Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, devant la Communauté française de Tunisie, et conférence de presse, sur les relations franco-tunisiennes, les rapports entre l'Union européenne et les pays du sud de la Méditerranée, et la situation au Proche-Orient et en Irak, La Marsa le 18 et Tunis le 19 juillet 2004.

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Circonstance : Voyage en Tunisie de Michel Barnier les 18 et 19 juillet 2004

Texte intégral

(Déclaration de Michel Barnier devant la communauté française de Tunisie, à La Marsa le 18 juillet 2004) :
Monsieur l'Ambassadeur, merci à vous et à votre épouse Florence de votre accueil.
Mesdames, Messieurs, je voudrais simplement, avec mon épouse Isabelle qui est à mes côtés, avec Mme Cerisier-ben Guiga que vous connaissez, qui est une grande amie de la Tunisie, sénatrice, présidente du groupe d'amitié France-Tunisie du Sénat, vous dire que nous sommes très heureux de ce premier contact, quelques minutes, quelques heures seulement après notre arrivée ici. C'est l'occasion de retrouver cette belle résidence et surtout de vous rencontrer sans trop de protocole. C'est peut-être pour vous la deuxième occasion de venir ici en quelques jours, après le 14 juillet. Je suis heureux que vous ayez pu vous libérer une seconde fois pour aller à la rencontre et au dialogue avec le nouveau ministre français des Affaires étrangères.
C'est en effet ma première visite officielle ici en Tunisie. Je suis venu aussi vite que je pouvais après être allé cette semaine en Algérie, et il y a quelques jours au Maroc, non seulement pour dialoguer avec les autorités de ce pays comme je l'ai fait avec les autres responsables du Maghreb, dans les pays voisins, mais aussi pour aller à la rencontre de la communauté française dont je dirai quelques mots de ce que j'ai compris qu'elle était.
Je voudrais aussi, Monsieur l'Ambassadeur, vous dire, ainsi qu'à votre épouse, que j'apprécie que vous ayez pris l'initiative d'ouvrir ce parc à beaucoup de Tunisiens qui essaient de deviner ce qu'il y a derrière les murs. 5.000 personnes, m'a-t-on dit, sont venues visiter cet espace naturel - si je puis dire - dans lequel vous avez eu la bonne idée d'exposer des oeuvres d'art moderne de Bernar Venet, juste ici d'ailleurs, et d'autres artistes tunisiens et français que je découvrirai tout à l'heure. Je trouve très important qu'on fasse cet effort d'ouverture des immeubles et des espaces de la République française à l'étranger, comme nous essayons nous-même de le faire en France. Mon épouse a eu la même idée en faisant un accrochage d'art moderne au Quai d'Orsay, ce qui est un peu plus difficile, je peux vous le dire, mais enfin nous avons continué. Je suis heureux en tout cas de vous féliciter de cette initiative.
Il y a beaucoup de raisons, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, pour qu'un ministre des Affaires étrangères consacre du temps à ce dialogue franco-tunisien, dans le prolongement de la visite qu'a faite ici le président de la République au mois de décembre dernier et, au-delà du discours, au-delà des visites au plus haut niveau, pour donner un contenu politique, économique, culturel - un contenu concret j'allais dire en ce qui me concerne et j'y tiens beaucoup - un contenu humain ou humaniste à ces relations telles qu'elles ont été relancées depuis quelques années entre la France et la Tunisie.
J'observe d'ailleurs concrètement les progrès de cette coopération : le protocole d'accord sur le contentieux immobilier franco-tunisien, non réglé depuis l'indépendance ; l'accord de coopération dans le domaine du tourisme ; la signature de deux conventions sur l'aide française au développement ; une coopération dans la lutte contre le cancer - c'est très important qu'on touche ainsi aux préoccupations quotidiennes y compris et peut-être d'abord dans le domaine de la santé - et puis la signature prochaine d'un accord-cadre de partenariat économique et financier.
Ce sont des sujets bilatéraux que j'évoquerai, au-delà de ces accords, dans les discussions que j'aurai ce soir avec mon homologue le ministre des Affaires étrangères de Tunisie et demain, avec le président Ben Ali.
Je trouve très important aussi de noter deux points dans la relance de ces relations bilatérales. Sur le plan d'abord de l'économie, du commerce, il est à rappeler que la France est le premier partenaire de la Tunisie et que nous recevons 30 % des exportations tunisiennes. Et puis il y a un autre point auquel je reste attentif parce que je n'oublie pas les vingt ans que j'ai passés à la tête d'une collectivité territoriale, en Savoie, qui a elle-même pratiqué activement la coopération décentralisée. Il s'agit de la coopération décentralisée avec cinq régions françaises, six départements et trente-et-une communes.
Monsieur l'Ambassadeur, vous devez savoir que je suis très attaché à cette forme de coopération entre collectivités territoriales de part et d'autre de la Méditerranée qui vient relayer, amplifier, décentraliser ce que nous pouvons faire, quelques fois avec moins de moyens, moins de continuité.
Il y a de la coopération clairement bilatérale, je viens de l'évoquer rapidement. Je pense que cette coopération, ce dialogue entre nos deux pays a une autre dimension, une autre perspective, à laquelle ne soyez pas surpris que je continue de m'intéresser, et qui est, de part et d'autre de cette Méditerranée, le dialogue entre le Maghreb et l'Union européenne.
Je viens de passer cinq ans au coeur de l'exécutif européen comme Commissaire. J'étais en charge, vous le savez peut-être, du deuxième budget de l'Union européenne destiné, à l'intérieur de l'Union, à soutenir les régions les moins développées, à exercer de la solidarité pas seulement avec des mots mais avec beaucoup d'argent. Ce budget représente à l'intérieur de l'Union 215 milliards d'euros et j'avais la charge de le répartir, de le gérer le plus efficacement et le plus correctement possible.
Cette idée de solidarité que nous voulons entre nous Européens, à l'égard des régions les plus en difficulté, nous voulons également la traduire à travers des crédits de voisinage, avec le programme MEDA, le Fonds européen à destination des pays plus au Sud, à côté de nous dans les pays du voisinage. Nous allons y veiller, nous Français, avec nos amis et partenaires espagnols, italiens, grecs ou portugais, enfin ceux qui ont un engagement, un attachement naturel avec la Méditerranée au moment où, avec l'élargissement à l'Est, naturellement, le centre de gravité de l'Union européenne se déplace ; où il y a de ce côté-ci de la Méditerranée une crainte que je peux comprendre qu'en s'élargissant à l'Est et au Nord - et c'est un grand défi, un formidable défi que cette réunification de l'Europe - on oublie ce qui se passe sur le continent africain et notamment ici, au plus près, au sud de l'Europe.
J'ai donc l'intention de beaucoup m'attacher et de dépenser beaucoup d'énergie à préserver ce dialogue euro-méditerranéen et même à le relancer ; à éviter qu'il ne tombe dans l'habitude ou dans trop de traditions ; à faire en sorte que les politiques arabes que certaines pays européens mènent, et mènent activement, - le Royaume-Uni, l'Espagne et la France ont des politiques arabes - ne soient pas juxtaposées les unes à côté des autres, quand elles ne sont pas concurrentes. Je veux m'attacher à ce qu'elles soient de plus en plus mutualisées face aux défis que nous avons à relever dans ces pays ; peut-être plus gravement encore en Algérie, au Maroc ou en Égypte qu'en Tunisie elle-même, compte tenu du développement économique que ce pays a atteint. Des défis que nous avons à relever avec ces pays, sans jouer de je ne sais quelle tutelle ou paternalisme, dans le cadre de ce qu'on appelle le partenariat euro-méditerranéen.
Je vais m'attacher très sincèrement à cette mutualisation-là, d'autant plus que, c'est peu de le dire, dans cette grande région du sud de la Méditerranée, sans doute plus à l'est pour vous, se trouve tout de même au Proche-Orient, entre Israël et l'Autorité palestinienne, en Irak et dans d'autres coins de ce Proche et Moyen-Orient, la source, la raison, le coeur de beaucoup d'instabilité qui touchera des pays comme les nôtres ou qui peuvent les toucher et qui aura des conséquences dans nos propres sociétés européennes. Donc, je pense que, là aussi, il y a une raison au dialogue entre la Tunisie et la France, entre le Maroc, l'Algérie et la France, entre tous ces pays, pour essayer d'être efficaces et d'agir ensemble à la solution politique de ces conflits, de ces sources d'instabilité.
Je voudrais conclure ces quelques mots en évoquant votre communauté, la communauté des Français de Tunisie dont j'ai compris, vous l'avez dit Monsieur l'Ambassadeur, qu'elle était en effet pleine de vitalité, et d'ambition, et très nombreuse. Une communauté nombreuse de 16.000 Français, en très forte augmentation depuis quatre ans ; une communauté jeune, vous l'avez dit également, un tiers des "immatriculés" ont moins de 18 ans ; une communauté bien intégrée avec près de deux tiers des membres qui sont des double-nationaux, ce qui témoigne de l'étroitesse et de l'ancienneté des liens entre la France et la Tunisie. Une communauté active, avec près d'un millier d'entreprises françaises implantées ici. Je voudrais à cet égard saluer la contribution de la Chambre de commerce franco-tunisienne et la coopération et l'engagement des conseillers du commerce extérieur à travers leur président, M. Norbert de Guillebon.
Vous me permettrez aussi, en évoquant les points forts de cette communauté, de ne pas oublier la dimension humaine ou humaniste de la diplomatie française telle que je l'entends et telle que je vais la conduire aussi longtemps que le président de la République et le Premier ministre me feront confiance. Et dans cette dimension humaine ou humaniste, il y a naturellement tout ce qui touche à l'éducation, à la culture, aux hommes et aux femmes.
Nous avons été attentifs à la situation du dispositif culturel et éducatif. J'en parlerai d'ailleurs tout à l'heure avec les trois représentants de votre communauté au Conseil supérieur des Français de l'étranger, que je salue d'ailleurs, Annick Bakhtri, Antoine Valenza et Claude Cavasino. J'aurai tout à l'heure une discussion approfondie avec eux sur l'ensemble des ces points faibles ou de ces préoccupations qu'ils ont la charge de dire en votre nom.
Tout de même, je sais également la vitalité de ce réseau éducatif et culturel et je remercie tout le personnel qui fait vivre ce réseau d'échange et de coopération. J'y suis d'autant plus attentif que, à titre personnel, même si c'est beaucoup moins loin, même si ce n'est pas comparable, je viens de vivre cinq ans comme un Français de l'étranger, avec des enfants scolarisés dans un lycée français. Je resterai donc attentif à cette dimension-là. Une dizaine d'établissements, 2.500 enfants français - ce sont des chiffres que vous m'avez communiqués Monsieur l'Ambassadeur - avec de très bons résultats au bac, ce qui fait toujours plaisir, et un programme de bourse substantiel.
Mais il y a également dans cette communauté, des Français qui ont plus de difficultés que d'autres, et qui ne sont peut-être pas tous là ce soir. Voilà pourquoi j'attache du prix à l'action menée par le comité consulaire pour la protection et l'action sociale, ainsi qu'au travail, au dévouement et au dynamisme des associations qui viennent relayer ce travail public. Voilà pourquoi je veux en particulier dire à M. Paollilo et à la Société française d'entraide et de bienfaisance que l'on m'a rapporté l'action formidable qui est menée par cette société française d'entraide comme par le foyer familial pour personnes âgées "Delarue-Langlois". Je veux également marquer mon attention aux efforts réalisés en matière d'extension pour la couverture sociale des Français à travers la Caisse des Français de l'étranger, l'action du comité consulaire pour la formation professionnelle et l'emploi, l'association animée par Jean-Pierre Levy pour les Français des deux rives. Ce sont des structures, des outils, des relais, des hommes et des femmes derrière tous ces titres, tous ces mots, qui pour moi comptent et auxquels, partout où je vais, j'essaie de dire un mot d'encouragement. En même temps, au-delà des mots, ces associations ont sans doute besoin de moyens et de relais. En tout cas, je resterai attentif à ce qu'ils font.
Enfin, il y a un dernier souci que vous avez, je le sais, peut-être moins gravement ici qu'ailleurs et qui justifie, de votre part et de la part des autorités publiques, de la vigilance. C'est celui de la sécurité. Là encore, pratiquement chaque mercredi, lorsque je fais au Conseil des ministres le compte rendu de l'actualité internationale, je dis un mot du dévouement, de la vigilance des chefs d'îlots, des gendarmes, des policiers, des services de sécurité mais aussi de la prise en charge par les Français eux-mêmes de leur propre sécurité. Bien sûr, il y a des situations plus difficiles selon les endroits où nous nous trouvons. Je pense actuellement à Abidjan ou à l'Arabie saoudite, sans parler de l'Irak où nous venons de rétablir nos relations diplomatiques. Je voudrais que vous sachiez que cette préoccupation existe - et elle doit exister en termes de vigilance - quant à votre sécurité et à celle de vos enfants. Là où je me trouve, avec les moyens dont dispose l'État, et avec mes collègues, nous resterons extrêmement vigilants et disponibles pour vous garantir autant que nous le pourrons cette sécurité.
Mesdames, Messieurs, je serai très content de pouvoir prolonger maintenant ce contact de manière plus personnelle et plus proche. Avec mon épouse et toute la délégation qui m'entoure, nous sommes très heureux de ce premier contact officiel.
Vous me permettrez de conclure en vous disant, parce qu'il m'a demandé de le faire hier, le salut personnel du président de la République qui, sachant que je venais ici m'a dit : "Si vous rencontrez les Français de l'étranger, saluez-les de ma part". Eh bien, c'est ce que je voulais faire en conclusion de ces quelques mots.
Merci de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2004)
(Conférence de presse de Michel Barnier, à Tunis le 19 juillet 2004) :
Bonjour à chacune et à chacun d'entre vous. Merci de votre présence au moment où je vais quitter le sol tunisien pour rejoindre Paris. Naturellement, mes premiers mots seront pour vous dire à quel point j'ai été sincèrement touché par l'amitié, la qualité de l'accueil que j'ai reçu tout au long de ces deux journées trop brèves ; à la fois, ce matin, au cours d'un long entretien qu'a bien voulu m'accorder le président Ben Ali et à plusieurs reprises, hier et aujourd'hui, de la part de mon ami Habib Ben Yahia qui, avec son équipe diplomatique, a préparé avec beaucoup de soin cette visite.
C'est ma première visite officielle comme ministre français des Affaires étrangères, ici en Tunisie, et voilà pourquoi je redis combien j'ai été touché par l'accueil que j'ai reçu. Comme l'a dit Habib Ben Yahia, nous sommes à un moment important dans la relation franco-tunisienne. Il s'agit maintenant, après la visite du président de la République en décembre dernier, d'intensifier, d'amplifier, de prolonger les décisions qui ont été prises et c'est le rôle des ministres des Affaires étrangères que de donner, avec leurs collègues, un contenu concret à tous ces accords. C'est ce à quoi nous avons travaillé.
La France est le premier partenaire de la Tunisie. Nous voulons amplifier notre engagement et c'est l'objet, par exemple, de l'accord de partenariat économique et financier qui sera signé par les ministres Mohamed Nouri Jouini et Nicolas Sarkozy dans quelques jours, à Paris. C'est l'objet de l'engagement très concret - le président Ben Ali a bien voulu le dire - de l'Agence française de développement, dans beaucoup de domaines qui intéressent la vie quotidienne des Tunisiens et notamment des jeunes : la formation, les logements sociaux, la santé publique. Je pense au plan sur le cancer.
C'est pour moi important que cette dimension humaine, citoyenne, de la coopération existe entre deux pays. Nous avons à faire de la politique ensemble ; nous avons à faire des échanges diplomatiques, à parler des grands sujets - je vais y revenir - mais je crois très important que nos peuples comprennent aussi que c'est vers eux, vers l'amélioration de leur vie, de leurs échanges, que portent aussi ces accords. S'agissant de la France et de la Tunisie, la dimension humaine, c'est plusieurs centaines de milliers de Tunisiens qui vivent en France. C'est 20.000 Français qui vivent en Tunisie, sans compter près d'un million de touristes français qui viennent bénéficier du climat, des paysages, de l'accueil de la Tunisie pour leurs vacances. Il y a donc une dimension humaine, citoyenne, sur laquelle je veux personnellement insister.
J'observe aussi que la plupart de ces engagements bilatéraux concernent un appui que nous continuons et que nous voulons amplifier à l'effort de modernisation engagé sous l'impulsion du président Ben Ali, notamment à partir des grandes priorités stratégiques fixées par le Xe plan tunisien. Nous nous inscrivons dans les priorités qu'a choisies la Tunisie et nous essayons d'accompagner ces priorités à travers cette coopération économique, culturelle, éducative ou technique. Très franchement, les relations bilatérales sont très bonnes et nous allons continuer de les consolider autant que cela sera possible.
Je voudrais aussi dire que cette relation franco-tunisienne, ou tuniso-française a une perspective plus large. La Tunisie appartient au Maghreb ; nous appartenons à l'Union européenne et ensemble, nous avons décidé de tenir notre place, de jouer notre rôle dans le nouvel élan qu'il faut donner au Processus de Barcelone et au dialogue euro-méditerranéen. Nous allons donc nous attacher à développer et à dynamiser ce dialogue entre les deux rives de la Méditerranée. Nous sommes nous-mêmes attentifs - c'est peu de le dire - à tous les efforts qui peuvent être faits par les pays du Maghreb pour aller vers leur intégration et davantage de stabilité.
Le troisième point que nous avons évoqué ce matin avec le président, et tout au long de ces deux journées avec le ministre, concerne naturellement, Habib Ben Yahia l'a dit, tout ce qui se passe autour de nous. Et il se passe malheureusement beaucoup de crises, beaucoup de secousses, beaucoup de conflits auxquels nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas être indifférents.
Le conflit central reste pour nous, et nous avons sur ce point la même analyse, le conflit israélo-palestinien. Je veux dire qu'après en avoir parlé avec le ministre et le président - c'est important de le rappeler en ce moment - nous partageons la même analyse et nous avons le même attachement à la seule solution possible qui est une solution politique. Si on ne choisit pas le chemin du dialogue et de la politique pour sortir de cette tragédie, l'alternative restera la violence et la terreur qui touchent indistinctement les enfants des Territoires palestiniens et les enfants d'Israël. Nous sommes attachés à cette voie politique qui a été fixée par ce qu'on appelle la Feuille de route ; qui a été approuvée par les grands partenaires de ce débat : les Nations unies, les États-Unis, l'Union européenne, la Russie ; qui est soutenue par les pays arabes et qui a été acceptée par les Israéliens d'un côté et les Palestiniens de l'autre.
Le président Arafat vient de prendre, à la suite des événements de ces derniers jours et de la crise qui secoue l'Autorité palestinienne, la décision de restructurer les services de sécurité de l'Autorité palestinienne. Cela va dans le bon sens. C'est précisément ce que les Égyptiens avaient demandé aux Palestiniens, dans le cadre de leur engagement, que nous soutenons, pour que réussisse le retrait israélien de la bande de Gaza. C'est aussi précisément l'un des points principaux du dialogue que j'ai eu le 30 juin dernier en me rendant à Ramallah pour une rencontre avec le président Arafat et le Premier ministre palestinien. Il y a urgence, je veux le redire, à mettre en oeuvre cette réforme. Il y a urgence à relancer le processus politique. Cela, naturellement, exige des gestes réciproques de la part d'Israël. Il y a urgence à ce qu'on reprenne le chemin du dialogue, ce chemin politique qui est le seul qui nous permettra d'atteindre l'objectif sur lequel nous sommes tous d'accord : l'existence côte à côte d'un État palestinien viable, souverain, démocratique et d'un État d'Israël vivant en sécurité. Voilà, je voulais, compte tenu de l'actualité, évoquer ce conflit parce qu'il est au coeur de beaucoup d'instabilité et de nos préoccupations.
Je voudrais également, puisqu'elle vient s'asseoir à nos côtés, saluer Mme Cerisier-ben Guiga qui est sénatrice, présidente du groupe d'amitié France-Tunisie du Sénat, et que je remercie de m'avoir accompagné pour témoigner de l'une des dimensions à laquelle je tiens beaucoup, Mesdames et Messieurs, dans la coopération. C'est la dimension parlementaire et aussi la dimension des collectivités locales. Le Sénat est la Chambre des collectivités locales en France et je tiens beaucoup à dire le soutien que je continuerai d'apporter à la coopération décentralisée entre les régions, les villes, les départements français qui travaillent en bonne intelligence avec les collectivités territoriales tunisiennes.
Merci de votre attention.
Q - Monsieur le Ministre, quelle est la position française concernant ce "Grand Moyen-Orient" proposé par le président Bush et quelle est votre position concernant les réformes qu'il propose pour le monde arabo-musulman ?
R - Cette stratégie proposée par les États-Unis a fait l'objet de beaucoup de débats et, au début, d'un certain nombre d'incompréhensions, y compris d'ailleurs de notre part. Le président de la République française les a exprimées en souhaitant que tout ce qu'on veut faire dans cette très grande région du "Grand Moyen-Orient" se fasse en respectant les peuples, les identités de ces peuples, la volonté de ces peuples et qu'on ne cherche pas à imposer je ne sais quelle tutelle nouvelle et qu'on prenne en compte les efforts que font ces peuples eux-mêmes sur la voie de la réforme économique et de la réforme politique ou de la démocratie. Les dernières orientations qui ont été fixées au Sommet de Sea Island ont pris en compte toutes ces remarques. Il y a - ce sera le dernier point de ma réponse - un moment qui a beaucoup compté pour corriger certaines orientations et les rendre plus réalistes. C'est le Sommet de Tunis auquel le président Ben Ali et le ministre ont beaucoup contribué pour qu'il soit un succès et qui a permis de faire entendre la voix des pays arabes, une voix forte, à Sea Island.
Cette initiative a été lancée ; il faudra voir maintenant comment elle va vivre. Cela ne nous dispense pas - je l'avais dit à la rencontre des ministres des Affaires étrangères des deux rives de la Méditerranée, en Irlande il y a quelques semaines - d'avoir notre propre démarche européenne. Nous n'avons pas de permission à demander pour cela. Nous avons engagé à Barcelone, il y a près de dix ans, une initiative de partenariat sur le plan économique, politique, peut-être un jour sur le plan de la sécurité aussi, avec l'autre rive de la Méditerranée. Je pense qu'il faut que cette initiative, qui est un vrai partenariat, continue à se développer et à être renforcée.
Q - Vous venez de rencontrer pour la première fois le président Ben Ali depuis votre prise de fonction au Quai d'Orsay. Comment s'est déroulée cette rencontre ? Avez-vous parlé de tous les sujets, notamment du processus de démocratisation en Tunisie ? Quelle en est votre appréciation ?
R - Je peux simplement dire que cet entretien a été extrêmement cordial et qu'il a duré presque une heure. C'était la première fois que nous étions amenés à nous rencontrer. Nous sommes allés au fond des choses sur l'ensemble des sujets, y compris sur la modernisation économique engagée depuis longtemps par la Tunisie, sans doute avant beaucoup d'autres pays.
On voit aujourd'hui les résultats de cette modernisation notamment par le choix, que je trouve exemplaire, de l'éducation, de la place des femmes dans la société tunisienne. Et puis, il y a naturellement les autres efforts, auxquels tient le président, de modernisation politique et démocratique. Nous avons eu un entretien extrêmement constructif, très cordial, et j'ai été impressionné par le bon sens, le pragmatisme - je vous le dis comme je l'ai ressenti - et la vision du président Ben Ali, s'agissant de ce qui se passe de ce côté-ci de la Méditerranée, avec le Maghreb et un peu plus au sud en Afrique.
J'ai été impressionné en même temps par le souci qu'a le président de ce dialogue très volontariste avec l'Union européenne. Comme vous le savez, je viens de passer cinq ans au sein de l'exécutif européen. Je suis donc très soucieux, dans ce dialogue de la Tunisie avec l'Union européenne, d'aider votre pays à être probablement l'un des tous premiers à signer un plan d'action dans le cadre de la nouvelle politique de voisinage. Ce travail est en cours ; la négociation est en cours ; la concertation est bien partie et j'espère que la Tunisie sera un des tous premiers pays à signer ce plan d'action.
Q - J'aimerais vous demander votre avis sur les déclarations qui ont été faites par le Premier ministre israélien invitant les juifs de France à regagner Israël, et surtout sur le fait qu'il ait désigné les musulmans comme étant à l'origine d'une vague d'antisémitisme.
J'aimerais également savoir si vous avez rencontré ce qu'on appelle les représentants de la société civile durant votre séjour en Tunisie.
R - Oui, j'ai rencontré tout à l'heure, à l'occasion d'un déjeuner de travail, un certain nombre de personnalités de l'économie, de la culture, des arts, du cinéma, de la recherche archéologique que l'ambassadeur a bien voulu réunir autour de moi et qui m'ont permis, même si le temps a été bref, d'avoir un dialogue extrêmement franc sur l'histoire de ce pays, la réalité de la société tunisienne, les espoirs pour les jeunes, les attentes de cette société tunisienne à l'égard de la France et de l'Union européenne. Cela ne doit pas vous étonner parce que dans chacune des visites que je fais, je tiens beaucoup, à côté des contacts que j'ai avec les personnalités politiques qui peuvent aussi m'apprendre beaucoup de choses et qui m'ont appris beaucoup de choses - c'est le cas d'Habib Ben Yahia en particulier avec lequel j'ai noué une relation très amicale depuis que nous nous connaissons -, à écouter les hommes et les femmes de la société civile, des milieux culturels, pour essayer de comprendre. Comprendre pour agir ; c'est une devise, si je puis dire.
Sur votre première question consécutive aux déclarations du Premier ministre israélien, M. Sharon, comme vous le savez, dès que nous avons appris le contenu de ces déclarations, nous avons immédiatement indiqué que de tels propos étaient inacceptables. Et nous avons demandé des explications au gouvernement israélien. Nous attendons ces explications.
Mais en attendant, je veux rappeler l'action totalement déterminée des pouvoirs publics de mon pays, et en particulier celle du président de la République Jacques Chirac, pour lutter chaque jour, quand cela est nécessaire, avec intransigeance, contre toutes les formes d'antisémitisme, de racisme ou de xénophobie.
Et cette action déterminée, intransigeante, a été reconnue par les plus hautes autorités israéliennes comme d'ailleurs par l'ensemble des responsables des institutions juives de France avec lesquels nous travaillons. Beaucoup de déclarations le prouvent.
Je voudrais ajouter une dernière chose pour expliquer pourquoi de telles déclarations sont inacceptables et intolérables, s'agissant de mon pays, parce qu'elles touchent aux principes fondateurs de la République française. Le fondement de la République française, sa force, l'honneur de cette République, sont de garantir à tous les citoyens français et à tous ceux que nous accueillons sur notre sol, les mêmes protections et les mêmes libertés, quelles que soient leurs croyances et quelle que soit leur confession. C'est cela la force, le fondement et l'honneur de la République dans mon pays.
Q - Monsieur le Ministre, votre collègue la ministre de la Défense vient d'effectuer une visite en Algérie. On a annoncé qu'il y aurait probablement en octobre une réunion des ministres de la Défense du groupe 4+3. Est-ce que vous confirmez ? Est-ce qu'il y a des éléments nouveaux et est-ce qu'il y a un rapport avec l'ancien projet d'Euroforce ou bien d'une autre politique de sécurité et de défense en Méditerranée ?
Deuxième question, vous avez visité Alger, Rabat et Tunis. A part vos problèmes sécuritaires, est-ce que vous avez recueilli auprès des responsables tunisiens, algériens et marocains certaines suggestions pour améliorer la situation des Maghrébins en France et en Europe ? Est-ce que vous avez entendu d'autres suggestions pour organiser l'immigration et mettre fin à l'immigration clandestine, comme la Tunisie l'a entamé avec l'Italie ?
R - Ne m'en veuillez pas si je ne fais pas de commentaires sur les débats qui ont eu lieu à l'occasion de la visite de ma collègue et amie Michèle Alliot-Marie à Alger. C'était une visite importante ; c'était la première fois depuis longtemps qu'un ministre de la Défense se rendait à Alger et j'ai été très heureux de la qualité de l'accueil qu'elle a reçu, qui est d'ailleurs à la hauteur de celui que j'ai moi-même reçu, il y a quelques jours, au cours de ma première visite en Algérie.
En effet, nous devons aborder de manière intelligente, de manière volontariste, de manière partenariale cette question de la sécurité et de la stabilité des deux côtés de la Méditerranée. Les idées de concertation entre un groupe de pays et un autre groupe de pays sont les bienvenues. Je pense qu'il faut d'ailleurs que, de ce côté-ci de la Méditerranée, on comprenne bien le souci qui est le nôtre, Européens, sur ces questions de sécurité et de stabilité, et le sens des efforts que nous faisons, nous-mêmes, en tant qu'Européens, pour notre sécurité et pour notre défense.
J'ai, vous le savez peut-être, beaucoup travaillé sur cette question de défense européenne dans le cadre de la Convention qui a proposé le projet de Constitution européenne, lequel vient d'être approuvé, il y a quelques jours, par l'ensemble des vingt-cinq chefs d'État et de gouvernement et qui comporte des avancées importantes vers une politique européenne de défense et une défense commune européenne, ce qui n'est pas une défense unique.
Donc, au moment où l'Europe veut se donner cette dimension politique avec un ministre des Affaires étrangères de l'Europe pour une politique étrangère commune, pas unique ; au moment où elle va franchir des étapes importantes vers une politique de défense, je crois qu'il est important de ne pas garder nos réflexions simplement pour nous, Européens, et d'en discuter avec tous ceux qui nous entourent et qui sont également concernés par ces questions de stabilité et de sécurité.
Oui, aussi bien à Alger, à Rabat ou à Tunis, nous avons parlé de la place, du rôle et des conditions d'accueil des personnes émigrées de vos pays dans nos propres pays en Europe, et nous travaillons naturellement à améliorer ces conditions d'accueil. J'ai donné les chiffres, tout à l'heure, qui prouvent cette dimension humaine des échanges entre la Tunisie et la France. Je veux dire que la politique des visas qui est la nôtre, si c'est cela votre question, veut favoriser la circulation des personnes et nous avons besoin de cette mobilité, de l'apport réciproque de ces communautés. J'ai sous les yeux une indication très claire qui m'a été communiquée par notre ambassadeur, que je remercie d'être là, avec moi. Il s'agit du taux de délivrance des visas : 80 % des demandes sont satisfaites. C'est probablement, Monsieur l'Ambassadeur, l'un des taux de satisfaction les plus élevés, sinon le plus élevé. Un quart des visas sont d'ailleurs des visas de circulation qui ont une durée plus longue. Les demandes de regroupement familial ont été honorées en 2003 pour 3.000 ressortissants tunisiens qui ont été autorisés à s'installer en France. J'ajoute que 6.000 étudiants tunisiens en France constituent la 3ème communauté étudiante dans notre pays.
Alors, il reste des problèmes - nous en avons parlé très franchement avec Habib Ben Yahia- qui touchent parfois à certaines règles européennes dans le cadre de l'espace Schengen. Je m'attacherai à faire écho à ces préoccupations et à ce qu'on trouve progressivement, dans le cadre de la loi communautaire, les réponses qui soient les plus rigoureuses, les plus correctes mais aussi les plus humaines possibles.
Q - Ma question porte sur les relations franco-libyennes. Nous savons que ces relations sont maintenant au point mort à cause du contentieux portant sur le dancing "La Belle". Nous savons aussi que la Tunisie a joué un rôle important dans le règlement de l'affaire de l'UTA. Je vous demande, Monsieur le Ministre, de nous faire le point des relations franco-libyennes et de nous dire si la visite du président Chirac en Libye aura lieu.
R - Cette visite n'a pas encore été fixée dans le temps. Voilà ce que je peux dire. Mais nous avons pris la décision - nous ne sommes pas les seuls - d'intensifier nos relations avec la Libye qui est un pays important dans cette région. Il reste naturellement à régler tous les contentieux les uns après les autres. Plusieurs l'ont été, avec les conseils et l'attention des autorités tunisiennes, qui sont proches de ce pays et que je veux remercier. Il reste actuellement le contentieux que vous avez évoqué, qui concerne l'Allemagne dont nous sommes solidaires au niveau de l'Union européenne. Il y a aussi un contentieux avec la Bulgarie, comme vous le savez.
Je pense donc que le temps qui est devant nous doit être utilisé pour régler dans le dialogue l'ensemble de ces contentieux, de telle sorte que les relations entre la Libye et tous nos pays puissent se développer et se consolider sur de nouvelles bases.
Q - Maintenant que la France a rétabli ses relations diplomatiques avec l'Irak, quelles sont les priorités dans votre politique à l'échelle bilatérale ?
R - J'ai annoncé, aussitôt après le transfert des compétences et des pouvoirs de souveraineté, le 28 juin, que nous allions rétablir nos relations diplomatiques, comme l'avait souhaité le président de la République française. Cette proposition a reçu un accueil spontanément très favorable de la part du nouveau gouvernement irakien et du Premier ministre, M. Allaoui. Voilà comment, dès la semaine dernière, ces relations diplomatiques ont été officiellement rétablies.
La situation en Irak est toujours très fragile et chaque jour qui passe voit à nouveau des violences ou des attentats. Naturellement, nous condamnons par exemple l'attentat de ce matin qui a fait de nouvelles victimes, comme tous les attentats précédents. Nous souhaitons que le gouvernement de M. Allaoui puisse prendre toutes les mesures nécessaires pour stabiliser cette situation et restaurer la sécurité qui est la première condition pour réussir tout le reste. Il y a dans ce gouvernement beaucoup d'hommes et de femmes de qualité que nous avons rencontrés. J'ai moi-même rencontré, il y a quelques jours, avec mes collègues européens à Bruxelles, le ministre des Affaires étrangères d'Irak, et plusieurs membres du gouvernement irakien vont venir à Paris dans les jours ou les semaines qui viennent.
En ce qui nous concerne, puisque votre question concerne les relations bilatérales, nous sommes décidés, en tant que Français, mais aussi en tant qu'Européens, à participer à la reconstruction politique et économique de l'Irak, selon les demandes qui nous seront présentées par le gouvernement irakien. Nous voulons aider à cette reconstruction ; nous voulons aider au succès du processus politique qui doit conduire à des élections démocratiques, je l'espère, au mois de janvier 2005. Donc, - nous en avons parlé avec Habib Ben Yahia - nous sommes prêts, s'agissant de beaucoup de problèmes, y compris des problèmes très concrets comme le fonctionnement des oasis, comme la gestion des déchets, la gestion de l'eau ou la question de l'approvisionnement énergétique et électrique. Tout cela, ce sont des problèmes concrets à travers lesquels les Irakiens doivent voir précisément que leur vie s'améliore.
Il reste la question de la sécurité qui est sans doute la plus grave. Nous souhaitons que ce gouvernement réussisse et que nous apportions notre part à la reconstruction économique et politique.
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2004)