Texte intégral
Q- D. Perben bonjour et merci d'être là. On a quelque gêne ou scrupule ce matin à revenir sur les propos de J.-M. Le Pen, à plus forte raison à quelques jours de la libération des camps de la mort d'Auschwitz et de Birkenau, pourtant il le faut. Et d'ailleurs il a renouvelé, Monsieur Le Pen, ses propos il y a quelques minutes sur RTL - " au nom de la liberté d'expression ''.-, " l'occupation allemande n'a pas été particulièrement et proportionnellement inhumaine ".
R- J'ai demandé hier soir au Procureur de la République de Paris d'engager des poursuites. C'est la seule réponse qui me paraît pertinente. J'ai été particulièrement choqué, personnellement par un mot, enfin deux mots : "bavures inévitables". Il paraît que cela serait des bavures inévitables. Alors je m'interroge, je me dis, les exactions nazies, les massacres de la Grotte de La Luire, les déportations massives, Oradour, Barbie, les martyres de Chateaubriand, c'est quoi ? Ce sont des bavures inévitables, c'est abject, voilà. La réaction du ministre de la Justice c'est de dire : c'est abject !
Q- Vous avez demandé à la justice de poursuivre J.-M. Le Pen. Son avocat vous a répondu : ce n'est qu'un effet d'annonce, vous ne pouvez rien, parce que c'est sa liberté de s'exprimer, même sur ses propos, il y a 60 ans après la guerre.
R- Il y a des lois, l'enquête préliminaire est lancée, on verra ce que dira la justice. Je trouve tout cela absolument invraisemblable. Je pense aux victimes, je pense aux familles des victimes, je pense à ce que tous ces gens qui se sont engagés, qui ont lutté - c'est absurde. Je dois dire qu'hier, alerté par l'article du "Monde", j'ai bien sûr été voir l'article lui-même dans "Rivarol" et je ne comprenais pas que ce soit possible, voilà la réaction... Parce que bien sûr il y a le ministre de la Justice, mais il y aussi l'homme politique, il y a l'homme tout court et je dis, c'est insupportable.
Q- Est-ce que s'exprimer de cette façon sur les années de guerre, c'est du révisionnisme pour vous ?
R- Sans doute. La loi - la justice - dira, interprétera la loi. Mais je veux dire quelque chose d'un peu différent, qui va peut-être au-delà. Comment peut-on, quand on est un homme politique, construire l'avenir, esquisser des pistes de réponse pour construire l'avenir de ce pays en révisant, en niant l'histoire de notre pays - parce que là, il s'agit de nier l'histoire de notre pays -, comment peut-on construire l'avenir en niant le passé, c'est ça la vraie question ? Et en faisant cela, il se disqualifie en tant qu'homme politique.
Q- Cela veut dire, qu'il ne pourrait pas être comme il le veut, candidat à la présidentielle de 2007, s'il se disqualifie ?
R- Il se disqualifie à mes yeux, il se disqualifie politiquement. Légalement, c'est une autre affaire bien entendu.
Q- J.-M. Le Pen est le chef symbole du Front national qui reçoit des fonds publics. Est-ce qu'il faut suspendre ou remettre en cause ce financement public ?
R- Je ne pense pas qu'il enfreigne cette loi-là, ce n'est pas la question.
Mais je pense que...
Q- On est logique dans ce que l'on fait et dans ce que l'on dit.
R- On est logique dans ce que l'on fait et dans ce que l'on dit. Il faudra déjà qu'il s'explique sur ses déclarations devant le tribunal correctionnel. En tous les cas, je pense que nous avons les uns et les autres le devoir de dire, et de dire en particulier aux plus jeunes que ce type de déclaration est absolument inadmissible et je pense que chacun l'a bien compris hier soir. Et j'ai trouvé que ses explications ce matin, où il a en tout point confirmé - il n'est revenu sur aucune de ses déclarations - j'ai trouvé cela assez pitoyable.
Q- Au-delà de la déclaration ou du jugement moral et politique, quand il dit " Oradour-sur-Glane, c'est peut-être une bavure, mais il y a beaucoup à dire ", est-ce qu'il n'est pas en train de faire croire et à des jeunes qui peuvent écouter, que les historiens français et européens cachent encore aujourd'hui des faits qui sont inavouables ?
R- Je pense que c'est son intention. Il n'a d'ailleurs pas voulu aller plus loin ce matin par prudence, mais il est évident que c'était son intention. Son intention est à l'évidence de laisser entendre qu'on nous a raconté des histoires, c'est toujours le même refrain.
Q-- Monsieur Perben, à Nuremberg, je lisais que la Gestapo a été déclarée - c'est ce que rappelle la Ligue des droits de l'homme - " Organisation criminelle ". Est-ce qu'il conteste ce qui est reconnu comme un crime contre l'Humanité ? Est-ce qu'il y a contestation d'un crime contre l'Humanité ?
R- Ecoutez, la justice le dira, moi je ne veux pas entrer davantage dans l'analyse juridique et dans la dissection de ses déclarations mot par mot. Mon devoir était, un, de dire ce qu'en tant qu'homme politique je pense de ses déclarations - j'ai dit qu'elles étaient abjectes -, et, deuxièmement, en tant que ministre de la Justice, c'était d'engager des poursuites, c'est fait !
Q- Et de votre part c'est une réaction personnelle, certes aussi du ministre de la Justice, personnelle, cela engage un peu plus vous, autour de vous.
R- C'est plus qu'une réaction j'allais dire professionnelle, c'est une réaction humaine. J'étais, je ne le cache pas, bouleversé en lisant ces déclarations hier...
Q- Mais au-delà de vous, au-delà de vous, dans le Gouvernement, à l'Elysée, quelqu'un a réagi ?
R- Bien entendu, nous en avons parlé et nous nous sommes téléphonés. Et en lisant les phrases, on se demandait si on lisait bien ce qui avait été écrit.
Q- La Mémoire, avec un M majuscule, est sans doute une réponse à Monsieur Le Pen. J. Chirac à Auschwitz, " Nuit et Brouillard " d'Alain Resnais, " Shoah " de Claude Lanzmann. Est-ce que l'Europe n'est pas aussi, D. Perben, une réponse d'avenir ?
R- Mais bien entendu, c'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure, on ne peut pas construire l'avenir en niant le passé. Comment peut-on construire l'avenir en niant le sens de ce qui a été fait par C. de Gaulle et K. Adenauer ? La réconciliation franco-allemande elle ne pouvait se fonder, se construire et être une réussite que si elle commençait par reconnaître la vérité historique de ce qui s'était passé. C'est ça le sens profond de tout cela et donc la construction européenne, cette construction de paix, cette construction de réconciliation, elle n'a de sens qu'à partir du moment où on reconnaît ce qui s'est passé pendant les années noires.
Q- Donc cette année 2005, il faudrait faire progresser, comme le veulent d'ailleurs une majorité de Français, l'Europe et dès cette année.
R- Bien entendu et, personnellement, j'ai une conviction européenne très enracinée dans mon cur et dans mon esprit. Et en tant que ministre de la Justice depuis plus de deux ans et demi maintenant, je ressens tous les jours cette nécessité d'aller plus loin. Par exemple, dans la construction d'un espace judiciaire européen, pour lutter contre le terrorisme, pour lutter contre la grande criminalité organisée, c'est indispensable. Et c'est une des raisons pour lesquelles je dis aux Françaises et aux Français : il faut faire ce pas en avant, il faut adopter cette Constitution. D'abord parce que l'Europe, c'est la paix et aujourd'hui il est logique qu'on en reparle, mais aussi parce que l'Europe, c'est cette construction d'un ensemble pacifié, capable d'aller vers le progrès.
Q- D'autant plus qu'hier, le juge Bruguière disait qu'il craignait un regain d'activisme de l'islamisme radical en France qui n'exclut pas des attaques terroristes, avec - c'est lui qui en parle -, " des armes non conventionnelles et notamment chimiques. Il y a intérêt donc à être vigilant, à s'entraider au niveau européen et peut-être à lui donner des moyens supplémentaires".
R- Bien entendu. L'Europe c'est un moyen de faciliter cette coopération entre les services spécialisés d'enquête et de lutte contre le terrorisme. C'est un moyen de faciliter la coopération entre les juges, c'est très important et en particulier dans le domaine du terrorisme et de la criminalité organisée, qui sont d'ailleurs deux types d'activités qui sont très souvent liées car le terrorisme se nourrit de la criminalité organisée.
Q- Oui, et de l'ignorance, donc il faut combattre l'ignorance. E. Balladur a tenu parole à ce qu'il avait dit ici d'ailleurs. Il présente avec insistance un amendement pour que le Parlement ait un droit de contrôle sur tout projet ou document européen quel qu'il soit. Ce matin, je crois que c'est à 10 heures, vous allez devant la Commission des lois de l'Assemblée. Qu'est-ce que vous allez lui répondre ?
R- Je vais dire à la Commission des lois que je ne suis pas favorable à cet amendement. Pourquoi ? Parce que l'activité diplomatique, l'activité de négociation, elle est d'abord de la responsabilité du président de la République dans la Constitution de 1958. Ensuite, elle doit pourvoir s'exercer dans cette liberté, cette réactivité, cette souplesse de la discussion. Et si le négociateur représentant la France à une table de négociations, est, je dirai les mains derrière le dos, parce qu'il y a eu un vote explicite d'une Assemblée sur une position de négociations, il aura énormément de mal à le faire.
Q- Ce n'est pas parce que les élus de la Nation souhaitent être informés, pouvoir se prononcer et voter qu'on met en cause, soit l'équilibre des institutions, soit la liberté des diplomates. Je sais bien que la diplomatie c'est un rapport de force - même avec ses alliés - et un combat, mais tout de même !
R- Ecoutez ! Moi, j'ai l'expérience de négocier à Bruxelles et il est très important pour le ministre ou le diplomate, si c'est un diplomate qui est à la table, de pouvoir défendre une position, avoir un positionnement tactique etc. Et puis par ailleurs, alors sur une réflexion plus fondamentale, je pense que ce qui est dans le projet de loi du Gouvernement, c'est de donner au Parlement la possibilité de s'exprimer bien sûr et de voter dans le domaine de la loi, c'est-à-dire dans le domaine normal d'activité normale du Parlement, mais pas de le faire en dehors de ce domaine de la loi. Donc c'est le respect des équilibres de la Constitution.
Q- Tout ce que vous dites, c'est pour expliquer, ce sera un non catégorique à l'amendement Balladur.
R- C'est ce que je dirai tout à l'heure devant la Commission des lois.
Q- C'est que vous n'avez pas envie, le gouvernement Raffarin, le président d'entendre ou le Parlement, de voir voter sur la Turquie non ? Et que pendant toute la négociation sur la Turquie, on vous demande un vote ?
R- Mais la négociation sur la Turquie, cela va être un très long chemin d'une dizaine d'années, et pourquoi ? On va voter tous les ans sur un sujet comme ça. Je crois que cela montre bien, cet exemple, le côté peut-être je dirais artificiel de la démarche.
Q- Le plus drôle c'est que ces critiques viennent de votre camp, l'UMP, si vous me permettez !
R- C'est une réflexion sur l'ensemble du fonctionnement entre la France et l'Europe. Je crois que la Constitution européenne qui arrive par référendum doit être l'occasion pour nous de renforcer effectivement les pouvoirs du Parlement sur le domaine européen, de donner à la France davantage de capacités, d'empêcher par exemple les empiètements de Bruxelles sur le pouvoir de l'Etat. Mais cela ne doit pas être l'occasion de modifier l'équilibre de la Constitution interne à la France.
Q- Une question au ministre de la Justice à propos du raz-de-marée en Asie, vous avez votre mot à dire. Entre le moment où quelqu'un disparaît et la déclaration de son décès, le délai légal c'est 10 ans. Est-ce qu'il est possible de le réduire, car il y a de nombreuses familles qui se retrouvent face à des problèmes à régler dans l'urgence : financiers, d'adoption, de succession ?
R- Oui, il est possible de le réduire, c'est extrêmement simple. J'ai d'ores et déjà donné des instructions écrites au Procureur de la République. Il faut saisir le Procureur de la République de Paris, qui lui même demandera au Tribunal de grande instance de Paris de déclarer le décès à partir du moment où il y a une présomption suffisante, de présence de ses personnes disparues sur les plages, sur le rivage au moment du raz -de- marée. Donc à ce moment là, le délai de 10 ans ne compte plus et c'est une déclaration, un jugement du tribunal suite à une requête présentée par le Procureur de Paris.
Q- Merci de l'avoir précisé ce matin, Monsieur le ministre de la Justice, D. Perben, bonne journée.
R- Merci.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)
R- J'ai demandé hier soir au Procureur de la République de Paris d'engager des poursuites. C'est la seule réponse qui me paraît pertinente. J'ai été particulièrement choqué, personnellement par un mot, enfin deux mots : "bavures inévitables". Il paraît que cela serait des bavures inévitables. Alors je m'interroge, je me dis, les exactions nazies, les massacres de la Grotte de La Luire, les déportations massives, Oradour, Barbie, les martyres de Chateaubriand, c'est quoi ? Ce sont des bavures inévitables, c'est abject, voilà. La réaction du ministre de la Justice c'est de dire : c'est abject !
Q- Vous avez demandé à la justice de poursuivre J.-M. Le Pen. Son avocat vous a répondu : ce n'est qu'un effet d'annonce, vous ne pouvez rien, parce que c'est sa liberté de s'exprimer, même sur ses propos, il y a 60 ans après la guerre.
R- Il y a des lois, l'enquête préliminaire est lancée, on verra ce que dira la justice. Je trouve tout cela absolument invraisemblable. Je pense aux victimes, je pense aux familles des victimes, je pense à ce que tous ces gens qui se sont engagés, qui ont lutté - c'est absurde. Je dois dire qu'hier, alerté par l'article du "Monde", j'ai bien sûr été voir l'article lui-même dans "Rivarol" et je ne comprenais pas que ce soit possible, voilà la réaction... Parce que bien sûr il y a le ministre de la Justice, mais il y aussi l'homme politique, il y a l'homme tout court et je dis, c'est insupportable.
Q- Est-ce que s'exprimer de cette façon sur les années de guerre, c'est du révisionnisme pour vous ?
R- Sans doute. La loi - la justice - dira, interprétera la loi. Mais je veux dire quelque chose d'un peu différent, qui va peut-être au-delà. Comment peut-on, quand on est un homme politique, construire l'avenir, esquisser des pistes de réponse pour construire l'avenir de ce pays en révisant, en niant l'histoire de notre pays - parce que là, il s'agit de nier l'histoire de notre pays -, comment peut-on construire l'avenir en niant le passé, c'est ça la vraie question ? Et en faisant cela, il se disqualifie en tant qu'homme politique.
Q- Cela veut dire, qu'il ne pourrait pas être comme il le veut, candidat à la présidentielle de 2007, s'il se disqualifie ?
R- Il se disqualifie à mes yeux, il se disqualifie politiquement. Légalement, c'est une autre affaire bien entendu.
Q- J.-M. Le Pen est le chef symbole du Front national qui reçoit des fonds publics. Est-ce qu'il faut suspendre ou remettre en cause ce financement public ?
R- Je ne pense pas qu'il enfreigne cette loi-là, ce n'est pas la question.
Mais je pense que...
Q- On est logique dans ce que l'on fait et dans ce que l'on dit.
R- On est logique dans ce que l'on fait et dans ce que l'on dit. Il faudra déjà qu'il s'explique sur ses déclarations devant le tribunal correctionnel. En tous les cas, je pense que nous avons les uns et les autres le devoir de dire, et de dire en particulier aux plus jeunes que ce type de déclaration est absolument inadmissible et je pense que chacun l'a bien compris hier soir. Et j'ai trouvé que ses explications ce matin, où il a en tout point confirmé - il n'est revenu sur aucune de ses déclarations - j'ai trouvé cela assez pitoyable.
Q- Au-delà de la déclaration ou du jugement moral et politique, quand il dit " Oradour-sur-Glane, c'est peut-être une bavure, mais il y a beaucoup à dire ", est-ce qu'il n'est pas en train de faire croire et à des jeunes qui peuvent écouter, que les historiens français et européens cachent encore aujourd'hui des faits qui sont inavouables ?
R- Je pense que c'est son intention. Il n'a d'ailleurs pas voulu aller plus loin ce matin par prudence, mais il est évident que c'était son intention. Son intention est à l'évidence de laisser entendre qu'on nous a raconté des histoires, c'est toujours le même refrain.
Q-- Monsieur Perben, à Nuremberg, je lisais que la Gestapo a été déclarée - c'est ce que rappelle la Ligue des droits de l'homme - " Organisation criminelle ". Est-ce qu'il conteste ce qui est reconnu comme un crime contre l'Humanité ? Est-ce qu'il y a contestation d'un crime contre l'Humanité ?
R- Ecoutez, la justice le dira, moi je ne veux pas entrer davantage dans l'analyse juridique et dans la dissection de ses déclarations mot par mot. Mon devoir était, un, de dire ce qu'en tant qu'homme politique je pense de ses déclarations - j'ai dit qu'elles étaient abjectes -, et, deuxièmement, en tant que ministre de la Justice, c'était d'engager des poursuites, c'est fait !
Q- Et de votre part c'est une réaction personnelle, certes aussi du ministre de la Justice, personnelle, cela engage un peu plus vous, autour de vous.
R- C'est plus qu'une réaction j'allais dire professionnelle, c'est une réaction humaine. J'étais, je ne le cache pas, bouleversé en lisant ces déclarations hier...
Q- Mais au-delà de vous, au-delà de vous, dans le Gouvernement, à l'Elysée, quelqu'un a réagi ?
R- Bien entendu, nous en avons parlé et nous nous sommes téléphonés. Et en lisant les phrases, on se demandait si on lisait bien ce qui avait été écrit.
Q- La Mémoire, avec un M majuscule, est sans doute une réponse à Monsieur Le Pen. J. Chirac à Auschwitz, " Nuit et Brouillard " d'Alain Resnais, " Shoah " de Claude Lanzmann. Est-ce que l'Europe n'est pas aussi, D. Perben, une réponse d'avenir ?
R- Mais bien entendu, c'est la raison pour laquelle je disais tout à l'heure, on ne peut pas construire l'avenir en niant le passé. Comment peut-on construire l'avenir en niant le sens de ce qui a été fait par C. de Gaulle et K. Adenauer ? La réconciliation franco-allemande elle ne pouvait se fonder, se construire et être une réussite que si elle commençait par reconnaître la vérité historique de ce qui s'était passé. C'est ça le sens profond de tout cela et donc la construction européenne, cette construction de paix, cette construction de réconciliation, elle n'a de sens qu'à partir du moment où on reconnaît ce qui s'est passé pendant les années noires.
Q- Donc cette année 2005, il faudrait faire progresser, comme le veulent d'ailleurs une majorité de Français, l'Europe et dès cette année.
R- Bien entendu et, personnellement, j'ai une conviction européenne très enracinée dans mon cur et dans mon esprit. Et en tant que ministre de la Justice depuis plus de deux ans et demi maintenant, je ressens tous les jours cette nécessité d'aller plus loin. Par exemple, dans la construction d'un espace judiciaire européen, pour lutter contre le terrorisme, pour lutter contre la grande criminalité organisée, c'est indispensable. Et c'est une des raisons pour lesquelles je dis aux Françaises et aux Français : il faut faire ce pas en avant, il faut adopter cette Constitution. D'abord parce que l'Europe, c'est la paix et aujourd'hui il est logique qu'on en reparle, mais aussi parce que l'Europe, c'est cette construction d'un ensemble pacifié, capable d'aller vers le progrès.
Q- D'autant plus qu'hier, le juge Bruguière disait qu'il craignait un regain d'activisme de l'islamisme radical en France qui n'exclut pas des attaques terroristes, avec - c'est lui qui en parle -, " des armes non conventionnelles et notamment chimiques. Il y a intérêt donc à être vigilant, à s'entraider au niveau européen et peut-être à lui donner des moyens supplémentaires".
R- Bien entendu. L'Europe c'est un moyen de faciliter cette coopération entre les services spécialisés d'enquête et de lutte contre le terrorisme. C'est un moyen de faciliter la coopération entre les juges, c'est très important et en particulier dans le domaine du terrorisme et de la criminalité organisée, qui sont d'ailleurs deux types d'activités qui sont très souvent liées car le terrorisme se nourrit de la criminalité organisée.
Q- Oui, et de l'ignorance, donc il faut combattre l'ignorance. E. Balladur a tenu parole à ce qu'il avait dit ici d'ailleurs. Il présente avec insistance un amendement pour que le Parlement ait un droit de contrôle sur tout projet ou document européen quel qu'il soit. Ce matin, je crois que c'est à 10 heures, vous allez devant la Commission des lois de l'Assemblée. Qu'est-ce que vous allez lui répondre ?
R- Je vais dire à la Commission des lois que je ne suis pas favorable à cet amendement. Pourquoi ? Parce que l'activité diplomatique, l'activité de négociation, elle est d'abord de la responsabilité du président de la République dans la Constitution de 1958. Ensuite, elle doit pourvoir s'exercer dans cette liberté, cette réactivité, cette souplesse de la discussion. Et si le négociateur représentant la France à une table de négociations, est, je dirai les mains derrière le dos, parce qu'il y a eu un vote explicite d'une Assemblée sur une position de négociations, il aura énormément de mal à le faire.
Q- Ce n'est pas parce que les élus de la Nation souhaitent être informés, pouvoir se prononcer et voter qu'on met en cause, soit l'équilibre des institutions, soit la liberté des diplomates. Je sais bien que la diplomatie c'est un rapport de force - même avec ses alliés - et un combat, mais tout de même !
R- Ecoutez ! Moi, j'ai l'expérience de négocier à Bruxelles et il est très important pour le ministre ou le diplomate, si c'est un diplomate qui est à la table, de pouvoir défendre une position, avoir un positionnement tactique etc. Et puis par ailleurs, alors sur une réflexion plus fondamentale, je pense que ce qui est dans le projet de loi du Gouvernement, c'est de donner au Parlement la possibilité de s'exprimer bien sûr et de voter dans le domaine de la loi, c'est-à-dire dans le domaine normal d'activité normale du Parlement, mais pas de le faire en dehors de ce domaine de la loi. Donc c'est le respect des équilibres de la Constitution.
Q- Tout ce que vous dites, c'est pour expliquer, ce sera un non catégorique à l'amendement Balladur.
R- C'est ce que je dirai tout à l'heure devant la Commission des lois.
Q- C'est que vous n'avez pas envie, le gouvernement Raffarin, le président d'entendre ou le Parlement, de voir voter sur la Turquie non ? Et que pendant toute la négociation sur la Turquie, on vous demande un vote ?
R- Mais la négociation sur la Turquie, cela va être un très long chemin d'une dizaine d'années, et pourquoi ? On va voter tous les ans sur un sujet comme ça. Je crois que cela montre bien, cet exemple, le côté peut-être je dirais artificiel de la démarche.
Q- Le plus drôle c'est que ces critiques viennent de votre camp, l'UMP, si vous me permettez !
R- C'est une réflexion sur l'ensemble du fonctionnement entre la France et l'Europe. Je crois que la Constitution européenne qui arrive par référendum doit être l'occasion pour nous de renforcer effectivement les pouvoirs du Parlement sur le domaine européen, de donner à la France davantage de capacités, d'empêcher par exemple les empiètements de Bruxelles sur le pouvoir de l'Etat. Mais cela ne doit pas être l'occasion de modifier l'équilibre de la Constitution interne à la France.
Q- Une question au ministre de la Justice à propos du raz-de-marée en Asie, vous avez votre mot à dire. Entre le moment où quelqu'un disparaît et la déclaration de son décès, le délai légal c'est 10 ans. Est-ce qu'il est possible de le réduire, car il y a de nombreuses familles qui se retrouvent face à des problèmes à régler dans l'urgence : financiers, d'adoption, de succession ?
R- Oui, il est possible de le réduire, c'est extrêmement simple. J'ai d'ores et déjà donné des instructions écrites au Procureur de la République. Il faut saisir le Procureur de la République de Paris, qui lui même demandera au Tribunal de grande instance de Paris de déclarer le décès à partir du moment où il y a une présomption suffisante, de présence de ses personnes disparues sur les plages, sur le rivage au moment du raz -de- marée. Donc à ce moment là, le délai de 10 ans ne compte plus et c'est une déclaration, un jugement du tribunal suite à une requête présentée par le Procureur de Paris.
Q- Merci de l'avoir précisé ce matin, Monsieur le ministre de la Justice, D. Perben, bonne journée.
R- Merci.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 janvier 2005)