Texte intégral
Q- A Paris, vous êtes classé plutôt au centre droit. Par hasard, à Bruxelles, seriez-vous au centre gauche, parce qu'hier, vous avez constitué un Parti démocrate européen, avec R. Prodi, F. Rutelli, qui sont la gauche italienne ?
R-Oui, qui sont le centre gauche en Italie. Si l'on veut porter un projet européen, il est impératif de réunir le centre droit et le centre gauche. Jusqu'à maintenant, on en parlait comme d'un vu pieux. Nous l'avons fait, et nous avons montré qu'il était donc parfaitement possible ainsi de formuler un projet européen mobilisateur, en disant clairement que l'on veut une Europe qui, un jour, pèse du même poids que les Etats-Unis et la Chine. C'était très important de le faire, parce que, comme vous le savez, vous le dites souvent, il y a une grande partie des opinions publiques européennes qui attendent un tel projet et les gouvernements sont très en retrait.
Q-Mais est-ce que d'une certaine manière, vous voulez renouer avec, vous vous souvenez, l'idée d'une "troisième voie" qui avait été développée à un moment par T. Blair ou B. Clinton ?
R-Je crois que la "troisième voie" - plutôt à la mode de B. Clinton que de T. Blair -, est indispensable pour le XXIème siècle, et je crois que le seul moyen de la faire, c'est, en effet, de réunir le centre droit et le centre gauche.
Q-Cette ambition que vous manifestez au plan européen peut-elle exister au plan français ?
R-Je trouve que vous avez beaucoup de finesse dans vos analyses, P.-L. Séguillon.
Q-C'est possible. Deux questions, d'abord sur l'Europe : F. Hollande, qui était hier soir, l'invité de France 2, a souhaité que le président de la République réunisse l'ensemble des chefs de parti au début de l'année pour organiser le référendum. Etes-vous de ce souhait et seriez-vous de cette rencontre ?
R-Je le souhaite depuis longtemps. Il me semble qu'il y a plusieurs impératifs pour que le référendum joue son rôle, c'est-à-dire qu'il permette de clarifier le choix des Français. Le premier impératif, c'est que le président de la République fixe le calendrier, qu'il dise clairement : voilà, nous allons voter, avant l'été - je pense que ce sera au mois de juin - ; la campagne peut donc s'organiser. Je dis au passage que cette campagne doit recevoir des moyens, non seulement pour les partisans du oui, mais même pour les partisans du non. Je suis pour un débat honnête et transparent devant les Français.
Q-Ce n'est pas prévu par la loi.
R-Non, pour l'instant rien n'est prévu sur ce sujet. Il me semble que c'est un manquement et une faute. Je dis au passage que la politique française a beaucoup de problèmes avec les financements. Il y a beaucoup d'injustices qui sont en cours, on en a vues quelques-unes ces derniers temps, avec les uns qui ont des moyens considérables, les autres, qui, au contraire, sont obligés d'être extrêmement parcimonieux. Je suis pour qu'il y ait plus d'équité dans tout cela. Je referme la parenthèse. Je dis qu'il faut un débat devant les Français, et que le président de la République en fixe, très vite, dise quelles sont ses intentions pour le calendrier : avant l'été ou après l'été. Je souhaite que ce soit avant l'été. Et puis, deuxièmement, il faut absolument réussir à déconnecter ce débat de la politique intérieure, cela sera difficile. Vous savez que je ne crois pas que le référendum soit gagné par avance. Et une telle rencontre avec le président de la République me paraît s'imposer.
Q-Autre question : le 17 décembre, il y a donc ce Sommet européen, qui doit décider du départ des négociations avec la Turquie en vue de l'adhésion. Etes-vous plutôt rassuré, d'une part, par les prises de position de M. Barnier, le ministre des Affaires étrangères, qui dit que le début des négociations ne devrait pas se faire avant un an, c'est-à-dire après le référendum, après la décision sur la Constitution, et le président de la République, qui laisse entrevoir deux possibilités dans l'issue de ces négociations : soit un accord de partenariat, soit l'adhésion ?
R-J'avoue qu'il faut faire très attention. Je n'arrive pas à savoir quelle est exactement la position de la France. La France va-t-elle faire une condition pour l'ouverture des négociations, de la formulation du partenariat privilégié - possibilité d'aller, non seulement vers l'adhésion, ce qui est prévu aujourd'hui, mais vers un partenariat privilégié ? Si oui, ce sera un progrès. Si on ne le fait pas, ce sera un échec. Et un échec d'autant plus sensible que, vous avez vu dans une interview, le Premier ministre turc a dit qu'il n'était absolument pas question pour lui de reconnaître Chypre. Alors, vous avez un pays qui demande à adhérer à une Union, dont il ne reconnaît pas l'un des membres ! Ceci est absolument impossible, et c'est un indice de plus de la distance, très grande, qui existe entre la conception de l'Europe par la Turquie et la conception de l'Europe par les 25, ce qui est pour moi le principal obstacle à l'adhésion de la Turquie.
Q-Vous avez entendu le Premier ministre hier présenter son "Contrat France 2005". Avez-vous le sentiment, en l'écoutant, en le voyant, qu'il a recouvré, peut-être une autorité ou une crédibilité qui lui faisaient défaut dans les rangs de la majorité ?
R-C'était le but de l'exercice. Mais je voudrais d'abord réfléchir une seconde avec vous à un abus de langage. On appelle cela "Contrat". Pour qu'il y ait "Contrat", il faut qu'il y ait deux signataires. Or je vois bien l'un des signataires - le Gouvernement, le Premier ministre -, mais je ne vois pas l'autre.
Q-La majorité...
R-Je n'ai pas vu de discussions entre le Gouvernement et la majorité, je n'ai pas vu un dialogue organisé avec le pays, je n'ai pas vu un dialogue organisé avec ceux qui le représentent, les forces économiques ou syndicales. Donc, le mot de "Contrat" est un mot publicitaire qui ne me paraît pas correspondre à la réalité.
Q-Vous n'adhérez pas à ce "Contrat", vous ne le signeriez pas ?
R-En tout était de cause, je n'ai pas été consulté sur ce sujet.
Q-Mais quand vous l'examinez ?
R-La principale disposition, sur les 35 heures, je crains beaucoup qu'elle nous permette de vérifier que les fautes de temps en politique sont aussi graves, et même plus graves, qu'elles ne le sont pour la langue française. On va avoir des difficultés dues au fait qu'une telle démarche de réflexion ou de remise en cause sur les 35 heures aurait dû être engagée en 2002. Après les élections de 2002, il y avait la légitimité, le soutien du pays, il s'était exprimé sur ce sujet. Deux ans et demi après, vous voyez bien ce qui va manquer : le sentiment qu'en effet, on n'est pas en prise avec la réalité de l'adhésion du pays.
Q-Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire ? Vous vous félicitez de cette
mesure ?
R-Je ne sais pas ce qu'elle comprendra comme dispositions exactes. Elle est, vous venez de le dire dans votre éditorial, extrêmement difficile à mettre en uvre, les dispositions techniques sont extrêmement difficiles à mettre en uvre. Je voudrais formuler une exigence : c'est que les heures supplémentaires continuent à porter primes pour le salarié. On a en France aujourd'hui un très gros problème de niveau de vie ; des millions de Français qui n'y arrivent pas à la fin du mois parce que simplement le travail n'est pas payé comme il devrait l'être, en raison du poids que nous avons du passé et de ce que coûtent en particulier les charges sociales. Les 35 heures sont pour moi un moyen d'échapper, de donner de l'oxygène aux millions de familles françaises qui n'y arrivent pas à la fin du mois. Notre exigence est que les 35 heures continuent à porter primes pour les salariés.
Q- Le Premier ministre a pris un engagement contractuel - alors vous dites : il n'y a pas de signataires de l'autre côté -, en tout cas lui a pris cet engagement, qui est de réduire le chômage de 10 % dans l'année qui vient. Jugez-vous cette promesse capable d'être tenue ?
R-Non, je ne la juge pas réaliste en l'état actuel des choses.
Q -Pourquoi ?
R-Je vois bien sur quoi le Premier ministre joue, sur ce qui l'attend. Il attend le fléchissement démographique français : que la pyramide des âges fasse que, beaucoup de gens partent à la retraite et très peu y entrent. Mais avec une croissance, on va dire molle pour être gentil, autour de 2 %, la création d'emplois n'est pas au rendez-vous, on le voit mois après mois. Et je ne crois pas que cela permette de réduire de 10 % le chômage l'année prochaine. J'aimerais me tromper, mais je suis sceptique.
Q-Vous avez été jadis ministre de l'Education nationale, vous avez géré les fonctionnaires. Estimez-vous que le Gouvernement devrait être plus généreux vis-à-vis des fonctionnaires aujourd'hui ?
R-En tout cas, il y a un très lourd problème de niveau de vie, de maintien du pouvoir d'achat de la fonction publique, puisque, vous le savez, l'inflation est beaucoup plus haute que les augmentations. Et il me semble qu'il faut dans ce cas-là, à tout le moins éviter les propos provocateurs. Cela n'est pas toujours le cas des responsables gouvernementaux.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 décembre 2004)
R-Oui, qui sont le centre gauche en Italie. Si l'on veut porter un projet européen, il est impératif de réunir le centre droit et le centre gauche. Jusqu'à maintenant, on en parlait comme d'un vu pieux. Nous l'avons fait, et nous avons montré qu'il était donc parfaitement possible ainsi de formuler un projet européen mobilisateur, en disant clairement que l'on veut une Europe qui, un jour, pèse du même poids que les Etats-Unis et la Chine. C'était très important de le faire, parce que, comme vous le savez, vous le dites souvent, il y a une grande partie des opinions publiques européennes qui attendent un tel projet et les gouvernements sont très en retrait.
Q-Mais est-ce que d'une certaine manière, vous voulez renouer avec, vous vous souvenez, l'idée d'une "troisième voie" qui avait été développée à un moment par T. Blair ou B. Clinton ?
R-Je crois que la "troisième voie" - plutôt à la mode de B. Clinton que de T. Blair -, est indispensable pour le XXIème siècle, et je crois que le seul moyen de la faire, c'est, en effet, de réunir le centre droit et le centre gauche.
Q-Cette ambition que vous manifestez au plan européen peut-elle exister au plan français ?
R-Je trouve que vous avez beaucoup de finesse dans vos analyses, P.-L. Séguillon.
Q-C'est possible. Deux questions, d'abord sur l'Europe : F. Hollande, qui était hier soir, l'invité de France 2, a souhaité que le président de la République réunisse l'ensemble des chefs de parti au début de l'année pour organiser le référendum. Etes-vous de ce souhait et seriez-vous de cette rencontre ?
R-Je le souhaite depuis longtemps. Il me semble qu'il y a plusieurs impératifs pour que le référendum joue son rôle, c'est-à-dire qu'il permette de clarifier le choix des Français. Le premier impératif, c'est que le président de la République fixe le calendrier, qu'il dise clairement : voilà, nous allons voter, avant l'été - je pense que ce sera au mois de juin - ; la campagne peut donc s'organiser. Je dis au passage que cette campagne doit recevoir des moyens, non seulement pour les partisans du oui, mais même pour les partisans du non. Je suis pour un débat honnête et transparent devant les Français.
Q-Ce n'est pas prévu par la loi.
R-Non, pour l'instant rien n'est prévu sur ce sujet. Il me semble que c'est un manquement et une faute. Je dis au passage que la politique française a beaucoup de problèmes avec les financements. Il y a beaucoup d'injustices qui sont en cours, on en a vues quelques-unes ces derniers temps, avec les uns qui ont des moyens considérables, les autres, qui, au contraire, sont obligés d'être extrêmement parcimonieux. Je suis pour qu'il y ait plus d'équité dans tout cela. Je referme la parenthèse. Je dis qu'il faut un débat devant les Français, et que le président de la République en fixe, très vite, dise quelles sont ses intentions pour le calendrier : avant l'été ou après l'été. Je souhaite que ce soit avant l'été. Et puis, deuxièmement, il faut absolument réussir à déconnecter ce débat de la politique intérieure, cela sera difficile. Vous savez que je ne crois pas que le référendum soit gagné par avance. Et une telle rencontre avec le président de la République me paraît s'imposer.
Q-Autre question : le 17 décembre, il y a donc ce Sommet européen, qui doit décider du départ des négociations avec la Turquie en vue de l'adhésion. Etes-vous plutôt rassuré, d'une part, par les prises de position de M. Barnier, le ministre des Affaires étrangères, qui dit que le début des négociations ne devrait pas se faire avant un an, c'est-à-dire après le référendum, après la décision sur la Constitution, et le président de la République, qui laisse entrevoir deux possibilités dans l'issue de ces négociations : soit un accord de partenariat, soit l'adhésion ?
R-J'avoue qu'il faut faire très attention. Je n'arrive pas à savoir quelle est exactement la position de la France. La France va-t-elle faire une condition pour l'ouverture des négociations, de la formulation du partenariat privilégié - possibilité d'aller, non seulement vers l'adhésion, ce qui est prévu aujourd'hui, mais vers un partenariat privilégié ? Si oui, ce sera un progrès. Si on ne le fait pas, ce sera un échec. Et un échec d'autant plus sensible que, vous avez vu dans une interview, le Premier ministre turc a dit qu'il n'était absolument pas question pour lui de reconnaître Chypre. Alors, vous avez un pays qui demande à adhérer à une Union, dont il ne reconnaît pas l'un des membres ! Ceci est absolument impossible, et c'est un indice de plus de la distance, très grande, qui existe entre la conception de l'Europe par la Turquie et la conception de l'Europe par les 25, ce qui est pour moi le principal obstacle à l'adhésion de la Turquie.
Q-Vous avez entendu le Premier ministre hier présenter son "Contrat France 2005". Avez-vous le sentiment, en l'écoutant, en le voyant, qu'il a recouvré, peut-être une autorité ou une crédibilité qui lui faisaient défaut dans les rangs de la majorité ?
R-C'était le but de l'exercice. Mais je voudrais d'abord réfléchir une seconde avec vous à un abus de langage. On appelle cela "Contrat". Pour qu'il y ait "Contrat", il faut qu'il y ait deux signataires. Or je vois bien l'un des signataires - le Gouvernement, le Premier ministre -, mais je ne vois pas l'autre.
Q-La majorité...
R-Je n'ai pas vu de discussions entre le Gouvernement et la majorité, je n'ai pas vu un dialogue organisé avec le pays, je n'ai pas vu un dialogue organisé avec ceux qui le représentent, les forces économiques ou syndicales. Donc, le mot de "Contrat" est un mot publicitaire qui ne me paraît pas correspondre à la réalité.
Q-Vous n'adhérez pas à ce "Contrat", vous ne le signeriez pas ?
R-En tout était de cause, je n'ai pas été consulté sur ce sujet.
Q-Mais quand vous l'examinez ?
R-La principale disposition, sur les 35 heures, je crains beaucoup qu'elle nous permette de vérifier que les fautes de temps en politique sont aussi graves, et même plus graves, qu'elles ne le sont pour la langue française. On va avoir des difficultés dues au fait qu'une telle démarche de réflexion ou de remise en cause sur les 35 heures aurait dû être engagée en 2002. Après les élections de 2002, il y avait la légitimité, le soutien du pays, il s'était exprimé sur ce sujet. Deux ans et demi après, vous voyez bien ce qui va manquer : le sentiment qu'en effet, on n'est pas en prise avec la réalité de l'adhésion du pays.
Q-Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire ? Vous vous félicitez de cette
mesure ?
R-Je ne sais pas ce qu'elle comprendra comme dispositions exactes. Elle est, vous venez de le dire dans votre éditorial, extrêmement difficile à mettre en uvre, les dispositions techniques sont extrêmement difficiles à mettre en uvre. Je voudrais formuler une exigence : c'est que les heures supplémentaires continuent à porter primes pour le salarié. On a en France aujourd'hui un très gros problème de niveau de vie ; des millions de Français qui n'y arrivent pas à la fin du mois parce que simplement le travail n'est pas payé comme il devrait l'être, en raison du poids que nous avons du passé et de ce que coûtent en particulier les charges sociales. Les 35 heures sont pour moi un moyen d'échapper, de donner de l'oxygène aux millions de familles françaises qui n'y arrivent pas à la fin du mois. Notre exigence est que les 35 heures continuent à porter primes pour les salariés.
Q- Le Premier ministre a pris un engagement contractuel - alors vous dites : il n'y a pas de signataires de l'autre côté -, en tout cas lui a pris cet engagement, qui est de réduire le chômage de 10 % dans l'année qui vient. Jugez-vous cette promesse capable d'être tenue ?
R-Non, je ne la juge pas réaliste en l'état actuel des choses.
Q -Pourquoi ?
R-Je vois bien sur quoi le Premier ministre joue, sur ce qui l'attend. Il attend le fléchissement démographique français : que la pyramide des âges fasse que, beaucoup de gens partent à la retraite et très peu y entrent. Mais avec une croissance, on va dire molle pour être gentil, autour de 2 %, la création d'emplois n'est pas au rendez-vous, on le voit mois après mois. Et je ne crois pas que cela permette de réduire de 10 % le chômage l'année prochaine. J'aimerais me tromper, mais je suis sceptique.
Q-Vous avez été jadis ministre de l'Education nationale, vous avez géré les fonctionnaires. Estimez-vous que le Gouvernement devrait être plus généreux vis-à-vis des fonctionnaires aujourd'hui ?
R-En tout cas, il y a un très lourd problème de niveau de vie, de maintien du pouvoir d'achat de la fonction publique, puisque, vous le savez, l'inflation est beaucoup plus haute que les augmentations. Et il me semble qu'il faut dans ce cas-là, à tout le moins éviter les propos provocateurs. Cela n'est pas toujours le cas des responsables gouvernementaux.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 décembre 2004)