Interview de M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'État, à RMC le 22 décembre 2004, sur les négociations pour la revalorisation des salaires dans la fonction publique.

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Texte intégral

Q- J'imagine que vous êtes heureux ce matin, R. Dutreil, avec la libération de C. Chesnot et G. Malbrunot. Pourquoi cette réussite ? La persévérance, la solidarité de ce pays, l'opiniâtreté du Gouvernement ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Je ne ferai aucun commentaire sur cette libération ce matin. Le seul commentaire que je fais, c'est ma joie, parce que cette joie est collective, c'est toute la France qui est heureuse aujourd'hui, et les membres du Gouvernement le sont tout particulièrement. Je sais que le président de la République va s'exprimer et, en tant que membre du Gouvernement, je lui laisse le soin de parler au nom des Français. Mais c'est vrai que nous sommes tous extrêmement heureux, c'est formidable de voir que ce métier si difficile, si nécessaire à la démocratie, aujourd'hui a été découvert par les Français. On s'est tous identifiés à ces deux otages, et on vit à travers cette libération, je crois, un grand moment avant Noël, qui est un moment de réconciliation. C'est très fort.
Q- Et nous n'oublierons pas qu'il y a d'autres otages à travers le monde : I. Bétancourt, par exemple, qu'il faut libérer, elle n'est pas journaliste mais elle mérite tout autant d'attention. R. Dutreil, regardons votre actualité : la fonction publique. Mais d'abord, la question que vous avez envie de poser aux auditeurs de RMC.
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Je pourrais leur poser une question très simple : êtes-vous d'accord pour que les fonctionnaires qui se trouvent dans les territoires difficiles ou qui font des métiers difficiles, ou qui ont des postes de travail difficiles, aient une rémunération
particulière ?
Q- Soient mieux payés ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : "Soient mieux payés", voilà, parce qu'on a un système aujourd'hui dans lequel on paye tout le monde à peu près les yeux fermés, sans regarder la réalité de ce que les fonctionnaires font, dans leur métier, dans leur poste de travail, dans leur vie de tous les jours. On redécouvre chaque semaine, et en particulier, là, maintenant, avec ce drame terrible de l'hôpital psychiatrique de Pau, à quel point il y a des fonctionnaires en France qui sont compétents - cela, on le sait, ce sont des beaux métiers -, mais également dévoués. Et souvent, ils sont exposés dans leur vie personnelle. Je crois que ces fonctionnaires-là, il me semble qu'ils devraient avoir une reconnaissance consistante de la part de leur employeur qui est souvent l'Etat.
Q- Donc, une rémunération au mérite.
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Une rémunération, alors avec "un mérite" au sens large ; il y a le mérite individuel, il peut y avoir le mérite collectif, il y a des équipes qui sont efficaces aussi ; il faut récompenser l'équipe. Mais il me semble qu'il faut sortir de cette rémunération les yeux fermés et essayer de construire une rémunération juste.
Q- On pose la question donc aux auditeurs de RMC. Avez-vous fait cette proposition aux syndicats de fonctionnaires hier ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Oui. Je leur dis la chose suivante : soit nous continuons à nous focaliser sur ce que l'on appelle "le point indiciaire", et dans ce cas là...
Q- "Point indiciaire", c'est l'augmentation du traitement ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : C'est le taux d'augmentation du traitement, et dans ce cas-là, on augmente tout le monde, de la même façon. Par exemple, moi, le ministre, on va l'augmenter de la même façon que l'on va augmenter le smicard, sans que l'on puisse différencier les augmentations. Et je dis : sortons de ce système absurde, et essayons de regarder la réalité qui est faite sur le terrain par nos fonctionnaires. Il y en a qui sont dans des situations géographiques difficiles : par exemple, les fonctionnaires qui sont dans les quartiers, dans les banlieues difficiles, il faut les reconnaître. Il y a des fonctionnaires qui font des métiers difficiles, il faut les reconnaître. Il y a des fonctionnaires qui s'investissent énormément, qui font des efforts personnels, il faut les reconnaître. Cela suppose que l'on modifie un peu la politique salariale.
Q- Vous avez proposé une revalorisation générale des traitements de 1 %, c'est
cela ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Il faut savoir que la feuille de paye moyenne d'un fonctionnaire en France est composée de différents éléments. Il y a d'abord 2 % tous les ans, quasi automatiques, c'est l'avancement à l'ancienneté ; alors, tout le monde n'y a pas droit...
Q- C'est automatique pour tout le monde ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : ...tout le monde n'y a pas droit la même année. En principe, un fonctionnaire va franchir un grade tous les trois ans, et quand il franchit un grade, c'est + 6 % de son traitement. Donc, en moyenne, cela fait 2 % par an. A ces 2 %, je rajoute pour 2005, 1 %, lié au traitement indiciaire ; et puis à ces 2+1, il y a à rajouter également les indemnités et les primes. Par exemple, dans le Plan police, il y a des indemnités particulières pour les policiers, cela dépend des ministères ; dans un ministère, vous avez des primes importantes, par exemple, à Bercy il y a des primes importantes, dans d'autres ministères, c'est moins important. Tout cela additionné, cela fait que les fonctionnaires ont une feuille de pays moyenne - fonctionnaires de l'Etat - qui augmente de 4 % en moyenne par an depuis 1994, et qui a augmenté de 3 % en 2004, et qui devrait augmenter d'à peu près du même montant en 2005. Donc, le 1 %, ce n'est qu'un des éléments de la rémunération des fonctionnaires. Et comme il y a des gens qui, malheureusement, n'ont pas pu profiter de ces 2 % du GVT - l'augmentation automatique -, je propose deux solutions : la première solution, c'est une prime exceptionnelle pour des gens qui sont en sommet de grade, c'est-à-dire, depuis trois ans, ils n'ont pas pu bénéficier d'avancement automatique, donc ils sont bloqués en haut de leur grille indiciaire, et du coup, ils n'ont pas cette augmentation de traitement que j'évoquais il y a un instant.
Q- Montant de cette prime ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Le montant de cette prime va être 1,2 % pour réparer la perte de pouvoir d'achat de 2004.
Q- 1,2 % du traitement ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : 1,2 % parce que l'on a une inflation de 1,7 en 2004, ils ont eu 0,5 au titre du point, eh bien je leur donne un coup de pouce de 1,2 pour réparer cette perte de pouvoir d'achat. Et puis, une deuxième mesure de justice en direction des bas salaires de la fonction publique, c'est à- dire, tous ceux qui sont au niveau Smic, qui va s'appliquer au 1er juillet prochain, et donc qui ne sera pas seulement une augmentation du niveau de rémunération minimum dans la fonction publique, mais qui va reconstruire la grille indiciaire des catégories C ; c'est un peu technique, mais cela va quand même améliorer la situation de beaucoup de gens les moins bien payés.
Q- De combien, pour un fonctionnaire qui touche un bas salaire ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Pour un fonctionnaire du bas de la grille, de catégorie C, en fin de carrière, il bénéficiera, grâce à cette mesure que je propose, de 14 points supplémentaires. Les fonctionnaires comprendront. C'est quand même pas négligeable, et cela représente un vrai effort en direction de ceux qui étaient peut-être les plus menacés en matière de pouvoir d'achat, c'est-à-dire, les moins bien payés de la fonction publique.
Q- Savez-vous ce que nous avons fait ? Nous avons appelé B. Lhubert, que vous connaissez bien.
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Je connais bien.
Q- B. Lhubert, bonjour. Vous êtes secrétaire général de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et, hier, vous l'avez rencontré, R. Dutreil. Cela ne vous satisfait pas, pourquoi ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Non, mais je n'ai pas écouté tout ce que vient de dire le ministre puisque j'ai pris...
Q- Il a parlé d'une prime exceptionnelle pour les fonctionnaires...
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Oui, mais j'ai entendu la fin : les 14 points sur la fin de carrière, bon. Oui... On pourrait discuter beaucoup. Les fins de carrière de C, ils n'auront rien du tout de fait. On parle de l'échelle 3, on pourrait parler de beaucoup de choses mais qui seraient très techniques. Pourquoi sommes-nous en désaccord ? D'abord, le ministre sait que nous sommes en désaccord total avec sa manière de calculer l'évolution du pouvoir d'achat des fonctionnaires. Le ministre parle de l'évolution de la "rémunération moyenne". Le fonctionnaire moyen n'existe pas. Nous ne contestons pas que ce calcul a un intérêt pour le Gouvernement pour calculer la charge budgétaire, c'est évident. Par contre, cela ne mesure pas l'évolution du pouvoir d'achat. Nous mesurons l'évolution du pouvoir d'achat par rapport à la base de calcul des rémunérations. Nous constatons qu'il y a un décalage sur la valeur du point - ce que nous appelons "la valeur du point" - de moins 5 % depuis le 1er janvier 2000, et d'ailleurs je crois que personne ne le conteste. Deuxième volet sur cette base-là, nous constatons que le ministre nous promet de nouvelles baisses pour 2005, puisqu'il nous annonce 1 % - là aussi, je ne détaille pas sur l'étalement de la mesure -, mais 1 % alors que l'inflation va être annoncée, prévue, prise en compte pour le budget, à peu près du double. Donc, voilà ! Voilà pourquoi il y a sur le fond désaccord. J'ajoute que le ministre ne peut pas avoir raison, toujours tout seul, contre tout le monde. C'est [inaudible] aux organisations syndicales qui n'acceptent ces propositions.
Q- B. Lhubert, lorsque vous parlez de 1 % - je ne vais pas me faire l'avocat de R. Dutreil - vous oubliez, c'est vrai, les primes et vous oubliez les augmentations à
l'ancienneté ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Deux choses : pour ce qui concerne les primes, d'abord, je constate que les rapports qui sont faits dans la fonction publique année après année, maintiennent le même taux depuis plusieurs années, pour ce qui concerne les primes. Le ministre pourra reprendre ces rapports, ou je pense qu'il les connaît. Il constate que, pour ce qui concerne l'Etat, ce sera 18 % depuis plusieurs années en moyenne. Deuxièmement, pour ce qui concerne l'effet carrière, c'est vrai qu'il y a des déroulements de carrière dans la fonction publique, comme d'ailleurs dans d'autres entreprises ou entreprises publiques ; il y a un déroulement de carrière qui sont liés à l'acquisition de qualifications, de par l'ancienneté, de par des promotions, de par des passages de concours. Et pour nous, cela ne rentre pas en compte dans l'évolution du pouvoir d'achat de la qualification de l'agent. J'ai l'habitude de développer [l'exemple d'un] agent de service qui passe ingénieur : bien sûr que sa rémunération va augmenter, mais que l'on ne parle pas de l'évolution du pouvoir d'achat des agents de service dans ce cas-là.
Q- B. Lhubert, vous réclamez 10 milliards d'euros, c'est cela, pour compenser la perte de pouvoir d'achat des fonctionnaires ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : On peut annoncer tous les chiffres, cela dépend si on
prend les chiffres qui pèsent sur le budget ou si l'on parle
globalement de tous les chiffres, de tous les employeurs publics.
Q- Qu'allez-vous faire maintenant, vous syndicats ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Ce que l'on va faire, c'est d'abord dire aux personnels : voilà ce que le Gouvernement propose. Comme je vous le disais, ce sont tous les syndicats, ce n'est pas que la CGT. On pourrait dire : encore la CGT ! Le ministre se retrouve face à l'ensemble des syndicats qui s'opposent à ses propositions. Donc, nous allons d'abord informer les personnels, leur donner toutes les informations dans le détail. Hier soir, nous avons fait une rédaction de l'ensemble des propositions, le ministre pourra constater que nous ne trahissons pas les propositions qu'il a faites ; les personnels vont juger, et nous allons les appeler à intervenir et à se faire entendre, parce que cela devient inacceptable !
Q- Comment ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Nous allons proposer autour de la mi-janvier, un peu au-delà de la mi-janvier sûrement, aux personnels d'avoir des actions, des interventions de haut niveau.
Q- C'est quoi une intervention de haut niveau ? C'est la grève ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Lhubert : Pour le moment, les organisations syndicales se réunissent cet après-midi, et il ne faut pas exclure des actions de grève et une manifestation, bien entendu.
Q- De grève dans la fonction publique, donc ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : B. Hubert : Rien n'est décidé. Je dis que rien n'est à exclure.
Q- Merci B. Hubert. R. Dut Reil, que répondez-vous à B. Hubert ? Qu'allez-vous faire ? Qu'allez-vous prendre comme initiative pour essayer de renouer ce dialogue ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : D'abord, B. Hubert dit : "nous voulons dix milliards d'eus !". Il faut savoir que moi, je n'ai pas 10 milliards d'euros planqués dans ma cheminée !
Q- Le Gouvernement ne les a pas !
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Mais non ! Il ne les a pas, c'est très clair ! Donc, si on voulait les donner, il faudrait augmenter les impôts en 2005 d'à peu près 170 euros par Français ; c'est-à-dire, pour une famille de deux enfants, il faudrait prélever 700 euros en plus. C'est du pouvoir d'achat qui serait en moins pour ces gens-là, qui vont payer plus d'impôts. Ce n'est pas raisonnable ! Ce n'est pas raisonnable de demander aujourd'hui une augmentation des impôts de 10 milliards d'euros. C'est le premier point. Deuxième point : "manifestations, grève". Moi, si la manifestation fait tomber des milliards d'euros du ciel, mais je demande une place en tête du cortège ! C'est formidable ! Mais il faut être réaliste aujourd'hui. Ce n'est pas parce que l'on se met en grève ou que l'on est en manifestation que tout à coup les données financières de la France, et en particulier, du budget de l'Etat, vont changer. Il faut savoir que, dans ce budget de 2005, on va consacrer 450 millions d'euros en plus pour les primes. Alors, vous voyez bien que c'est de l'argent qui va être distribué en pouvoir d'achat en plus, via les primes aux fonctionnaires de l'Etat. Deuxième chose : on va augmenter de 1,9 milliards d'euros l'argent que l'on distribue aux retraités de la fonction publique, parce que l'on a de plus en plus de fonctionnaires qui partent à la retraite, donc nous, on leur sert des pensions, et cela pèse sur le budget de l'Etat. Et puis, le service de la dette augmente de 1,3 milliards. Si les socialistes avaient réglé le problème des retraites, avaient désendetté l'Etat dans la période 1997/2000 - la France a été avec l'Allemagne le seul pays d'Europe qui ne s'est pas désendetté dans cette période -, aujourd'hui, on paye les pots cassés, c'est-à-dire, que l'on est en train de payer les factures des socialistes. Si l'Etat avait été bien géré avant nous, on pourrait donner plus aux fonctionnaires. Je ne demande que cela. Ce que je ne veux pas, c'est augmenter les impôts, ça, c'est clair. Parce que l'on est dans un pays où il y en a déjà beaucoup trop des impôts. Donc, la masse salariale c'est, en réalité, des impôts. Aujourd'hui, ce que je fais, ce 1%, on le fait sans augmenter les impôts.
Q- Mais vous n'avez pas d'autres propositions ? Vous n'irez pas plus loin ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Mais je suis déjà allé assez loin.
Q- Pourrez-vous encore faire un petit effort. Là, dans les premiers jours de janvier par exemple ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Je suis déjà allé assez loin. En 2003, il y avait 0 % ; en 2004, 0,5 % ; en 2005, 1 %. C'est une progression sensible.
Q- Oui mais l'inflation est plus forte que cela...
Renaud DUTREUIL (Réponse) : Mais la feuille de paye moyenne ne tient pas compte uniquement du 1 %. Il y a les 2 % en plus de l'avancement automatique, et puis, il y a les primes. Donc, la feuille de paye d'un fonctionnaire - je veux bien qu'on les regarde toutes, il y en a 2,2 millions à regarder -, si vous prenez toutes les feuilles de paye, de tous les fonctionnaires, vous allez voir qu'il y en a un très grand nombre qui ont un pouvoir d'achat supérieur à l'inflation.
Q- F. Bayrou, par exemple, dit : "oui, le Gouvernement nous raconte des bobards !". On dit "1%" alors que la proposition c'est 0,5 % en janvier, et 0,5 % fin novembre. Donc, en décembre quand l'année est finie ?
Renaud DUTREUIL (Réponse) : C'est 0,5 % le 1er février, et 0,5 % le 1er novembre. Mais ce qui compte c'est le niveau, parce que cela fait franchir une marche à la rémunération des fonctionnaires de l'Etat, et pas seulement de l'Etat, aussi de toutes les collectivités locales et des hôpitaux. Donc, c'est quand même quelque chose qui a un impact très fort, en termes de distribution de pouvoir d'achat. Et c'est une progression par rapport à 2003 et 2004. On passe de 0 à 0,5, puis cette année, en 2005, à 1%. On va dans le bon sens pour les fonctionnaires, et sans augmenter les impôts, parce que cela aussi c'est très important. Les impôts qui augmentent, c'est du pouvoir d'achat en moins pour des consommateurs.
[...]
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 décembre 2004)