Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "RTL" le 23 juin 2004, sur les avancées contenues dans le texte de la constitution européenne, et les débats qu'il suscite au sein du parti.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

J.-M. Aphatie L-. Fabius, ancien Premier ministre, numéro 2 du Parti socialiste aujourd'hui a déclaré hier au journal Le Monde, à propos du projet de Constitution européenne adopté vendredi à Bruxelles : "ce traité" je le cite "est de nature à décourager les meilleures bonnes volontés. Moi qui suis très Européen, c'est une sérieuse douche froide à mon enthousiasme. Je doute fort qu'en l'état, les socialistes et les Français votent pour"... Ces phrases correspondent-elles à votre propre état d'esprit ?
- "Je crois qu'on a un devoir de vérité à l'égard des Français sur le texte de la Constitution européenne.
Allez-y, la vérité ce matin.
- "La vérité, c'est que ce texte marque des avancées incontestables sur le plan institutionnel. Et tout le monde, de bonne foi, doit le reconnaître. Et sur le Parlement européen qui sort renforcé, et sur la présidence de l'Europe qui sortira également confortée, et sur les votes qui peuvent se faire dans cette Europe à vingt-cinq, peut-être demain à trente. Donc, sur le plan institutionnel, je considère qu'il y a là un pas en avant. Mais c'est vrai aussi qu'il y a une déception par rapport au moment que l'on nous disait "historique", qui aurait pu être saisi par les chefs d'Etat et de gouvernement, pour notamment, sur le plan fiscal, social, économique, donner l'impulsion nécessaire, et surtout permettre qu'il y ait des clauses de révision de ce traité constitutionnel, qui autorisent des évolutions qui aillent dans le sens d'un plus grand fédéralisme. Enfin, je crois - toujours la vérité -, que le président de la République française n'a pas pesé dans la négociation. Autant on a vu T. Blair à la manoeuvre, autant on a pu voir certains petits pays arracher encore des concessions, autant nous n'avons pas vu le président de la République faire en sorte que la France - que dis-je, la France ! -, l'Europe puisse sortir renforcée. Donc, on doit cet exercice de vérité aux Français."
Entre les avancées et entre les déceptions, qu'est-ce qui l'emporte chez vous ce matin ?
- "Eh bien ce qui doit l'emporter c'est d'abord un débat franc et clair. Et je crois que nous avons le temps de le mener ce débat. D'abord, dans nos propres partis, le mien, le Parti socialiste, parti européen, parti qui saura à chaque fois faire le choix et de l'intérêt de l'Europe, et de l'intérêt des idées que nous portons. Ce débat doit aussi se faire à l'échelle du pays. J'attends ce matin - peut-être serai-je déçu - que le président de la République nous dise quel est maintenant le mode de ratification retenu, et la date de référendum ou du congrès qui décidera au plan parlementaire de cette ratification de la Constitution."
Pour qu'il y ait un débat, il faut que les principaux dirigeants du pays disent leur sentiment. Vous, F. Hollande, ce matin, des avancées contenues dans ce traité et des déceptions qu'il a provoquées chez vous, qu'est-ce qui l'emporte ?
- "Je pense que ce qui va l'emporter, au moment où nous aurons à prendre cette décision - ce peut être l'année prochaine, ce peut même être dans deux ans, puisque le délai est très long ; c'est pour cela que je demande au président de la République d'indiquer le calendrier de manière à ce que les partis politiques eux-mêmes s'organisent -, ce qui va m'importer, face à ce qui est une avancée, dans d'autres domaines un recul ou une inquiétude, c'est finalement la dynamique européenne. Et s'il n'y a pas, face à cette Europe à vingt-cinq, dans cette Europe à vingt-cinq, une avant-garde qui se constitue, des pays qui décident d'avancer ensemble pour aller plus loin sur la politique économique, la politique sociale, la politique de défense, alors je vous le dis : quel que soit le sort de ce traité constitutionnel - et on ne le connaît pas, peut-être que certains pays ne le ratifieront pas -, il y aura toujours, à un moment, dilution de la volonté européenne. Et ce qui doit maintenant, en tant que parti, me mobiliser, c'est de savoir si avec d'autres formations politiques en Europe, nous pouvons faire préfigurer cette avant-garde européenne, et pour la France, pour le président de la République notamment, il faut qu'il prenne cette initiative. Et deuxièmement, il faut qu'il y ait une nouvelle étape qui soit avancée. J'ai proposé dans la campagne électorale un traité social. Ce doit être la prochaine étape. Et s'il n'y a pas cette dynamique-là, alors on aura des débats qui peuvent être, c'est vrai, influencés par les questions de politique intérieure - ça pèsera - ou qui soient simplement sur un texte, dont on voit bien qu'à lui seul il ne suffit pas pour créer la dynamique."
Ce matin, vous êtes plutôt "oui", ou plutôt "non" au traité ?
- "Je ferai - et tout mon engagement politique est fondamentalement sur l'Europe - le choix qui sera le plus utile pour l'Europe."
Plutôt oui ?
- "J'ai un devoir : c'est d'emmener mon propre parti, mon parti qui est traversé - et c'est normal - par un débat, qui s'interroge, j'ai le devoir de l'emmener, de le convaincre, pas de lui imposer une solution. C'est pourquoi j'ai proposé qu'il y ait un référendum militant. Ce sont les adhérents du Parti socialiste qui choisiront."
Quand, le référendum militant ?
- "Au moment où le président de la République donnera la date de l'éventuel référendum, je pense que nous aurons à nous prononcer, de la même manière..."
Excusez-moi, vous ne voulez pas donner la date du référendum militant ?
- "Nous verrons. On va en discuter, mais ce sera forcément dans les mois qui viennent. Mais il est important, si nous voulons convaincre les Français, de convaincre d'abord les socialistes."
A ce micro, il y a deux jours, R. Badinter disait : "Par rapport à Nice, c'est mieux, je suis déçu, mais c'est mieux. C'est pour cela que je voterai ce traité".
- "Mais si l'on regarde ce qui a été fait par rapport à ce qu'on appelle le traité de Nice, on peut dire qu'il y a un progrès. Par rapport à ce qui pouvait être l'attente qui était la nôtre, y compris par rapport à la Convention, le texte qui avait été préparé par ce regroupement du Parlement européen, c'est un recul. C'est vrai qu'il y a ce double sentiment, mais à nous de donner la vision. On ne fera pas simplement voter des Français sur un texte. On les fera voter sur une ambition européenne."
Ce matin, vous l'Européen, l'ami de J. Delors, vous n'excluez pas éventuellement d'appeler à voter "non" à ce traité ?
- "Moi je veux faire en sorte que le Parti socialiste fasse le choix de l'Europe. Mais pour ça, il faut faire
D'accord. Qu'en pense L. Jospin ?
- "Je ne sais pas, vous l'interrogerez. Vous l'inviterez."
Je l'ai invité lundi, on n'a pas de réponse et s'il veut venir il est le bienvenu. Vous en avez parlé avec lui ?
- "Non."
Vous n'en avez pas parlé avec lui ?
- "Non. Ce que doit penser tout responsable politique, c'est que l'Europe c'est toujours un compromis."
On voit combien pèse L. Jospin sur vos débats. C'est important de savoir ce qu'il en pense ? Vous souhaitez qu'il dise ce qu'il en pense ? Parce que si vous vous ne voulez pas dire ce que vous en pensez, ni oui ni non, on attend peut-être d'abord qu'il le dise !
- "Ce n'est pas vrai. Mais il est normal que dans un débat tout le monde dise ce qu'il pense. Et donc, J. Delors, R. Badinter l'ont fait. Les minoritaires du Parti socialiste l'ont fait. Je le fais aujourd'hui en vous disant que je prendrai le choix qui permettra aux Européens de savoir où ils vont. L'Europe à vingt-cinq, elle est maintenant en passe d'être fixée. C'est un texte qui aurait pu aller plus loin. Ce qui va compter, c'est l'étape suivante. Et finalement, pour emmener les Européens et les Français vers l'étape suivante, il faut déjà régler la question de la Constitution. Nous allons le faire."
Constat d'échec ce matin, pour cette interview, F. Hollande, monsieur ni oui ni non...
- "Oui, mais écoutez, il y a un moment où il faudra donner notre réponse, nous la donnerons le moment venu."
Bonne journée, on vous réinvitera...
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juin 2004)