Texte intégral
Fonction Publique :
le ministre a-t-il vraiment l'intention de négocier ?
Paris,
le 24 nov. 2004
Renaud Dutreil se répand dans les médias pour tenter de discréditer les revendications portées unanimement par les organisations syndicales et dénoncer l'irresponsabilité de ces dernières.
Il utilise des calculs contestables qui amalgament les trois fonctions publiques pour faire apparaître un coût insupportable pour chacun des français : il évite ainsi d'interroger les choix économiques et fiscaux du gouvernement ; il ignore la possibilité d'utiliser une politique salariale offensive pour contribuer à relancer la croissance et ainsi accroître les ressources des services publics.
Depuis des années le pouvoir d'achat du point d'indice commun à tous les fonctionnaires a connu une chute sensible : refuser d'y porter remède aujourd'hui c'est rendre à l'avenir le rattrapage de plus en plus coûteux et difficile, c'est prendre le risque d'entériner définitivement cette dévalorisation.
La question est bien dans le camp du gouvernement : a-t-il réellement des propositions à faire pour permettre une négociation ?
Les propos de R. Dutreil, notamment sur France Inter ce matin, laissent entendre que le ministre n'envisage pas de modifier sensiblement la valeur du point d'indice mais de proposer des mesures simplement pour les personnels qui n'auraient pas bénéficié d'augmentation de traitement grâce à des promotions : une telle démarche remettrait en cause le principe même de la fonction publique de carrière en faisant de l'accès à une promotion un avantage qui devrait se payer par la mise à l'écart de mesures générales. Paradoxalement ce serait même aller à l'encontre de la politique de gestion des ressources humaines dont le ministre vante régulièrement
les mérites !
La question aujourd'hui n'est pas de savoir si le dialogue est bloqué pour des raisons inhérentes au syndicalisme dans la fonction publique mais bien de savoir si le ministre a l'intention ou les moyens de négocier en prenant en compte les attentes des personnels.
(Source http://www.fsu.fr, le 1e décembre 2004)
Une politique de Gribouille
Par GÉRARD ASCHIERI *
[21 décembre 2004]
" Fruste, injuste et coûteuse ", c'est ainsi que, dans un bel élan rhétorique, le ministre de la Fonction publique qualifiait le 8 décembre " une politique salariale " fondée sur la valeur du point d'indice. On pourrait sans difficulté lui retourner le compliment : ces qualificatifs peuvent s'appliquer au degré zéro de politique salariale que manifestent les propositions qu'il a faites au nom du gouvernement ce jour-là.
Et si on essayait de sortir de la rhétorique pour traiter la réalité ? M. Dutreil nous dit que la politique salariale de l'Etat n'est plus " ni juste ni efficace ". Oui mais il faut d'abord voir là le résultat de politiques récurrentes qui, depuis vingt ans, sacrifient systématiquement la valeur du point d'indice. Or les propositions du gouvernement reviennent à passer de 5% en 2004 à une perte de plus de 6% en 2005. Arguer du coût insupportable du rattrapage pour accentuer un peu plus le retard relève de la stratégie d'un Sisyphe qui au bas de la pente alourdirait encore un peu plus son rocher.
Revenons d'abord aux incontournables " fonda men taux " : le traitement d'un fonctionnaire résulte d'une opération simple : un indice - un nombre de points correspondant à sa qualification et sa carrière - multiplié par la valeur du point d'indice commune à tous, résultat auquel s'ajoutent le cas échéant diverses primes et indemnités. Cette construction est la conséquence d'un choix politique, celui d'une fonction publique de carrière censée assurer aux usagers un service de qualité où l'intérêt général serait garanti et donner aux agents des perspectives compensant la faiblesse de leurs rémunérations au moment du recrutement. Son but : primo, permettre simultanément l'attractivité de la fonction publique, son intégrité et la prise en compte des qualifications, de l'expérience et des mérites de chacun ; secundo, assurer complémentairement la comparabilité des situations, l'indépendance des agents par rapport au pouvoir politique et leur mobilité.
C'est peut-être ce dispositif qui a contribué à ce résultat que certains semblent regretter : les Français sont plutôt satisfaits de leurs services publics.
Or, depuis de longues années, de " masse Toutée " en GVT " Glissement Vieillesse Technicité ", SMPT " Salaire Moyen Par Tête " et RMPP " Rémunération Moyenne des Personnels en Place ", les gestionnaires de la fonction publique ont construit des instruments de mesure de la rémunération dont le principe est à peu près le même : on calcule la masse salariale globale, on divise par le nombre d'agents et on mesure une progression dont on affirme qu'elle est celle du pouvoir d'achat. Avec les années, le système s'est " perfectionné " puisque, d'une part, on élimine du calcul ce qui réduit les coûts (le remplacement des retraités par des jeunes recrutés) et, d'autre part, un certain nombre d'éléments (l'effet de la carrière) sont estimés de manière purement conventionnelle.
C'est ainsi qu'on obtient une " feuille de paye moyenne " qui a comme caractéristique de n'être la feuille de paye de personne et de relever d'un monde des représentations sans rapport avec la réalité.
Bref avec ces instruments conçus pour afficher une augmentation même en l'absence de toute mesure nouvelle, le pouvoir d'achat du point d'indice net a perdu plus de 20% depuis vingt ans. Si des mesures catégorielles ont pu très partiellement en compenser les effets, le barème général des rémunérations des fonctionnaires a bel et bien été fortement dévalué. Et à qualification égale, les professions du service public ont en général une rémunération moyenne inférieure à celles du privé.
Évidemment les conséquences pour chacun des fonctionnaires, actifs et retraités, sont considérables : certes, il y a des promotions mais tous n'en ont pas (les contractuels ou les retraités par exemple) et il faut bien voir que le résultat global du produit (valeur du point d'indice X nombre de points d'indice) ne peut qu'être affecté sur la durée par une telle dévaluation d'un des facteurs : la promotion au mieux compense tout ou partie de la perte de la valeur de l'indice.
C'est le principe même d'une carrière censée assurer au fil des années une rémunération accrue qui est mis en cause ; le " mérite " même, s'il existe, permet au mieux pour certains de limiter les dégâts... et encore pas toujours ! Belle motivation pour les agents.
Mais le phénomène le plus inquiétant est la destruction de la grille : faute de revalorisation du point d'indice, on n'a cessé de relever l'indice minimum fonction publique, à la poursuite perpétuelle d'un smic qui suivait à peu près l'inflation. Le résultat au fil du temps a été un écrasement de cette grille, surtout dans sa partie basse : désormais un passage d'échelon aboutit parfois à un gain de 3 euros mensuels. Et aujourd'hui ce sont plus de 500 000 agents qui vont voir leurs perspectives de carrière encore plus rétrécies par l'augmentation du smic prévue en juillet 2005. Le début de la catégorie B (professions intermédiaires) stagne à environ 10% au-dessus du smic et menace de passer à 4%. Un cadre (catégorie A) débute à 1,32 fois le smic...
Quelle attractivité dans une telle situation ? Quelles perspectives pour les agents ?
Bien plus, en l'absence de réponse collective, les gestionnaires ont cherché des palliatifs sectoriels pour recruter ou conserver les agents dont ils avaient besoin. Le résultat en est notamment le développement des primes et indemnités qui constituent une sorte de grille fantôme où règnent l'arbitraire, l'opacité, les cas particuliers. Comment prétendre gérer efficacement et équitablement les personnels dans une telle situation ? On reproche beaucoup à la multiplicité des corps de faire oublier l'unité de la fonction publique, d'empêcher la mobilité. Mais que dire alors du maquis des primes et indemnités ?
Bref, il faut rénover la politique salariale de la fonction publique mais ce n'est pas, comme le fait M. Dutreil, en continuant sur la pente qui l'a mise dans un bien piètre état que l'on pourra le faire efficacement. Cela a un coût et, plus on attendra, plus il s'accroîtra... Mais plutôt que de raisonner en faisant des choix de politiques fiscale et budgétaire qui n'intègrent la question des salaires de la fonction publique qu'en bout de course, pour constater qu'il n'y a plus d'argent, pourquoi ne pas inverser la logique ? Pourquoi ne pas partir des besoins des services publics, de ce qu'implique une politique salariale répondant à ces besoins et faire des choix qui intègrent ces données ? Pourquoi ne pas se demander ce qu'apporterait en termes de croissance une politique salariale dynamique pour plus de 5 millions de salariés ?
Au lieu d'une politique de Gribouille, si on essayait de réfléchir posément sur les enjeux, sur ce qu'on veut faire de la fonction publique et des services publics et voir par la négociation comment sortir du bourbier ? Cela ne se fera pas sans rétablir la confiance des agents, c'est-à-dire sans répondre aux revendications urgentes en commençant à faire remonter sérieusement la valeur du point d'indice. Cela a un prix, mais l'enjeu en vaut sans doute la peine.
(Source http://www.fsu.fr, le 21 décembre 2004)
le ministre a-t-il vraiment l'intention de négocier ?
Paris,
le 24 nov. 2004
Renaud Dutreil se répand dans les médias pour tenter de discréditer les revendications portées unanimement par les organisations syndicales et dénoncer l'irresponsabilité de ces dernières.
Il utilise des calculs contestables qui amalgament les trois fonctions publiques pour faire apparaître un coût insupportable pour chacun des français : il évite ainsi d'interroger les choix économiques et fiscaux du gouvernement ; il ignore la possibilité d'utiliser une politique salariale offensive pour contribuer à relancer la croissance et ainsi accroître les ressources des services publics.
Depuis des années le pouvoir d'achat du point d'indice commun à tous les fonctionnaires a connu une chute sensible : refuser d'y porter remède aujourd'hui c'est rendre à l'avenir le rattrapage de plus en plus coûteux et difficile, c'est prendre le risque d'entériner définitivement cette dévalorisation.
La question est bien dans le camp du gouvernement : a-t-il réellement des propositions à faire pour permettre une négociation ?
Les propos de R. Dutreil, notamment sur France Inter ce matin, laissent entendre que le ministre n'envisage pas de modifier sensiblement la valeur du point d'indice mais de proposer des mesures simplement pour les personnels qui n'auraient pas bénéficié d'augmentation de traitement grâce à des promotions : une telle démarche remettrait en cause le principe même de la fonction publique de carrière en faisant de l'accès à une promotion un avantage qui devrait se payer par la mise à l'écart de mesures générales. Paradoxalement ce serait même aller à l'encontre de la politique de gestion des ressources humaines dont le ministre vante régulièrement
les mérites !
La question aujourd'hui n'est pas de savoir si le dialogue est bloqué pour des raisons inhérentes au syndicalisme dans la fonction publique mais bien de savoir si le ministre a l'intention ou les moyens de négocier en prenant en compte les attentes des personnels.
(Source http://www.fsu.fr, le 1e décembre 2004)
Une politique de Gribouille
Par GÉRARD ASCHIERI *
[21 décembre 2004]
" Fruste, injuste et coûteuse ", c'est ainsi que, dans un bel élan rhétorique, le ministre de la Fonction publique qualifiait le 8 décembre " une politique salariale " fondée sur la valeur du point d'indice. On pourrait sans difficulté lui retourner le compliment : ces qualificatifs peuvent s'appliquer au degré zéro de politique salariale que manifestent les propositions qu'il a faites au nom du gouvernement ce jour-là.
Et si on essayait de sortir de la rhétorique pour traiter la réalité ? M. Dutreil nous dit que la politique salariale de l'Etat n'est plus " ni juste ni efficace ". Oui mais il faut d'abord voir là le résultat de politiques récurrentes qui, depuis vingt ans, sacrifient systématiquement la valeur du point d'indice. Or les propositions du gouvernement reviennent à passer de 5% en 2004 à une perte de plus de 6% en 2005. Arguer du coût insupportable du rattrapage pour accentuer un peu plus le retard relève de la stratégie d'un Sisyphe qui au bas de la pente alourdirait encore un peu plus son rocher.
Revenons d'abord aux incontournables " fonda men taux " : le traitement d'un fonctionnaire résulte d'une opération simple : un indice - un nombre de points correspondant à sa qualification et sa carrière - multiplié par la valeur du point d'indice commune à tous, résultat auquel s'ajoutent le cas échéant diverses primes et indemnités. Cette construction est la conséquence d'un choix politique, celui d'une fonction publique de carrière censée assurer aux usagers un service de qualité où l'intérêt général serait garanti et donner aux agents des perspectives compensant la faiblesse de leurs rémunérations au moment du recrutement. Son but : primo, permettre simultanément l'attractivité de la fonction publique, son intégrité et la prise en compte des qualifications, de l'expérience et des mérites de chacun ; secundo, assurer complémentairement la comparabilité des situations, l'indépendance des agents par rapport au pouvoir politique et leur mobilité.
C'est peut-être ce dispositif qui a contribué à ce résultat que certains semblent regretter : les Français sont plutôt satisfaits de leurs services publics.
Or, depuis de longues années, de " masse Toutée " en GVT " Glissement Vieillesse Technicité ", SMPT " Salaire Moyen Par Tête " et RMPP " Rémunération Moyenne des Personnels en Place ", les gestionnaires de la fonction publique ont construit des instruments de mesure de la rémunération dont le principe est à peu près le même : on calcule la masse salariale globale, on divise par le nombre d'agents et on mesure une progression dont on affirme qu'elle est celle du pouvoir d'achat. Avec les années, le système s'est " perfectionné " puisque, d'une part, on élimine du calcul ce qui réduit les coûts (le remplacement des retraités par des jeunes recrutés) et, d'autre part, un certain nombre d'éléments (l'effet de la carrière) sont estimés de manière purement conventionnelle.
C'est ainsi qu'on obtient une " feuille de paye moyenne " qui a comme caractéristique de n'être la feuille de paye de personne et de relever d'un monde des représentations sans rapport avec la réalité.
Bref avec ces instruments conçus pour afficher une augmentation même en l'absence de toute mesure nouvelle, le pouvoir d'achat du point d'indice net a perdu plus de 20% depuis vingt ans. Si des mesures catégorielles ont pu très partiellement en compenser les effets, le barème général des rémunérations des fonctionnaires a bel et bien été fortement dévalué. Et à qualification égale, les professions du service public ont en général une rémunération moyenne inférieure à celles du privé.
Évidemment les conséquences pour chacun des fonctionnaires, actifs et retraités, sont considérables : certes, il y a des promotions mais tous n'en ont pas (les contractuels ou les retraités par exemple) et il faut bien voir que le résultat global du produit (valeur du point d'indice X nombre de points d'indice) ne peut qu'être affecté sur la durée par une telle dévaluation d'un des facteurs : la promotion au mieux compense tout ou partie de la perte de la valeur de l'indice.
C'est le principe même d'une carrière censée assurer au fil des années une rémunération accrue qui est mis en cause ; le " mérite " même, s'il existe, permet au mieux pour certains de limiter les dégâts... et encore pas toujours ! Belle motivation pour les agents.
Mais le phénomène le plus inquiétant est la destruction de la grille : faute de revalorisation du point d'indice, on n'a cessé de relever l'indice minimum fonction publique, à la poursuite perpétuelle d'un smic qui suivait à peu près l'inflation. Le résultat au fil du temps a été un écrasement de cette grille, surtout dans sa partie basse : désormais un passage d'échelon aboutit parfois à un gain de 3 euros mensuels. Et aujourd'hui ce sont plus de 500 000 agents qui vont voir leurs perspectives de carrière encore plus rétrécies par l'augmentation du smic prévue en juillet 2005. Le début de la catégorie B (professions intermédiaires) stagne à environ 10% au-dessus du smic et menace de passer à 4%. Un cadre (catégorie A) débute à 1,32 fois le smic...
Quelle attractivité dans une telle situation ? Quelles perspectives pour les agents ?
Bien plus, en l'absence de réponse collective, les gestionnaires ont cherché des palliatifs sectoriels pour recruter ou conserver les agents dont ils avaient besoin. Le résultat en est notamment le développement des primes et indemnités qui constituent une sorte de grille fantôme où règnent l'arbitraire, l'opacité, les cas particuliers. Comment prétendre gérer efficacement et équitablement les personnels dans une telle situation ? On reproche beaucoup à la multiplicité des corps de faire oublier l'unité de la fonction publique, d'empêcher la mobilité. Mais que dire alors du maquis des primes et indemnités ?
Bref, il faut rénover la politique salariale de la fonction publique mais ce n'est pas, comme le fait M. Dutreil, en continuant sur la pente qui l'a mise dans un bien piètre état que l'on pourra le faire efficacement. Cela a un coût et, plus on attendra, plus il s'accroîtra... Mais plutôt que de raisonner en faisant des choix de politiques fiscale et budgétaire qui n'intègrent la question des salaires de la fonction publique qu'en bout de course, pour constater qu'il n'y a plus d'argent, pourquoi ne pas inverser la logique ? Pourquoi ne pas partir des besoins des services publics, de ce qu'implique une politique salariale répondant à ces besoins et faire des choix qui intègrent ces données ? Pourquoi ne pas se demander ce qu'apporterait en termes de croissance une politique salariale dynamique pour plus de 5 millions de salariés ?
Au lieu d'une politique de Gribouille, si on essayait de réfléchir posément sur les enjeux, sur ce qu'on veut faire de la fonction publique et des services publics et voir par la négociation comment sortir du bourbier ? Cela ne se fera pas sans rétablir la confiance des agents, c'est-à-dire sans répondre aux revendications urgentes en commençant à faire remonter sérieusement la valeur du point d'indice. Cela a un prix, mais l'enjeu en vaut sans doute la peine.
(Source http://www.fsu.fr, le 21 décembre 2004)