Déclaration de M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les principes, les priorités et le financement de la politique de coopération et d'aide au développement, Paris le 16 juillet 2004.

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Circonstance : Ouverture des Journées 2004 du réseau français de coopération et d'action culturelle, à Paris le 16 juillet 2004

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Madame la Ministre déléguée,
Monsieur le Secrétaire général de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF),
Madame le Secrétaire Perpétuel de l'Académie française,
Monsieur le Directeur général,
Mesdames et Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Je suis naturellement très heureux d'être parmi vous et d'ouvrir, à la suite de Michel Barnier, ces Journées 2004 de notre réseau de coopération et d'action culturelle.
Je commence à devenir un familier de ce grand rendez-vous annuel, puisque j'y étais intervenu l'an dernier en qualité de ministre délégué à l'Enseignement scolaire. J'avais pris par ailleurs l'habitude de recevoir dans les jardins de l'Hôtel Rothelin-Charolais l'ensemble des conseillers de coopération et d'action culturelle réunis à Paris à cette occasion. Je pressentais sans doute qu'un jour je passerais de la rue de Grenelle à la rue Monsieur.
C'est dire le prix que j'attache à ces journées de réflexions et de débats, mais aussi la haute estime dans laquelle je tiens les fonctions et les compétences qui sont les vôtres. Vous appartenez à un réseau qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Vous y promouvez les valeurs de la France, ses qualités, sa langue et sa culture. Je sais que vous accomplissez votre tâche avec le souci constant du rayonnement de notre pays. Vous y faites preuve d'un engagement personnel et bien souvent d'une passion que j'ai plaisir à saluer aujourd'hui.
Soyez assurés qu'avec Michel Barnier, nous veillerons à ce que ce ministère et tout particulièrement vos postes disposent de moyens d'intervention en adéquation avec notre politique. Nous pourrons ainsi dire avec Malherbe : "Je jugerai de la valeur de ma pièce quand on me l'aura payée".
Je voudrais tout d'abord vous parler des questions de développement.
Je suis bien conscient d'avoir pris mes fonctions dans ce ministère à un moment singulier dans notre politique d'aide au développement. Il n'est évidemment pas indifférent que le terme de "Développement" ait été ajouté à l'intitulé du ministère, aux côtés de la Coopération et de la Francophonie. Il traduit toute la priorité accordée à cette composante de notre politique étrangère.
Notre politique d'aide publique au développement (APD) s'inscrit désormais, vous le savez, dans le cadre d'engagements internationaux clairs. Je me bornerai à rappeler trois d'entre eux.
Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), en fixant à la communauté internationale des résultats précis à atteindre pour réduire la pauvreté d'ici à 2015, constituent le cadre commun de référence pour les stratégies de développement. Même si leur réalisation se heurte à de nombreuses difficultés, un consensus mondial existe autour de leur légitimité. 2005 sera, à cet égard, une échéance importante puisque, en septembre de cette année, se tiendra un Sommet des Nations unies qui permettra de faire le point, cinq ans après leur définition, sur la mise en oeuvre de ces Objectifs.
La deuxième grande référence pour nous, dont l'aide se porte et continuera de se porter en priorité sur l'Afrique, c'est le Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique. Le NEPAD exprime avec force la volonté des Africains de construire eux-mêmes le développement de leur continent. Il est une "promesse faite par des dirigeants africains (...) de placer leurs pays, individuellement et collectivement, sur la voie d'une croissance et d'un développement durables".
Notre coopération ne pourra désormais s'instaurer en Afrique sans entendre cette voix du Sud. C'est pourquoi j'ai effectué un de mes premiers déplacements en Afrique au Ghana. Ce pays joue un rôle-pilote dans la mise en oeuvre du NEPAD. Il est le premier à soumettre la politique qu'il conduit à une évaluation par d'autres pays africains.
La troisième référence, ce sont les engagements pris par le président de la République, en septembre 2002 à Johannesburg en faveur du développement durable, et qui doivent être notre feuille de route. En effet seule la promotion d'un développement qui s'appuie conjointement sur les trois piliers du développement économique, du progrès social et de la protection de l'environnement peut être pérenne.
C'est pourquoi le développement durable doit être le cadre impératif de notre action de lutte contre la pauvreté. En témoignent nos interventions quotidiennes sur le terrain pour permettre un meilleur accès à l'eau potable, notamment en Afrique subsaharienne, ou encore pour protéger les forêts. La proposition française de consacrer le prochain Sommet de la Francophonie à Ouagadougou à ce thème illustre bien notre ferme volonté de poursuivre dans cette voie.
Telle est la toile de fond des nouvelles solidarités internationales qui tissent entre les peuples du Nord et du Sud d'autres relations que celles du seul marché et du libre échange.
Mais, me direz-vous, à quoi servent ces beaux engagements si sur le terrain les moyens ne suivent pas ? Je n'ignore pas les difficultés que vous avez pu rencontrer ces derniers mois, en raison des nécessaires restrictions budgétaires qui ont affecté l'ensemble des secteurs de ce ministère. Je suis conscient de la perplexité ou du découragement que vous avez pu éprouver et du sentiment de ne plus avoir les moyens d'accomplir correctement votre mission, voire de ne plus pouvoir l'accomplir du tout.
A ce sujet, je souhaite vous dire que Michel Barnier et moi-même avons reçu l'assurance que notre aide publique au développement serait "sécurisée", c'est-à-dire épargnée par les mises en réserve et autres gels budgétaires. Mais au-delà, c'est l'engagement pris par la France à la Conférence de Monterrey de consacrer à l'APD 0,50 % du PIB en 2007 qui sera tenu. Nous sommes bien sur la voie tracée par le président de la République : notre aide devrait atteindre 0,42 % en 2004 et 0,44 % en 2005.
Pour aller encore au-delà, vous le savez, la France milite pour la mise en place de taxations internationales pour permettre d'apporter les ressources financières nécessaires au développement. Cet objectif est ambitieux, mais nous progressons. Par exemple, j'ai obtenu lors du Comité du développement de la Banque mondiale en avril dernier que, pour la première fois dans une enceinte internationale, mention soit faite de ce sujet.
Vous le voyez, les choses bougent et cette nouvelle donne doit nous conduire à adapter notre organisation et nos instruments de coopération. Tout récemment, au mois de mai, le comité d'aide au développement de l'OCDE a procédé à l'examen de la politique de la France en matière de coopération pour le développement. Tout en soulignant la mobilisation politique des autorités françaises, il a noté la complexité de notre organisation administrative, le grand nombre d'opérateurs et les problèmes de coordination de notre dispositif.
Il reviendra au prochain Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID), qui se tient mardi prochain et devant lequel je suis rapporteur, de mieux définir nos priorités, de clarifier nos stratégies par secteur et par pays, de renforcer le pilotage stratégique du ministère et de mieux répartir les rôles entre celui-ci et l'AFD.
Sans préjuger des décisions qui seront prises à cette occasion, il me semble que notre politique de coopération doit se bâtir autour de quatre idées-forces : partenariat, résultat, influence et cohérence.
Tout d'abord, le partenariat.
Certes, nous avons coutume de dire que l'aide au développement doit être "appropriée" par le pays qui la reçoit. Mais sur ce point les choses évoluent trop lentement. Je sais bien qu'il est délicat de parler de partenariat entre égaux entre un donateur et un bénéficiaire. Il nous faut pourtant inverser la responsabilité, en demandant au partenaire de piloter son développement.
Ceci implique notamment de baser tous nos appuis à ces pays sur les stratégies qu'ils ont eux-mêmes définies, soit au niveau national, soit au niveau régional, de négocier avec eux notre stratégie-pays ou encore de les laisser gérer les projets chaque fois que possible.
C'est tout le sens du NEPAD, que j'évoquais tout à l'heure. Un exemple le montre bien : celui du Bassin du Niger.
Aujourd'hui, le Bassin compte 110 millions de personnes qui vivent directement de l'agriculture, de l'élevage, de la pêche et de la navigation du fleuve. Elles seront 200 millions en 2020. Or, la diminution significative des crues et des écoulements du fleuve à laquelle on assiste risque, si rien n'est fait, d'accroître la pauvreté dans une région déjà très fragile.
C'est pourquoi nous avons incité et aidé les neuf États riverains à concevoir ensemble l'avenir du fleuve ; nous avons appuyé leurs démarches d'intégration régionale, élaboré avec eux différents projets d'aménagement durable. En avril dernier, à Paris, les représentants de ces États ont décidé d'un commun accord de mieux partager leur ressource, de mieux l'exploiter, mais aussi de mieux la protéger. Voilà ce que peut être un partenariat réussi.
Deuxième mot-clé, le résultat. Aujourd'hui, la question de l'efficacité de notre aide, c'est-à-dire de son impact sur le développement des pays partenaires, est centrale. Un exemple l'illustre bien.
Il y a quelque temps, j'ai pu voir un reportage au journal de 20h sur l'hôpital Charles de Gaulle de Ouagadougou. Voilà un superbe bâtiment, mais il n'est pas totalement utilisé. Ailleurs dans la ville, dans des dispensaires insalubres, des enfants s'entassent dans des conditions déplorables. Certes, la coopération française n'est pas seule responsable, la gestion de cet hôpital revient aux autorités burkinabés. Mais ne devrions-nous pas discuter avec ces autorités de leur politique de santé et l'appuyer financièrement, plutôt que simplement construire un hôpital ?
Demander des résultats à nos partenaires, c'est leur faire confiance pour qu'ils mettent en oeuvre de bonnes politiques, s'appuyant sur des institutions et une administration fiables. L'introduction de critères de performance pour l'allocation de notre aide répondra en ce sens aux principes fondateurs du NEPAD et à la logique du partenariat.
J'ajoute qu'il s'agit aussi d'une question de politique intérieure : devant la montée de l'afro-scepticisme et, plus généralement, devant la tentation permanente du "chacun pour soi", nous devons absolument convaincre nos opinions publiques de l'utilité de leurs efforts en faveur des pays en développement.
Toutefois, cette démarche ne saurait nous conduire à laisser sur le bord du chemin les pays les plus fragiles notamment ceux qui sont en train de sortir d'une crise ou d'un conflit. Nous avons à leur égard un devoir de solidarité - c'est aussi notre intérêt ! - en nous montrant particulièrement attentifs aux besoins de base des populations, mais aussi aux appuis institutionnels qui leur permettent de reprendre le chemin de la bonne gouvernance et d'accéder aux financements internationaux.
Troisième mot-clé : l'influence. Accroître l'influence française est un objectif naturel et légitime de notre politique étrangère. Mais cette influence ne se mesure pas à la simple visibilité de notre action et de nos projets.
En matière d'APD, elle s'apprécie aussi à la capacité qu'a la France de peser dans les enceintes internationales où se forgent les grandes stratégies et d'influer sur les politiques menées par les pays en développement et les pays émergents. Or cette influence n'est pas simplement liée au volume des ressources que nous sommes capables de mobiliser ; je veux croire qu'elle tient plus encore aux valeurs que nous voulons défendre, celles de l'État de droit, de la démocratie, des Droits de l'Homme, du dialogue entre les cultures.
Pour toutes ces raisons - accroissement de notre aide, nécessité du partenariat, efficacité, influence de la France -, la modernisation de nos instruments de coopération est aujourd'hui indispensable. Notre volonté de recentrer notre aide sur des politiques implique un recours accru à l'aide budgétaire affectée ou globale qui reste encore marginale dans le dispositif français, à la différence des autres bailleurs de fonds.
Cette modernisation devra permettre à la fois de progresser dans l'harmonisation des différentes aides, qui est une demande forte des pays bénéficiaires, de mettre en oeuvre des volumes accrus d'aide bilatérale et d'augmenter sensiblement "l'effet de levier" de nos financements.
Parmi nos instruments, si j'ose dire, inutile de souligner que notre assistance technique, qui fait la spécificité et la qualité de l'intervention française, doit garder toute sa place. Elle est irremplaçable, en particulier dans les appuis institutionnels que nous apportons aux gouvernements partenaires, porteuse qu'elle est d'un label "France" que j'entends bien valoriser partout dans le monde.
Le dernier thème sera celui de la cohérence. Un aspect important de la cohérence est la coordination entre l'État et les autres acteurs français dans les pays en développement, qu'il s'agisse des entreprises, des organisations non gouvernementales ou des collectivités locales.
En effet, de par la décentralisation et la déconcentration croissantes qu'a connues la France, de nouveaux "compagnonnages" sont apparus dans l'international : d'abord avec les collectivités territoriales et les associations, puis avec les grands établissements d'enseignement supérieur et de recherche, enfin avec la galaxie considérable des opérateurs parapublics qui deviennent acteurs du développement, comme les agences de bassin pour l'eau ou les chambres consulaires pour les entreprises. La France dans le monde aujourd'hui, ce n'est plus simplement l'État, mais une alliance de forces vives qu'il faut animer et valoriser.
C'est aussi en mobilisant ces forces vives que l'on sensibilisera davantage l'opinion publique française aux enjeux du développement. Nous savons tous qu'une politique, aussi excellente soit-elle, n'a pas beaucoup d'avenir si elle ne reçoit pas l'assentiment et le soutien de l'opinion.
Mais l'exigence de cohérence doit concerner aussi notre propre champ politique. La France a en ce domaine des exemples à donner. Ainsi dans le secteur du coton, nous avons proposé une initiative intégrant à la fois des actions de terrain dans les pays africains et une réforme du système de subventions aux producteurs européens de coton. Le coton africain peut alors devenir plus compétitif sur le marché mondial.
C'est dans cet esprit, également, que je souhaite soutenir les petites entreprises du Sud et favoriser leur accès au secteur formel. Ces entreprises constituent un très riche gisement de ressources fiscales et de bien-être social. Nous pourrions aider nos pays partenaires à mieux le valoriser.
C'est enfin pourquoi je pense qu'il nous faut construire une politique de codéveloppement plus appropriée, capable de mobiliser la ressource humaine des pays partenaires et d'y trouver des agents du développement. Pourquoi ne pas commencer à y travailler dès maintenant, avec, dans un premier temps, les pays du Maghreb, en impliquant les " diasporas " scientifiques et techniques dans la mise en oeuvre de projets de coopération ?
C'est, je crois, dans un tel cadre que doivent s'inscrire nos actions, déjà parmi les plus importantes du monde et les plus exemplaires.
Pour ne citer que certaines d'entre elles, je voudrais mentionner notre participation déterminée à la lutte contre le sida, toujours plus cruciale au moment où le fléau, tout en continuant à faire une hécatombe en Afrique, connaît désormais une expansion fulgurante en Asie.
Je reviens tout juste de Bangkok, où des milliers de responsables et d'experts étaient réunis pour discuter de l'utilisation des fonds, qui commencent à venir. Je retiens de cette 15ème Conférence mondiale que nous pouvons tous faire davantage, surtout en matière d'accès aux médicaments.
Mais je pense aussi à notre action pour la santé de la femme et de l'enfant : peut-on encore accepter que, dans les zones rurales d'Afrique du Nord ou en Afrique subsaharienne, un enfant sur cinq meure avant l'âge de cinq ans et qu'une femme sur dix meure en couches ?
Au-delà de ces actions, comment ne pas voir que l'originalité profonde du modèle français de coopération, c'est qu'il n'hésite pas à mettre la culture au coeur du développement ? Le président de la République en avait souligné la profonde nécessité à Johannesburg il y a deux ans, en invitant ses interlocuteurs à faire de la culture l'un des quatre "piliers" du développement.
C'est pourquoi notre coopération doit pouvoir soutenir les processus de création et d'appropriation culturels qui en sont le préalable. Un pays qui met la culture au coeur de ses préoccupations est un pays en accord avec lui-même, qui a surmonté ses doutes et ses conflits internes et qui a su répondre à ses besoins vitaux.
Une telle approche implique d'abord de travailler à la reconnaissance de la culture comme création et comme oeuvre. L'AFAA y concourt sur le terrain à travers le programme "Afrique en création". Combien d'artistes, à l'instar du chorégraphe burkinabé Salia Ny Sedou, ont acquis une reconnaissance internationale grâce aux grandes manifestations suscitées par la coopération française ?
Parce qu'elle vise à valoriser l'identité culturelle de nos partenaires dans un dialogue avec la diversité du monde, cette forme de coopération - qui permet aux oeuvres de se faire connaître et reconnaître et donc d'accéder aux réseaux de production et de diffusion mondiaux - est aussi un moyen de donner au quotidien tout son sens au combat que nous conduisons à l'UNESCO, à l'OMC, pour la diversité culturelle.
Mais il importe aussi de contribuer à la reconnaissance de la culture comme un ensemble de métiers et d'activités productrices de richesse économique.
On cite parfois, à juste titre, un rapport récent de la CNUCED, selon lequel "dans la cinquantaine de pays les moins avancés, le produit des industries musicales atteindrait 50 milliards de dollars par an, soit beaucoup plus que les 17 milliards que leur rapporte le café, les 20 milliards du coton, les 21 milliards du tabac ou les 27 milliards de la banane".
Je suis persuadé qu'il faut mettre notre aide-projet au service du développement des industries culturelles dans les pays du Sud, comme nous avons commencé à le faire avec le Fonds Sud ou le plan "images Afrique" pour le cinéma et l'audiovisuel.
Nous avons la chance de disposer d'un réseau d'établissements culturels, très souvent reconnus par nos partenaires comme de véritables outils de coopération et non seulement comme des centres producteurs de manifestations ou porteurs d'une offre de services. Ce réseau doit pouvoir être mis plus directement au service de ces objectifs.
Dans les pays en développement et notamment africains, notre position, souvent dominante localement et reconnue sur ce terrain de la culture, permet à nos établissements de tenir un rôle pilote. Celui-ci se traduit par mille et une initiatives, qui témoignent d'une réelle attention à la culture des autres. Je pense notamment à la création à Nouakchott d'un festival consacré aux musiques nomades ou encore à la pépinière d'artistes mise en place à Kinshasa.
Il faut occuper ce terrain et faire en sorte que nos établissements s'affirment comme des partenaires obligés pour les pays qui veulent faire de leurs expressions artistiques un outil d'affirmation culturelle, de cohésion sociale et de développement économique.
Ailleurs, c'est sans doute à la reconnaissance de la diversité culturelle qu'oeuvre d'abord notre coopération culturelle. La culture française s'inscrit dans un monde pluriel et doit trouver les moyens de s'affirmer en partenariat avec d'autres cultures, européennes notamment.
C'est là tout le sens de notre effort pour mieux faire entendre la voix de la France dans le débat mondial des idées. Cette voix, nous ne cherchons jamais à la faire entendre seule, mais toujours dans une situation de dialogue, que ce soit avec nos partenaires européens ou avec nos interlocuteurs dans le pays d'accueil, comme nous le faisons dans le cadre du Fonds d'Alembert.
Mais il faut changer d'échelle et inscrire cet effort dans la durée, comme vient de nous inciter à le faire Michel Barnier. Un des moyens est certainement d'ouvrir notre réseau à nos partenaires locaux, comme nous le faisons au Mozambique, voire de créer des établissements conjoints, comme nous venons de le faire avec succès à Ramallah avec nos amis allemands.
Comme la culture, l'éducation est, vous le savez, un sujet qui me tient particulièrement à coeur.
La France attache la plus extrême importance à cet Objectif du Millénaire qu'est l'Éducation pour tous. Elle s'y implique avec la plus totale détermination, comme en témoigne son engagement financier. Celui-ci se traduit notamment par une aide de 54 millions d'euros sur trois ans en faveur du Burkina Faso, du Niger, de la Mauritanie et de la Guinée, montant dix fois plus élevé que ce que nous faisions auparavant. Ceci montre que lorsqu'un pays adopte de bonnes politiques et que la communauté internationale se mobilise en sa faveur, la France sait moderniser sa coopération et participer à l'action collective.
Cet effort sera naturellement poursuivi et amplifié. Plus que jamais, l'éducation de base constitue l'une de nos priorités. Mais ceci ne doit pas nous interdire de continuer à investir dans le champ de l'excellence. Je pense en premier lieu à notre réseau d'enseignement à l'étranger, qui est unique au monde par son étendue et sa densité et s'avère un élément majeur de notre politique culturelle extérieure.
J'ai pu vérifier à maintes reprises dans mes précédentes fonctions combien, dans de nombreux pays, les lycées français font figure officieusement d'établissements de référence et quelle part est toujours la leur dans la formation des élites locales. Je me rappelle notamment d'un dîner de gala donné à l'occasion du Cinquantenaire du lycée Charles Lepierre de Lisbonne où tous les anciens élèves qui y étaient réunis auraient pu à eux seuls former plusieurs gouvernements portugais.
Je compte donc m'occuper étroitement de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger et lui consacrer, à l'automne prochain, une communication en Conseil des ministres présentant les orientations retenues quant à son évolution. Je suis convaincu que notre réseau scolaire à l'étranger, pour peu qu'il sache opérer peu à peu sa conversion, mettre en place de nouveaux enseignements, par exemple bilingues, et s'ouvrir à la coopération éducative, peut devenir un instrument essentiel de notre politique.
Toutefois, il ne suffit pas de former de brillants élèves nationaux dans nos lycées de l'étranger. Il faut aussi parvenir à les attirer dans notre système d'enseignement supérieur.
En matière d'attractivité et d'accueil des étudiants étrangers, nous avons accompli des progrès indéniables, puisqu'en cinq ans, les effectifs de ces étudiants ont augmenté de près de 65 %.
La mise en place, l'an dernier, du Conseil national pour le développement de la mobilité internationale des étudiants et les propositions que ce Conseil a pour mission de formuler devraient permettre d'améliorer encore cette situation. Aujourd'hui, la France reste, après les États-Unis et la Grande-Bretagne et à quasi-égalité avec l'Allemagne, au premier rang des pays pourvoyeurs de formations supérieures.
Toutefois, si notre offre existe, à travers ÉduFrance, Égide et le CNOUS, elle manque sans doute de visibilité et devrait être rationalisée. Par ailleurs, nous devrions conduire une action plus déterminée en Afrique. Hors Maghreb, les Africains restent peu nombreux à bénéficier de bourses et surtout nous ne sommes pas sûrs de faire venir en France les meilleurs étudiants. Certes, établir une sélection s'avère souvent difficile, mais ceci n'empêche pas la compétition d'être sévère et déjà certains pays africains voient leur jeunesse se former davantage aux États-Unis.
Notre rôle cependant ne peut s'arrêter là. Nous ne pouvons pas nous donner l'Afrique comme priorité et ne pas y investir le champ de l'enseignement supérieur. Celui-ci y est en effet en grande déshérence et ne peut suffisamment produire la ressource humaine qualifiée dont les États africains ont besoin pour leur développement. Je pense donc que la France pourrait engager une mobilisation collective des bailleurs de fonds en faveur de la remise sur pied de l'Université.
Je souhaite enfin faire écho aux propos du président Abdou Diouf sur la francophonie.
La francophonie, me semble-t-il, ne suscite pas suffisamment d'intérêt en France même, alors qu'ailleurs elle attire de plus en plus d'États et de peuples soucieux de soutenir une autre mondialisation. C'est d'abord en cultivant cette différence, et non en se plaçant en position défensive qu'elle continuera d'être attrayante. Nous devons nous efforcer de mettre en lumière la plus-value dont elle est porteuse dans le traitement des grandes questions politiques, économiques et culturelles.
Les travaux préparatoires au Sommet de Ouagadougou vont nous donner l'occasion d'approfondir notre réflexion et nous le ferons naturellement en liaison étroite avec l'OIF. Ensemble, nous soutiendrons l'ambition politique de l'espace francophone, comme lieu d'épanouissement de l'État de droit et des valeurs démocratiques.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je tenais à vous dire en ouverture de ces Journées. Croyez bien que tout comme vous, je me sens une âme de missionnaire ou, si l'on préfère, de militant. Sans avoir la prétention de changer le monde, nous travaillons ensemble à le rendre plus supportable aux centaines de millions d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent dans un dénuement absolu.
Mais la coopération aujourd'hui, ce n'est pas simplement un idéal, c'est aussi un métier. Un métier toujours plus exigeant, parce qu'il doit s'adapter aux nombreuses évolutions en cours ou à venir. Un métier toujours plus complexe, parce qu'il s'oriente vers des fonctions stratégiques et de négociation plutôt que de mise en oeuvre de projets, notamment en poste, et qu'il nécessite donc l'apprentissage d'une culture du contrat d'objectif et du résultat.
C'est pourquoi je souhaite ouvrir une vaste consultation pour construire un dispositif de formation aux métiers du développement, ouvert, partenarial, évolutif, qui deviendrait un site de référence et signerait "l'approche française" de la coopération.
Enfin, soyez assurés que je fais confiance au terrain. Je suis convaincu que le centre n'a pas à décider de tout et qu'il convient au contraire de renforcer votre autonomie et de faire davantage appel à votre sens des responsabilités. Pour ma part, je m'y emploierai.
En attendant, je souhaite, Mesdames et Messieurs, que ces deux journées soient particulièrement fécondes et vous permettent de partir en vacances en rêvant aux idées et aux projets nouveaux que vous mettrez en oeuvre à votre retour.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 juillet 2004)