Déclaration de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, sur les relations entre l'Union européenne et les Etats-Unis, à Paris le 20 janvier 2005.

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Circonstance : Colloque "Quelles relations transatlantiques après la deuxième administration Bush ?" organisé par le Groupe d'amitié France-Etats-Unis, à Paris le 20 janvier 2005

Texte intégral

Quelles relations transatlantiques avec la deuxième administration Bush ?
La réélection de George W. Bush, dont le second mandat commence aujourd'hui même avec son investiture, et la mise en place de la nouvelle Commission européenne, sous la direction de José Manuel Barroso, ouvrent un nouveau chapitre dans les relations transatlantiques. Les incompréhensions et les divergences des trois dernières années, en particulier sur l'Irak, ont montré que la division entre les deux rives de l'Atlantique nuisait à nos intérêts partagés, mais également aux efforts des Européens pour trouver, entre eux, une voix commune sur les affaires du monde. Quand les nuages s'amoncellent sur l'Atlantique, le climat européen, on le sait, finit toujours par en pâtir, et il est hors de question de bâtir l'Europe sur un programme d'opposition aux Etats-Unis. Il faut au contraire sans cesse dialoguer, confronter les analyses et avancer ensemble partout où cela est possible.
Dans ce contexte, quelle que soit l'expression retenue - que l'on parle de relance, de rénovation, de refondation ou de revitalisation -, une dimension essentielle de nos efforts doit porter sur l'intensification des liens entre l'Union européenne - en tant qu'institution distincte des Etats membres qui la composent - et les Etats-Unis. C'est d'ailleurs le parti que semble avoir choisi le président Bush pour aborder les prochaines échéances transatlantiques du mois de février, en réservant sa première visite hors du territoire américain à l'Alliance atlantique, mais aussi aux institutions européennes, à Bruxelles. Cela mérite d'être relevé et salué. Il y a quelques années encore, une telle approche de la part des Etats-Unis aurait été exclue.
Autre coïncidence de date : nous fêtons précisément cette année le dixième anniversaire du "Nouvel agenda transatlantique" conclu à Madrid en décembre 1995, et qui était à l'origine de liens directs et réguliers entre Washington et cette entité politique d'un genre nouveau qu'est l'Union européenne - des liens qui ne passent pas par la simple juxtaposition de contacts bilatéraux.
Lorsque ce processus de contact direct entre, d'un côté, Washington, et de l'autre, une troïka composée du président de la Commission, du représentant de la PESC et du représentant de la nation qui assure la présidence de l'Union, a été initié, il faut bien reconnaître qu'il était un peu superficiel. A cette époque, les sommets transatlantiques bi-annuels constituaient une mécanique bien lourde et formelle pour une substance finalement réduite, à tel point que ces sommets sont devenus annuels à partir de 2002.
Le paysage a aujourd'hui changé : l'Union européenne approche de sa maturité institutionnelle. Elle est devenue un partenaire crédible doté d'une monnaie unique, de compétences propres, de capacités civiles et militaires. Elle est d'ores et déjà largement engagée sur le terrain : en Bosnie-Herzégovine où, depuis décembre, l'opération ALTHEA a pris le relais de la force de l'OTAN, en Afghanistan avec l'Eurocorps, aux côtés des soldats américains. La ratification du traité constitutionnel, que j'appelle de mes voeux, lui donnera plus de cohérence et d'efficacité. Grâce à un président du Conseil européen élu pour deux ans et demi, à un ministre des Affaires étrangères qui sera en même temps vice-président de la Commission et pourra s'appuyer sur un service diplomatique européen, elle pourra réagir plus vite aux situations de crise et coopérer de plain-pied avec les Etats-Unis.
Dans le domaine du commerce et de la réglementation, Washington sait depuis longtemps que Bruxelles joue un rôle décisif, agissant comme un acteur unique, notamment à l'OMC. En matière monétaire, la dépréciation du dollar face à l'euro, et ses conséquences sur les grands équilibres macro-économiques américains, illustrent l'interdépendance de nos économies. Mais surtout, ce que les Américains découvrent progressivement, en ce moment même, c'est l'étendue des pouvoirs de l'Union européenne sur nombre de sujets qui touchent directement la sécurité du territoire américain et nos intérêts géopolitiques partagés. Cela va des Balkans ou encore de l'Ukraine, à la stabilisation des Etats en déliquescence ; de la prolifération des armes de destruction massive à la lutte contre la drogue ou surtout contre le terrorisme pour laquelle, immédiatement après le 11 septembre, l'Union a adopté des réformes de grande ampleur, comme la mise en chantier du mandat d'arrêt européen, qui ont abouti à renforcer la sécurité du territoire américain.
L'Europe de la défense, de son côté, progresse, le meilleur symbole en est la stratégie de sécurité de l'Union que nous avons adoptée, et où nos partenaires américains peuvent lire la détermination de l'Europe à assumer pleinement ses responsabilités stratégiques. Sur le plan opérationnel, la constitution, dans les mois qui viennent, des groupements tactiques d'intervention nous permettra d'engager deux missions de réaction rapide simultanément.
J'ajoute un élément personnel qui peut jouer en faveur d'un nouvel élan, en cette année 2005, de la coopération entre l'Union européenne et les Etats-Unis. En la personne de Javier Solana, l'Union a un futur ministre des Affaires étrangères connu aux Etats-Unis en raison de son passé de Secrétaire général de l'OTAN - et, en la personne de John Bruton, l'ancien Premier ministre irlandais, un représentant de la Commission de haut niveau.
Ces deux personnalités peuvent contribuer à faire comprendre outre-Atlantique que l'Union européenne est bien le seul partenaire global des Etats-Unis, et nos alliés américains ne peuvent que trouver un intérêt grandissant à ces rapports directs avec l'Union, y compris en matière de sécurité. Des études récentes - une étude du German Marshall Fund sur l'état des opinions publiques aux Etats-Unis et en Europe - montrent que les Américains sont de plus en plus nombreux à plaider pour une Europe plus forte qui puisse coopérer plus efficacement avec les Etats-Unis. Cela n'implique nullement de marginaliser l'OTAN, qui reste un facteur de stabilité essentiel pour notre continent. Cela implique en revanche qu'au-delà de la volonté, l'Union européenne se donne les moyens de son émancipation, notamment, les moyens militaires.
Alors, comment donner corps à ce "partenariat transatlantique renouvelé" que les pays de l'Union européenne comme la seconde administration Bush appellent de leurs voeux ? La solution ne passe pas, à mon sens, par la création d'un forum de négociation supplémentaire. Après tout, le "Nouvel agenda transatlantique" de Madrid avait mis en place tous les éléments nécessaires au dialogue, et il nous appartient plutôt d'investir ces institutions et les revitaliser que d'en inventer de nouvelles. La voie de meilleures relations entre l'UE et les Etats-Unis passe bien plutôt par la substance : c'est dans ce format qu'il faut discuter de plusieurs dossiers politiques clé, comme la crise nucléaire iranienne, qui touche directement à la sécurité des Etats-Unis et à l'équation moyen-orientale, ou encore le processus de paix au Proche-Orient, qui constitue un test pour la relation transatlantique.
Privilégier la substance sur la forme n'interdit pas de réfléchir à la manière d'améliorer l'agencement de notre dialogue. Dans sa "lettre à un ami américain", le ministre des Affaires étrangères Michel Barnier a ainsi proposé de réunir des personnalités de haut niveau pour envisager l'avenir des relations entre l'Europe et les Etats-Unis.
Ce dialogue est une nécessité pour chacun des deux acteurs ; les Etats-Unis trouvent chaque année dans l'Union un partenaire plus fiable et plus utile, tandis que notre intérêt est de présenter une position unie à Washington, plutôt que de défendre un agenda national avec des moyens politiques réduits. En dernière analyse, nos préférences et nos priorités nationales n'auront jamais plus de poids et de rayonnement que lorsqu'elles pourront faire l'objet d'un consensus européen, et lorsqu'elles pourront être exprimées dans une enceinte de dialogue où la relation transatlantique est équilibrée, sereine et constructive.
Permettez-moi, en conclusion, d'exprimer une note plus personnelle. En tant qu'astronaute, j'ai vécu très concrètement la coopération entre l'Europe et les Etats-Unis. Sans cette coopération, notre politique spatiale n'aurait pu connaître le même essor. Il y a quelques jours encore, la réussite de la sonde Huygens a été rendue possible grâce à une collaboration exemplaire entre l'Agence spatiale européenne et les Etats-Unis. Je formule le souhait que nous puissions, sur notre planète et face aux situations de crise qui se multiplient, travailler ensemble avec la même efficacité
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 janvier 2005)