Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement à "Radio Classique" le 6 décembre 2004 sur sa nomination à Bercy avec Hervé Gaymard, ministre de l'économie, sur les prévisions du taux de croissance, sur la réforme du pacte de stabilité.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- E. Cugny : Vous voilà installé à Bercy. Je ne sais pas si le hasard, mais dans L'Express qui sort ce matin en kiosque, on peut lire ce titre : "Gaymard-Copé, Pacs à Bercy" ; comment se porte le duo - je ne veux parler de "couple" -, le binôme depuis une semaine maintenant ?
R- Il se porte évidemment très bien, et pour cause : nous somme, l'un et l'autre très honorés, très heureux d'exercer des fonctions, dont vous imaginez que pour des jeunes ministres, ce sont parmi les plus belles qui soient au service de la République. Et en plus, on le fait dans une ambiance qui est celle de l'amitié et aussi de la collégialité, parce que H. Gaymard et moi, nous nous connaissons depuis longtemps, et on a envie, ensemble de faire bouger les choses dans le sens que vous imaginez, c'est-à-dire celui d'accomplir la feuille de route fixée par la président de la République et le Premier ministre
Q- S. Delanglade : Vous allez innover dans le gouvernement Raffarin, parce que jusqu'ici, les couples n'ont pas très bien fonctionné. On pense à F. Mer et à A. Lambert, L. Ferry et X. Darcos. Comment allez-vous surmontez ?
R- L'idée n'est pas celle-là. Nous sommes ensemble, et il faut savoir que dès le premier jour, dès la première minute, nous avons veillé, au-delà du fait que nous nous entendons bien, à ce que nos équipes fonctionnent bien. Je vous donne un exemple concret : mon équipe a été formée en 48 heures, la sienne aussi, et pour ce qui concerne l'équipe budgétaire, elle est commune à nous deux. Pour vous donner une autre idée de l'esprit qui nous anime, je dirais que notre idée, notamment dans le domaine du budget, c'est que nous ne soyons pas - ou que Bercy ne soit pas - une machine à dire "non" mais plutôt à faciliter, à accompagner, à porter les réformes, mais bien sûr, dans une logique de modernité et puis, bien sûr, de veiller à ce que la gestion publique soit selon les critères que nous pouvons, les uns et les autres, en attendre.
Q- E. Cugny : S. Delanglade, justement, vous posait la question : comment allez-vous vous organiser ? Comment vont se répartir les rôles entre monsieur Gaymard et monsieur Copé ?
R- Très simplement : il est ministre de l'Economie, des Finances et du Budget et il est aussi en charge des questions industrielles. Il a l'ensemble du spectre, et pour ce qui me concerne, j'ai tout ce qui concerne les finances publiques, la modernisation de la procédure budgétaire, la fiscalité... Il y a largement de quoi faire, vous savez !
Q- E. Cugny : Il y a du pain sur la planche ?
R- Oui, certainement.
Q- S. Delanglade : Vous avez dit que vous espériez ne pas être le ministre qui dirait "non", pourtant, si on regarde les dernières prévisions de l'OCDE, une perspective de croissance de 2 %, alors que le budget 2005 est bâti sur une perspective de 2,5 %. Donc, dès janvier, vous allez commencer à couper les crédits qu'avait accordés N. Sarkozy ?
R- L'objectif n'est pas celui-là- L'objectif est très clair pour nous : il est de bien avoir à l'esprit que l'année 2005 va être une année extrêmement importante pour les finances publiques. A deux points de vue : d'abord, parce que cela va être l'année de la remise en ordre de nos finances publiques. Regardez, d'abord, une réduction très significative du déficit ; dix milliards de réduction de déficit budgétaire, c'est très spectaculaire. Deuxièmement, nous allons le faire en tenant la dépense publique pour la troisième année. Or vous savez, une chose est de voter le budget, l'autre est, bien entendu, de le mettre en oeuvre. Tout est dans l'art d'exécution en matière de finances publiques Donc, ce sera une tâche très importante. Et puis 2005, c'est aussi l'année où les réformes se mettent en place. Que ce soit les retraites ou la Sécurité sociale, pour la première fois, on va commencer à avoir une maîtrise des finances publiques très significative. Et puis, l'autre grand rendez-vous, c'est que 2005 va être la première année de la modernisation de la gestion de l'Etat. Et cela, c'est une petite révolution. Vous savez que désormais, on va commencer à regarder le budget non plus sur la base des 5 % restants, le reste étant les services votés, mais dès le premier euro. Et puis, deuxièmement, cela va inviter les patrons de programme, désormais désignés dans chaque ministère, à veiller à une contrainte de performance, une obligation de résultats et puis une plus grande souplesse de gestion. Donc, vraiment, cela va être une très grande année sur le plan des finances publiques.
Q- E. Cugny : Le taux de croissance pour cette année : est-il raisonnable de le garder à 2,5 % ?
R- Oui, tout simplement parce que nous avons constaté d'abord, une année 2004 avec une dynamique de croissance significative. Il est tout à fait raisonnable de penser que nous serons à 2,5 %. Donc, du coup, il est tout à fait raisonnable de penser qu'en 2005, un certain nombre de critères positifs vont jouer et nous permettre de tenir cette croissance. Je pense en particulier au moteur que sont et l'investissement et la consommation, grâce aux mesures que l'on a prises.
Q- E. Cugny : On reste donc sur 2,5 %, malgré une parité euro-dollar qui n'est pas vraiment facile pour l'euro ?
R- Nous restons sur cette prévision de 2,5 % de croissance. Certes - vous avez tout à fait raison de le dire - il y a des indicateurs à surveiller, qu'il s'agisse du cours du pétrole - encore que vous avez vu qu'il a de manière assez spectaculaire baissé, donc cela prouve que les aspects spéculatifs doivent être aussi intégrés dans nos prévisions -, et malgré effectivement la situation de l'euro et du dollar. Chacun a d'ailleurs bien compris que ce n'est pas tant le problème de l'euro, qui serait supposé fort, que le problème véritable est celui du dollar qui est bas. Dans ce contexte, il faut, bien entendu, avoir à l'esprit que les réformes structurelles que nous faisons en Europe, derrière cela, il y a une idée fondamentale, c'est qu'après tout, il ne faut pas refuser ce fatalisme selon lequel nous ne serions pas nous aussi en situation, en Europe de tirer la croissance vers le haut.
Q- E. Cugny : Il y a eu une réunion de l'Eurogroup ce soir, à laquelle monsieur Gaymard va participer ; va-t-il faire état d'une "revendication" - entre guillemets - particulière de la France, de Paris ? Est-ce que Paris aura une position particulière ce soir devant les autres pays européens concernant l'euro ?
R- H. Gaymard a d'abord pour vocation, à travers cette réunion, de montrer la volonté évidente de la France d'une logique de cohésion au sein de l'Europe, sur des réflexions communes et des initiatives communes. C'est évidemment un travail d'équipe qu'il s'agit de mener. Mais en plus de cela, il faut bien voir que notre objectif de 2,5 % de croissance, on va aller le chercher dixième par dixième. Parce qu'en réalité, ce qui est absolument essentiel, c'est de montrer le volontarisme extrêmement fort qui est le nôtre. Nous avons d'un côté des mesures que nous prenons de manière très concrète pour soutenir la consommation et l'investissement - ça, c'est dans le budget, il va maintenant falloir les mettre en uvre. Notre objectif se sera, de la même manière, en matière de politique fiscale, de veiller à aller, là aussi, réfléchir à des critères très concrets que sont l'emploi et l'attractivité de notre territoire.
Q- S. Delanglade : Allez-vous continuer à baisser les impôts ?
R- Pour l'instant, nous allons commencer à appliquer le budget 2005. Dans le budget 2005, il y a l'équivalent tout de même de 2 milliards d'euros de baisses d'impôts, moitié pour les entreprises moitié pour les ménages. Toutes ses mesures ont d'ailleurs un seul objectif : stimuler la consommation et l'investissement. Donc à chaque fois, on fait une politique fiscale pour accompagner les priorités du Premier ministre.
Q- E. Cugny : Mais vous allez aussi préparer le budget 2006 ?
R- Absolument, c'est ce que je vous disais tout à l'heure, et on va le faire avec une démarche qui est celle de la modernisation de la gestion publique ...
Q- E. Cugny : ... Mais concernant les impôts, justement, est-ce que cela changera un petit peu ?
R- J'ose espérer que vous allez me réinviter d'ici là quand même !
Q- E. Cugny : Ce sera avec plaisir.
R- Pour l'instant, mon objectif est déjà de finir la procédure de vote pour le budget 2005. Je vous rappelle que nous n'avons pas encore complètement finalisé cette discussion, puisque j'ai été nommé il y a seulement une semaine, et mon premier acte a été de me trouver aux bancs du Sénat, pour prendre le relais de mon ami D. Bussereau.
Q- E. Cugny : J.-P. Raffarin doit annoncer, jeudi, des mesures pour lutter contre la vie chère, dans le cadre de ce qu'il appelle le "contrat 2005". La veille, mercredi, commenceront les négociations sur les salaires des fonctionnaires. C'est en quelque sorte la semaine du pouvoir d'achat des Français. Quelles sont les pistes évoquées, envisagées, peut-être privilégiées ?
R- D'abord, il faut bien sûr attendre que les choses se construisent. Le Premier ministre va effectivement s'adresser aux Français le 9 décembre. Ce sera donc l'occasion pour lui de présenter l'ensemble du contrat 2005, dans ses diverses dimensions. Evidemment, vous l'avez bien compris, parmi les grandes priorités qui sont fixées, il y a celles de l'emploi et celle de la feuille de paie, du pouvoir d'achat des Français. C'est quelque chose qui est très important et qui, évidemment, mobilisera très largement l'action gouvernementale. On voit bien qu'à travers des décisions que l'on peut prendre en matière de fiscalité, en matière de réglementation, d'organisation du monde économique, il y a des incidences directes sur le pouvoir d'achat des Français. Or dans cette période où il y a une contrainte externe forte - nous l'avons évoqué tout à l'heure à travers le pétrole ou à travers la parité eurodollar -, il est absolument indispensable de s'appuyer sur les moteurs du marché domestique que sont la consommation et l'investissement. Et c'est vrai que dans ce domaine-là, notre mobilisation sera forte.
Q- S. Delanglade : Vous aurez aussi à discuter prochainement de la réforme du Pacte de stabilité. Les Français souhaitent-ils toujours que les dépenses de recherche ne soient pas comptabilisées dans le déficit ? Allez-vous défendre cette position ? Les Allemands contestent, eux, la prise en compte des dépenses de solidarité européennes. Ne trouvez-vous d'ailleurs pas étrange que les deux plus grands pays en Europe, ceux qui ont été les plus sévères au moment de l'élaboration du Pacte de stabilité, soient les deux pays qui veulent aujourd'hui s'en affranchir ?
R- La question que vous posez est très intéressante : c'est la preuve justement que l'Europe est une "matière vivante", si j'ose m'exprimer ainsi, et que les questions que nous évoquons exigent évidemment le plus grand pragmatisme. Mais il faut quand même que les choses soient très claires : il est hors de question de remettre en cause les fondamentaux du Traité de Maastricht, d'abord parce que constitutionnellement, nous n'aurions pas le droit - et tant mieux. Les critères de Maastricht, vous savez, sont des glissières d'autoroute : c'est ce qui permet d'éviter les errements que l'on a pu connaître avant la monnaie unique. Et d'autre part, le traité de Maastricht est un règlement de copropriété : nous sommes solidairement responsables de l'euro et donc nous avons vocation à y veiller. Ce qui est vrai, c'est qu'en même temps, il y a des paradoxes que l'on a constatés a posteriori. Cette idée, par exemple, que l'on doive regarder les choses un peu différemment en période de vache grasse ou en période de vache maigre, non pas par rapport au respect des critères de Maastricht, mais par rapport à l'exigence de réformes de structure. Ce qui m'a beaucoup frappé, comme beaucoup d'autres d'ailleurs, c'est que dans cette période de croissance sous le gouvernement Jospin par exemple, de 1997 à 2002, il y a eu une forte période de croissance, mais il n'y a pas eu de réforme de structures. Donc, cela vaut peut-être la peine de s'interroger sur cette question. Mais on peut plus facilement le faire lorsque nous avons nous-mêmes remis nos comptes en meilleure situation. Et c'est vrai qu'en 2005, en descendant en dessous des 3 %, nous sommes plus fondés à pouvoir en parler avec objectivité.
Q- S. Delanglade : Les privatisations vont peut-être vous aider à boucler ces comptes. Tout le travail est-il fait sur EDF ? Peut-on déjà ouvrir son capital ?
R- Vous comprendrez que là-dessus, je ne sois pas très bavard, pour des raisons faciles à comprendre : tout ce qui concerne ce secteur des ouvertures de capital est un secteur complexe, qui exige de faire en sorte que les choses soient présentées dans le bon ordre. La seule chose que je veux vous dire sur ce point, c'est que le Gouvernement a depuis longtemps fait l'analyse que l'Etat ne pouvait pas tout faire, ne pouvait pas être bon dans tous les domaines, qu'il y avait quelque logique à procéder à des ouvertures de capital dès lors qu'elles sont dans l'intérêt de chaque entreprise. Il y a donc un programme de travail qui a été élaboré dans ce domaine...
Q- E. Cugny : Les banques d'affaires pour Areva ont été sélectionnées : Lazare et le Crédit agricole. L'opération sera donc bientôt sur les rails ?
R- Là encore, vous comprendrez que je ne sois pas plus précis que cela. H. Gaymard y travaille naturellement, avec l'ensemble d'entre nous. Mais nous sommes au démarrage de notre prise de fonction et vous comprendrez qu'à ce stade, je ne puisse pas vous en dire plus.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 décembre 2004)