Déclaration de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, sur les recherches en matière de gestion des déchets radioactifs, à l'Assemblée nationale le 20 janvier 2005.

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Circonstance : Audition sur "l'état d'avancement et les perspectives des recherches sur la gestion des déchets radioactifs" à l'Assemblée nationale le 20 janvier 2005

Texte intégral

Je suis très heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui et je remercie l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de m'avoir invité à conclure cette journée d'audition. Elle portait sur les résultats de quinze années consacrées à la recherche des solutions optimales pour la gestion des déchets de haute activité et à vie longue, thématique pour laquelle le ministère délégué à la recherche accorde le plus grand intérêt.
Ces recherches, pour la première fois dans le monde, ont été réalisées dans le cadre d'une loi, la loi du 30 décembre 1991, qui les a accompagnées, motivées et soutenues. Cette loi a indiqué les voies à explorer et a impliqué, dès le départ, qu'aucune option ou hypothèse ne soit a priori écartée. C'est pourquoi elle a prévu et prescrit un important programme de recherches structurées autour de trois axes : séparation et transmutation, stockage réversible ou irréversible en formation géologique profonde, conditionnement et entreposage de longue durée.
Cette loi a conduit à la création de la Commission nationale d'évaluation, sous l'égide de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui a eu en charge d'évaluer l'avancée des recherches et d'émettre toutes les recommandations nécessaires. Ses travaux sont publiés, chaque année, dans un rapport public remis à l'Office parlementaire et au gouvernement.
Depuis 1993, le Ministère chargé de la Recherche coordonne la réflexion sur la définition et la mise en oeuvre des programmes de recherche, au sein du Comité de suivi des recherches sur l'aval du cycle. Ce comité regroupe les organismes pilotes (CEA et Andra), les acteurs industriels (EDF, COGEMA, Framatome - ANP), des organismes de recherche (CNRS, IRSN et universités), les ministères chargés de l'industrie (DGEMP) et de l'environnement (DPPR) et l'Autorité de sûreté nucléaire (DGSNR). Il édite chaque année un document Stratégie et programmes de recherche qui est le fruit de cette concertation entre les différents acteurs. La dernière version sera disponible sur le site Internet du ministère de la recherche dans les prochaines semaines.
Cette journée constituait la première étape de la consultation démocratique et du débat parlementaire qui vont se dérouler tout au long de cette année. Nous avons pu nous rendre compte aujourd'hui de l'étendue des connaissances capitalisées et des questionnements qui subsitent sur le programme séparation et transmutation. Dans les deux prochaines semaines, les 27 janvier et 3 février prochains, nous suivrons avec intérêt les deux autres journées consacrées aux auditions des résultats sur les axes 2 et 3, qui nous montreront là aussi que des avancées remarquables ont été obtenues en matière de stockage en formations géologiques profondes, d'entreposage de longue durée et de conditionnement à long terme des colis de déchets.
Après les auditions de tous les acteurs de la loi, l'Office présentera au gouvernement ses recommandations. D'autres travaux de consultation auprès de nos concitoyens, auprès des acteurs du secteur seront menés, afin que le gouvernement puisse, en concertation avec l'OPECST, présenter au parlement ses conclusions, les enseignements à tirer de la loi de 1991 et proposer une stratégie pour l'avenir. Parallèlement, plusieurs rendez-vous médiatiques et débats publics seront organisés par les différents acteurs. A ce titre, le ministère de la recherche va organiser au mois de juin un colloque pour mettre en perspective les acquis de la recherche pendant ces 15 dernières années.
D'ores et déjà ont peut affirmer que les recherches menées dans le cadre de la loi de 91 ont permis des avancées importantes. Certaines ont été déjà mises en oeuvre au niveau industriel sur le site de La Hague. Ainsi, aujourd'hui, le volume des déchets de moyenne activité à vie longue généré pour une même quantité d'électricité produite, est dix fois moins important que les estimations faites en 1991. Il s'agit d'un des résultats importants des recherches qui ouvrent aujourd'hui des perspectives nouvelles dans la gestion des déchets.
La France a fait très tôt le choix stratégique, du retraitement des combustibles usés et de la séparation d'une part de l'uranium et d'autre part du plutonium, et enfin des actinides mineurs et des produits de fission qui sont aujourd'hui considérés comme des déchets et entreposés dans des verres dans les entreposages à sec de l'usine Cogema de la Hague. Ce choix permet à la France de disposer entre autre d'une réserve de matière valorisable en combustible qui sera de nature à assurer le moment venu, l'indépendance et les besoins énergétiques du pays dans les siècles à venir. L'utilisation du plutonium en combustible MOX dans 20 centrales nucléaires est en France aujourd'hui une réalité.
L'axe 1 du programme de recherches de la loi de 91 concerne les procédés permettant de séparer au cours du traitement des combustibles usés, les actinides mineurs et certains produits de fission, qui sont actuellement conditionnés ensemble dans les verres. L'objectif de ces recherches est de transformer les éléments ainsi séparés en éléments stables ou à plus courte durée de vie et ainsi de réduire la radiotoxicité à long terme de déchets radioactifs.
Le premier résultat de ce programme de recherches est d'avoir démontré la faisabilité scientifique d'un procédé de séparation poussée des actinides mineurs (américium, neptunium, curium) et de certains produits de fission, procédé limité néanmoins aux déchets qui n'ont pas été conditionnés sous forme de matrices stables. Ce résultat a été obtenu dans l'installation ATALANTE du CEA et est une réussite du réseau européen ACTINET.
Concernant la transmutation, les études des systèmes nucléaires, qu'ils soient des réacteurs électrogènes ou des systèmes dédiés, ont abouti à des résultats importants sur le plan scientifique, mais qui nécessite des travaux du point de vue industriel :
·* la faisabilité de principe de la transmutation de l'américium, dans les réacteurs de technologie existante (REP ou EPR) semble acquise. Toutefois, sa mise en oeuvre industrielle nécessite encore des recherches importantes.
·* La faisabilité de la transmutation des actinides mineurs dans des réacteurs à neutrons rapides a été établie (dans la perspective des réacteurs de quatrième génération) et peut être associée à un recyclage d'une partie des actinides. Les expériences de transmutation qui se déroulent aujourd'hui dans le réacteur Phénix , au centre du CEA de Marcoule, l'ont prouvé.
* [S'agissant des systèmes dédiés, ceux-ci sont des systèmes hybrides qui couplent un réacteur et accélérateur pour la transmutation des actinides mineurs. Plusieurs programmes de recherche ont été lancés, notamment MUSE, MEGAPIE, et EUROTRANS. Ces programmes de recherche font l'objet de larges collaborations internationales soutenues par l'union européenne.]
Les acteurs de la recherche sur l'énergie nucléaire sont unanimes pour reconnaître l'importance de la loi de 1991. Cette loi a permis d'approfondir les connaissances dans tous les domaines en apportant toute la transparence démocratique qui nous réunit aujourd'hui. Ces recherches ont, de plus, abouti à des résultats importants.
Aujourd'hui, il paraît maintenant nécessaire d'envisager comment continuer les activités et les recherches relatives au traitement des déchets nucléaires, après 2006. La déclinaison en terme des trois axes, si elle était tout à fait justifiée dans la loi de 91 en raison du spectre très large des recherches à mener, pourrait être remise en cause pour évoluer vers une déclinaison en terme de projets de recherches et développements industriels, dans une logique de progression par étapes. Deux types de recherches pourraient alors accompagner la nouvelle loi: des programmes de recherche finalisée fondés sur une logique d'objectifs, et des recherches amonts explorant des enjeux technologiques à plus long terme.
Dans tous les cas, les recherches menées dans le cadre de l'axe 1 de la loi de 91 nous ont appris la forte synergie entre la gestion de l'aval du cycle et la nature du parc électronucléaire. Par conséquent, les études sur la séparation-transmutation devront se poursuivre en liaison étroite avec celles concernant les réacteurs du futur et les systèmes dédiés, en recherchant une optimisation technico-économique à la fois du cycle du combustible et de la gestion des déchets ultimes.
Un point fondamental qui ressort également des études sur la transmutation est que tous les scénarios envisagés pour réduire la radiotoxicité ou l'inventaire des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue, nécessiteront un mode de gestion complémentaire, entreposage ou stockage.
Pour conclure, je voudrais saluer l'élan d'adhésion de l'ensemble de la communauté scientifique de notre pays qui a contribué à l'effort national de recherche en apportant son expertise, ainsi que ses outils expérimentaux et de simulations. Ce lien essentiel entre recherche finalisée et recherche amont est une réussite et nécessitera, au delà de 2006, d'être poursuivi et valorisé.
La complémentarité de nos grands organismes de recherche et de notre industrie est en effet indispensable pour trouver des solutions innovantes et protéger notre environnement. En contemplant le formidable effort de recherche accompli, je souhaite qu'il permette à la France de répondre de mieux en mieux aux enjeux stratégiques, énergétiques et environnementaux du développement durable.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 21 janvier 2005)