ivoire. Je m'y suis rendue en personne le 31 décembre et ai constaté que la situation y évoluait de manière encourageante. Il reste encore beaucoup à faire, en matière de désarmement et pour la démobilisation et le retour à la vie civile des combattants. En ce qui concerne toutes ces tâches, l'ONU a une expertise inégalée, et il serait donc logique qu'elle y déploie une opération de maintien de la paix. J'ai l'intention de débattre de cette question avec Donald Rumsfeld et Kofi Annan, que je rencontrerai durant mon séjour.
Interview réalisée à Paris par Keith Richb
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 22 janvier 2004)
Discours devant le Center for Strategic and International Studies (CSIS) à Wahington, le 16 janvier :
Q- Et si l'on renouvelait le partenariat transatlantique ?
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureuse d'être au CSIS aujourd'hui.
Vous le savez, j'aime mes séjours aux Etats-Unis et je suis honorée d'être aujourd'hui au milieu d'une assemblée aussi brillante d'experts des questions internationales et stratégiques.
Après mes entretiens de Washington, je serai demain à New York pour évoquer avec le Secrétaire Général des Nations Unies plusieurs dossiers de l'actualité internationale.
Ce matin, j'ai tenu à être parmi vous pour vous parler du lien transatlantique.
I - L'ETAT DU LIEN TRANSATLANTIQUE
Q- Disons le franchement ; L'année 2003 a été difficile pour tous, pour la relation franco-américaine comme pour les relations transatlantiques au sens large.
R- Bien sûr, c'est l'affaire d'Iraq qui est à l'origine de ces difficultés.
Mais au-delà de cette crise, de nombreux observateurs, des deux côtés de l'Atlantique, s'interrogent sur ce qu'ils appellent la " dérive des continents " et l'affaiblissement du lien transatlantique.
Q- Une divergence transatlantique ?
A l'appui de cette thèse, sont généralement relevées des divergences américano-européennes portant sur :
- L'opportunité de l'emploi de la force armée et les moyens accordés aux armées (cf. la thèse de Kagan) ;
- Le mode de gestion internationale des crises et le rôle des Nations Unies ;
- Les relations avec le monde arabo-musulman ;
- La gestion plus ou moins libérale de l'économie ;
- Et certains facteurs sociaux fondamentaux tels que la place de la religion dans la société, la peine de mort, la responsabilité publique dans la protection sociale, etc.
Pour résumer, certains de nos intellectuels affirment qu'il faut s'habituer à ce que les Etats-Unis, à la population plus jeune et d'origine de moins en moins européenne, suivent une voie spécifique et qu'ils s'éloignent de
l'approche européenne et transatlantique des affaires du
monde.
Certaines différences et évolutions de fond sont en effet indéniables, comme :
- un vieillissement plus marqué de l'Europe. Il influe sur son besoin de préserver au maximum le confort de ses populations grâce à un système avantageux de protection sociale ;
- des expériences historiques et géographiques différentes. Elles peuvent conduire les Européens à rechercher instinctivement le dialogue et le compromis.
- une sensibilité différente à l'égard du monde arabo-musulman, alors que les Américains entendent faire face résolument aux nouveaux défis de sécurité, en particulier depuis le 11 septembre qui marque la fin
de l'illusion d'un pays immunisé contre les risques
extérieurs.
Q- Des différences existent donc.
R- Je crois qu'elles sont cependant exacerbées aujourd'hui par certaines thèses néo-conservatrices radicales, à l'antipode des sensibilités européennes.
Cette situation est-elle appelée à durer ? Quelles seront les leçons tirées de l'affaire iraquienne, mais aussi de la gestion d'autres crises internationales en cours ? Il est sans doute trop tôt pour le dire.
Q- La France contre le lien transatlantique ?
R- Il y a en revanche un paradoxe à ce que la France soit actuellement stigmatisée, par certains à Washington, comme un adversaire stratégique des Etats-Unis.
Il convient, à cet égard, de se référer à des faits objectifs et à des réalités, sociales, économiques et stratégiques incontestables.
a) La France est, comme les Etats-Unis, un pays riche de sa diversité ethnique et religieuse, même si notre vision des modes d'intégration est historiquement différente.
b) La France est un pays plutôt " jeune " en Europe : les évolutions démographiques négatives y sont moins marquées qu'ailleurs.
c) La France fait - seule en Europe avec le Royaume Uni - un effort important en matière de Défense et de modernisation de ses équipements. Elle a, elle aussi, une tradition d'intervention militaire partout dans le monde. Elle dispose de forces spéciales adaptées à la lutte contre le terrorisme, particulièrement appréciées des militaires américains.
d) Et puis pourquoi l'oublier ? La France est le plus ancien allié des Etats-Unis. Le sang de nos soldats a tant de fois été versé côte à côte et nous célèbrerons ensemble dans quelques mois le 60ème anniversaire du débarquement en Normandie.
Rien ne prédispose la France et les Etats-Unis à diverger dans la phase actuelle, bien au contraire car nous sommes en effet confrontés aux mêmes défis internationaux : la persistance de crises régionales dures, les attaques d'un terrorisme mondialisé, le risque persistant de prolifération des armes de destruction massive, les menaces sur l'environnement, les pandémies, la pauvreté, les mouvements migratoires incontrôlés, la faillite d'Etats de plus en plus nombreux
L'efficacité implique d'agir ensemble sur des bases claires
Q- La vraie question est à mes yeux la suivante : Le moment n'est-il pas venu, pour tous ceux qui partagent les mêmes valeurs fondamentales, de s'asseoir et de discuter de la façon de traiter ensemble tous ces problèmes ?
R- Mais il faudrait d'abord qu'entre nous les choses soient claires et qu'on n'hésite pas à exprimer quelques vérités :
a) Oui, nous souhaitons que notre modèle démocratique devienne la norme dans le monde. Mais nous savons que la démocratie ne se décrète pas et que, pour que la greffe prenne, elle doit prendre en compte les réalités historiques et socio-culturelles des pays où elle s'implante.
Discutons donc ensemble de la manière de mieux la promouvoir !
b) Oui, le terrorisme est une grande menace à la stabilité et au développement du monde. La lutte contre ses auteurs est une priorité nationale et internationale. La France en a souffert bien avant d'autres, ce qui lui donne une véritable expertise en la matière. La coopération entre nos services de renseignement reflète clairement notre souci commun. Mais la lutte contre le terrorisme n'aboutira que si nous nous attaquons aussi aux causes du terrorisme, qui sont les sentiments de frustration face à l'injustice et à la pauvreté. Cette humiliation est exploitée par des fanatiques. Travaillons donc ensemble à éradiquer la violence aveugle mais aussi ce qui peut la susciter !
c) Oui, les Etats-Unis sont la première puissance mondiale et nous sommes heureux que ce soit un pays ami et allié. La France ne cherche absolument pas à contrer systématiquement les Etats-Unis dans le monde ni à diminuer leur influence.
Elle souhaite simplement faire valoir sa vision des choses comme elle respecte celle des autres.
Discutons donc de la façon de tirer le meilleur profit du monde globalisé d'aujourd'hui, tout en préservant la diversité de la planète car c'est une richesse commune.
d) Non, la France n'est ni anti-israélienne ni antisémite. Elle a été l'un des premiers pays à reconnaître Israël et conserve une coopération étroite avec ce pays.
Il y a certes eu des actes antisémites odieux en France. Le Président de la République est particulièrement déterminé sur cette question et le gouvernement très vigilant.
e) En revanche, nous devrions tous être plus à l'écoute du monde arabo-musulman : le sentiment d'injustice et d'humiliation y est en effet très répandu. Il est utilisé par les réseaux terroristes.
A nous donc de montrer de la considération pour sa civilisation, qui est très ancienne : de la compréhension pour ses problèmes, qui sont très réels : de la détermination à régler collectivement le conflit israélo-arabe ; et de la volonté à faciliter son insertion dans la modernité.
Nous devons aider les musulmans modérés à contrer la montée d'un Islam radical, fruit de la faillite de nombreux Etats et de l'exploitation qu'en font des fanatiques assoiffés de pouvoir.
Cela, il est de notre responsabilité commune de le faire ensemble mais chacun avec ses cartes, car il s'agit d'un problème complexe et délicat.
f) Oui, l'Alliance Atlantique est importante pour nous tous. C'est notre garantie collective dans un monde plein d'incertitudes. Nous devons donc continuer à l'adapter pour qu'elle demeure un instrument efficace au service de notre sécurité commune.
Le développement accéléré de l'Europe de la Défense renforcera l'Alliance car il témoigne de la volonté des Européens de mieux assurer leur part de responsabilité
g) Oui, l'ONU est notre maison commune. Elle n'est pas une organisation comme une autre. Elle constitue la norme internationale de référence.
Elle est aussi le lieu du dialogue et de l'action collective. A nous donc de la rendre plus opérante en l'adaptant, dans sa composition et ses missions, aux nouvelles réalités internationales.
h) Oui, le monde devient multipolaire. Ce mot ne devrait pas être considéré comme politiquement incorrect ou agressif à l'encontre des Etats-Unis. Qui ne voit en effet l'émergence de la Chine, de l'Inde, du Brésil ? Qui pourrait ignorer la construction européenne ou la place de la Russie ?
Ces pôles d'influence ne sont pas nécessairement antagonistes. Le monde multipolaire doit au contraire être un monde de partenariats. Et nous devrons veiller au maintien du lien privilégié entre les pôles européen et américain.
Disons le simplement, la seule alternative au monde multipolaire serait le chaos.
II - POUR UNE RELATION TRANSATLANTIQUE FORTE ET RESPONSABLE
Quand on mesure l'ampleur de la tâche à accomplir pour gérer notre planète de manière plus rationnelle et plus juste, l'énergie de chacun n'est pas de trop. Chaque région du monde, chaque pays doit y apporter sa contribution.
Plus que d'autres, les Etats-Unis et l'Europe qui sont à l'origine de la démocratie et des droits de l'homme et qui sont les plus avancés technologiquement, ont une responsabilité particulière. La coopération transatlantique est nécessaire pour l'équilibre du monde.
Face aux difficultés que les Etats-Unis rencontrent dans certaines parties du monde, ils ont besoin du soutien de leurs alliés européens. De son côté l'Europe n'a aucun intérêt à ce que les Etats-Unis se décrédibilisent au Moyen-Orient et adoptent par la suite une politique plus isolationniste. Un retrait américain de la scène internationale pourrait être très préjudiciable à l'Europe, comme cela a été le cas dans le passé.
Dans une perspective plus globale, le monde a besoin d'une alliance occidentale. Ce n'est pas une puissance telle que la Chine, l'Inde ou le Brésil qui s'investira en Afrique ou cherchera à régler le conflit israélo-palestinien. Réinventons donc le lien transatlantique, pour donner un sens à la réorganisation en cours de notre monde globalisé.
Le renouvellement de la relation transatlantique passe par le dépassement des oppositions qui se sont exprimées au cours de l'année 2003. Une nouvelle donne est nécessaire qui pourrait s'articuler autour de deux ambitions partagées :
Q- Une vision commune, des approches complémentaires ?
R- Européens et Américains ont des responsabilités partagées pour construire un monde pacifique : Il s'agit de créer les conditions pour que la majorité de l'humanité puisse accéder aux bénéfices de la modernité et de la stabilité.
Nous entendons, nous Français, inscrire notre action dans une perspective européenne. Les Européens apportent l'exemple d'un travail de rapprochement entre nations autour d'objectifs ambitieux. Ils proposent surtout une méthode, celle de la réconciliation de peuples divisés par l'histoire et celle du partage de la souveraineté au sein d'institutions nouvelles. Ils ont par ailleurs une large expérience des difficultés du processus de modernisation et des spécificités culturelles, en particulier au sein du monde arabo-musulman.
Les Etats-Unis pour leur part donnent l'exemple de la remarquable vitalité de leur société et de leur capacité à inventer le monde de demain dans de nombreux domaines. Ils sont capables de faire preuve d'une grande générosité. Leur disponibilité et leur capacité militaire à s'engager pour maîtriser les facteurs de menace peuvent être un atout majeur lorsqu'elles s'inscrivent dans une démarche collective.
La relation entre les Etats-unis et l'Europe a donc vocation à rester centrale pour les deux partenaires et à constituer un pivot des relations internationales.
Q- Des méthodes d'action compatibles qu'il convient de mieux coordonner
R- Les difficultés que nous connaissons parfois entre nous tiennent le plus souvent à des choix de stratégie dans l'action. C'est donc dans ce domaine que nous devons faire le plus grand effort pour travailler ensemble sans renoncer à être nous même.
a) Nos actions doivent s'efforcer de créer le consensus le plus large possible dans la communauté internationale et dans les opinions publiques. Pour y parvenir, nous devons nous appuyer sur le droit international et nous avons intérêt à tirer tout le parti possible de l'ONU. le G-8 constitue aussi un cadre très utile pour faire émerger un nouveau mode de gouvernance internationale construit autour de responsabilités partagées.
b) L'OTAN constitue l'instrument politique de la relation transatlantique et pas seulement un réservoir de forces de soutien aux coalitions créées en fonction des missions. Elle dispose de nombreux moyens de travailler avec l'UE pour gérer les crises et les défis nouveaux. C'est également un cadre de travail important avec la Russie.
c) L'Union Européenne, s'affirme chaque jour un peu plus sur la scène internationale. Elle est pour vous un partenaire essentiel. Sa réussite renforcera notre efficacité commune. Son échec comme ses divisions nuiraient sérieusement à notre capacité à agir. L'UE dans tous les domaines, y compris celui de la sécurité et de la défense a vocation à agir avec les Etats-Unis de façon constructive.
CONCLUSION : UN NOUVEL ETAT D'ESPRIT POSITIF A BATIR ENSEMBLE.
Après une période difficile, nous devons donc ensemble - Français, Européens, Américains - retrouver le chemin de l'écoute réciproque dans un esprit d'amitié sereine et de confiance. Des tâches écrasantes nous attendent au niveau mondial en matière de développement, de santé et d'environnement. Nous aurons d'autant plus de chances de réussir que nous travaillerons dans le respect mutuel et de façon complémentaire.
Les progrès récemment enregistrés en matière de non-prolifération avec l'Iran et avec la Libye montrent que la pluralité des approches peut porter ses fruits dans le monde complexe où nous vivons. Une certaine flexibilité dans le rôle dévolu à chacun nous permettra de combiner au mieux les moyens dont nous disposons. Il peut y avoir un espace pour la différence sans que cela signifie déloyauté ou volonté d'affaiblir l'autre.
Nous devons maintenir un dialogue permanent et confiant pour anticiper ensemble les crises et les moyens de les maîtriser. Il n'y aura jamais trop de canaux de communication entre nous. Il faut créer et entretenir un tissu dense de relations d'échanges et de travail.
L'année à venir sera aussi riche en évènements inattendus et en opportunités que celle qui vient de s'écouler. Tirons donc les leçons du passé et tournons nous vers l'avenir. La France le souhaite. Elle croit toujours en notre vieille alliance.
Notre main est tendue. Je suis convaincue que vous la prendrez !
Je vous remercie.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 janvier 2004)