Interviews de M. Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, dans "Challenges" le 4 novembre 2004, France-Inter le 10 et dans "La Tribune" le 13 décembre, sur les prélèvements obligatoires, notamment la TVA sociale, la réduction du temps de travail et les heures supplémentaires chez les cadres.

Prononcé le

Média : Challenges - France Inter - La Tribune

Texte intégral

Le 04/11/2004 par Challenges
Challenges : La culture d'entreprise, une vaste fumisterie ?
Jean-Luc Cazettes : Au-delà de la provocation, cet ouvrage pose de bonnes questions, même s'il n'apporte pas les réponses appropriées. Par exemple, la culture d'entreprise est une des plus vastes fumisteries de ces dernières années. Comment faire croire à un projet d'entreprise lorsqu'on multiplie les fermetures de sites, les plans sociaux, les délocalisations? L'entreprise aurait dû rester cette association des clients sans lesquels elle n'existerait pas, des salariés qui lui apportent leur force de travail, et des actionnaires qui lui apportent les moyens financiers. Malheureusement, seul l'actionnaire est devenu digne d'intérêt.
Challenges : Le salarié, marchandise périssable ?
JLC : IL est exact que le salarié est devenu une marchandise. On assiste à une évolution du salarié, et en particulier du cadre, en "salarié Kleenex". Il n'est pas associé aux objectifs de l'entreprise et se retrouve jetable à n'importe quel âge et dans n'importe quelle situation. Mais les expériences de "bureaux nomades" n'ont pas résisté aux besoins d'appropriation de l'espace par les salariés. En revanche, la période de construction d'une carrière se raccourcit, entre le recul de l'entrée dans la vie active et le départ anticipé. La distance qui sépare le "jeune génie" du "vieux con" se réduit de plus en plus.
Challenges : L'individualiste, un élément indésirable ?
JLC : Là, je ne suis pas tout à fait d'accord avec les propos de Corinne Maier. On ne peut pas dire que les forts caractères soient marginalisés dans l'entreprise. C'est peut-être vrai dans le secteur public, mais je pense que c'est rarement le cas dans le privé. Au contraire, l'individualisme forcené, destructeur des solidarités dans les entreprises, est largement encouragé. Bien sûr, si leurs dents rayent un peu trop le plancher, il arrive un moment où ces individualistes deviennent dangereux pour le management. Mais, dans ce cas-là, on leur coupe la tête.
Challenges : Le jargon et le discours éthique, des cache-misère ?
JLC : Dans nos grandes entreprises, le recours à un jargon pseudo-économique, à base de mauvais anglais ou de vrai franglais, est devenu une mode incontournable. J'ai vu s'échanger, entre services français, des notes internes en anglais. En revanche, l'éthique, le développement durable, la responsabilité sociétale... sont des critères qui vont devenir inévitables, même s'il est aujourd'hui de bon ton de n'y voir que des gadgets. Près de 50 % des cadres se plaignent d'avoir à exécuter des tâches contraires à leur éthique. Les entreprises ne pourront pas longtemps ignorer ce phénomène.
Challenges : Les CDD et les consultants, instruments pour le patron ?
JLC : Le marché a érigé en principe, au nom de l'adaptation, de la compétitivité et autres grands mots (gros mots?), la précarisation d'une partie importante de ses activités. C'est la multiplication des intérimaires, des CDD, de la sous-traitance... Si cela peut se concevoir pour des PME soumises parfois aux contraintes du marché, c'est plus contestable, voire dangereux, pour nos grandes entreprises. Ces dernières se débarrassent des métiers annexes à leur activité principale, mais elles attentent à leur cur de métier, avec le risque de devenir otages de leurs sous-traitants.
Challenges : En conclusion, la paresse, c'est la santé ?
JLC : Plus de 80 % des cadres déplorent l'aggravation de leur charge de travail. Un bon tiers d'entre eux se plaint de ne pas connaître la stratégie de leur entreprise. Il ne faut alors pas s'étonner qu'ils mettent la crosse en l'air. N'inversons pas les causes et les conséquences. Ce ne sont pas les 35 heures et la disparition de la valeur travail qui entraînent le repli sur soi. C'est l'absence de considération, de contrepartie aux efforts, d'association aux décisions et l'alourdissement de la charge de travail qui génèrent le besoin.
(Source http://www.cfecgc.org, le 19 novembre 2004)
Le 10/11/2004 par France inter
Nicolas Stoufflet : Au sujet de l'emploi et du coût du travail, la Commission du Sénat ouvre aujourd'hui une réflexion de fond sur les prélèvements obligatoires.
Brigitte Jeanperrin : Et plus particulièrement, la piste de la TVA sociale. Cela fait plus de dix ans que la réflexion est ouverte, une réforme fiscale soutenue entre autre par la CGC et son leader Jean-Luc Cazettes qui nous explique ce que c'est.
Jean-Luc Cazettes : Ca serait bien parce qu'on a quand même évolué. Lorsqu'on a construit notre système de protection sociale, dans l'après-guerre, il n'existait que le travail. On sortait de la guerre, les régimes de capitalisation étaient ruinés, il n'y avait pas de capitaux pour la reconstruction du pays et donc on a fait payer par le travail tout ce que l'on devait garantir pour l'Assurance maladie, pour les retraites. Aujourd'hui on est dans une situation différente : les systèmes se sont quand même largement universalisés, ça conduit effectivement à ce que le travail soit surchargé de taxes en France avec des prix des produits " made in France " beaucoup plus importants parce qu'ils supportent de plein fouet les cotisations liées à la protection sociale. La proposition c'est de dire " eh bien, enlevons cette cotisation sur les salaires pour la reporter sur la consommation ", ça ne change rien au niveau du consommateur parce que quand vous achetez un produit, vous payez bien déjà les charges sociales du fabricant du produit, simplement là au lieu de les payer dans le prix de revient, vous les payez dans une taxe réservée à la protection sociale et c'est ce qui est réalisé également par un certain nombre de pays, à commencer par nos voisins Danois. Ca rétablit un équilibre entre ce qui est fabriqué en France et ce qui est importé des pays étrangers. Si on adopte ce système, les espadrilles fabriquées à Bayonne seront taxées de la même façon que les espadrilles importées de Chine. Ca aboutira certainement à une baisse des délocalisations parce que ça rendra moins attractif l'effet des délocalisations dans un certain nombre d'activités à haut niveau de main d'uvre.
BJ : Est-ce qu'au niveau européen, on peut augmenter la TVA ?
JLC : Je pense qu'il vaudrait mieux utiliser le terme de " cotisation sociale ". Rien dans les traités européens actuels n'impose aux Etats de financer leur protection sociale par l'impôt, par des cotisations sur le travail ou par une cotisation sur la consommation. Il y a eu un premier rapport du Sénat il y a déjà 7 ou 8 ans qui précisait que 50 millions de transferts vers de la TVA sociale créaient 80.000 emplois.

BJ : Ca fait dix ans qu'on en parle, pourquoi ça ne s'est pas fait avant ?
JLC : Parce que jusqu'à présent, il a fallu que les esprits mûrissent, on considérait que la TVA était un impôt injuste parce qu'il pénalisait principalement les plus faibles revenus, or en fait, ça n'est pas une TVA supplémentaire, c'est-à-dire un impôt supplémentaire qui serait sur la consommation, ça serait justement un changement d'assiette, ça ne change rien. Le prix de vente ne va pas évoluer.
(Source http://www.cfecgc.org, le 15 novembre 2004)
La Tribune le 13/12/2004
La Tribune : Les mesures annoncées par le Premier ministre signent-elles selon vous l'arrêt des 35 heures ?
Jean-Luc Cazettes : Si ces mesures étaient mises en uvre, ce serait effectivement la fin des 35 heures. Mais elles ne donneront lieu à rien, c'est en fait un coup d'épée dans l'eau. Il n'y a qu'à voir le contingent d'heures supplémentaires, qui a été porté à 180 heures par la loi Fillon : les entreprises n'en n'utilisent que la moitié. Quant au compte épargne temps, les entreprises n'en veulent pas. C'est pour elles à la fois lourd à gérer et cela implique de faire des provisions considérables qui plombent leur bilan. Et la réforme du gouvernement va aggraver les choses. Cela étant, même si ces mesures sont un coup d'épée dans l'eau, le gouvernement met le doigt dans l'engrenage, en privilégiant, une fois encore, le niveau de l'entreprise pour les négociations sur les assouplissements. Je crois qu'au préalable les partenaires sociaux auraient dû être consultés au niveau interprofessionnel.
La Tribune : Croyez-vous à la possibilité du libre choix des salariés en ce qui concerne leur temps de travail ?
JLC : En ce qui concerne les grandes entreprises, je n'ai pas trop d'inquiétudes. Mais, dans les PME, il n'est pas possible d'envisager un accord réciproque entreprise-salarié. C'est une question de rapport de forces. Je crains que le volontariat pour effectuer des heures supplémentaires soit un leurre. C'est pourquoi nous demandons qu'il y ait, au niveau des branches, un observatoire pour qu'un recours soit possible.
La Tribune : Pensez-vous que les cadres seront intéressés par la monétarisation du compte épargne temps ?
JLC : Notre dernier sondage sur le temps de travail montre que 70 % des cadres sont prêts à travailler davantage. Mais, en contrepartie, ils souhaitent obtenir une compensation financière, faute d'un pouvoir d'achat suffisant. Le problème est que l'on ne peut pas traiter les jours RTTcomme le propose le Premier ministre, c'est-à-dire l'équivalent de simples jours travaillés. Il faut que la loi prévoit un abondement obligatoire du compte épargne temps par l'entreprise, car il s'agit d'heures supplémentaires. Sinon, il y aurait inégalité de traitement entre les cadres et les autres catégories de salariés. En revanche, je ne suis pas sûr que la proposition visant à transformer en épargne retraite les jours RTT accumulés sur un compte épargne temps séduise les cadres.
La Tribune : Pensez-vous que ces mesures auront des conséquences sur l'emploi ?
JLC : Je prends les paris que demain ce ne sera pas bénéfique pour l'emploi. On a déjà en France la plus grosse productivité par heure au monde. On ne créera pas un emploi en plus avec ce nouvel assouplissement des 35 heures. La seule chose que l'on peut espérer c'est une amélioration de la consommation. Il faut comprendre que ces annonces sont destinées à faire plaisir au Medef et à l'aile libérale de la majorité. Dans les entreprises, les patrons n'ont aucune envie ni aucun intérêt à dénoncer les 35 heures. Les grandes parce qu'elles ont tiré profit des 35 heures via les accords qu'elles ont signés, les petites parce que leur principal souci est le manque d'activité. Elles n'arrivent pas à remplir leurs carnets de commandes.
Propos recueillis par Jean-Christophe Chanut et Catherine Delgado
(Source http://www.cfecgc.org, le 21 décembre 2004)