Interview de M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire, à "France Inter" le 19 juillet 2004, sur la polémique née des échanges entre le Président de la République et M. Sarkozy, la politique menée par M. Raffarin, notamment la décentralisation, et sur le budget 2005.

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Média : France Inter

Texte intégral

P. Roger - Où va la France en cette mi-juillet 2004 ? Et si le train de la croissance était passé sans que l'on ne puisse monter dedans ? Comment réussir à construire un budget en voulant relancer la machine économique, tout en limitant le déficit public, revenir sous la barre des 3 % en 2005 ? Faut-il supprimer des postes de fonctionnaires et combien : 10 000, 17 000, 25 000 ? Faut-il revoir les 35 heures ? Comment éviter l'embouteillage à l'Assemblée nationale avant les vacances - assurance maladie et décentralisation - ? La bataille pour l'UMP, va-t-elle altérer ces dossiers "chauds" du moment ? Quel est l'avenir de J.-P. Raffarin ?
Autant de questions et bien d'autres, qui méritent des réponses... [De par vos fonctions] vous êtes, finalement, à la croisée des chemins, de toutes ces interrogations : le budget, les finances, l'avenir économique, et puis, sur un plan purement politique, avec ou sans ou sans petit "p", au lendemain d'une semaine agitée, vous êtes un fidèle ami de J.-P. Raffarin depuis 30 ans et vous travaillez au quotidien avec N. Sarkozy. Il doit y avoir quand même des lundis matins un peu délicats, non ?
R - "D'abord, commencer lundi matin, sur l'antenne de France Inter, c'est du bonheur, dans vos nouveaux studios. Merci pour votre invitation. Secondement, il y a l'amitié et la fidélité qui sont les miennes au Premier ministre, et le travail que, comme tous les ministres, j'effectue sous son autorité, parce que j'ai sa confiance, et parce qu'il a proposé mon nom au chef de l'Etat pour faire partie du Gouvernement. Et puis, il y a un travail au quotidien avec N. Sarkozy, qui est un ministre de l'Economie et des Finances, extrêmement actif, extrêmement brillant. Donc, le travail au quotidien avec N. Sarkozy se passe très bien. Nous allons, aujourd'hui, certainement, voir ensemble le Premier ministre pour continuer de travailler sur le budget. Donc, tout cela va bien. Il y a la politique, d'un côté, avec ses interrogations que vous venez de rappeler. Et puis il y a le travail au quotidien d'un Gouvernement, de J. Chirac, sous l'autorité de J.-P. Raffarin, et des gens qui travaillent ensemble quotidiennement."
P. Roger - Tout de même, cela ne doit pas être simplifié ce travail, cette préparation du budget par ces querelles donc purement politiques. "C'est le désordre", s'est empressé de dire F. Hollande...
R - "Oui, mais F. Hollande ferait bien de regarder un peu chez lui. Parce que, quand sur l'Europe, M. Fabius dit "non-oui", quand, sur la même Europe, M. Strauss-Kahn dit "oui", M. Rocard "oui-oui", bon, c'est quand même des sujets plus importants que des enjeux de responsabilité au sein de l'UMP, ou sur la Turquie, puisque le PS, alors que le Premier ministre turc vient aujourd'hui en France, est le seul parti politique français qui est favorable à l'adhésion de la Turquie. Je crois qu'il y a là de vrais sujets pour le PS plutôt que de nous regarder à la lorgnette. Alors, nous avons des enjeux politiques, mais nous avons surtout une difficulté technique, c'est : comment réussir à faire un budget à partir du moment où, pour une des premières fois dans l'histoire budgétaire de notre pays, dans l'histoire politique et économique, nous ne voulons pas augmenter le volume du budget, et nous devons en même temps, avoir un certain nombre de politiques qui se poursuivent. C'est donc une difficulté économique et politique à laquelle nous travaillons, sous l'autorité du Premier ministre. Et dans les jours qui viennent, nous allons mettre la dernière main à ce projet de loi de Finances."
P. Roger - Nous allons y revenir assez longuement. Mais, tout de même, un mot... Comment jugez-vous, appréciez-vous, la réponse de N. Sarkozy au chef de l'Etat "Je décide, il exécute", a sermonné J. Chirac. "Le Président a dit ce qu'il pensait, c'est ainsi. Je ne serai pas l'homme qui divise la droite", a rétorqué votre ministre d'Etat, N. Sarkozy ?
R - "Je pense que le président de la République a dit la règle, qui est la règle de la Vème République : il y a un seul patron, c'est le président de la République. Sous l'autorité de ce patron, il y a un Premier ministre qui dirige au jour le jour l'action du Gouvernement, et Dieu sait que c'est une tâche difficile que de gouverner la France, J.-P. Raffarin le fait avec beaucoup de talent, comme d'autres Premiers ministres ont eu à gérer aussi cette difficulté avant lui. Et puis, le ministre d'Etat chargé de l'Economie et des Finances, doit, comme chacun d'entre nous, appliquer ce que décide le Président. Donc, le Président a rappelé les règles du jeu, je ne pense pas qu'il faille y voir, je dirais, une quelconque dureté. Simplement, au moment où ça va tanguer, puisqu'il y a des élections dans le parti, il y a le budget à préparer, il y a des échéances internationales très importantes, il y a un référendum l'année prochaine, et ce n'est pas rien, il peut être extrêmement difficile pour les grandes formations démocratiques, le président de la République a rappelé l'ordre, et puis le ministre, N. Sarkozy, a dit ce qu'il en pensait. Mais il n'y a qu'un patron. Moi, je considère que, dans ce Gouvernement, il y a un patron, c'es le Premier ministre. Les ministres doivent avoir la confiance du Premier ministre. Et puis il y a quelqu'un qui a donné la confiance aux ministres et les a nommés, c'est le président de la République. Cela ne peut pas fonctionner autrement. Ecoutez, l'autre jour, M. Charasse commentait ce qu'était l'ordre républicain à l'époque de F. Mitterrand. Eh bien, le président Mitterrand, le prédécesseur immédiat du président Chirac, de temps en temps, faisait des mises au point de cette nature, et il avait lui aussi raison."
P. Roger - Alors, vous dites que "c'est J.-P. Raffarin qui commande, qui est le patron"...
R - "Oui, bien sûr."
P. Roger - Il laisse entendre tout de même qu'il veut garder un lien de fidélité avec sa région. Sera-t-il candidat aux sénatoriales à l'automne ?
R - "Il est un peu tôt pour le savoir. Vous savez, lorsque l'on est ministre, on est d'abord dans une situation à durée déterminée, par nature. Et si on est ministre, c'est que l'on a été choisi pour des compétences techniques peut-être, mais c'est aussi parce que, quelque part, on a une légitimité politique. Cette légitimité politique, ce sont les électeurs qui nous la donnent. Je suis modestement conseiller général, élu municipal dans ma commune de Saint-Georges-de-Didone, en Charente-Maritime, et je me suis représenté aux cantonales au mois de mars dernier parce que cela faisait partie de ma vie quotidienne et d'un choix de légitimité. Donc, si le Premier ministre, à un moment ou à un autre, pense qu'il est utile pour lui d'aller devant ses électeurs qui l'ont élus au Sénat il y a quelques années pour poursuivre avec eux ce dialogue, il peut tout à fait le faire. Cela ne veut pas dire - parce que je vois déjà vos yeux qui brillent - qu'il se préparer une retraite de sénateur, d'abord, ce n'est jamais une retraite au Sénat, parce que les sénateurs travaillent beaucoup, cela veut dire simplement qu'il va devant ses électeurs à un moment et puis ensuite, si le président de la République continue de lui accorder sa confiance, que je souhaite de tout coeur, il continue naturellement son action à la tête du Gouvernement."
P. Roger - Alors tout de même, vous êtes un proche de J.-P. Raffarin...
R - "Oui, oui..."
P. Roger -... un ami fidèle
R - "Oui, je suis de sa région, nous sommes tous les deux de Poitou-Charentes."
P. Roger - Vous étiez sans doute ce week-end, ensemble à La Rochelle...
R - "Bien sûr, on était pour les 20 ans de J.-L. Foulquier. Ca a été un grand moment d'émotion."
P. Roger - On dit de J.-P. Raffarin, que c'est un battant. Tout de même, n'est-il pas un peu en train de baisser les bras ?
R - "Je l'ai encore vu hier, et on s'est vus hier à La Rochelle, on est allés voir une très belle exposition du peintre R. Teixier. Je peux vous dire qu'il est très déterminé. On a tellement dit "Raffarin, c'est fini !" - c'est un titre de l'Express, il y a quelques mois -, on a tellement annoncé son départ quasiment tous les huit jours, qu'aujourd'hui, je m'aperçois qu'il sera, si son mandat devait s'arrêter demain matin, il serait déjà un des Premiers ministres de la Vème République qui aurait le plus de longévité. Il me fait beaucoup penser à R. Barre. C'est quelqu'un qu'on critique, parce qu'il dérange, parce qu'il agit. Et puis, il continue d'agir, il continue de faire des réformes. Et je crois que c'est sa force. Je crois que les Français le reconnaîtront lorsqu'ils feront son bilan. Je crois que, d'ores et déjà, ils commencent à le reconnaître, on sent quelques frémissements dans les sondages. Je voyais, hier, on était avec des gens, à La Rochelle, dans la rue, les gens venaient le voir, lui parlaient : "Tenez bon Monsieur Raffarin", c'est ce qu'il entend en permanence. Donc, je crois qu'il y a deux Raffarin : il y a celui qui fait la Une du Monde, sans trop de gentillesse de la part de ce grand quotidien parisien, et puis celui que les Français aperçoivent sur le terrain comme un homme courageux et volontaire. Et puis, il encaisse ! Parce qu'est-ce qu'il en prend de vacheries sur le visage ! C'est pour cela qu'on dit qu'il a "une tête de boxeur", il prend bien les coups."
P. Roger - Et les deux semaines qui viennent sont peut-être déterminantes, à votre avis, avec, notamment, le projet de lui sur la décentralisation, "son bébé" ? D'ailleurs, faut-il avoir recours au 49.3 ?
R - "Les semaines qui viennent sont déterminantes, vous avez raison : l'élaboration du budget, on va avoir le vote du projet d'assurance maladie que P. Douste-Blazy et X. Bertrand défendent actuellement à l'Assemblée nationale, une réforme très importante après celle des retraites. Et il y a la décentralisation. Juste un mot sur la décentralisation : J.-P. Raffarin, le Premier ministre, ne s'est pas lancé là-dedans pour le plaisir. Il estime, nous estimons tous que, pour réformer l'Etat, pour faire que l'Etat soit plus juste, soit plus près des Français, il faut qu'il fasse les choses essentielles : la justice, la police, la défense, l'éducation nationale. Mais tout ce qui est du local doit être fait localement. Donc, la décentralisation c'est la réforme de l'Etat. Et la réforme de l'Etat, il faut la faire vite. J'ai émis un avis personnel, c'est au Premier ministre et au Président d'en décider. Je pense que, si, quelque part, on terminait et vite ce débat - ce peut être l'utilisation du 49.3 entre autres hypothèses -, et que l'on n'en parle plus à la rentrée, où on aura d'autres sujets à traiter, ce serait une bonne chose pour la vie parlementaire et pour la vie républicaine en règle générale."
P. Roger - Les réformes, vous en parlez : le Gouvernement devrait décider cette semaine une série d'arbitrages, notamment concernant la fonction publique. Combien de postes finalement supprimés en 2005 ?
R - "L'objectif n'est pas de suppressions de postes. L'objectif, c'est de se dire : en 2005, il y aura 65 000 fonctionnaires qui partent à la retraite. Quels sont ceux qui sont utiles sur le terrain, et quels sont ceux dont les postes ont pu évoluer pour des raisons de productivité ; on est sur une chaîne publique, on réfléchit, par exemple, à l'évolution de la redevance qui peut entraîner des économies dans sa perception tout en apportant un meilleur écot aux chaînes publiques. Donc, si on regarde tout cela, on se dit que l'objectif intelligent, ça serait un chiffre à deux chiffres. Chez J.-P. Elkabbach, j'avais cité le chiffre de 17 000. Je dirais que c'est entre 10 000 et 20 000, que l'on pourrait trouver non pas des gens qui vont quitter le terrain ou que l'on va mettre dehors, mais des gens qui ne seraient pas renouvelés parce que l'on organise les choses différemment : par la décentralisation, par des progrès de productivité. Et si on arrivait à cela, ce n'est pas...l'objectif ce n'est pas de diminuer ensuite la charge que cela représente dans le budget de l'Etat. Les salaires de la fonction publique, c'est 42 % des dépenses de l'Etat, c'est-à-dire, de nos impôts. Donc, l'objectif c'est de diminuer cela pour avoir plus d'argent pour faire de l'investissement, des universités, des autoroutes, des TGV, etc. Et donc, c'est un objectif de rationalisation, ce n'est pas un objectif qui vise à s'opposer aux fonctionnaires au moment où, justement, R. Dutreil, souhaite faire entrer dans la fonction publique des jeunes qui n'ont pas la qualification nécessaire pour les concours mais qui pourraient apporter leur dynamisme et leur générosité à la fonction publique."
P. Roger - Venons-en à la préparation du budget. Vous êtes en plein dedans. "On ne peut exonérer, de fait, le ministère de la Défense, de faire des économies, comme le font les autres ministères civils", a dit S. Sarkozy, encore l'autre jour, en réplique à J. Chirac.
R - "Ce n'est pas comme cela qu'il faut prendre les choses. M. Alliot-Marie, l'année dernière, a fait une économie de 5 000 emplois civils dans le budget de la Défense nationale. Dans le budget de la Défense nationale, il y a trois lignes : les investissements, là il faut continuer à le faire, le président de la République en a pris la décision, il a raison, parce que nous étions il y a quelques années avec des chars qui n'avaient pas de kérosène, des avions qui ne volaient plus, qui ne s'entraînaient pas, etc. Donc, il faut poursuivre notre investissement parce qu'on l'a bien vu : gare d'Atocha, 11 septembre... la menace est toujours à nos portes, nous avons besoin d'être défendus. Deuxièmement, il faut pouvoir intervenir à l'étranger, comme nous le faisons actuellement en Côte-d'Ivoire pour maintenir l'unité de ce pays, apporter une aide à nos compatriotes, ou comme nous venons de le faire récemment en Haïti. Donc, ça, c'est ce que l'on appelle "les OPEC" - Opérations extérieures - qu'il faut financer. Et troisièmement, toute la partie administration, gestion des effectifs, etc., où là, il y a, en effet, des possibilités d'économies. M. Alliot-Marie d'ailleurs, est tout à fait prête à continuer de les réaliser. Et nous en parlons actuellement. Mais comme le président de la République l'a indiqué, il ne faut pas revenir sur l'essentiel : l'équipement de nos armées et la capacité d'intervenir à l'étranger à tout moment pour aider des pays amis ou pour défendre nos compatriotes qui sont expatriés dans ces pays."
P. Roger - Des économies, une croissance qui serait de l'ordre de 2,3 ou 2,4 %...
R - "Ecoutez, la croissance, il ne faut pas non plus trop rêver sur la croissance. On avait pour cette année, F. Mer et A. Lambert, avec beaucoup de précaution, choisi le chiffre de 1,7. On va être plutôt à 2,2 ou 2,3..."
P. Roger - 2,2/2,3 ?
R - "Voilà, c'est ce que nous dit le FMI et vous l'avez cité dans vos journaux ce matin. Le Fonds monétaire international, lui, voit pour l'année prochaine, un peu comme l'OCDE, 2,3-2,4. Donc, nous allons élaborer une prévision de croissance réaliste. Il vaut mieux la prévoir un tout petit peu moins et que l'on aie de bonnes surprises comme cette année, que de se tromper. C'est une croissance qui est bonne, tirée par la consommation, par l'investissement, avec une faiblesse, il faut le dire, parce qu'il faut que l'on se batte là-dessus : ce sont les exportations. Notre pays n'exporte pas assez actuellement sur les bons marchés. L'Allemagne a moins de croissance que nous, mais une meilleure croissance avec les exportations. Donc, nous avons un gros effort structurel à faire pour notre industrie."
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 19 juillet 2004)