Interview de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, à "France Inter" le 30 décembre 2004, sur la position de la France face à la libéralisation du commerce du textile et sur une sanction éventuelle de M. Didier Julia, député UMP, suite à ses interventions pour libérer les journalistes pris en otage en Irak.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Samedi prochain, 1er janvier 2005, l'industrie et le commerce du textile vont connaître un bouleversement majeur : la disparition des quotas d'importation. Le commerce des tissus et vêtements sera libre à travers le monde. Une mesure qui va favoriser les exportations chinoises et indiennes. L'industrie textile en France va souffrir de cette concurrence. Un exemple : le prix de fabrication d'une chemise en France : 12 euros, en Chine, 1 euro ! Le déclin du textile en France, on en parle depuis très très longtemps. La fin des quotas, est-ce le coup de grâce pour l'industrie textile en France ?
R- Vous avez entendu tout à l'heure des gens qui me disaient que : c'est la haute technologie qui est clé, l'investissement, l'innovation, la réactivité. Si on regarde les concurrents chinois, ils fabriquent peut-être moins cher, mais d'un autre côté, il faut qu'ils transportent ; ils ne sont pas capables d'être aussi réactifs qu'une entreprise localisée en France ou en proche région européenne, ou euro-méditerranéenne. Ils n'ont pas non plus la créativité, l'innovation. Et en général, entre un T-shirt qui est fabriqué pour 1 euro en Chine, il est vendu 10 euros ici. Donc, le marketing, la logistique, la qualité, tout cela se paye aussi. Et les entreprises françaises ont dû s'adapter depuis des années, et vont continuer à s'adapter à cette situation. Le textile n'est pas du tout moribond. Le textile a certes une compétition extrêmement sévère, mais le textile a aussi de quoi répondre.
Q- Mais très concrètement, comment une entreprise française de textile, confrontée à la concurrence chinoise, avec ses coûts très bas, peut-elle s'en sortir, avec la suppression de ces quotas à partir de samedi prochain ?
R- Vous avez peut-être des enfants qui aiment bien les marques. Par exemple, la Chine n'a pas de marques aujourd'hui. Par contre, les entreprises françaises, souvent, vendent à travers des marques, et le seul fait d'avoir une marque et un label de qualité que représente cette marque, est un atout, et donne donc un avantage. D'un autre côté, c'est vrai, il y a une spécialisation internationale du travail qui s'est faite dans ce domaine. C'est-à-dire que les produits bas de gamme, c'est très difficile d'être compétitifs là-dessus. Par contre, nous sommes un peu voués à la technologie, à la créativité, au haut de gamme, nous sommes voués à faire des choses difficiles. C'est le lot des pays développés.
Q- Ne pourrait-on pas, aussi, essayer nous-mêmes de s'implanter en Chine et de proposer des produits de très bonne qualité pour essayer de concurrencer les Chinois ? Là aussi, il y a un énorme marché. On trouve que l'économie française est un petit peu timide face aux possibilités énormes de la Chine.
R- Vous avez raison, parce qu'actuellement, les Chinois n'achètent qu'une Demi chemise par an, et si les Chinois se mettaient à acheter une chemise par an, par exemple, ce serait un marché évidemment considérable. Donc, le premier marché c'est bien celui des Chinois, celui qu'il faut viser. Et actuellement, l'Union européenne est le premier exportateur de textile habillement au monde. L'Union européenne, c'est-à-dire, les 25, nous avons des politiques agressives au plan commercial à destination des États-Unis, mais les Etats-Unis maintiennent des droits de douanes ; nous avons une politique intéressante vers le Japon. Aujourd'hui, nos entreprises ne sont pas assez actives en Chine et en Inde. Par exemple, les Chinois et les Indiens souhaitent avoir des marques françaises, avoir des magasins avec des marques françaises, le prêt-à-porter français c'est le très haut de gamme pour ces pays, avec un potentiel d'acheteurs qui est réel. Donc, l'internationalisation, pour qu'elle profite, il faut que les entreprises soient présentes sur les marchés nouveaux, émergents. C'est un des enjeux clés des professions. Et ceux qui s'en sortent bien aujourd'hui dans le textile français ont 80 % d'export, et par conséquent ont déjà une présence sur tous ces marchés.
Q- Je rappelle que vous êtes ministre délégué au Commerce extérieur. Concrètement, cette suppression des quotas sur l'industrie textile à travers le monde à partir de samedi prochain, pour le consommateur français, cela veut-il dire que les prix des vêtements vont baisser de combien ?
R- Non, il ne faut pas poser la question comme cela. Parce que...
Q- Ah bon ? Mais si, c'est intéressant...
R- Oui, mais c'est difficile de vous assurer de baisses de prix. Parce que je ne crois pas qu'il y ait un effet immédiat. Quand on fait aujourd'hui un sondage parmi les gens qui achètent, ils n'ont pas encore changé leurs origines fondamentalement. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on continue à acheter les mêmes proportions et cela ne va évoluer que dans les mois qui viennent. Ensuite, d'un autre côté, ce n'est pas parce que vous achetez un peu moins cher que forcément le consommateur va retrouver un gros bénéfice. Parce que souvent il y a un rapport de 1 à 10 ; il peut y avoir un rapport de 1 à 4 mais il peut y avoir un rapport de 1 à 10.
Q- Alors nous sommes perdants sur toute la ligne : concurrence redoutable des Chinois et même pas une baisse des prix significative sur les vêtements chez nous, en France ?
R- En fait, on l'a déjà eue cette baisse des prix. Elle s'est produite depuis dix ans, depuis que cela existe. Mais d'un autre côté, nous avons une capacité de nos industries textiles d'être tout à fait performantes dans leur marché. C'est cela qui, aujourd'hui, doit être le stimulus, doit être sur nos entreprises pour qu'elles soient prêtes à absorber cette compétition nouvelle, ce surcroît de compétition, mais qui, en fait, va être d'autant plus fort qu'il sera sur des secteurs qui ont déjà été confrontés depuis des années, puisqu'il y avait des quotas mais les quotas n'étaient pas zéro. Il y avait donc une importation importante dans ces domaines. Simplement, cette importation importante peut augmenter, mais elle ne se fera pas forcément au détriment de nos entreprises, elle se fera plus probablement au détriment d'entreprises du Bangladesh, d'autres pays qui sont aujourd'hui plus menacés que nous, parce qu'ils sont dans les mêmes catégories de produits que ceux que fabriquent la Chine.
Q- A-t-on encore des moyens, éventuellement, de se protéger de cette concurrence redoutable qui arrive dans le domaine du textile, concurrence des Chinois ou des Indiens ?
R- Nous avons d'abord des droits de douane qui sont maintenus et qui sont significatifs. Ensuite, nous avons deux mesures qui sont à notre disposition : ce sont des clauses de sauvegarde. Si les Chinois exagéraient, c'est-à-dire, si au-delà des quotas, ils augmentaient trop les quantités vendues vers l'Union européenne, nous pourrions leur dire : halte là ! sur les quantités. Nous avons mis en place un système de contrôle de ce qui rentre, avec des licences d'importation qui sont demandées par les entreprises qui importent. Et puis, si les prix pratiqués par les Chinois sont trop bas, nous avons aussi la possibilité de les attaquer en anti-dumping, et donc de les taxer en plus pour les rétablir à un niveau normal. Ces deux mesures, qui sont des mesures commerciales au niveau européen, sont tout à fait de nature à contenir la vague que vous décrivez.
Q- Vous êtes aussi membre de l'UMP, membre du bureau politique de l'UMP. Je voudrais que l'on revienne sur un autre événement que nous avons évoqué ce matin dans nos journaux : l'attitude de D. Julia, député UMP. On sait qu'il a tenté de faire libérer nos otages en Irak ; cela a échoué. Êtes-vous surpris par l'attitude de D. Julia ? Ce n'était pas un homme très très connu en France, on découvre aujourd'hui un personnage avec "une grande gueule", qui traite M. Barnier de "nul", qui compare la police française à "la Gestapo", parce qu'elle a fait une perquisition chez deux de ses collaborateurs. Qui est D. Julia selon vous ? Un illuminé, un mythomane ?
R- C'est un député que j'ai connu comme député, toujours un peu à part, qui est toujours un peu spécial, on avait toujours l'impression qu'il vivait sa vie un peu autrement.
Q- C'est-à-dire ?
R- Il ne participait pas forcément aux activités normales de l'Assemblée nationale. Vous avez le député qui participe en faisant des amendements dans les lois, qui participe en étant rapporteur budgétaire. D. Julia n'était pas très actif à l'Assemblée nationale, ce qui fait que je ne le connais pas personnellement. Et maintenant que la justice est saisie, on va laisser la justice suivre son instruction.
Q- Mais sur sa personnalité, savait-on à l'UMP, qu'il avait un côté un peu... imprévisible, tête brûlée ?
R- Personnellement, je ne le connais pas bien, puisqu'il n'a jamais été dans les mêmes commissions, ni dans les mêmes activités parlementaires que moi. Il avait un peu cette réputation d'être à part, de ne pas s'intéresser à la vie quotidienne du Parlement, mais plutôt d'avoir des grandes idées...
Q- Sur quoi ?
R- Je découvre, j'ai découvert une activité dans ce domaine que je ne soupçonnais pas. Je ne le connaissais pas.
Q- Estimez-vous qu'il doit être sanctionné par l'UMP ?
R- Je pense que si, effectivement, il a causé du tort à la politique que nous menions et aux chances de retrouver rapidement nos otages et de les avoir libérés, je pense qu'effectivement l'UMP va prendre des mesures. Et c'est au bureau de l'UMP de le faire. Pour ma part, je trouverais normal que l'on marque le coup.
Q- Mais vous, en tant que membre du Gouvernement, saviez-vous ce que dit D. Julia ? Il prétend que, huit jours après la capture de nos otages, lui, était capable de faire libérer ces otages ? Cette information a-t-elle circulé au sein du Gouvernement ?
R- Non, pas du tout. Et cela semblait extravagant.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 décembre 2004)