Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" le 22 février 2005, notamment sur la situation économique, son avenir en politique, le referendum sur la constitution européenne, la réforme de l'école, les énergies renouvelables et la décentralisation.

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace

Texte intégral

QUESTION.- Dans votre esprit, 2005 devrait être une année de renaissance. Mais tous les sondages montrent que les Français n'ont jamais été aussi déprimés. La désillusion est-elle amère ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je n'ai pas les mêmes indicateurs que vous. Vous parlez de sondages, moi je parle de croissance ! Il faut regarder les indicateurs économiques : j'avais dit que la France ferait 2,5 % de croissance en 2004, elle a fait 2,5 % de croissance en 2004 ; on n'a jamais vendu autant de voitures ; on n'a jamais créé autant d'entreprises... le nombre des demandeurs d'emplois est stabilisé depuis un an, et nous pouvons dire avec clarté que l'année 2005 verra une baisse significative du chômage. Je continue simplement de dire la vérité... Les sondages, j'y suis attentif, évidemment, et ils entraînent des commentaires peu amènes. Mais quand je suis sur le terrain, je vois plus de gens qui me disent " tenez bon, nous sommes sur la bonne voie " que de gens qui me tournent le dos... Vous savez, les Français n'aiment pas qu'on écrive leur histoire à l'avance.
QUESTION.- Vous êtes à Matignon depuis presque trois ans, qu'est ce qui vous a semblé le plus dur dans votre parcours de Premier ministre ? Il est évident que j'aurais préféré qu'au mois de mars 2003, la France suive la sagesse alsacienne...
Jean-Pierre RAFFARIN.- Matignon est une des responsabilités les plus dures de la République, mais je l'assume avec sérénité et détermination. Ma force est dans mon désintéressement personnel.
QUESTION.- Après deux échecs électoraux successifs aux régionales puis aux européennes, on ne donnait pas cher de votre peau à Matignon. Vous êtes toujours là, apparemment inaltérable. Tout de même, franchement, y-a-t-il eu des jours où vous avez eu envie de rendre votre tablier ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Non. Je ne suis pas de ceux qui renoncent. Par nature, je suis déterminé. Je n'exerce pas les responsabilités par plaisir personnel, et je n'envisage pas non plus la fin des responsabilités comme un trou noir. Je reste sincère dans l'action. Puisqu'on parle d'élection, laissez-moi me réjouir des élections partielles en général et à la victoire de la liste de mon ami Philippe RICHERT, aux sénatoriales, en particulier.
QUESTION.- Saluant votre résistance aux difficultés, certains vous voient désormais armé pour durer jusqu'en 2007. Vous aussi ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je n'étais pas candidat à Matignon. J'assume ma charge et je l'assumerai le temps qu'il sera nécessaire. En étant en paix avec moi-même. On manque rarement de successeur !
QUESTION.- Vous est il arrivé de penser à la présidentielle en vous rasant ? Ou après ? Ou avant ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je n'ai ni dans la barbe ni dans la moustache une ambition présidentielle. Quand je pense à ce que je pourrais faire dans l'avenir, je me situe davantage dans une perspective européenne... mon ambition est plus de faire quelque chose plutôt que d'être quelqu'un.
QUESTION.- Les partisans du traité constitutionnel redoutent que votre impopularité (celle des sondages, en tout cas) plombe le oui. Quelle sera votre attitude et votre rôle pendant la campagne du référendum ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je reçois pourtant beaucoup d'invitations, mais le gouvernement ne dirigera pas la campagne. Ma responsabilité de chef de Gouvernement est de veiller à l'explication du Traité et à l'information des français. En ce qui concerne la campagne, je participerai en tant que militant européen. Personne n'est propriétaire du oui ! Il faut que le oui de Raffarin s'ajoute entre autres à celui de Hollande. Mais avant de donner des leçons aux autres, le premier secrétaire du Parti Socialiste ferait bien de faire respecter, dans son propre parti, l'autorité de la consultation interne qu'il a lui-même organisée... Le peuple espagnol a montré que l'Europe dépassait les clivages partisans.
QUESTION.- Afin de clarifier votre position, pas toujours très claire sur la question, êtes vous personnellement favorable à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne dans quinze ou vingt ans, si ce pays en remplit les conditions ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je n'aime pas les conclusions qui précèdent les discussions. Évidemment, je n'ai aucune hostilité à l'égard du peuple turc. La Turquie a fait acte de sa volonté européenne, elle doit maintenant apporter la preuve qu'elle peut mener à bien un certain nombre de réformes de société - concernant notamment les droits de l'homme et la place des femmes - pour répondre aux critères définis par les dirigeants européens à Copenhague. Je jugerai sur pièces. Si les discussions entre l'Europe et la Turquie débouchent sur une perspective d'adhésion - ce qui n'a rien d'automatique - les Français se prononceront par référendum. La décision finale leur appartiendra.
QUESTION.- La réforme est au coeur de votre discours. Longtemps synonyme de progrès dans le vocabulaire politique, elle suscite désormais une crainte et évoque une forme de régression. Pour vous, la réforme est-elle, de toutes façons, synonyme d'effort ? Voire d'effort douloureux ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- L'immobilisme est une drogue douce... Je crois sincèrement que la vérité impose la réforme, que ce soit pour le régime des retraites, l'assurance maladie ou l'école. Mais, pendant longtemps, on n'a pas tenu ce discours de vérité à la société française, et aujourd'hui, la réforme est d'autant plus difficile à accepter et à réaliser qu'elle est tardive. La vérité exige sa part de courage. Je suis convaincu que les faits donneront raison à ces réformes.
QUESTION.- Après le grand débat, la loi d'orientation sur l'école devait être l'aboutissement d'un très long cheminement des Français. Et voilà que vous accélérez, imposant même la procédure d'urgence à l'Assemblée nationale comme pour couper court à la discussion. Où est la cohérence ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Cela fait plus d'un an que le débat est ouvert. Réformer l'école, c'est toujours difficile parce que les attentes sont grandes et parfois contradictoires. Je comprends bien les inquiétudes de la communauté éducative qui est toujours en première ligne. C'est pourquoi, nous n'avons pas voulu d'une grande rupture et nous nous plaçons dans la continuité de la loi d'orientation de 1989. Mais il fallait passer par le débat puis par la loi car, en France, la question de l'éducation concerne toute la nation. C'est devant la représentation nationale, au Parlement, que la réforme rassemble légalité et légitimité. Quant à la procédure d'urgence, l'objectif, ce n'est pas de couper court à la discussion, mais de nous permettre d'être prêts à temps pour que certaines mesures puissent être appliquées dès la rentrée 2005. C'est la réussite pour tous, dans le système éducatif, qui est urgente.
QUESTION.- Vous venez en Alsace pour parler du développement durable. Mais la France, qui vient de réaffirmer ses choix pour le nucléaire, est très en retard dans le domaine des énergies renouvelables. Elle est aussi l'une des plus mauvaises élèves de l'Union pour la mise en oeuvre des directives européennes sur l'environnement. Comptez-vous prendre le taureau par les cornes ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- On oublie souvent que le réacteur EPR, dont je viens d'annoncer le lancement, nous permettra de fabriquer de l'énergie sans produire le moindre gaz à effet de serre... Mais avec les crédits d'impôts pour le chauffage solaire, et les mesures importantes en faveur des bio-carburants, nous avons commencé, aussi, à nous mobiliser très concrètement pour les énergies renouvelables. Quant au retard pour appliquer les directives européennes sur l'environnement, nous le rattrapons progressivement. Nous étions les derniers de la classe, nous sommes maintenant en milieu de classement... Ceux sont des sujets de première importance pour le Président de la République. Devenu Premier ministre, l'ancien président de la Région Poitou-Charentes semble avoir renoncé à trancher en faveur des régions et il a même donné le sentiment d'avoir viré "départementaliste". Comment expliquez vous ce qui apparaît comme une occasion manquée ? J'ai tranché ! Mais, comme pour les lois Defferre, il faudra sans doute quelques années pour en prendre la mesure... Dans la loi de décentralisation, la région a clairement obtenu le leadership de la cohérence territoriale avec la vocation de définir une stratégie, les départements et les communes étant pleinement en charge de la proximité. C'est un bon équilibre : le couple Etat-Région est en charge de la cohérence, le couple Département-commune (et leurs groupements) est en charge de la proximité.
QUESTION.- Depuis la victoire de la gauche dans 20 régions sur 22, vous avez mis en sourdine des projets d'expérimentation très attendus comme certaines fusions ANPE-Assedic. L'Alsace ressent, elle aussi, cette prudence. Est-elle provisoire ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Ce n'est pas exact, c'est un malentendu. Je suis décidé à répondre positivement à Adrien Zeller. Je reste très ouvert aux expérimentations, en particulier pour le service public de l'emploi en Alsace par exemple. Le problème, c'est que des régions socialistes veulent instrumentaliser la décentralisation pour faire jouer à leurs régions un rôle de contre-pouvoir. Et là, je ne suis pas d'accord... En politisant les régions, les socialistes veulent recentraliser le débat et s'écarter ainsi de l'esprit de la décentralisation qui par définition ne doit pas être partisan.
QUESTION.- Le TGV-Est est désormais en bonne voie et votre gouvernement promet que la deuxième tranche de l'ouvrage sera engagée dans la continuité de la première dès 2008. Mais aucun plan de financement pour cette phase n'est précisément arrêté. Comment rassurer les Alsaciens sur ce point, autrement que par des engagements verbaux ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je suis prêt à confirmer aux Alsaciens et à leurs élus les garanties qu'ils attendent... La continuité de la deuxième phase du TGV-Est, c'est un engagement de l'État et je l'assumerai. La France a besoin de l'attractivité de Strasbourg et de sa région.
QUESTION.- Êtes vous décidé à apporter un soutien particulier aux deux pôles de compétitivité alsaciens et notamment celui qui concerne l'innovation thérapeutique et les biotechnologies ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Oui, et nous allons en discuter aujourd'hui. Les dossiers alsaciens seront présentés au prochain CIADT(2) avant l'été.
QUESTION.- L'Alsace connaît depuis trois ans une accélération sans précédent de son taux de chômage mais les Alsaciens ont le sentiment que Paris ne prend pas suffisamment en compte cette situation inédite, comme si notre région devait rester une exception économique ne méritant pas un soutien particulier. Souhaitez vous remédier, à votre niveau, au décalage entre la perception d'une Alsace définitivement prospère et la réalité locale ?
Jean-Pierre RAFFARIN.- Je viens souvent en Alsace. Je suis bien conscient que le schéma qui consistait à faire payer l'Alsace pour les autres régions dans le cadre d'une péréquation statistique est aujourd'hui dépassé. Forte, l'Alsace a aussi ses fragilités pour lesquelles elle a besoin de la solidarité nationale. Soyez assuré qu'on ne l'oublie pas à Matignon. J'y veillerai personnellement.
Propos recueillis par Olivier Picard
(1) Il y aura une lecture à l'Assemblée nationale (terminée vendredi) une au Sénat, puis une commission mixte paritaire élaborera un texte de compromis qui sera voté par chacune des deux chambres. (2) Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 24 février 2005)