Interview de M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail, à France Inter le 1er février 2005, sur le débat de la réforme des 35 heures et la rémunérations des heures supplémentaires.

Prononcé le 1er février 2005

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

[Préambule à Question Directe à 7h55]
Q- Aidez-nous peut-être, là, en deux minutes, à faire la part entre ce qui semble relever du débat idéologique entre la droite et la gauche et puis ce qui concerne directement l'entreprise. Est-ce que cette réforme, ce débat sur les 35 heures à l'Assemblée, est une bataille politique ou c'est une volonté de remettre de la souplesse dans un système ?
R- Non, c'est en tous les cas l'approche du Gouvernement, une approche totalement pragmatique. Aujourd'hui, nous disons que les entreprises ont besoin de retrouver un espace de liberté, et les salariés, la capacité, s'ils le souhaitent, de pouvoir gagner plus en travaillant plus. C'est plutôt pour répondre à des situations, qui sont d'ailleurs la plupart du temps, non pas la situation des très grandes entreprises, mais des petites et moyennes entreprises, qu'il nous est apparue nécessaire d'aller plus loin qu'en janvier 2003 et d'aller plus loin tout en préservant la durée légale du travail, tout en assurant, j'allais dire une clé de voûte qui s'appelle "l'accord collectif" entre les partenaires sociaux.
Q- Mais, il ne vous a pas échappé que beaucoup d'entreprises disent ce matin - d'ailleurs, c'est assez frappant, quand on lit les journaux - : "mais écoutez, nous, tout remettre en cause maintenant, reprendre des négociations, on n'est sûr qu'on a envie de le faire".
R- Je crois qu'il faut faire confiance aux partenaires sociaux, qu'ils soient entreprises ou qu'ils soient représentants des salariés. Quand il y aura des nécessités - je l'ai vécu par exemple dans l'industrie du décolletage cet été, face à de nouvelles commandes de l'industrie automobile - est-ce qu'on laisse partir ces commandes en République tchèque ou au-delà de l'Union européenne, ou est-ce qu'on essaye, j'allais dire de traiter ces commandes dans les vallées alpines ? Voilà des aspects totalement concrets qui nous éloignent des combats frontaux qui n'ont guère de sens. A un moment où nous avons 2,4 millions de chômeurs, il y a un certain nombre de défis économiques à relever.
Q- Juste d'un mot : on est sûr de la réalité du slogan "travailler plus pour gagner plus" ou pas ?
R- Oui, c'est une certitude, puisque les heures supplémentaires seront payées plus. Mais peut-être aurai-je l'occasion de m'expliquer plus avant, devant les auditeurs de France Inter.
[Question Directe à 8h20]
Q- La réforme des 35 heures dont le débat commence aujourd'hui à l'Assemblée nationale n'est-elle, comme le disait dans les pages des Echos hier, le directeur des ressources humaines d'un grand groupe électroménager, qu'une préoccupation du MEDEF et pas des entreprises ? Combien seront-elles en effet à vouloir remettre en cause des accords signés ? Y a-t-il aujourd'hui, alors que les heures
supplémentaires sont peu exploitées, matière à appliquer le slogan " Travailler plus pour gagner plus " ? Invité de "Question Directe", G. Larcher, ministre délégué aux Relations du travail, rebonjour.
R- Rebonjour.
Q- Puisque je vous posais tout à l'heure la question de savoir, si au fond on n'était pas plus dans le débat idéologique droite-gauche, sur l'enjeu du travail et de la durée du temps de travail que dans la réalité de l'entreprise. Et encore une fois ce matin, on est un peu troublé de voir que dans beaucoup d'entreprises, des patrons de ressources humaines disent : "eh bien non, nous on n'est pas intéressé à reprendre la négociation maintenant". Eh bien, j'allais dire la réponse elle vient aussi bien d'Armor Lux, que nous entendions tout à l'heure, que de ce grand patron de l'électroménager. En fait, il faut retrouver un espace de liberté car la loi Aubry, et notamment la loi Aubry 2 a imposé de manière autoritaire, comme un carcan, alors que les entreprises elles sont des réalités très différentes. Entre cette petite entreprise de métallurgie, qui prépare des pièces pour l'automobile et qui voit son carnet de commandes se gonfler subitement, qui naturellement a le désir d'embaucher, mais qui doit répondre immédiatement aux besoins de cette commande, eh bien la souplesse est nécessaire. Et cette souplesse nécessaire, c'est ce que va apporter ce texte. Voilà pourquoi l'approche que j'ai pu avoir avec les partenaires sociaux, à partir de la fin août sur ce dossier, c'est une approche totalement pragmatique. Je l'ai eue aussi bien avec les représentants des salariés qu'avec les représentants des entreprises. J'ai même demandé pour les branches qui avaient utilisé des assouplissements Fillon de janvier 2003, premier espace de respiration derrière ce texte autoritaire, comment, concrètement ils exprimaient des besoins supplémentaires ? Alors nous faisons confiance d'abord à l'accord collectif - c'est très important l'accord collectif - entre les représentants des salariés et les représentants des entreprises. Que ce soit au niveau de la branche professionnelle, que ce soit au niveau de l'entreprise, il n'y aura pas de modification possible sans dialogue social préalable, sans accord majoritaire. Et c'est vraiment tout à fait essentiel, que cette notion de l'accord collectif.
Q- Mais votre perception à vous de l'enjeu politique ? Bon, chaque entreprise, en négociant à l'intérieur de sa propre structure, verra au fond ce qu'elle a envie de faire ou pas et après tout, cette souplesse-là peut en effet être intéressante. Mais le débat politique, 77 % des Français disent : eh bien non, nous on ne veut pas changer, on conserve le temps de travail tel qu'il est. Même les cadres - tenez ! 55 % des cadres aujourd'hui qui veulent travailler plus pour gagner plus, ils étaient 57 % en mai dernier - ils sont déjà un petit peu moins concernés. Est-ce qu'on n'est pas surtout dans un débat aujourd'hui qui est un débat idéologique ?
R- On est surtout dans un débat franco-français, parce que nulle part ailleurs, y compris en Espagne, y compris en Grande-Bretagne - j'étais hier avec le ministre de l'Emploi britannique - ou en Allemagne, [l'on] n'a ce débat ! Simplement dans ces pays, on fait confiance, j'allais dire à la négociation et notamment en Allemagne, en Espagne, à l'accord collectif. La deuxième des choses, quand on analyse j'allais dire le sondage, qui n'est pas "êtes-vous pour ou contre la modification de la loi ?", c'est " est-ce que vous avez envie de modifier votre temps de travail ?", eh bien, je note que ceux qui sont le plus en faveur du maintien du temps de travail, pardonnez-moi, c'est ceux dont les revenus sont les plus élevés. Mais que les ouvriers, pour 25% d'entre eux souhaitent pouvoir travailler plus, soit quasiment le double...
Q- Moyen quand même les cadres Monsieur Larcher, ce sont les cadres qui disent qu'ils sont prêts à faire un peu plus...
R- Je parle du sondage de dimanche, paru dans le Journal du Dimanche. Eh bien, nous voyons que la réponse "travailler plus pour gagner plus", c'est aussi une réalité et cette réalité elle n'est pas en soi un slogan, elle est une demande. Car, la limitation du temps de travail à 35 heures, la conséquence cela a été le gel salarial et d'ailleurs c'est pourquoi les amis de M. Aubry, jusqu'à une date récente - pour refaire une façade d'unité après les divisions qu'on a connues sur la question sur la question européenne - eh bien ressentaient bien sur le terrain que tel ou tel dans une entreprise du bâtiment, dans une entreprise des transports, avait vu ses revenus mensuels diminuer de 150 euros. Voilà des questions très concrètes, et pardonnez-moi, je fais dans le concret !
Q- Eh bien tenez, restons pragmatiques justement et concret Monsieur Larcher. Juste avant 7 heures ce matin dans son émission, B. Jean perrin nous a fait entendre un certain nombre de témoignages, de responsables d'entreprises et aussi de responsables syndicaux. L'une des questions qui se pose, s'agissant des heures supplémentaires et du coup, pour l'entreprise, c'est qu'il va falloir maintenant provisionner tout ça et que beaucoup d'entreprises sont assez réticentes à le faire ou n'en ont pas la possibilité d'ailleurs.
R- Attendez ! Elles ont déjà provisionné dans des plans d'épargne entreprise ou dans un certain nombre d'éléments qui permettent de, j'allais dire épargner. Nous allons mettre en place un certain nombre de tiers garantissants, qui vont permettre j'allais dire d'assurer au bénéfice du salarié, la garantie du versement de ce qui lui est dû, parce que naturellement, ça c'est une vraie préoccupation et cela fait partie de ces droits nouveaux du salarié. Sur le Compte épargne temps, je voudrais dire que c'est un vrai choix que va avoir le salarié après l'accord collectif. Soit le " monnétariser " à la fin de chaque année, soit le passer sur un Plan épargne entreprise, soit abonder sa retraite, soit - et ce sera sans doute le débat, mais j'y suis très attaché - à permettre le rachat des années d'études pour un certain nombre de ces salariés. Parce qu'on voit bien les conséquences de l'allongement global des années à travailler pour bénéficier d'une retraite qui permette, j'allais dire de vivre le troisième temps de sa vie dans les meilleures conditions possibles.
Q- Et la question des heures supplémentaires, parce que là aussi quand on observe un petit peu la façon dont fonctionnent les entreprises, en moyenne aujourd'hui, elles sont relativement peu utilisées. Alors j'en reviens décidément au slogan " travailler plus pour gagner plus ", est-ce que véritablement cela va être le cas ? Apparemment les heures supplémentaires aujourd'hui c'est encore une fois peu engagé le principe.
R- Tout d'abord, il faut distinguer les très grandes entreprises qui utilisent moins de 50 heures - 45 heures en moyenne par an -, des moyennes et des petites entreprises qui utilisent le double. Eh bien un certain nombre d'entreprises quand elles ont un carnet de commandes, quand elles veulent se déployer sur un nouveau marché, elles utilisent les heures supplémentaires comme un élément de leur développement et de leur stratégie de conquête ou, j'allais dire, leur stratégie pour contenir la concurrence et notamment la concurrence extra européenne. Eh bien je dois dire que c'est bien cette réponse pragmatique qu'il appartiendra aux représentants des salariés, aux représentants de l'entreprise, dans la branche ou dans l'entreprise, eh bien tout simplement de négocier les conditions de la souplesse dans le travail. Tout en assurant, car j'étais sensible aux propos d'un interviewé tout à l'heure, la santé au travail, ça c'est un véritable sujet. Voilà pourquoi le 17 février, nous présenterons un plan global de santé au travail, c'est bien plus important que le temps lui-même. Vous savez le dossier de l'amiante pour moi a été un véritable traumatisme pour des raisons en plus personnelles, un véritable traumatisme. Face à un certain nombre de réalités, de produits chimiques notamment que nous connaissons mal, il nous faut apporter des réponses, des réponses de prévention, des réponses de meilleures connaissances scientifiques. Voilà pourquoi nous proposerons la création d'une agence en santé au travail, une agence qui sera indépendante et qui nous permettra de mieux maîtriser des questions majeures. On a parlé des éthers de glycol, on a parlé des fibres céramiques, mais nous avons 25.000 produits chimiques que nous ne connaissons pas bien au plan européen et c'est aussi la question " Ritche ", ce programme européen qui a fait débat au parlement européen il y a deux semaines.
Q- Alors justement la question de la santé, tout ça, les syndicats les ont engagées ces questions-là. Où en êtes-vous de vos rapports avec les syndicats, à quelques jours d'une manifestation importante à la fin de la semaine, sur ce thème des 35 heures ?
R- Sur ce sujet, j'ai naturellement eu un dialogue avec les partenaires sociaux, syndicats de salariés et entreprises. Je l'ai eu fin août, je l'ai eu début octobre, le Premier ministre l'a eu tout au long du mois de novembre. Moi, je respecte l'expression des syndicats et des organisations professionnelles, je respecte profondément, parce qu'à la différence de certains, je ne pense pas que c'est simplement parce qu'il y aurait 8 % de syndiqués qu'ils ne représentent pas un certain nombre de préoccupations. Et pour, moi ils sont les représentants des salariés, comme les organisations professionnelles, ce sont les représentants des entreprises. Donc je suis quelqu'un d'attentif, qui écoute et les représentants syndicaux savent que depuis dix mois, ma porte et mon téléphone, y compris mon téléphone personnel leur sont en permanence ouverts. Ils manifestent samedi sur un certain nombre de sujets - il n'y a pas que le temps de travail, il y a d'autres sujets qui les préoccupent - dont le pouvoir d'achat. Pouvoir d'achat d'ailleurs, conséquence des 35 heures. Il y avait 7 SMIC il y a trois ans. Nous avons fait converger ces 7 SMIC en un seul et nous aurons terminé en juin prochain. C'est-à-dire que nous avons donné aux plus modestes des salariés un réel 13ème mois. Eh bien nous les entendrons, nous les écouterons et naturellement nous poursuivrons le dialogue avec les représentants des organisations de salariés comme des entreprises.
Q- Une dernière chose, Monsieur Larcher, j'en reviens à l'enjeu politique. Les salariés, les entreprises, les syndicats ne sont-ils pas pris un peu - entre parenthèses - entre ce débat politique. Décidément, vous avez vu que la gauche dit : si on revient aux affaires en 2007, évidemment on va démonter tout ce que la droite est en train de proposer à l'Assemblée, laquelle droite est en train de démonter ce qu'avait fait la gauche précédemment. Donc, au fond, on se demande si tout ça va un jour s'arrêter. Et puis au fond, qu'en est-il véritablement des enjeux du travail dans ce pays quoi ?
R- Tout d'abord, moi, j'ai un regret pour la manifestation de samedi - vous allez me dire que je n'ai pas à exprimer de regret - c'est sa politisation. Nous voyons bien une espèce de préemption par le Parti socialiste qui veut reconstruire une unité de façade en préemptant cette manifestation qui a été décidée par un certain nombre de syndicats, ils n'y sont pas tous. La deuxième des choses, c'est que moi je suis prêt à prendre le pari que c'est un sujet qu'on ne remettra pas sur la table, y compris dans l'hypothèse d'une alternance.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 février 2005)