Texte intégral
Bonjour F. Bayrou.
Bonjour J.-M. Aphatie.
Q- Vous concentrez les critiques depuis le congrès de l'UDF qui s'est déroulé ce week-end à Paris. H. Gaymard, ministre des Finances, était à ce micro lundi, et il vous a interpellé avec sévérité. "Il est très facile de toujours être démagogue, ou de toujours critiquer, a t- il dit. Quand des hommes politiques qui veulent être de premier plan cultivent toujours cette auto flagellation, on a envie de dire : "Nom de nom, arrêtez ! Mettons-nous autour d'une table, et travaillons" ". Que lui répondez-vous, F. Bayrou ?
R- Il y a deux thèses. Quand on voit une crise naître et se développer dans un pays, au sein d'une société, il y a la thèse de ceux - toujours au Gouvernement - qui disent : n'en parlons pas, chut ! Il serait "incivique" d'évoquer la crise. Et puis il y a ceux qui, comme moi, pensent que dès qu'on voit une crise, il faut essayer de l'éclairer pour en comprendre les ressorts et apporter des réponses. Je vois, je ne suis pas le seul à voir, mais je vois une crise dans la société française. Le rapport secret, qui a été publié par Le Monde, que les préfets ont consacré à la situation morale du pays, contient cette phrase - j'ouvre les guillemets, je la cite de mémoire - : "les Français ne croient plus à rien, c'est même pour cela que la France est assez calme, parce qu'ils pensent qu'on ne peut rien changer". Si vous trouvez que ce n'est pas un pays en crise, alors continuons comme ça, et on va se réveiller, comme le Gouvernement Jospin s'est réveillé le 21 avril ! Il y avait un problème d'insécurité profonde. Le gouvernement Jospin a dit : n'en parlons pas. Résultat, il n'a même pas été au deuxième tour !
Q- Cette crise, de votre point de vue, depuis que J. Chirac a été réélu en 2002 elle se poursuit ? Elle s'aggrave ? Ou bien les choses se modifient-elles sous l'effet de l'action politique ?
R- Elle se poursuit, et elle s'aggrave. Il y a un point sur lequel elle s'est un peu améliorée, c'est le sentiment de sécurité. Tout n'est pas parfait, mais de ce point de vue-là des efforts, et heureusement, ont été faits. Mais elle se poursuit, et elle s'aggrave. Et elle s'aggrave pourquoi ? Parce qu'il y a, me semble t-il, une paupérisation croissante qui atteint la société française et qui atteint aujourd'hui, en particulier, les salaires et les revenus moyens. Ceux, hier, dont on avait le sentiment qu'ils étaient, sinon confortables, du moins stables. Les salaires moyens - vous savez le salaire moyen en France, c'est autour de 1.500/1.600 euros par mois. On avait l'impression qu'avec un revenu comme celui-là, on pouvait mettre un peu d'argent de côté, on pouvait payer les études des enfants. Et aujourd'hui, tous ceux qui ont ces revenus-là - surtout quand il n'y a qu'un seul salaire à la maison, une personne vivant seule ou une seule personne qui travaille - eh bien ils s'aperçoivent à la fin de chaque mois que la vie augmente de plus en plus et qu'ils ne peuvent pas y arriver. Pourquoi ? Parce qu'il y a deux sortes de salaires qui ont profité des décisions des derniers temps : les très bas salaires qui ont été un peu augmentés, c'est vrai, et les très hauts salaires qui ont été beaucoup augmentés. Au milieu de la chaîne, les salaires moyens ont été complètement bloqués, sous le double effet des 35 heures d'un côté, et de l'autre des mesures qui ont concentré la baisse des charges sur les bas salaires.
Q- Vous parlez de cette crise, F. Bayrou, comme si vous étiez extérieur à l'action politique qui se mène aujourd'hui. Vous n'êtes pas solidaire de ceux qui sont aujourd'hui au Gouvernement ?
R- Non, quand c'est bien, j'approuve...
Q- ... Vous n'approuvez pas grand chose...
R- ... Mais je ne sens pas que l'action du gouvernement soit aujourd'hui mobilisatrice du sentiment des Français, qu'elle provoque une adhésion forte, y compris des débats forts. Quand on s'attaque à quelque chose d'important, on peut avoir des débats forts, mais c'est comme si les Français se désintéressaient de ce qui se passe au Gouvernement, ayant l'impression qu'il y a beaucoup de mots, mais fort peu d'actions orientées et volontaires. Donc, je ne me sens pas moi-même dans la logique de cette action gouvernementale.
Q- Vous êtes président du deuxième parti de la majorité. On peut le dire comme ça quand on parle du président de l'UDF ?
R- Oui, c'est un parti qui en effet est moins important que l'UMP, en nombre d'élus, en raison des manoeuvres de 2002. Pour le reste, c'est un mouvement politique qui a sa propre logique et sa propre vision.
Q- Mais vous êtes dans la majorité François Bayrou...
R- Nous sommes indépendants.
Q- G. de Robien représente t-il l'UDF au gouvernement ?
R- Non, G. de Robien est au gouvernement, mais il ne représente pas une formation politique en tant que telle, parce que sinon il n'y aurait pas un ministre au gouvernement.
Q- Il sera content de l'apprendre G. de Robien...
R- Je veux vous rappeler...
Q- ... Il y est à titre individuel au fond.
R- Oui, je sais bien que vous essayez d'opposer - c'est votre rôle et votre
métier, je ne vous le reproche pas.
Q- J'ai essayé de vous situer...
R- Je vous rappelle les chiffres : aux dernières élections européennes, l'UMP a fait 16, L'UDF a fait 12. Si l'UDF était représentée en tant que telle au Gouvernement, elle aurait une vingtaine de ministres, entre 15 et 20 ministres. Ca n'est pas du tout le cas, et ça n'est pas mon intention car ma vision des choses est qu'il faut aller au Gouvernement quand on se sent en phase avec l'action conduite. A ce moment-là, on s'engage et on s'engage fort. Moi je vois ce qui se passe dans l'esprit des Français et je pense qu'il faut qu'on en parle.
Q- Certains pensent qu'en mettant l'accent, comme vous le faites sur la crise, vous pourriez susciter un vote de protestation de rejet lors du prochain référendum sur l'Europe.
R- J'ai lu les déclarations de responsables de l'UMP sur ce sujet. Avez-vous observé l'étrange partie de bowling qui est en train de se dérouler dans la politique à propos de ce référendum ? Il y a dix déclarations par jour de l'UMP prétendument partisan du oui...
Q- Pourquoi "prétendument" ?
R- ... permettez-moi d'aller au bout de la phrase. Ces déclarations, qui visent-elles ? Les boules lancées par ces joueurs, quelles quilles essaient-elles d'abattre ? Uniquement les quilles des autres partisans du "oui". Les déclarations de l'UMP, elles s'adressent uniquement à l'UDF, qui est un défenseur du "oui". Pourquoi ?
Q- Mais vous, en parlant de la crise politique comme ça, est-ce que vous ne risquez pas de favoriser le non ? C'était ça ma question F. Bayrou.
R- J.-M. Aphatie, je sais bien que vous croyez tous qu'en ne parlant pas des crises, on va les faire disparaître... Et bien moi je vous affirme qu'un homme politique responsable, il doit porter, il doit exprimer la situation de crise. Mais je veux répondre à la question : pourquoi font-ils ça ? Ils font ça pour que, si c'est le "oui" qui l'emporte, ils y trouvent un succès politique, et si c'est le "non" qui l'emporte, ils puissent désigner, quelque part au fond de la pièce, des gens comme responsables, qui ne soient pas ceux qui tiennent en réalité les manettes du Gouvernement. Eh bien, moi je dis qu'il faut que tout le monde soit engagé et il faut que tout le monde réponde aux questions et aux angoisses des Français, et que c'est la seule manière de faire campagne pour obtenir un résultat. J'espère qu'il sera positif.
Q- Je n'ai pas tout compris.
R- Mais vous n'avez pas compris parce que...
Q- On va refaire ça une autre fois...
R- Vous votez ...
Q- Non, non, c'est fini. Je vous dis que c'est fini.
R- ... vous allez voter oui ou non ?
Q- Ah je ne sais plus... je ne sais plus, mais c'est fini, F. Bayrou.
R- Eh bien vous avez tort de ne pas le savoir. Prenez vos responsabilités !
Q- Eh bien, je les prendrai le moment venu.
R- Eh bien voilà...
Bonne journée, F. Bayrou.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 janvier 2005)
Bonjour J.-M. Aphatie.
Q- Vous concentrez les critiques depuis le congrès de l'UDF qui s'est déroulé ce week-end à Paris. H. Gaymard, ministre des Finances, était à ce micro lundi, et il vous a interpellé avec sévérité. "Il est très facile de toujours être démagogue, ou de toujours critiquer, a t- il dit. Quand des hommes politiques qui veulent être de premier plan cultivent toujours cette auto flagellation, on a envie de dire : "Nom de nom, arrêtez ! Mettons-nous autour d'une table, et travaillons" ". Que lui répondez-vous, F. Bayrou ?
R- Il y a deux thèses. Quand on voit une crise naître et se développer dans un pays, au sein d'une société, il y a la thèse de ceux - toujours au Gouvernement - qui disent : n'en parlons pas, chut ! Il serait "incivique" d'évoquer la crise. Et puis il y a ceux qui, comme moi, pensent que dès qu'on voit une crise, il faut essayer de l'éclairer pour en comprendre les ressorts et apporter des réponses. Je vois, je ne suis pas le seul à voir, mais je vois une crise dans la société française. Le rapport secret, qui a été publié par Le Monde, que les préfets ont consacré à la situation morale du pays, contient cette phrase - j'ouvre les guillemets, je la cite de mémoire - : "les Français ne croient plus à rien, c'est même pour cela que la France est assez calme, parce qu'ils pensent qu'on ne peut rien changer". Si vous trouvez que ce n'est pas un pays en crise, alors continuons comme ça, et on va se réveiller, comme le Gouvernement Jospin s'est réveillé le 21 avril ! Il y avait un problème d'insécurité profonde. Le gouvernement Jospin a dit : n'en parlons pas. Résultat, il n'a même pas été au deuxième tour !
Q- Cette crise, de votre point de vue, depuis que J. Chirac a été réélu en 2002 elle se poursuit ? Elle s'aggrave ? Ou bien les choses se modifient-elles sous l'effet de l'action politique ?
R- Elle se poursuit, et elle s'aggrave. Il y a un point sur lequel elle s'est un peu améliorée, c'est le sentiment de sécurité. Tout n'est pas parfait, mais de ce point de vue-là des efforts, et heureusement, ont été faits. Mais elle se poursuit, et elle s'aggrave. Et elle s'aggrave pourquoi ? Parce qu'il y a, me semble t-il, une paupérisation croissante qui atteint la société française et qui atteint aujourd'hui, en particulier, les salaires et les revenus moyens. Ceux, hier, dont on avait le sentiment qu'ils étaient, sinon confortables, du moins stables. Les salaires moyens - vous savez le salaire moyen en France, c'est autour de 1.500/1.600 euros par mois. On avait l'impression qu'avec un revenu comme celui-là, on pouvait mettre un peu d'argent de côté, on pouvait payer les études des enfants. Et aujourd'hui, tous ceux qui ont ces revenus-là - surtout quand il n'y a qu'un seul salaire à la maison, une personne vivant seule ou une seule personne qui travaille - eh bien ils s'aperçoivent à la fin de chaque mois que la vie augmente de plus en plus et qu'ils ne peuvent pas y arriver. Pourquoi ? Parce qu'il y a deux sortes de salaires qui ont profité des décisions des derniers temps : les très bas salaires qui ont été un peu augmentés, c'est vrai, et les très hauts salaires qui ont été beaucoup augmentés. Au milieu de la chaîne, les salaires moyens ont été complètement bloqués, sous le double effet des 35 heures d'un côté, et de l'autre des mesures qui ont concentré la baisse des charges sur les bas salaires.
Q- Vous parlez de cette crise, F. Bayrou, comme si vous étiez extérieur à l'action politique qui se mène aujourd'hui. Vous n'êtes pas solidaire de ceux qui sont aujourd'hui au Gouvernement ?
R- Non, quand c'est bien, j'approuve...
Q- ... Vous n'approuvez pas grand chose...
R- ... Mais je ne sens pas que l'action du gouvernement soit aujourd'hui mobilisatrice du sentiment des Français, qu'elle provoque une adhésion forte, y compris des débats forts. Quand on s'attaque à quelque chose d'important, on peut avoir des débats forts, mais c'est comme si les Français se désintéressaient de ce qui se passe au Gouvernement, ayant l'impression qu'il y a beaucoup de mots, mais fort peu d'actions orientées et volontaires. Donc, je ne me sens pas moi-même dans la logique de cette action gouvernementale.
Q- Vous êtes président du deuxième parti de la majorité. On peut le dire comme ça quand on parle du président de l'UDF ?
R- Oui, c'est un parti qui en effet est moins important que l'UMP, en nombre d'élus, en raison des manoeuvres de 2002. Pour le reste, c'est un mouvement politique qui a sa propre logique et sa propre vision.
Q- Mais vous êtes dans la majorité François Bayrou...
R- Nous sommes indépendants.
Q- G. de Robien représente t-il l'UDF au gouvernement ?
R- Non, G. de Robien est au gouvernement, mais il ne représente pas une formation politique en tant que telle, parce que sinon il n'y aurait pas un ministre au gouvernement.
Q- Il sera content de l'apprendre G. de Robien...
R- Je veux vous rappeler...
Q- ... Il y est à titre individuel au fond.
R- Oui, je sais bien que vous essayez d'opposer - c'est votre rôle et votre
métier, je ne vous le reproche pas.
Q- J'ai essayé de vous situer...
R- Je vous rappelle les chiffres : aux dernières élections européennes, l'UMP a fait 16, L'UDF a fait 12. Si l'UDF était représentée en tant que telle au Gouvernement, elle aurait une vingtaine de ministres, entre 15 et 20 ministres. Ca n'est pas du tout le cas, et ça n'est pas mon intention car ma vision des choses est qu'il faut aller au Gouvernement quand on se sent en phase avec l'action conduite. A ce moment-là, on s'engage et on s'engage fort. Moi je vois ce qui se passe dans l'esprit des Français et je pense qu'il faut qu'on en parle.
Q- Certains pensent qu'en mettant l'accent, comme vous le faites sur la crise, vous pourriez susciter un vote de protestation de rejet lors du prochain référendum sur l'Europe.
R- J'ai lu les déclarations de responsables de l'UMP sur ce sujet. Avez-vous observé l'étrange partie de bowling qui est en train de se dérouler dans la politique à propos de ce référendum ? Il y a dix déclarations par jour de l'UMP prétendument partisan du oui...
Q- Pourquoi "prétendument" ?
R- ... permettez-moi d'aller au bout de la phrase. Ces déclarations, qui visent-elles ? Les boules lancées par ces joueurs, quelles quilles essaient-elles d'abattre ? Uniquement les quilles des autres partisans du "oui". Les déclarations de l'UMP, elles s'adressent uniquement à l'UDF, qui est un défenseur du "oui". Pourquoi ?
Q- Mais vous, en parlant de la crise politique comme ça, est-ce que vous ne risquez pas de favoriser le non ? C'était ça ma question F. Bayrou.
R- J.-M. Aphatie, je sais bien que vous croyez tous qu'en ne parlant pas des crises, on va les faire disparaître... Et bien moi je vous affirme qu'un homme politique responsable, il doit porter, il doit exprimer la situation de crise. Mais je veux répondre à la question : pourquoi font-ils ça ? Ils font ça pour que, si c'est le "oui" qui l'emporte, ils y trouvent un succès politique, et si c'est le "non" qui l'emporte, ils puissent désigner, quelque part au fond de la pièce, des gens comme responsables, qui ne soient pas ceux qui tiennent en réalité les manettes du Gouvernement. Eh bien, moi je dis qu'il faut que tout le monde soit engagé et il faut que tout le monde réponde aux questions et aux angoisses des Français, et que c'est la seule manière de faire campagne pour obtenir un résultat. J'espère qu'il sera positif.
Q- Je n'ai pas tout compris.
R- Mais vous n'avez pas compris parce que...
Q- On va refaire ça une autre fois...
R- Vous votez ...
Q- Non, non, c'est fini. Je vous dis que c'est fini.
R- ... vous allez voter oui ou non ?
Q- Ah je ne sais plus... je ne sais plus, mais c'est fini, F. Bayrou.
R- Eh bien vous avez tort de ne pas le savoir. Prenez vos responsabilités !
Q- Eh bien, je les prendrai le moment venu.
R- Eh bien voilà...
Bonne journée, F. Bayrou.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 janvier 2005)