Déclaration de Mme Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes, sur l'importance d'une politique spécifique en direction des victimes, sur le rôle des associations et des professionnels de la justice, à Riom le 25 juin 2004.

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Circonstance : Colloque "La protection des victimes, une priorité pour l'Auvergne", à la cour d'appel de Riom le 25 juin 2004

Texte intégral

Je vous remercie, Monsieur le Premier Président, Monsieur le Procureur Général, de me donner l'occasion de rencontrer les acteurs de l'aide aux victimes de la région Auvergne et de la Cour d'appel de RIOM, puisque par un " cumul idéal " qui n'est hélas pas si fréquent, l'organisation judiciaire épouse ici l'organisation administrative ! J'imagine sans peine que les relations en sont facilitées entre les différentes autorités, au plus grand bénéfice de tous et particulièrement des victimes.
Lorsque j'en ai eu connaissance, votre initiative m'a paru à ce point intéressante et innovante que j'ai immédiatement souhaité mieux en connaître la genèse, les motivations et les acteurs. Il est en effet peu d'institutions qui osent afficher l'aide aux victimes comme une priorité, ainsi que vous le faites dans le plan d'action pour la période 2004-2007, élaboré par le parquet général.
A cette occasion, le Garde des Sceaux, Dominique PERBEN, m'a demandé de vous transmettre son cordial message et de vous assurer qu'il restera fidèle aux engagements qu'il a pris en septembre 2002 dans le programme national d'action en faveur des victimes, dont je partage pleinement les objectifs et compte poursuivre la mise en uvre.
Ainsi, vous pouvez constater à quel point la solidarité gouvernementale est plus que jamais garante de l'attention que l'Etat entend porter aux victimes dans leur ensemble et tout particulièrement aux victimes d'infractions pénales.
La création d'un secrétariat d'Etat dédié à la cause des victimes témoigne, nous pouvons vous l'assurer, de la volonté résolue du Gouvernement de mieux prendre en compte la situation des victimes, de reconnaître, d'établir, de préserver durablement leurs droits. La présence ici, parmi vous, d'un secrétaire d'Etat aux droits des victimes est l'une de vos victoires.
Même si d'autres batailles restent à gagner, c'est en effet l'aboutissement d'un combat que les associations ont mené pour imposer la reconnaissance de la victime et de ses droits. Il est encourageant de constater que la création d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes a été très largement saluée. Seuls quelques esprits chagrins - qui se croient sans doute à l'abri des revers de la vie - ont pu la qualifier de démagogique.
Cette assertion est insultante pour les victimes et leurs proches.
Croyez que je n'ai de cesse de combattre l'attitude de quelques personnes, bien éloignées du pays réel qui croient faire l'opinion ou à tout le moins la refléter. Cela me donne à mesurer l'ampleur de la tâche qui est la mienne et que nous partageons désormais. J'entrevois également les efforts pédagogiques que nous devons déployer auprès de ceux qui sont habituellement enclins à reprocher le manque de proximité des pouvoirs publics et l'absence de solidarité nationale.
Bien-sûr, la création d'un secrétariat d'Etat aux droits des victimes s'inscrit dans la culture française de promotion, de respect et de sauvegarde des droits de l'Homme. C'est un geste avant tout politique et républicain qui s'adresse aux victimes passées et présentes, tout autant qu'aux victimes potentielles que toute société porte en germe.
Mais que l'on entende bien le message du Gouvernement délivré à l'occasion de cette création, sans équivalent européen, ni certainement mondial : l'idée n'est pas d'instituer une " République des victimes ", pas plus que de créer un " ministère de l'assistanat " . Elle n'est pas non plus, au nom de je ne sais quel combat politique, de s'approprier les victimes et de leur faire dire ce que l'on aimerait entendre d'elles. Il s'agit de rééquilibrer les forces en présence, de mettre en uvre en France une politique courageuse et généreuse en faveur des victimes, comme élément indispensable et complémentaire à toute politique consacrée à la sécurité des Français.
Cette ambition ne peut pas se limiter à quelques actions de prévention et à une meilleure indemnisation. Elle doit viser à ce que les liens de la victime, de sa famille, de ses proches avec leur environnement social, affectif et professionnel ne soient plus définitivement brisés par un sentiment d'isolement ou d'abandon qui est encore aujourd'hui la réalité de beaucoup de nos concitoyens.
C'est la traduction d'une évolution, selon moi irréversible, de nos sociétés qui, après ne s'être longtemps souciées que de punir les délinquants ont pris conscience de l'état d'indifférence dans lequel se trouvent bien souvent les victimes.
C'est la cohésion sociale qui exige en effet qu'aucun citoyen de la République, à commencer par ceux qui souffrent dans leur chair ou dans leur âme, ne soit tenu éloigné de l'attention ou de la protection de l'Etat.
De plus, l'intitulé même de mon secrétariat d'Etat et les attributions qui lui ont été reconnues, ne posent aucune limite à ses interventions.
Toutes les victimes, sans distinction ni exclusive, peuvent s'adresser à lui et pas seulement les victimes d'infractions pénales. Ainsi, tous ceux qu'on appelle les " accidentés de la vie ", longtemps qualifiés d'" oubliés de la Justice ", disposent désormais d'un ministère pour eux seuls, dont l'un des rôles - et pas le moindre - est de favoriser, susciter, encourager la collaboration interministérielle en leur faveur.
En effet, l'aide aux victimes et la préservation de leurs droits doivent demeurer un devoir de l'Etat et de ses agents, même si je n'oublie pas qu'elle est une uvre collective, unissant de nombreuses compétences, à commencer par celles des associations.
Car je souhaite ici, insister sur l'importance de l'action des associations d'aide aux victimes.
La couverture de l'ensemble du territoire national par des associations d'aide aux victimes est désormais effective : 168 associations interviennent dans tous les départements. Il s'agit dès lors, comme l'a souligné le Conseil national de l'aide aux victimes, de favoriser la mise en place de permanences délocalisées de ces associations, dans les maisons de justice et du droit, les commissariats ou gendarmeries, les hôpitaux, mais aussi de développer leur capacité d'intervention, notamment en urgence, par une extension des horaires d'ouverture et l'instauration de permanences téléphoniques. Je souhaite par-dessus tout une égalité de traitement entre les victimes où qu'elles se trouvent sur le territoire national.
La signature progressive de conventions pluri-annuelles d'objectifs entre les juridictions, les cours d'appels et les associations devraient fournir le cadre juridique adapté au développement de ces actions.
Je vous rappelle à cet égard qu'il a été demandé aux cours d'appel de veiller à ce que l'attribution des subventions privilégie les associations qui se mobilisent pour élargir leurs horaires de permanence, pour aller au devant des victimes qui ont été gravement traumatisées par l'infraction et pour s'investir dans l'accompagnement des victimes tout au long de la procédure judiciaire, jusqu'à l'exécution du jugement.
L'intitulé même de votre plan d'action démontre, s'il en était besoin, à quel point cette démarche active des associations d'aide aux victimes, comme des institutions, est aujourd'hui essentielle.
En effet, la première responsabilité de la puissance publique est de devoir la sûreté et la protection aux citoyens. L'ambition du Gouvernement est, que l'aide aux victimes soit considérée comme l'un des versants d'une politique publique à part entière dont l'un des aspects est de soutenir les victimes dans leurs droits, les rétablir dans leur dignité, les aider psychologiquement et moralement et ce dès les premiers instants qui suivent le drame qui les frappe.
Les magistrats doivent, à mon sens, tenir une place importante dans la définition et la mise en uvre de cette politique globale d'aide aux victimes. La politique pénale n'est-elle pas une politique publique en elle-même, dont l'un des buts - outre l'élaboration de la norme, la prévention des infractions, la recherche des auteurs, leur poursuite, leur jugement et l'exécution de la peine - est l'aide aux victimes des crimes et délits ? L'évolution - certainement regrettable de notre société - n'amène-t-elle pas l'autorité judiciaire à devenir le recours ultime et le dernier régulateur social ?
Comme vous le soulignez fort justement dans la préface au plan d'action, Monsieur le Procureur Général, je tiens pour déterminant l'apport des magistrats du siège et du parquet à la construction de cette politique globale d'aide aux victimes, érigée au rang de priorité de l'institution depuis une vingtaine d'années. Je ne manque jamais de souligner le rôle essentiel des magistrats délégués à la politique associative et celui de leurs collègues délégués à la formation, dans la mise en uvre des directives gouvernementales, mais plus encore dans l'évolution des mentalités et des pratiques en faveur de ceux que l'on a longtemps appelé les " oubliés de la Justice ".
Essentiel est également l'apport des avocats à la réussite de cette politique globale d'aide aux victimes, érigée au rang de priorité de l'institution judiciaire depuis une vingtaine d'années. Même si elle a été initiée par Robert BADINTER, il faut bien reconnaître que les avocats qui choisir d'emprunter alors ces chemins nouveaux furent peu nombreux et peu soutenus par leurs instances ordinales ! Rares étaient les avocats qui étaient élus ou membres d'associations d'aide aux victimes, l'immense majorité d'entre eux considérant que ces dernières se livraient à une intrusion dans leur champ d'activité.
Puis est venu le temps des partenariats institutionnels.
C'est ainsi que des bâtonniers ou leurs représentants ont été nommés membres de droit de nombreuses associations locales d'aide aux victimes, permettant une articulation intelligente entre les interventions de chacun.
Poussant plus loin leur collaboration, un partenariat s'est organisé au travers de conventions signées entre les barreaux et les associations d'aide aux victimes, permettant de définir le rôle de chacun en favorisant notamment des permanences au sein des associations et des cycles de formation commune.
Par ailleurs, de nombreux barreaux ont participé à la mise en place de dispositifs spécifiques (appelés comités de suivi) en matière de prise en charge des victimes en cas de catastrophe ou d'accident collectif. Ce fut le cas dès l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en 1982 en Corse, jusqu'à l'explosion de l'usine AZF où le rôle personnel du bâtonnier du barreau de Toulouse a été déterminant dans la mise en uvre de la convention globale d'indemnisation des victimes élaborée à l'époque par la Chancellerie et signée par toutes les parties prenantes.
La consécration de ce partenariat institutionnel a été à mon sens réalisée lors de la création du Conseil national de l'aide aux victimes (CNAV) en 1999, où le barreau est représenté ès qualités et y fait valoir les observations, propositions ou critiques exprimées par la profession. Le CNAV est une institution originale, rattachée à mon secrétariat d'Etat et dédié au rayonnement de la politique publique d'aide aux victimes, et j'entends bien que le barreau y joue un rôle de premier plan.
Dans le même ordre d'idée, je vous rappelle qu'un avocat siège comme administrateur au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions au titre des personnes ayant manifesté un intérêt pour les victimes.
Je ne méconnais donc pas l'apport essentiel du barreau à la politique que je suis désormais chargée d'incarner, de promouvoir et, parfois de défendre. Je crois d'ailleurs que nous pourrons aller plus loin, tout en vous précisant d'emblée, hors les cas de consultation des institutions ou de représentation des instances ordinales, professionnelles ou syndicales, je n'entends pas me reposer sur le bénévolat ou la philanthropie de nos confrères. Chaque fois que l'occasion m'en sera donnée, je plaiderai - et j'utilise ce terme à dessein - pour une valorisation ou une revalorisation des interventions des avocats aux côtés des victimes.
De même, la police et la gendarmerie nationales, partenaires institutionnels et permanents de l'autorité judiciaire, apportent-elles une contribution essentielle à cette politique publique d'aide aux victimes. Et je n'oublie pas non plus le rôle déterminant que les sapeurs-pompiers et la sécurité civile jouent en faveur de nos concitoyens.
Ma volonté - et je le répèterai inlassablement jusqu'à être entendue - est que l'aide en faveur des victimes se mette en uvre dès la première heure, dès les premiers instants qui suivent l'événement. C'est dire si le contact avec les forces de l'ordre et de secours est important et qu'à de nombreux égards il conditionne le devenir de la victime.
Dans l'ordre judiciaire aussi, comme dans l'ensemble des services publics, le premier devoir dû à la victime est de lui assurer un accueil digne et de qualité. Mais accueillir, ce n'est pas simplement recevoir, transmettre l'information nécessaire ou traiter correctement le dossier. En cette matière, l'accueil a un sens plus profond et plus humain. Au-delà des conditions matérielles, les victimes doivent ressentir du respect, de la considération, de la compréhension.
Accueillir, c'est aussi communiquer.
Le traumatisme lié à l'infraction dont elles ont souffert, la détresse psychologique qui frappe certaines d'entre elles, révèlent la permanence d'un besoin d'accueil dans l'ensemble des services publics ( brigades de gendarmerie, commissariats de police, hôpitaux, unités médico-judiciaires, services de la sécurité sociale, préfectures) ou dans les tribunaux.
Je sais les efforts considérables qui ont été consentis à ce propos par les directions générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale pour s'adapter aux réformes qui sont intervenues en faveur des victimes d'infractions pénales au cours des dernières années pour renforcer leurs droits. Je pense plus particulièrement à la création des correspondants victimes dans les groupements de gendarmerie, à la présence de travailleurs sociaux dans certains commissariats de police ou à la charte d'accueil du public et d'assistance aux victimes.
Mais force est de reconnaître qu'il y a encore du chemin à parcourir pour que ces droits puissent être effectivement exercés et pour que nos institutions, au premier rang desquels la Justice, collaborent entre elles et donnent aux victimes les moyens d'avoir effectivement accès à ces dispositifs.
N'y a-t-il pas encore trop de victimes qui se voient toujours éconduire lorsqu'elles veulent déposer plainte, ou leurs déclarations consignées sur simple main-courante ?
N'y a-t-il pas encore trop de victimes qui ne sont pas avisées de la date d'audience, particulièrement en cas de comparution immédiate, ou ne sont pas informées des motifs de classement sans suite ?
N'y a-t-il pas encore trop de victimes qui ne sont pas orientées vers les associations d'aide aux victimes ?
N'y a-t-il pas encore trop de victimes, auxquelles ne sont pas notifiés la possibilité qu'elles ont d'obtenir un avocat dès le début de la procédure ou l'octroi automatique de l'aide juridictionnelle pour les crimes les plus graves ?
N'y a-t-il pas encore trop de victimes laissées sans information au cours de l'instruction et sans contact avec aucun représentant des institutions directement concernées ?
Ces situations, que nous connaissons tous, sont devenues insupportables pour les victimes. Certes, la loi du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice à l'évolution de la criminalité, va venir répondre à certaines de ces situations, mais il faudra suivre avec attention son application concrète.
En réalité, l'enjeu aujourd'hui est sans doute de faire évoluer les mentalités et les pratiques pour que la " bientraitance des victimes " devienne une culture unanimement partagée par l'ensemble des professionnels du droit et de la Justice. C'est la raison pour laquelle je multiplie actuellement les déplacements, tant auprès des praticiens de terrain, que dans les juridictions, les institutions sanitaires et sociales, qu'auprès des victimes, pour m'informer sur les dispositifs existants, évaluer leur pertinence, mais aussi recenser les expériences innovantes pour les diffuser auprès de tous.
Par exemple, vous savez que j'ai demandé à tous les premiers présidents et procureurs généraux des cours d'appel de m'adresser un état complet des conditions d'accueil des victimes dans chaque salle d'audience pénale. Je compte bien, si cela est nécessaire, prendre des mesures appropriées pour que désormais celles-ci soient accueillies en ces lieux dans des conditions décentes et dignes.
Vous comprendrez alors ma volonté de réunir, à brève échéance, l'ensemble des associations et des représentants de la société civile pour mener un état des lieux contradictoire, tant quantitatif que qualitatif, sur la situation des victimes, de toutes les victimes, dans notre pays. Je reste persuadée que seul l'exposé et la confrontation des idées et des expériences, puis l'élaboration d'un consensus le plus large possible sur les voies et moyens à utiliser, permettront d'améliorer la mise en uvre globale de la politique publique en faveur des victimes.
C'est dans cet esprit que le développement de schémas départementaux d'aide aux victimes, à même de mobiliser et de coordonner, au-delà de l'institution judiciaire, tous les services de l'Etat et des collectivités locales concernés, sous l'égide du préfet et en étroite liaison avec le procureur, me paraît prioritaire. Cette proposition du Conseil national de l'aide aux victimes doit à mon sens être généralisée dans les délais les plus brefs.
En effet, je l'ai déjà dit au début de cette intervention et je le répète encore et inlassablement: je ne conçois la mission qui m'a été confiée par le président de la République et par le Premier ministre, que dans un cadre interministériel. Comment imaginer une action efficace en faveur des victimes sans le soutien et l'adhésion a-priori des principaux ministères concernés : intérieur, défense, santé, cohésion sociale, économie et finances, famille, affaires étrangères, justice ?
L'Etat doit être et demeurer le moteur de toute politique publique, particulièrement en faveur des victimes. C'est pour lui un devoir, si l'on se réfère à l'article 20 de notre Constitution, qui dispose que, sous réserve de sa responsabilité devant le Parlement, c'est à l'Etat de déterminer et conduire la politique de la Nation. C'est donc à lui qu'il revient d'élaborer le corps global des règles visant à rétablir les victimes dans leurs droits et les moyens d'action adaptés à cette politique. Cette prescription est d'autant plus impérative dans un domaine par essence transversal, multidisciplinaire et interministériel.
Ce n'est que dans une relation de concertation et de conjugaison des efforts que le Gouvernement d'une part, les collectivités publiques et le secteur associatif d'autre part, peuvent répondre aux attentes des victimes. Loin d'un abandon de circonstance de ses prérogatives régaliennes, pariant sur le dévouement de quelques-uns, le rôle de l'Etat doit être de tisser le canevas solide sur lequel vient se nouer le lien social des solidarités.
Je suis d'autant plus confiante que cette évolution est irréversible que je sais pouvoir compter sur votre engagement pour contribuer, à mes côtés, à satisfaire les justes et légitimes attentes des victimes.
(Source http://www.justice.gouv.fr, le 9 décembre 2004)