Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'élargissement de l'Union européenne, Strasbourg le 5 février 2004.

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Circonstance : Discours devant le groupe PPE au Parlement européen, Strasbourg le 5 février 2004

Texte intégral

Monsieur le Président,
chers amis,
Je suis heureux d'être avec vous ici, dans ce Parlement européen aux couleurs du PPE. Je voudrais, Monsieur le Président, vous remercier pour votre engagement et pour le courage de vos positions, et vous dire combien nous sommes fiers d'avoir, à la tête du PPE en Europe, le Président Wilfrid MARTENS. Chers amis, je vous apporte aussi aujourd'hui le salut, sincèrement amical et fidèlement européen, du président de l'Union majoritaire au Parlement français, l'UMP, monsieur Alain JUPPE. Lors du dernier Conseil à Bruxelles, nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord sur le traité constitutionnel. Nous ne perdons cependant pas l'espoir de donner à 450 millions de femmes et d'hommes de l'Union européenne ce pacte constitutionnel, et nous souhaitons que cette année 2004 soit l'année de la réussite. 2004, d'abord, année de la victoire, victoire pour le PPE aux élections européennes. Je souhaite, Monsieur le Président, que nous puissions mener ensemble, dans tous les pays de l'Union, une campagne coordonnée en Europe, rassemblée autour d'un projet commun.
Ce projet vous en débattez, mais il doit s'inscrire évidemment dans ce principe d'égalité entre les Etats, des principes de la démocratie. Je voudrais vous dire avec sincérité que la France participe à ces débats avec passion. Les Françaises et les Français aiment le débat d'idées, aiment la diversité culturelle. Ne voyez pas, dans l'expression des Français, de l'arrogance ! Ne voyez pas, dans l'expression des Français, la volonté d'avoir raison à tout prix ! Voyez simplement un peuple qui, depuis sa Révolution, adore le débat des idées, adore la confrontation intellectuelle et a la passion de l'Europe.
Nous voulons évidemment, et avant tout, en 2004, réussir l'élargissement ; nous sommes heureux de cet élargissement ; nous sommes heureux que l'Europe retrouve enfin son lit, que l'Europe puisse se rassembler à 25. Ce premier mai, date d'application du traité d'Athènes, sera en effet un rendez-vous de l'Histoire. Nous souhaitons, du fond du cur, la bienvenue aux dix pays qui nous rejoignent. Nous voulons vraiment qu'ils trouvent toute leur place, quelle que soit aujourd'hui leur situation géographique ou démographique. Nous voulons que l'Europe se rassemble autour de ce qui a été un grand rêve et qu'aujourd'hui il serait stupide de considérer comme une banalité. L'élargissement est un élément immense de l'Histoire de ce début du siècle ; nous devons le vivre avec bonheur et détermination. Evidemment, il nous faudra aussi expliquer à nos pays et à nos peuples que, à 25, nous sommes capables de nous doter de structures qui puissent nous donner une organisation et une capacité de décision.
Oui à une Europe élargie. Mais oui aussi à une Europe approfondie autour d'un projet constitutionnel. Notre conviction, c'est que la Convention a bien travaillé et qu'il serait bien difficile à des ministres des Affaires étrangères, pourtant tous excellents, mais pourtant tous très pris entre deux avions, toujours à la recherche évidemment de contacts multiples et variés, de faire mieux, en moins de temps, que ce qu'a fait la Convention. Alors, ouvrons le débat ! Personne ne peut être fermé sur les propositions de la Convention, mais ce pacte-là, veillons à ce qu'il puisse nous permettre d'avoir une présidence plus stable, une politique étrangère mieux coordonnée, une défense plus lisible et plus stratégique avec le renforcement du contrôle démocratie et de la subsidiarité, avec la capacité de faire participer, grâce à la charte des droits fondamentaux, les Européens à la construction de l'Europe. Il y a, dans ce projet préparé par Valéry GISCARD d'ESTAING et tous les conventionnels, de la foi, de la capacité de construire l'Europe, et de faire que notre élargissement trouve sa gouvernance moderne au sein du XXIe siècle.
Nous souhaitons ce renforcement institutionnel parce que, naturellement, quand les institutions sont contraintes de se faire des procès les uns aux autres, la stabilité institutionnelle n'est pas idéale, et je ne souhaite pas qu'il y ait des conflits juridiques entre les institutions, il nous faut trouver d'autres moyens d'accord que le conflit juridique, des institutions fortes pour une Europe qui vit son élargissement de manière historique, mais de manière heureuse.
L'élargissement, l'approfondissement, la Convention, ce pacte républicain, mais aussi, ce qui me frappe aujourd'hui en Europe, c'est cet élan réformateur qui gagne chacun des pays de l'Union européenne, cette capacité à moderniser nos sociétés, à nous inscrire délibérément dans le XXIe siècle, avec un modèle européen original qui se veut à la fois efficace, compétitif, mais à la fois social et généreux. C'est cela, notre modèle européen auquel nous attachons tant d'importance. La France, comme d'autres pays, mène cette politique de réformes. C'est évidemment difficile, mais c'est nécessaire pour nous adapter à la nouvelle donne du monde, à la nouvelle démographie qui nous est posée. Il nous faut faire les réformes des retraites ; il nous faut faire les réformes de la santé, il nous faut valoriser l'autorité républicaine ; il faut aussi nous battre pour la croissance et pour l'emploi. Il nous faut mener toutes ces réformes, au fond, pour répondre à l'inquiétude des peuples européens.
Les peuples sont inquiets de voir une économie mondialisée qui semble systématique, mécanique et déshumanisée. Les peuples du monde entier veulent une société à pilotage humain ; ils sont inquiets de voir l'excès de financiarisation de notre économie ; ils sont inquiets de voir des décisions arriver chez eux, dans leur maison, dans leur travail, sans qu'ils aient l'impression que les décisions aient été prises de manière démocratique ou de manière identifiée. La société à pilotage humain, cette société de responsabilité et de liberté, c'est à l'Europe de la défense, c'est le projet européen, c'est ce qui nous rassemble, c'est le message qu'il nous faudra porter au mois de juin aux peuples de l'Europe.
Ces réformes, évidemment, imposent de nous des efforts. Nous avons réussi, avec l'Europe, à nous doter d'un élément puissant de développement, avec un marché qui s'organise. Nous devrons progresser dans la gouvernance de l'euro. La France accepte, évidemment, la discipline budgétaire liée à l'Europe, mais elle veut que l'on traite à égalité la stabilité et la croissance. Je suis heureux de voir l'évolution de la pensée de monsieur SOLBES sur ce sujet ; elle va dans la bonne direction. Oui à la stabilité, oui à la discipline, mais oui aussi à la croissance, car si, sur les vingt prochaines années, nous avons encore un point de croissance de moins que les économies comme celle des Etats-Unis, il est clair que le projet européen se trouverait affaibli. La croissance est une priorité, elle passe par la discipline ; elle passe aussi par la capacité de mener ensemble des stratégies de développement, et elle passe - il faut bien le dire - par des réformes ambitieuses comme l'a fixé notre projet à Lisbonne. Mais elle passe aussi par une grande attention portée au taux de change notamment entre l'euro et le dollar. Je souhaite que les autorités financières puissent être attentives à cette situation. Il ne faudrait pas que nos gains de productivité, souvent gagnés par des réformes difficiles, soient rongés par une inégalité ou une mobilité des taux trop rapides et qui ne sont pas adaptés à la réalité de nos économies. Nous voulons des taux de change qui soient adaptés à la réalité des économies : c'est pour cela que je souhaite que l'ensemble du G7, qui se réunit en fin de semaine, puisse se retrouver sur ce diagnostic.
Il y a là, chers amis, pour nous, de véritables défis en cette année 2004. Ce qui me paraît le plus important, c'est que, au fond, l'Europe a pris beaucoup de temps, depuis ses fondateurs, pour se donner une géographie, pour se donner des institutions. Mais aujourd'hui, l'Europe n'a plus de temps, car il faut que l'Europe participe à l'organisation de la gouvernance mondiale. Le monde a besoin de stabilité ; le monde a besoin de coopération internationale. Il faut repenser l'ONU, source du droit international ; il faut repenser l'OMC pour un développement plus juste ; il faut penser à la protection de la planète, au protocole de Kyoto, à la conscience que, finalement, aujourd'hui, l'humanité a la capacité de détruire son espace. Il faut donc engager des travaux importants pour que le monde ait une gouvernance stabilisée, et ce monde est aujourd'hui engagé dans ce mouvement. Si l'Europe ne s'organise pas, elle participera à ce mouvement de manière dispersée, et les idées de l'Europe ne seront ni présentes ni puissantes, comme nous le souhaitons qu'elles le soient, dans un monde plus humanisé. C'est pour ça que nous avons ce devoir de rapidité, ce devoir d'aller très vite dans cette année 2004, de nous doter de nos institutions et de faire entendre, dans le monde, la voix de l'Europe. Le monde a besoin de l'Europe, nous faisons l'Europe pour nous-mêmes, mais nous la faisons aussi pour que le monde entende la voix des 450 millions d'Européens.
Comme vous tous, chers amis du PPE, j'ai travaillé mes racines chrétiennes, et je n'oublie pas que, au début, il y avait huit péchés capitaux. Après, il n'y en a eu plus que sept, et celui qui était le premier des huit, c'était "l'acédie" c'était le manque d'espérance. Alors, pour nous tous, l'Europe est un devoir d'espérance. Merci. "
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 10 février 2004)