Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à BFM le 16 juillet 2004, sur la démission d'Alain Juppé de l'UMP, les divergences avec le gouvernement à propos de la réforme de l'assurance maladie et de la décentralisation.

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Média : BFM

Texte intégral

Valérie LESCABLE : Bonjour Hervé Morin
Hervé MORIN : Bonjour
QUESTION : Alain Juppé vient officiellement de démissionner de la présidence de l'UMP, quelle est votre réaction, Hervé Morin ?
Hervé MORIN (Réponse) : Ecoutez, c'était déjà annoncé. Donc, ça n'est pas, en tant que tel, une nouvelle. C'est un retrait ; de là à dire que c'est un retrait définitif, je n'en suis pas si certain. En politique, selon un vieux dicton, tant qu'on n'est pas mort, on est encore vivant.
QUESTION : Donc il va revenir ?
Hervé MORIN (Réponse) : Il se retire, et je crois que nous verrons l'année prochaine pour savoir ce qu'il devient, en fonction des décisions judiciaires qui l'attendent.
QUESTION : Et sur lui-même, sur cet acte de démission ? Coup de chapeau, non ?
Hervé MORIN (Réponse) : Je crois qu'il n'avait pas le choix.
QUESTION : Il n'avait pas le choix. Deuxième sujet qui vous concerne de près, Hervé Morin, c'est l'histoire de l'assurance maladie. Matignon refuserait l'augmentation de la CRDS. On sait que c'est un sujet qui est important pour vous, un amendement à été adopté, qui prévoit d'augmenter de 0.5 à 0.65 % le taux de la CRDS pour ne pas laisser aux générations futures le poids de la dette de la Sécu. Or, malgré cet amendement voté en commission à l'Assemblée, Matignon refuserait toute hausse de la CRDS.
Hervé MORIN (Réponse) : Ecoutez, cela pose deux questions. La première, c'est : est-ce qu'une société peut se regarder en face le matin, quand elle sait que les médicaments qu'elle consomme dans la journée vont être payés à l'horizon 2030 ? A l'UDF, nous ne sommes pas favorables à la hausse de l'impôt, nous sommes favorables à ce que vos enfants, vos petits-enfants, Valérie Lecasble, ne paient pas votre feuille de Sécurité sociale du jour. Quand on sait qu'ils vont avoir la dette des retraites, la dette de l'Etat, puisque l'Etat est profondément endetté, et en plus la dette de la Sécurité sociale qu'on veut leur mettre sur le dos, nous disons qu'il y a là quelque chose de profondément choquant. Premier élément, si je comprends bien, le Premier ministre et le gouvernement préfèrent passer le bâton et les ennuis au futur, très bien.
Cela pose une deuxième question, qui est celle du fonctionnement interne de notre démocratie. L'UMP, du moins certains députés de l'UMP ont fait une partie du chemin en venant vers nous, en proposant une hausse qui ne comble pas tout, mais au moins une partie de la question de la CRDS. Cette hausse a été adoptée en commission, et une fois de plus, le Parlement va se coucher, comme il en a l'habitude parce qu'on est dans un système monolithique avec un parti unique qui détient toutes les clés du pouvoir.
QUESTION : Mais comment expliquez-vous que Matignon refuse d'entendre ses propres parlementaires, Hervé Morin ?
Hervé MORIN (Réponse) : Parce que nous sommes dans une République qui est en fin de vie. On le voit bien, avec ce qui s'est passé au travers des déclarations du Président de la République le 14 juillet dernier. A cette occasion, les conséquences du quinquennat n'ont pas été tirées, c'est-à-dire que l'on doit aller vers un régime présidentiel, vers un régime où il n'y a plus cette distinction Président de la République / Premier ministre. Quand le Président de la République dit : " je décide, il exécute ", cela veut bien dire que l'on devrait être dans une démocratie où il y d'un côté un pouvoir exécutif autour d'un homme qui a la légitimité pour cela et qui donc est élu au suffrage universel direct, c'est-à-dire le Président de la République, et de l'autre, un Parlement, qui séparé de l'exécutif, aurait les moyens de contrôler et de proposer autre chose que l'exécutif, quand il l'estime utile. Nous sommes restés sur un schéma qui doit être revu profondément. Ce sera, à mon avis, l'un des grands enjeux de l'élection présidentielle de 2007. Faire en sorte que notre système de décision, parce qu'à travers nos institutions c'est notre système de décision, c'est notre capacité à faire des réformes qui est en cause, soit revu en profondeur.
QUESTION : Vous êtes pour la VIe République comme Arnaud Montebourg ?
Hervé MORIN (Réponse) : Ah oui, clairement. Quand on voit cette République qui n'a pas de démocratie, et qui, en plus, est incapable de réformer en profondeur le pays, il est temps que l'on fasse évoluer les choses.
QUESTION : Alors revenons à nos moutons, si j'ose dire : cette réforme de l'assurance maladie, allez-vous la voter?
Hervé MORIN (Réponse) : Nous étions entre l'abstention et le vote contre, puisque cette réforme n'est pas une réforme. C'est une escroquerie intellectuelle que de dire, comme le dit Philippe Douste-Blazy, que l'on refonde le système de Sécurité sociale sur les vingt à vingt-cinq ans. La réalité, c'est que l'on reporte au gouvernement d'après 2007 la problématique et le rééquilibrage réel de la Sécu. A l'origine, il y a déjà une escroquerie intellectuelle. Et, de surcroît, nous avions dit que nous reverrions éventuellement notre position si on ne reportait pas sur les années futures la dette de la Sécu. Dans la mesure où, de toute évidence, on la reporte sur l'avenir, a priori, nous voterons contre. Enfin ce sera mon vote personnel, cela ne fait aucun doute.
QUESTION : Il va y avoir un vote officiel au sein du Groupe UDF à l'Assemblée nationale ?
Hervé MORIN (Réponse) : Nous en avons discuté à de nombreuses reprises, c'est un vrai sujet, et nous nous étions réservé la possibilité d'un vote favorable, dans la mesure où le gouvernement ferait un effort sur la question du financement. Dans la mesure où il n'y en a pas, je ne vois pas pourquoi on en viendrait à changer d'avis.
QUESTION : Est-ce que vous pensez que le gouvernement pourrait utiliser le 49-3 à cette occasion, et est-ce que ça vous poserait un problème ?
Hervé MORIN (Réponse) : Non, aucun.
QUESTION : Philippe Douste-Blazy dont vous venez de parler, publie une grande interview dans le journal " Le Monde ", qui est titrée : " Je suis totalement en phase avec le chef de l'Etat, il n'y a rien de pire que de ne pas être en harmonie pour la politique qu'on est censé conduire ". Comment est-ce que vous interprétez cette interview maintenant ?
Hervé MORIN (Réponse) : Ca ne s'appelle pas de l'opportunisme ça ?
QUESTION : Pourquoi dites-vous ça Hervé Morin ?
Hervé MORIN (Réponse) : Je n'en sais rien, mais j'ai cru comprendre en lisant vos confrères que l'idée de la fin prochaine du gouvernement Raffarin et de la nomination d'un nouveau Premier ministre était du domaine du possible, et que voilà, il y en avait un certain nombre qui étaient sur les rangs.
QUESTION : Il y a aussi la démission annoncée un jour sans doute de Nicolas Sarkozy à Bercy, il va bien falloir le remplacer Nicolas Sarkozy.
Hervé MORIN (Réponse) : Oui, oui, je sens qu'il y a un peu de tout cela dans l'air. Mais c'est de la politique, avec, comment le Président de la République appelle-t-il cela ? La politique avec petit " p " c'est ça ?
QUESTION : Ca dépend, il y en a qui disent des petits " p ", d'autres des grands " P ", il y a un peu de tout là dedans. Globalement cette session dure jusqu'à la fin du mois. On va aussi voter la décentralisation. Jean-Pierre Raffarin y tient absolument, il ne veut pas en démordre, a-t-il raison de faire passer cette réforme là aussi ?
Hervé MORIN (Réponse) : Franchement ça me désole parce que les deux seuls textes sur lesquels nous votons contre sont ceux dont vous me parlez. Vous auriez pu me parler de la réforme d'EDF que nous voterons par exemple.
QUESTION : Etes-vous d'accord avec l'amendement qui proroge au-delà de 65 ans alors ?
Hervé MORIN (Réponse) : Ah non, les lois ad hominem, c'est-à-dire les lois que nous faisons pour telle ou telle personne, c'est quelque chose d'absolument insupportable. Mais il y a quand même le fond de la réforme.
QUESTION : Oui et cela vaut qu'on vote pour. Donc, décentralisation, assurance maladie
Hervé MORIN (Réponse) : Concernant la décentralisation, la réalité, c'est que sur ce sujet le Premier ministre n'a voulu déplaire à personne. Au lieu de faire un véritable arbitrage entre régions, départements et intercommunalités, on a voulu faire plaisir à tout le monde. La conclusion, c'est que l'on a un texte absolument illisible, qui, en rien, ne simplifie le fonctionnement de l'Etat et, en rien, n'améliore le système de décision. Deuxième élément, l'autre projet de loi sur l'autonomie financière, est un projet de loi non pas d'autonomie financière, mais où les collectivités locales se voient affecter des charges nouvelles, sans avoir la liberté des ressources. On va vers une difficulté majeure. Nous l'avions déjà dit, mais il y a au moins six mois, que si l'on s'acheminait vers cela, nous ne voterions pas le texte.
QUESTION : Dernier point, Hervé Morin, cette guerre Chirac Sarkozy, on attend ce soir le discours de Nicolas Sarkozy à la Baule.
Hervé MORIN (Réponse) : mmh ?
QUESTION : Votre commentaire juste pour terminer.
Hervé MORIN (Réponse) : Ecoutez, cela montre à quel point il y a quelque chose qui ne va plus. Quand le Président de la République et un ministre de son gouvernement s'expliquent par voie de presse, c'est la preuve qu'il y a une vraie crise dans notre système institutionnel.
Valérie LESCABLE : Merci, merci beaucoup Hervé Morin.
(source http://www.udf.org, le 21 juillet 2004)