Tribune de M. Hervé Gaymard, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "Les Echos" du 4 février 2005, sur l'aide des pays riches à l'Afrique subsaharienne, et intitulée : "Aide, commerce et dette : priorité à l'Afrique".

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AIDE, COMMERCE ET DETTE : PRIORITE A L'AFRIQUE
La communauté internationale a souscrit des engagements précis en l'an 2000 lors du sommet du millénaire. Le constat auquel elle parvient aujourd'hui est partagé et il est nourri par le rapport de Jeffrey Sachs au Secrétaire général de l'ONU. Des améliorations encourageantes ont, certes, été constatées dans certains domaines et dans certains pays, mais elles ne peuvent dissimuler la situation dramatique de l'Afrique subsaharienne et l'urgence d'une augmentation des efforts de solidarité en sa faveur.
Comme le dit le président Jacques Chirac depuis de longues années, il est donc temps de passer à l'action, par une approche globale et cohérente des politiques de développement, dans les domaines de l'aide, du commerce et de la dette. Nous ne pouvons nous contenter ou nous satisfaire de la facilité qui consisterait à effacer la dette des pays les plus pauvres pour solde de tout compte. Sans espoir d'un futur meilleur pour ces pays, il n'est pas de politique d'aide au développement qui vaille.
Jeffrey Sachs recommande que les pays riches portent progressivement leur aide à 0,7 % du PIB d'ici à 2015, parce que seuls des moyes nouveaux et supplémentaires permettront d'atteindre les Objectifs de développement du Millénaire. Depuis la conférence internationale sur le financement du développement de Monterrey de mars 2002, la France a pris cet engagement et elle s'y tient. Son aide publique au développement est passée de 0,38 % du PIB en 2002 à 0,44 % cette année pour atteindre 0,7 % en 2012. Le Royaume-Uni fait preuve d'une même détermination. C'est au tour des autres pays de leur emboîter le pas.
Cet effort ne sera pas suffisant. Ce qui explique diverses initiatives engagées depuis un an : la réunion des présidents Chirac et Lula à Genève en janvier 2004 : l'initiative quadripartite présentée à l'ONU en septembre dernier par MM. Lula, Chirac, Zapatero et Lagos ; le soutien mutuel du Premier ministre Blair et du président Chirac à leurs propositions respectives de mécanismes innovants pour financer le développement.
Les idées ne manquent pas en ce domaine : citons la facilité financière internationale présentée par mon collègue Gordon Brown ; les taxes internationales identifiées par le président Chirac à Davos. Le consensus progresse, même s'il n'est pas encore universel. Rien de cela n'est insurmontable, si les gouvernements ont une détermination politique suffisante. La réunion des ministres des Finances du G7, qui s'ouvre aujourd'hui à Londres, permettra d'en juger.
En tout état de cause, je souhaite que l'Europe prenne, à son niveau et sans plus attendre, une double initiative concrète en faveur notamment de l'Afrique subsaharienne : je préconise ainsi un mécanisme de financement supplémentaire pour la vaccination des populations contre les maladies qui, aujourd'hui, déciment le Sud, et une nouvelle modalité pour la prise en charge financière des traitements contre le sida, dont le président Chirac a défini le principe il y a quelques semaines. L'ensemble s'appuierait sur deux mécanismes, une facilité financière internationale et des taxes portant, par exemple, sur les transports aérien (kérosène, billets d'avion...) et maritime.
Loin d'être exclusifs, le commerce et l'aide publique au développement sont complémentaires. Un meilleur accès des pays les plus pauvres au marché des pays développés et des grands pays émergents ne peut leur permettre de participer efficacement au commerce mondial que si on les aide, par ailleurs, à mettre en place des infrastructures nécessaires, à développer la santé et le capital humain. A défaut, la tendance que l'on observe depuis la conclusion du cycle d'Uruguay se poursuivra : le développement des puissances émergentes s'accompagne d'une marginalisation croissante des pays les plus pauvres.
Dans la préparation de la conférence de Hong Kong, qui se tiendra en décembre, l'Europe doit se fixer une priorité : que l'Afrique ne soit pas, une fois de plus, le parent pauvre et le grand absent de la négociation internationale sur le commerce. On constate, depuis plus de dix ans, une érosion des préférences commerciales spécifiques dont bénéficient les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique : en un mot, les avantages commerciaux particuliers donnés à ces pays par rapport au reste du monde sont de plus en plus fragiles et contestés juridiquement à l'OMC.
Sous la présidence britannique de l'Union européenne, nous veillerons ensemble, avec Peter Mandelson, commissaire européen pour le commerce, à ce que la priorité donnée à l'Afrique dans le cadre du G7 de Gleneagles trouve aussi sa traduction à l'OMC, qui ne peut s'exonérer plus longtemps de ses responsabilités internationales au regard des Objectifs de développement du Millénaire.
L'allègement de la dette des pays pauvres doit se poursuivre. Ici encore, l'Afrique subsaharienne doit être notre priorité. Les semaines à venir constitueront autant de tests concrets de la détermination de la communauté internationale : négociation de reconstitution de l'Association internationale de développement ; mise en place de dispositifs de financement innovants plus ambitieux, exigeant un consensus de tous les pays développés. Sur ce dernier point, le soutien apporté à Davos par le chancelier Schröder à une application conjointe de la facilité financière internationale et de la taxation internationale peut, conjointement avec le soutien apporté par l'Italie, créer une véritable dynamique au sein du G7.
L'année 2005 peut permettre à la communauté internationale d'apporter des réponses d'ensemble à un problème global. Plusieurs étapes importantes devraient y conduire : réunions des ministres des Finances du G7, à commencer par celle de Londres aujourd'hui et demain ; sommet du G7 à Gleneagles début juillet, sommet des Nations unies pour le suivi de la déclaration du Millénaire mi-septembre à New York afin de faire le point sur la réalisation des Objectifs du Millénaire, conférence ministérielle de l'OMC à Hong Kong mi-décembre. L'engagement résolu de Tony Blair et de Gordon Brown en faveur de l'Afrique et pour une augmentation nette des moyens financiers consacrés au développement, dans le prolongement de la présidence française du G7, nous offre une belle opportunité. A nous de la saisir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 février 2005)