Déclarations de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, lors d'une d'une conférence de presse conjointe avec M. Abdelaziz Belkhadem, ministre algérien des affaires étrangères, et à l'issue de son entretien avec M. Abdelaziz Bouteflika, président de l'Algérie, sur les relations franco-algériennes et la signature d'accords de coopération, les convergences de vue sur les grands dossiers internationaux et la question des harkis, Alger le 13 juillet 2004.

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Circonstance : Voyage en Algérie de Michel Barnier les 12 et 13 juillet 2004

Texte intégral

(Déclaration de Michel Barnier lors d'une conférence de presse conjointe avec le ministre des affaires étrangères, M. Abdelaziz Belkhadem, à Alger le 13 juillet 2004) :
Mesdames, Messieurs, en m'adressant d'abord à vous, représentants de la presse, je voudrais vous remercier de votre présence et de votre attention à cette visite. J'ai été très touché, croyez-moi, de cette première visite comme ministre français des Affaires étrangères, et je suis très ému à cette occasion. Je suis heureux de la qualité, de l'amitié de la visite : heureux de la qualité de l'amitié avec laquelle j'ai été reçu depuis hier par Abdelaziz Belkhadem et je serai honoré dans quelques instants d'être reçu par le président Bouteflika.
A propos du président, je dois vous dire, comme ministre français, le sentiment du président de la République M. Jacques Chirac : nous sommes particulièrement touchés que le président Bouteflika ait accepté de venir le 15 août de l'autre côté de la Méditerranée pour participer aux cérémonies commémoratives du Débarquement dans le Sud de la France. C'est un geste de la part du président algérien qui nous va droit au coeur et qui sera l'occasion, ensemble, de saluer la mémoire de beaucoup de soldats algériens qui sont morts à l'occasion de ce débarquement et de remercier les vétérans algériens qui ont participé à la libération du continent européen et de nos pays.
C'est peu de dire que, depuis 1999, en particulier grâce à la relation personnelle amicale du président M. Abdelaziz Bouteflika et du président M. Jacques Chirac, les relations entre nos deux pays ont pris un nouvel élan. C'est aussi le sens de cette visite après beaucoup de rencontres.
Il y a eu neuf rencontres auprès des deux chefs d'Etats, seize visites ministérielles, entre nos deux gouvernements et naturellement, au-delà des chefs d'Etats et des ministres et pour relier et amplifier ces rencontres, il y a d'autres relations auxquelles j'attache beaucoup d'importances. Je suis accompagné aujourd'hui de deux parlementaires français, M. Eric Raoult et M. Jean-Claude Guibal, vice-présidents du groupe d'amitié entre la France et l'Algérie à l'Assemblée nationale. Et, dans le même esprit, j'attache beaucoup d'importance aux relations qui sont menées sur le terrain, le plus près des gens, entre les collectivités territoriales de nos deux pays.
A l'occasion de cette visite tout à l'heure, nous avons signé quatre accords qui prouvent qu'il ne s'agit pas seulement de mots, de discours, de voeux, mais aussi d'actions concrètes qui engagent les administrations. Et je veux laisser tous mes collaborateurs travailler pour la signature de ces accords, mais aussi des entreprises, des universitaires, des chercheurs.
Un accord, auquel j'attache beaucoup d'attention comme le ministre algérien puisqu'il s'agit d'un engagement de nos deux chefs d'Etats, a été signé ; c'est celui qui concerne la création de l'Ecole supérieure algérienne des affaires qui délivrera des diplômes et des certificats reconnus en Algérie et en France, qui proposera un certain nombre de formations, formation initiale, formation continue, et qui donne aussi un signal important en direction de la nouvelle génération, un signal de la confiance qui existe désormais dans le développement économique de l'Algérie, par la capacité qui peut être donnée à de jeunes Algériens d'être formés comme on doit l'être aujourd'hui et ensuite d'être engagés, de prendre le risque d'investir dans le développement économique de ce pays. Donc quatre accords concrets qui témoignent de cette relation que nous avons et pour le progrès de nos deux peuples, dans ce qui a été appelé par le président Bouteflika et le président Chirac ce partenariat d'exception qui s'appuie sur les liens très singuliers entre l'Algérie et la France. Une histoire partagée parfois, une histoire difficile ou tragique, une proximité géographique, des liens culturels et surtout et par-dessus tout, s'agissant de la communauté algérienne en France, de la communauté française en Algérie, des liens humains tissés par des hommes et des femmes tout au long des générations passées.
Dans ce partenariat d'exception, nous voulons sauvegarder deux angles, et voilà pourquoi les ministres se rencontrent de telle sorte que l'on travaille concrètement - je viens de citer quatre preuves de ce travail concret - à nourrir ce partenariat, le sauvegarder.
En tout cas, je vais le dire au nom du gouvernement français, et vous le verrez dans quelques jours lorsque Michèle Alliot-Marie viendra ou lorsque Nicolas Sarkozy reviendra, il faut nous mobiliser comme nous l'a demandé le président de la République, à travers l'engagement personnel des ministres, des parlementaires des collectivités territoriales, pour nourrir et concrétiser les relations entre nos deux peuples qui éprouvent l'un pour l'autre et depuis longtemps ce que le général de Gaulle, qui a beaucoup compté pour mon engagement personnel, a appelé un attrait particulier et élémentaire entre Français et Algériens.
Dans le prolongement de la déclaration d'Alger et de la visite du président français en mars 2003, nos deux chefs d'Etats ont décidé de préparer un traité d'amitié. L'objectif, c'est que ce traité d'amitié soit prêt l'année prochaine, donc nous avons lancé ensemble tous les deux et avec nos collaborateurs, la préparation concrète de ce traité d'amitié qui portera sur la coopération bilatérale, sur la dimension euro-méditerranéenne de nos relations, sur le travail de mémoire qui est engagé, en même temps que sur les questions de sécurité et de défense.
Il y a, Mesdames et Messieurs, ce que nous voulons et ce que nous devons faire ensemble, pour la paix, la stabilité, le progrès partagé entre nos deux peuples. Et puis il y a en plus, et je termine par cela, ce que nous pouvons faire ensemble, Algériens et Français, sur cette rive de la Méditerranée ou partout ailleurs dans le monde. Il y a tant de conflits, tant de secousses et d'instabilité. Je suis très frappé, depuis hier soir, par la convergence de nos analyses, des positions très fortes de l'Algérie, qui est membre du Conseil de sécurité actuellement, devant les grands conflits, les grands problèmes qui nous concernent tous : par exemple au sujet de l'Irak, où la communauté internationale vient désormais s'unir dans le cadre des Nations unies pour soutenir le peuple irakien et le gouvernement, pour participer à la reconstruction politique et économique du pays et voilà qui justifie le rétablissement hier des relations diplomatiques entre la France et l'Irak.
Sur le Proche-Orient, je me trouvais il y a quelques jours à peine à Ramallah, pour aller à la rencontre du président Arafat, comme j'irai dans quelques semaines en visite bilatérale en Israël. Nous sommes, s'agissant de ce conflit central qui est à la source de toutes les instabilités dans cette région et dans le monde, à un moment de vérité. Il nous faut ensemble - les pays de la région, l'Union européenne, et pas seulement elle, sur cette question, nous avons la même analyse, les vingt-cinq pays de l'Union - tout faire pour, dans le cadre du Quartet, relancer le processus politique de la Feuille de route, rétablir la perspective d'un Etat palestinien viable, souverain, au côté d'un Etat israélien vivant en paix et en sécurité.
Et puis il y a, dans cette grande région, les réformes, le développement, en particulier ici dans le monde arabe et en Afrique ; nous pensons que le changement, qui est nécessaire, que l'adaptation viendra d'abord des Etats eux-mêmes, dans le dialogue avec leur société civile. Et nous sommes prêts, comme Européens - je n'oublie pas, le ministre me l'a rappelé, l'expérience que je viens de vivre pendant cinq ans au coeur de l'exécutif européen comme commissaire -, nous avons des raisons de mutualiser une partie de nos réponses, agir ensemble, notamment dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen.
Voilà, nous sommes vraiment ensemble, sur beaucoup de sujets et nous sommes décidés à agir ensemble au sein des Nations unies avec l'Union européenne. Naturellement la position du Maghreb est essentielle pour favoriser, sur tout ce qui nous paraît important, l'intégration régionale qui doit être soutenue par l'Europe. C'est encore une fois le sens de ce partenariat renforcé avec le Maghreb, qui a été adopté à l'occasion de la conférence euro-méditerranéenne, mais encore, il ne faut pas se contenter de ce discours de voeux, mais concrétiser ce partenariat.
Nous entendons, j'entends porter une attention personnelle à toutes ces questions de développement et de perspective d'intégration du Maghreb. Encore une fois, je m'exprime comme ministre français des Affaires étrangères mais aussi comme ancien commissaire européen. Je pense à la politique régionale et structurelle dont j'avais la charge, des codes vont être rédigés, qui doivent être utilement mis en oeuvre dans certaines régions d'Algérie, de Tunisie et du Maroc.
Je pense enfin que cette dynamique nécessite, le moment venu et le plus tôt sera le mieux, qu'une solution politique soit trouvée à la question dont nous avons parlé, comme le ministre l'a dit, du Sahara Occidental. Cette question, selon nous, doit être agréée par les parties dans le cadre des Nations unies et elle passe aussi par un dialogue direct entre Rabat et Alger. Et j'ai dit aujourd'hui comme je l'ai dit à Rabat, il y a quelques jours, combien et pourquoi nous encouragions ce dialogue direct entre Alger et Rabat.
Voilà, je voudrais à nouveau publiquement, devant vous, remercier l'Algérie et son gouvernement, le ministre des Affaires étrangères, pour l'amitié, la qualité de l'accueil que je reçois, saluer à travers vous la communauté algérienne de France et la communauté française d'Algérie. Encore une fois, au-delà des discours, au-delà des protocoles, au-delà des accords, j'attache prioritairement de l'importance aux relations humaines, aux relations citoyennes entre nos deux pays.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce que la question des Harkis a été abordée et dans quelles conditions vous avez signé quatre accords ?
R - Il y a en effet quatre accords - un quatrième accord que nous avons finalisé ce matin sur l'Ecole supérieure algérienne des affaires - qui portent sur les recherches, des travaux archéologiques et puis sur des sujets très concrets, qui sont importants pour moi. Vous savez que j'ai été ministre français de l'Environnement, cela fait de très longues années que je suis engagé sur ces sujets, durablement engagé sur les questions de développement durable, donc sur les questions liées aux travaux hydrauliques d'une part, aux recherches, à la prévention des risques sismiques d'autre part, dans le cadre de la coopération avec l'Institut français de Recherche et de Développement dont le président, M. Girard, est ici. Nous avons signé deux autres accords qui portent sur ces sujets du développement durable.
Oui, nous avons évoqué cette question des Harkis qui font partie totalement de la communauté française et le souci, le souhait que beaucoup d'entre eux ont de revenir. Nous avons remercié les ministres algériens des efforts qui ont déjà été faits pour faciliter ces rencontres ou ces retours et j'ai dit également que je signalerai aux autorités algériennes les problèmes particuliers qui pourraient se poser.
Q - Monsieur le Ministre, les organisations internationale de défense de liberté de la presse, ont insisté récemment sur la dégradation de la situation des libertés en Algérie marquée particulièrement par l'emprisonnement de quatre journalistes. Cette question a-t-elle été abordée avec votre homologue algérien ? Ma deuxième question porte sur la Constitution, les Droits de l'Homme. Est-ce que la France aujourd'hui peut se contenter uniquement de "parler affaires" avec les Algériens, avec les immigrants algériens et observer le silence face à ce qui est communément admis comme un véritable massacre de conscience.
R - A la question de savoir si nous avons évoqué les questions liées à la liberté de la presse, je vous répondrai que, d'une manière générale et traditionnelle, la France est attachée au pluralisme de la presse, à la liberté de la presse, partout dans le monde. Je connais encore mal votre pays et je serai en mesure de mieux le connaître, mieux le comprendre en venant et en rencontrant les Algériens le plus souvent possible. J'ai compris, c'est une chance en Algérie, que la presse est très diverse, libre, aussi bien en langue arabe qu'en langue française, et, à lire un certain nombre d'articles, j'observe qu'on y trouve de nombreuses caricatures ! Je crois qu'il est important pour l'image de l'Algérie de se pencher sur cette situation. Nous avons évoqué cette question avec les autorités algériennes.
Q - Votre homologue italien vous a appelé avec la France à définir une politique commune. Est-ce que cette politique commune vous semble possible. Et à Monsieur Belkhadem, pensez-vous qu'il faudrait mettre entre parenthèses la question du Sahara Occidental pour pouvoir améliorer sensiblement les relations avec le Maroc dans un premier temps (...) ?
R - Je peux compléter ma réponse de tout à l'heure et d'abord vous dire franchement que le Maroc et sa Majesté le Roi, l'Algérie et le président de la République, n'ont pas besoin de tuteur ou de tutelle pour dialoguer entre eux, franchement. Ou d'ailleurs avec les autres pays du Maghreb. Et ce que j'ai constaté, en allant à Rabat, il y a quelques jours, et que je constate aujourd'hui, c'est une très grande disponibilité au plus haut niveau dans ces deux pays pour continuer le dialogue qui existe, l'élargir, l'approfondir, lui donner un nouvel élan et nous trouvons que c'est peut-être exactement comme cela que les choses peuvent progresser.
La question de l'intégration du Maghreb, la question du développement de cette partie-là de la rive sud de la Méditerranée ne se résume pas à la question du Sahara Occidental. Donc il faut probablement continuer à avoir un dialogue plus large et s'agissant de l'Espagne, de la France et de l'Italie, ces pays qui ont une réalité géographique méditerranéenne dans l'Union européenne, le Portugal aussi, la Grèce, ces pays vont en effet, ensemble et avec les autres pays européens, mutualiser davantage leur réponse ou leur action dans cette région. Je pense que c'est comme cela que ce sera plus efficace et nous allons relancer ce partenariat euro-méditerranéen pour le rendre plus concret, plus opérationnel. Je pense que ces pays européens qui ont une proximité avec la Méditerranée, une réalité méditerranéenne, ont un rôle particulier à jouer ; c'est en particulier le cas de l'Espagne et de la France. Encore une fois nous pensons, pour cette question importante du Sahara Occidental et dans le cadre des Nations unies, après le travail qui a été fait par M. Baker et M. Alvaro de Soto, nouveau représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, que ce dialogue entre ces deux pays sera très vite fondamental, et nous l'encourageons.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2004)
(Déclaration de Michel Barnier à l'issue de son entretien avec le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, à Alger le 13 juillet 2004) :
Des relations très singulières, très chaleureuses existent entre le président Jacques Chirac et le président Bouteflika. J'ai eu l'occasion de dire au président Bouteflika combien nous sommes touchés qu'il ait accepté de venir le 15 août pour les cérémonies commémoratives du débarquement et qu'ensemble nous rendions hommage aux soldats algériens qui ont contribué à libérer l'Europe et à libérer mon pays.
Dans cet esprit-là, dans le prolongement des rencontres assez nombreuses, Monsieur le Président, entre vous-même et Jacques Chirac, entre les ministres qui viennent, qui vont venir ici à Alger, nous avons parlé de ce que doit être ce partenariat exceptionnel, pas seulement avec des mots, mais aussi avec des réalisations, avec des projets concrets qui intéressent, c'est le souci du président Bouteflika et cela m'a beaucoup frappé, d'abord les jeunes Algériens et sans doute aussi les jeunes Français. Donc des projets dans l'éducation, dans le domaine de la formation, je vais m'attacher à répondre, avec mes collègues français, à ces demandes précises qui intéressent les générations futures. Naturellement, pendant tout ce temps, j'ai eu le souci d'écouter le président Bouteflika, sur tout ce qui se passe autour de nous et à quoi nous pouvons contribuer, Français et Algériens, ensemble, par une parole commune et généralement par des positions communes. Je pense au conflit irakien dont nous devons sortir maintenant avec le nouveau gouvernement, je pense à la tragédie du conflit entre Israël et la Palestine, à tout ce qui se passe au sud, sur le continent africain, puis enfin j'ai rappelé au président le temps que je viens de passer moi-même avant d'être ministre des Affaires Etrangères de la France, pendant cinq ans, au sein de l'exécutif européen et dans quel esprit, s'agissant de ce dialogue entre les deux rives de la Méditerranée, il y a aussi une réponse de l'Union européenne à l'égard de l'Algérie, à l'égard des pays du Maghreb. J'ai été très touché par la qualité de l'amitié, de l'accueil que j'ai reçu pour cette première visite en tant que ministre des Affaires étrangères à Alger.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juillet 2004)