Tribune de Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Le Figaro" du 11 février 2005, sur la directive européenne relative aux services, intitulée "Il faut harmoniser par le haut".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Nous n'avons pas découvert il y a quinze jours les risques et les dangers du projet de directive européenne relative aux services, dite "directive Bolkestein". Ces risques avaient été mis en évidence par nos contacts avec les milieux professionnels et syndicaux et confirmés par le travail d'analyse approfondi conduit avec les nombreux ministères concernés. Nous avons exprimé nos réserves au Conseil des ministres de l'Union et au Parlement européen, où les élus français de toutes tendances se sont mobilisés. Comme l'avaient proposé plusieurs membres du gouvernement dont Michel Barnier, le président de la République et le Premier ministre ont demandé que le texte soit remis à plat. Leur message a été entendu par la Commission européenne, qui a reconnu les difficultés soulevées par sa proposition initiale et s'est dite prête à la réexaminer.
Certains voudraient instrumentaliser ce dossier dans le débat sur le traité constitutionnel. Rappelons d'un mot que la proposition de directive n'est en rien liée à la Constitution européenne. Elle a été formulée sur la base des traités existants et ne peut être approuvée que si elle recueille une majorité au Parlement européen et au Conseil des ministres.
S'il y a des enseignements à tirer de cette affaire, ils vont tous dans le sens d'une approbation du traité constitutionnel. Nous voyons bien la contribution qu'apportent, sur des sujets comme la directive services, le Parlement européen et les Parlements nationaux. L'action des élus français à Strasbourg s'est conjuguée avec celle de l'Assemblée nationale, qui a voté une résolution sur la base du rapport de Mme Comparini, et du Sénat. Il y a là un bel exemple de la vitalité démocratique de l'Union, du fonctionnement des institutions européennes et du rôle de nos parlementaires nationaux, qui seront renforcés par le Traité constitutionnel. Ce même traité nous permettra de mieux protéger les services publics et d'éviter qu'ils ne soient mis en cause par des directives de ce type. Nous avons besoin pour cela de mettre en oeuvre l'article III- 122 de la Constitution européenne.
S'agissant du fond de la proposition faite par la Commission, la position des autorités françaises est claire. Nous ne rejetons pas l'objectif d'un approfondissement du marché européen des services, la France étant la première nation exportatrice dans ce domaine. De nombreux emplois peuvent en découler. Mais nous refusons la méthode envisagée par la Commission, qui préconise que le droit applicable soit celui du pays du prestataire de service. C'est ce qu'on appelle le principe du pays d'origine. Appliquée de façon mécanique, cette méthode aurait pour conséquence un nivellement par le bas des législations. Elle ne serait pas conforme à l'idée que nous nous faisons de la construction européenne, qui ne doit pas se traduire par un moins-disant pour les travailleurs et les consommateurs. La méthode à suivre reste pour nous celle de l'harmonisation, qui est la meilleure manière de concilier la libre prestation de service et la garantie d'une protection satisfaisante. Nous devons, secteur par secteur, poursuivre dans cette voie.
Nous devons aussi veiller à défendre notre modèle social et culturel, et donc à maintenir notre réglementation en matière d'établissement pour les services publics et des secteurs comme le social et la santé, l'audiovisuel et la presse, les professions juridiques réglementées ou encore les sociétés de gestion de droits d'auteur, en les excluant du champ de la directive. Nous devons enfin nous assurer que la directive ne conduira pas à affaiblir le droit du travail et le respect des conventions collectives.
Il s'agit, on le voit, d'un sujet complexe, dont les enjeux sont considérables pour notre modèle social et notre développement économique. Nous devons y travailler dans les prochains mois avec les parlementaires, les partenaires sociaux, la Commission et les autres Etats membres dont les positions évoluent. La remise à plat du projet est l'occasion de repartir sur de nouvelles bases, plus conformes à l'idée que nous nous faisons de l'Europe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 février 2005)