Interview de M. Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO à RTL le 24 novembre 2004, sur les réunions entre les partenaires sociaux et le ministre de la Fonction publique et les négociations salariales dans la Fonction publique.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Richard Artz : Bonjour Jean-Claude Mailly. Des patrons routiers, en majorité des PME, font entendre ces jours-ci leur mécontentement. Le gouvernement est très ferme, pour éviter notamment qu'il y ait des barrages, mais quel est votre point de vue de syndicaliste sur ce mouvement ?
Jean-Claude Mailly : D'abord, comme vous venez de le dire, c'est un mouvement de patrons. Donc nous, nous ne soutenons pas ce mouvement. Et nos routiers, les routiers Force Ouvrière, ont des revendications non seulement vis-à-vis du Patronat, notamment en termes de salaires et en termes de durée du travail. Les patrons ne respectent pas leurs engagements au niveau de leur fédération. Donc c'est un mouvement que nous ne soutenons pas parce que c'est un mouvement d'employeurs. Ce n'est pas un mouvement de salariés.
Q - Et vous considérez qu'ils ont déjà obtenu en matière fiscale, par rapport à la hausse du prix de l'essence
R - ... ils ont déjà obtenu des choses bien sûr qu'ils ont déjà obtenu des choses mais c'est leur problème, c'est bien un mouvement de patrons...
Q - Un mouvement qui, en revanche, concerne vraiment les syndicats, c'est le pouvoir d'achat des fonctionnaires et le boycott hier d'une réunion qui était prévue avec Renaud Dutreil, le ministre de la Fonction Publique. Alors celui-ci dit que les sommes - 10 milliards d'euros réclamés - revendiquées par les syndicats, sont mirobolantes. Hier, ici à RTL, dans le journal de 18 heures, il a dit: "je ne suis pas Harry Potter"... pas un magicien. Ca, vous le saviez ?
R - Qu'il n'était pas Harry Potter, oui... mais on découvre que c'est le père fouettard ! D'une certaine manière, si sa fonction c'est tout faire pour que ça se passe mal... alors là, il réussit très bien ! Il y a un "côté cata" chez Monsieur Dutreil... y compris de la démagogie. Quand il cite des chiffres de 10 milliards, effectivement : moins les fonctionnaires seront augmentés, plus on le verra dans le temps. Ca coûtera cher, c'est une évidence. Ils ont été augmentés de 0 % en 2003, 0,5 % en 2004. A partir de là, quand Monsieur Dutreil fait de la provocation, c'est un ultra-libéral... un ultra-libéral à la Fonction Publique, il y a quand même une petite contradiction difficile à gérer. Quand il fait de la provocation, eh bien il a le retour. Une réunion comme hier, qui n'était même pas une réunion de négociations, qui était sur soi-disant un constat, qui ne sera jamais partagé avec le gouvernement sur l'évolution du pouvoir d'achat. Ce qui compte pour les syndicalistes et pour les fonctionnaires, c'est l'augmentation de l'indice, c'est l'augmentation générale pour tout le monde!
Q - Mais c'est justement ça qu'il met en cause! Ça peut être une forme de modernité de diversifier les augmentations, et non pas cette augmentation globale, de tout le monde, de haut en bas de l'échelle.
R - Oui mais il faut savoir que, parallèlement à ça, Monsieur Dutreil a des projets de remise en cause du statut de la Fonction Publique... de la manière de négocier dans la Fonction Publique. Il y a tout ça qui est en cause. Il y a une volonté de remise en cause de la Fonction Publique en tant que telle.
Q - Mais il dit que l'argent qu'il a, il pourrait le consacrer aux fonctionnaires les moins bien payés.
R - S'il peut consacrer le même argent, ça veut dire qu'il a de l'argent !
Q - Pas suffisamment pour augmenter tout le monde.
R - Oui mais écoutez, moins il les augmentera, plus on attendra plus ça coûtera cher par définition. Il y a une volonté de ne pas négocier. A partir de là, c'est normal que les organisations syndicales aient boycotté...
Q - ... à quelle condition elles reviendront à la table de négociation ?
R - A condition que ce soit une véritable négociation... que ce ne soit pas du cinéma !
Q - Vous ne demandez pas sa démission à Renaud Dutreil...
R - Ca c'est son problème! Ce n'est pas notre problème. On ne choisit pas nos interlocuteurs. Mais ce qui est vrai, c'est que les discussions avec Monsieur Dutreil sont particulièrement difficiles !
Q - Les pensions de réversion... Jean-Pierre Raffarin a retiré hier le décret qui durcissait les conditions d'attribution de la pension de réversion pour les veufs et les veuves. Sans rentrer dans le détail, quand le gouvernement renonce à une décision controversée, là, vous applaudissez.
R - Ah bien sûr... on est pragmatique quand on est syndicaliste! D'ailleurs, ce décret du mois d'août c'était la conséquence de la contre-réforme Fillon de 2003. On le savait que ça allait arriver. S'il nous avait écouté avant, il n'y aurait pas eu les difficultés. Maintenant, on est pragmatique. Le gouvernement a reculé sur ce décret. Ce que le ministre a annoncé hier, eh bien oui on s'en félicite, dans la mesure où ça répond à ce que nous demandions !
Q - Les 35 heures. On attend là-dessus une décision de Jean-Pierre Raffarin pour le 9 décembre. Est-ce qu'il y a des choses dans la réforme des 35 heures qui sont pour vous complètement inacceptables ?
R - Oui, il y en a plusieurs d'ailleurs. On considère que les assouplissements existent aujourd'hui et que ce n'est pas la peine d'en donner de nouveaux. Il y a un exemple : allonger le contingent des heures supplémentaires. Les patrons demandent 240 heures par an, par salarié. Le gouvernement hésite pour savoir s'il va leur accorder 210 ou 220 heures. Si vous prenez l'exemple en 2005, y compris la suppression d'un jour, le lundi de Pentecôte. Plus la possibilité, si le gouvernement l'accorde, de travailler 210 ou 220 heures, c'est vers les 40 heures qu'on revient ! Il va falloir aller ressusciter Léon Blum, puisque la loi des 40 heures ça date de 1936. Donc on est par exemple totalement opposé à cette augmentation du contingent des heures supplémentaires! Le gouvernement le sait. A lui de prendre ses responsabilités, mais c'est un sujet brûlant les 35 heures!
Q - Vous accepterez quand même d'aller un petit peu plus loin. Il faudra en parler...
R - Mais non, il le sait. Il n'y a qu'un problème sur les 35 heures, il n'y en a pas trente-six. Il y en a un: c'est pour les entreprises de moins de vingt salariés qui ont pour le moment des dérogations. Qu'est-ce qui se passera après le 31 décembre 2005 ? Nous on dit: il faut arrêter les dérogations et revenir dans le lot commun, même si ça se fait progressivement. Tout le reste, ce n'est que de la politique politicienne, ou effectivement une volonté d'individualiser les relations sociales et ça on ne peut pas l'accepter !
Q - Dans le mouvement social actuellement, le mouvement syndical, on a entendu, ou en tout cas lu hier dans le journal La Tribune, Bernard Thibault qui, une nouvelle fois, appelle à une unité syndicale, à un front syndical commun. Vous êtes intéressé par ce genre de proposition ?
R - Si ce n'est pas incantatoire - parce qu'on a un peu ce sentiment d'incantations d'une manière permanente. Quand on est d'accord entre une, deux, trois quatre organisations syndicales, sur des revendications précises, des revendications communes, comme c'est le cas actuellement chez les fonctionnaires, il n'y a pas de problème. Maintenant, ça suppose que l'on discute, que l'on se voie. On se voit d'ailleurs hein. Les organisations se voient... qu'on discute. Si on est d'accord sur des points communs ça s'appelle "l'unité dans l'action". Ca, on n'a jamais été contre !
Q - Mais vous ne voulez pas que ça se généralise...
R - Pas de manière systématique, comme ça, de manière incantatoire. Ca, on a vu ce que ça a donné au moment du mouvement sur les retraites, et on ne peut pas dire que ce soit efficace! Maintenant, qu'on discute et quand on est d'accord, on est dans l'unité d'action, ça c'est tout à fait logique.
Q - Vous garderez un bon souvenir du passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Economie ?
R - Ca a été fulgurant hein. Huit mois, ça passe très vite. Non, pas obligatoirement sur tout. Je vais prendre un seul exemple, et on revient sur les salaires: Monsieur Sarkozy a tout fait d'une certaine manière pour que les salaires n'augmentent pas. Quand il dit que demain, pour avoir une amélioration de son pouvoir d'achat, il faut que les prix baissent. On voit ce que ça donne aujourd'hui. D'abord, la baisse des prix, tout le monde la cherche au mois de septembre tout le monde l'a cherchée. Et ça signifie également, la réforme de la loi Galland par exemple, que d'ores et déjà il y a des menaces qui sont faites sur l'emploi dans le secteur du commerce, comme ça a été le cas aux Pays-Bas, où plusieurs milliers d'emplois ont disparu avec le même type de problèmes.
Q - Dernière question: ce rapport de la Cour des Comptes. Il y a aussi un rapport Claude Bébéar sur les discriminations à l'embauche. Est-ce que vous considérez que, globalement, comme la Cour des Comptes le dit, les politiques d'intégration en France sont un échec ?
R - Le problème d'abord, c'est le problème de l'emploi. A partir du moment où il n'y a pas d'emploi, effectivement, ça accroît ce type de problème. Quand Monsieur Bébéar propose par exemple un CV anonyme pour le premier tri, on peut soutenir ce genre de chose. Mais maintenant le problème de fond c'est qu'on ne pourra régler ce type de problème que si, effectivement, il y a des créations d'emplois. Et s'il y a un changement de mentalités du côté des patrons. C'est quand eux qui sélectionnent.
Q - Merci Jean-Claude Mailly. Je rappelle que vous êtes le Secrétaire Général du syndicat Force Ouvrière.
R - Merci.
(Source http://www.force-ouvriere.fr, le 24 novembre 2004)