Tribune de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, dans "Rue Saint Guillaume", revue de l'Association des Sciences Po de janvier 2005, sur le rôle de l'Eurogroupe pour coordonner les politiques économiques européennes et les politiques budgétaires nationales des membres de la zone euro, intitulée "Un gouvernement économique pour l'Europe".

Prononcé le 1er janvier 2005

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Média : Rue Saint-Guillaume"

Texte intégral

L'Union européenne a accueilli dix nouveaux pays le 1er mai dernier. Elle se dote d'une Constitution. Les Européens se sont donnés une monnaie unique, un marché unique, une banque centrale européenne, mais l'Europe n'a pas de gouvernement économique. Face à des défis qui sont les mêmes en Europe, comme le vieillissement démographique et un chômage élevé, face à une croissance insuffisante et des difficultés conjoncturelles, comme l'appréciation de l'euro ou la hausse des cours du pétrole, nos politiques économiques réagissent le plus souvent dans le désordre.
En guise de gouvernement économique, notre système se résume à la juxtaposition d'une banque centrale indépendante et d'une règle budgétaire, le Pacte de stabilité et de croissance, qui n'est perçue par nos concitoyens que comme un système complexe et formaliste de sanctions financières;
Un gouvernement économique pour l'Europe, c'est mettre l'Europe au service des citoyens en faisant travailler ensemble les gouvernements. Bâtir un gouvernement économique, c'est donc d'abord renforcer les instances politiques et l'Eurogroupe en particulier, et s'assurer que les débats politiques nationaux et les discussions politiques européennes soient mieux articulés: les engagements pris à Bruxelles n'en auront que plus de force. Bâtir un gouvernement économique, c'est ensuite mettre la croissance et l'emploi au cur de nos préoccupations.
C'est pourquoi, à la tête du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, j'ai plaidé à Bruxelles pour renforcer l'efficacité de l'Eurogroupe et pour réfléchir aux améliorations que nous pourrions apporter au Pacte de stabilité et de croissance.
L'Eurogroupe est l'enceinte privilégiée de la coordination des politiques économiques: c'est une enceinte informelle qui rassemble les ministres des Finances de pays partageant la même monnaie, l'euro, et qui font face à des défis communs.
L'élection d'un président de l'Eurogroupe, pour une période de deux ans à compter du 1er. janvier 2005, permettra de disposer d'une présidence stable et d'assurer ainsi une meilleure continuité aux travaux de l'Eurogroupe et de lui donner une plus grande visibilité. Le traité établissant une Constitution pour l'Europe prévoit déjà une telle présidence stable mais il était important de pouvoir mettre en uvre cette disposition de manière anticipée, avant la ratification du traité, et je suis très heureux d'avoir pu obtenir cette avancée, dès 1er mois de septembre avec l'élection de Jean-Claude Junker, le Premier ministre Luxembourgeois, lors de la réunion informelle des ministres des Finances de la zone euro aux Pays-Bas.
La gouvernance économique de l'Union européenne peut donc désormais s'appuyer sur un tripode : à côté du rôle essentiellement réglementaire de la Commission et du rôle monétaire de la Banque centrale européenne, l'Eurogroupe pourra pleinement jouer le rôle économique, y compris en matière de politique industrielle.
Il faut d'ailleurs favoriser les échanges entre les ministres des Finances et la Banque centrale européenne. Le président de la BCE participe aux réunions de l'Eurogroupe. Il y a toute sa place: certes, le mandat de la BCE est d'assurer la stabilité des prix, mais les traités lui demandent aussi d'apporter" son soutien aux politiques économiques générales dans la Communauté, c'est-à-dire aujourd'hui, pour ce qui la concerne, " un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques, un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, une croissance durable et non inflationniste, un haut degré de compétitivité et de convergence des performances économiques ". Sans qu'il soit besoin de réformer le statut de la BCE, l'Eurogroupe constitue donc une excellente occasion pour que les échanges entre les ministres des Finances et le président de la BCE permettent d'assurer une " meilleure articulation possible entre les politiques budgétaires nationales et la politique monétaire commune ".
Il était également primordial de renforcer la capacité de décision de l'Eurogroupe : lorsqu'un sujet touche spécifiquement la zone euro, tel que l'entrée d'un nouveau membre dans la zone, par exemple, l'avis des ministres des Finances de la zone doit avoir plus de poids que celui des ministres dont les pays n'ont pas adopté la monnaie commune. C'est pourquoi la France, dans le cadre de la conférence intergouvernementale, a plaidé jusqu'au bout, et a fini par obtenir que ce type de décision ne puisse être pris par l'Ecofin, instance formelle de vote, qu'après un avis favorable de l'Eurogroupe.
L'ordre du jour de l'Eurogroupe a été amélioré et il convient de poursuivre dans cette voie. Les discussions sur le fond doivent être privilégiées au détriment des questions de procédure. Chaque réunion doit déboucher, de manière visible, sur un diagnostic, des actions, une communication commune, qu'il s'agisse d'une question macro-économique ou d'un sujet de réforme. Je dois avouer que l'actualité nous a plutôt bien servis ces derniers mois et que je ne me suis ennuyé à aucune des réunions auxquelles j'ai participé: envolée des prix du pétrole, variations des taux de change avec le dollar, situation des finances publiques des États de la zone, réforme du Pacte de stabilité et de croissance (j'y reviendrai), nos discussions ont été animées!
Il faut maintenant aller plus loin, et trouver les moyens de mieux coordonner les politiques budgétaires nationales des membres de la zone euro. Cela commence par une meilleure synchronisation des calendriers budgétaires nationaux. Une telle évolution serait très importante, et elle mérite d'autant plus la réflexion qu'elle devra être conduite dans le respect de la souveraineté nationale de chacun. Mais les réactions positives que j'ai recueillies auprès de mes collègues me donnent l'espoir que ce chantier aboutira.
Dans le même temps, il faudra veiller à une meilleure articulation entre les débats budgétaires nationaux et les débats européens. Les Parlements nationaux doivent être mieux informés des orientations de politique économique financière et budgétaire à moyen terme et de leur contexte européen. En France, un débat parlementaire pourrait se tenir chaque année au printemps, entre le Conseil européen de mars et celui de juin, au moment du travail de préparation de nos grandes orientations de politique économique (GOPE). Le débat d'orientation budgétaire pourrait en fournir l'occasion.
Nous avons besoin de règles pour guider nos finances publiques et marquer notre attachement commun à la discipline budgétaire. Le Pacte de stabilité et de croissance a été conçu dans cet esprit.
En même temps, le Pacte n'a pas permis d'éviter les dérapages dans les périodes de croissance. De ce fait, le Pacte conduit à recommander la rigueur budgétaire au moment où la conjoncture est faible. Comment nos concitoyens peuvent-ils le comprendre? Enfin, alors que le vieillissement démographique va peser sur la situation financière de nos systèmes de retraite et de santé, le Pacte ne prend que mal en compte la dette et les engagements financiers au titre de nos systèmes de protection sociale. Nous devons donc améliorer la règle commune.
Grâce à notre réunion des 15 et 16 novembre dernier, nous nous sommes déjà mis d'accord sur un certain nombre de points, ce qui devrait permettre d'aboutir au premier semestre 2005, sous présidence luxembourgeoise (l'élection de Jean- Claude Junker n'en a que plus d'intérêt).
Ainsi, comme la France le réclamait, la situation conjoncturelle sera mieux prise en compte les critères actuels de déficit et de dette (les fameux 3 % et 60 %) ne seront pas modifiés, mais en cas de déficit supérieur à 3 % du PIB, le rythme de l'ajustement pourra être adapté à la situation conjoncturelle.
À l'inverse, les périodes de croissance devront être mises à profit pour que les pays se désendettent. L'appropriation des objectifs du Pacte de stabilité et de croissance par chaque État membre doit d'ailleurs être améliorée avec des règles nationales de comportement financier et budgétaire qui indiquent comment utiliser les recettes fiscales supplémentaires perçues pendant les périodes de croissance C'est l'objet de la loi organique que j'a déposée devant le Parlement et qui est en passe d'être adoptée.
L'accent sera mis davantage sur le long terme et la dette, les engagements pris au titre de nos régimes de retraite et les réformes qui réduisent ces engagements seront mieux pris en compte.
Il sera enfin nécessaire de mieux prendre en compte la qualité de la dépense dans le contexte de chaque pays: par exemple pour ceux qui ont un retard d'investissement, ne pas dissuader l'investissement public; pour tous, veiller à ce que le choix budgétaires du court terme ne conduisent pas à sacrifier les dépenses tournées vers l'avenir, en particulier dans les domaines de la recherche et du développement. Nous devons aussi réfléchir à la manière dont sont prises en compte les dépenses militaires, car celles-ci concourent à la défense commune et profiteront donc à toute l'Europe.
(Source http://www.u-m-p.org, le 12 janvier 2005)