Texte intégral
Béatrice Taupin - Vous cherchez à faire pression sur le Parlement sur le dossier de la réforme de l'assurance-maladie. Le ministre de la Santé est " ouvert ", mais dit en même temps que le projet a atteint un point d'équilibre. Sur quels points espérez-vous faire bouger les parlemen taires ?
François Chérèque - D'abord sur l'organisation des soins. Le dossier médical et le médecin traitant sont deux bonnes démarches. Mais, pour que ce soit efficace, il faut deux compléments. Un, des mesures plus fermes que de simples incitations à l'installation des médecins dans les zones sous-médicalisées. Deux, la suppression de la liberté tarifaire pour les spécialistes consultés directement par les patients sans passer d'abord par le médecin traitant. Sinon, la liaison ville- hôpital sera toujours déficiente, certains patients préférant aller à l'hôpital faute de trouver des médecins en ville, ou faute de moyens financiers. La liberté tarifaire ne peut que conduire très vite à une médecine à deux vitesses.
Nous espérons aussi faire bouger le projet de loi sur l'aide à la complémentaire santé. Jacques Chirac l'avait promise. Le crédit d'impôt que propose le gouvernement pour deux millions de personnes modestes n'est qu'un premier pas. Il subsistera une inégalité forte puisque près de 50% de gens n'auront pas d'aide, c'est-à-dire tous ceux qui ne sont pas couverts par un contrat collectif : c'est le cas des salariés des PME, des retraités et des fonctionnaires qui ne bénéficient d'aucune exonération fiscale ou sociale sur la complémentaire santé.
Nous souhaitons une démarche qui donne plus d'égalité. A l'Etat employeur de donner l'exemple : rien n'interdit au Parlement d'engager l'Etat dans une négociation pour généraliser la complémentaire santé dans la fonction publique.
Pourquoi vous opposez-vous à ce point à une liberté encadrée des honoraires ? N'est-ce pas aussi un élément de choix pour le patient ?
Nous pensons que la responsabilisation doit se faire par une modulation des remboursements en fonction du comportement et du parcours des patients, pas par des tarifs différenciés.
Tout le monde sait que quel que soit le niveau de performance du système, le financement par les ménages devra augmenter. Vaut-il mieux payer au moment où on est malade, par un système de franchise par exemple, ou par une hausse de prélèvements, avec les risques pour la compétitivité ?
La CFDT est opposée aux franchises et aux déremboursements. La hausse du forfait hospitalier est injuste pour ceux qui n'ont pas de mutuelle. Et je suis prêt à parier que nous aurons, dans quelques années, le même débat avec la franchise de un euro. Tout cela fait partie des déremboursements, et ce n'est pas efficace. Le ministre lui-même en convient puisqu'il est en train d'exonérer de la franchise davantage de patients chaque jour - femmes enceintes et urgences hospitalières -, et qu'il prévoit par amendement de plafonner la franchise. Les déremboursements ne font qu'accroître l'exclusion.
À la CFDT, nous avons toujours reconnu que les dépenses de santé vont augmenter. Mais les recettes supplémentaires doivent venir d'un financement solidaire, c'est-à-dire de la CSG et des contributions des entreprises. Pour nous, je le répète, on paie en fonction de ses moyens, on est remboursé en fonction de ses besoins.
Mais la France est déjà l'un des pays qui prélève le plus...
On ne peut pas d'un côté nous dire qu'il y a un risque pour la compétitivité, diminuer les impôts des plus aisés et augmenter les prélèvements qui touchent tous les ménages. Or, c'est le cas avec la modification d'assiette de la CSG des actifs, et le financement de la dépendance puisqu'on va travailler un jour de plus et que la contribution des entreprises va se traduire en définitive en moindre pouvoir d'achat pour les salariés. Le gouvernement dit qu'il ne veut pas augmenter les prélèvements mais il le fait quand même! Il a une démarche à la fois incohérente et hypocrite. Nous, nous demandons une vraie réflexion de fond sur la fiscalité et sa répartition sur les ménages.
Le gouvernement envisage de plafonner la franchise d'un euro. Où situer selon vous cette limite ?
Le plafonnement par la loi n'est qu'une garantie pour un an. Rien n'empêchera une autre loi de financement de revenir dessus. Nous sommes opposés au principe même de cette logique de déremboursement.
Quand vous voyez la réforme allemande qui prévoit une baisse des cotisations maladie, la France n'est-elle pas, une fois encore, à contre-courant ?
La réforme allemande est très contestée, y compris par les syndicats qui sont vent debout. Cette réforme organise des transferts importants sur les ménages qui ont d'ailleurs sévèrement sanctionné le chancelier Schröder dans les urnes.
Tous les gouvernements qui font des réformes ont été sanctionnés par les électeurs, tout comme la CFDT, dans les scrutins syndicaux pour son soutien à la réforme des retraites. La démocratie est-elle malade à ce point ?
À la CFDT, nous avons enregistré des reculs dans certains secteurs publics, où la réforme des retraites était plus difficile à faire accepter car les efforts demandés sont importants. Pas dans le privé, où les résultats électoraux sont positifs.
S'agissant des politiques, nous sommes entrés dans une démocratie de la sanction. En France, depuis vingt ans, tous les gouvernements ont été sanctionnés, y compris ceux qui n'ont pas fait de réforme. Ce que les électeurs sanctionnent, c'est le chômage qui provoque l'exclusion de façon durable, et l'impuissance à résoudre les problèmes de logement, d'emploi, de protection sociale. Peut-être que les syndicats, pas assez implantés, ont eux aussi une responsabilité là-dessus.
Justement, où en sont vos relations avec vos homologues? Dans sa journée de mobilisation aujourd'hui, la CFDT est quasi seule avec l'Unsa.
Mais nous sommes loin d'être seuls ! Nous sommes avec la Mutualité, qui pèse lourd dans le mouvement social, et avec de nombreuses associations de la société civile, depuis les familles jusqu'aux accidentés du travail, les associations de consommateurs ou Aides. Et les grands syndicats médicaux viendront dialoguer avec nous: j'y vois un symbole de la reconnaissance du rôle que joue la CFDT. Un mouvement important se dessine. Nous avons toujours dit à la CFDT que nous étions favorables à un élargissement du paritarisme sur l'assurance-maladie.
Oui, mais côté syndical stricto sensu, vous êtes assez isolés ?
La CFTC et la CFE-CGC ont des expressions différentes mais ne sont pas très éloignées de nous. Je note aussi la modération de FO, et sa critique constructive. Mais nous avons, avec FO, des désaccords forts sur des sujets bien délimités: les rapports avec la Mutualité dont nous pensons qu'elle a un rôle important à jouer, alors que FO y voit une amorce de privatisation. Notre deuxième différend porte sur la dette sociale dont FO accepte le report dans le temps, pas nous.
Justement, vous êtes hostile au prolongement de la CRDS, et en même temps vous voulez défendre le pouvoir d'achat...
En prolongeant la CRDS, on joue sur le pouvoir d'achat dans vingt ans. C'est une drôle de conception de la politique! Encore une fois, le gouvernement ne peut pas baisser les impôts d'un côté et reporter les dettes sur les générations futures de l'autre. Il serait plus logique de revoir la fiscalité d'aujourd'hui, pour éviter de creuser les inégalités entre générations.
Si vous êtes aussi exigeant aujourd'hui, n'est-ce pas aussi pour corriger le précédent des retraites ?
Nous ne regrettons rien. Outre les 500 000 départs avant 60 ans et la revalorisation des basses pensions, je vous rappelle que nous avons sur les retraites un rendez-vous incontournable en 2008 pour revoir le financement: à cette échéance seront renégociés la durée et le montant des cotisations.
Quant à l'assurance-maladie, notre discours est constant depuis 1995. Le gouvernement a d'ailleurs puisé dans nos propositions une partie de son projet. Mais il ne va pas assez loin pour être efficace.
Nous avons toujours dit que, sur la maladie, on ne serait pas dans un donnant-donnant comme sur les retraites car les sujets ne peuvent pas être mis en balance. Il y a quatre points fondamentaux: l'organisation des soins, l'accès à une mutuelle pour tous, la gouvernance du système et le financement. Il faut les considérer les uns après les autres, pas les uns par rapport aux autres: si l'organisation des soins est mauvaise, on ne va pas l'accepter sous prétexte que la gouvernance est bonne!
Vous dites que les gouvernements ont été sanctionnés sur leur politique sociale et leur impuissance face au chômage. Qu'attendez-vous de Jean-Louis Borloo ?
La réforme du RMI-RMA et de l'ASS n'a fait que conforter cette critique de la politique sociale. Si Jean-Louis Borloo songe à améliorer le RMA, c'est bien que la première copie n'était pas bonne, en particulier parce que le RMA ne donne pas de droits sociaux (chômage, retraite). C'est notre demande. L'approche de Jean-Louis Borloo est intéressante. Il reprend certaines de nos propositions pour les jeunes et pour la coordination des actions publiques vis-à-vis des chômeurs, pour leur suivi hors et dans l'entreprise, avec une forme de tutorat et une validation des acquis. Mais pour le moment, il n'a pas les moyens de ses ambitions. On le jugera en fonction des arbitrages que le gouvernement lui accordera.
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 juin 2004)
François Chérèque - D'abord sur l'organisation des soins. Le dossier médical et le médecin traitant sont deux bonnes démarches. Mais, pour que ce soit efficace, il faut deux compléments. Un, des mesures plus fermes que de simples incitations à l'installation des médecins dans les zones sous-médicalisées. Deux, la suppression de la liberté tarifaire pour les spécialistes consultés directement par les patients sans passer d'abord par le médecin traitant. Sinon, la liaison ville- hôpital sera toujours déficiente, certains patients préférant aller à l'hôpital faute de trouver des médecins en ville, ou faute de moyens financiers. La liberté tarifaire ne peut que conduire très vite à une médecine à deux vitesses.
Nous espérons aussi faire bouger le projet de loi sur l'aide à la complémentaire santé. Jacques Chirac l'avait promise. Le crédit d'impôt que propose le gouvernement pour deux millions de personnes modestes n'est qu'un premier pas. Il subsistera une inégalité forte puisque près de 50% de gens n'auront pas d'aide, c'est-à-dire tous ceux qui ne sont pas couverts par un contrat collectif : c'est le cas des salariés des PME, des retraités et des fonctionnaires qui ne bénéficient d'aucune exonération fiscale ou sociale sur la complémentaire santé.
Nous souhaitons une démarche qui donne plus d'égalité. A l'Etat employeur de donner l'exemple : rien n'interdit au Parlement d'engager l'Etat dans une négociation pour généraliser la complémentaire santé dans la fonction publique.
Pourquoi vous opposez-vous à ce point à une liberté encadrée des honoraires ? N'est-ce pas aussi un élément de choix pour le patient ?
Nous pensons que la responsabilisation doit se faire par une modulation des remboursements en fonction du comportement et du parcours des patients, pas par des tarifs différenciés.
Tout le monde sait que quel que soit le niveau de performance du système, le financement par les ménages devra augmenter. Vaut-il mieux payer au moment où on est malade, par un système de franchise par exemple, ou par une hausse de prélèvements, avec les risques pour la compétitivité ?
La CFDT est opposée aux franchises et aux déremboursements. La hausse du forfait hospitalier est injuste pour ceux qui n'ont pas de mutuelle. Et je suis prêt à parier que nous aurons, dans quelques années, le même débat avec la franchise de un euro. Tout cela fait partie des déremboursements, et ce n'est pas efficace. Le ministre lui-même en convient puisqu'il est en train d'exonérer de la franchise davantage de patients chaque jour - femmes enceintes et urgences hospitalières -, et qu'il prévoit par amendement de plafonner la franchise. Les déremboursements ne font qu'accroître l'exclusion.
À la CFDT, nous avons toujours reconnu que les dépenses de santé vont augmenter. Mais les recettes supplémentaires doivent venir d'un financement solidaire, c'est-à-dire de la CSG et des contributions des entreprises. Pour nous, je le répète, on paie en fonction de ses moyens, on est remboursé en fonction de ses besoins.
Mais la France est déjà l'un des pays qui prélève le plus...
On ne peut pas d'un côté nous dire qu'il y a un risque pour la compétitivité, diminuer les impôts des plus aisés et augmenter les prélèvements qui touchent tous les ménages. Or, c'est le cas avec la modification d'assiette de la CSG des actifs, et le financement de la dépendance puisqu'on va travailler un jour de plus et que la contribution des entreprises va se traduire en définitive en moindre pouvoir d'achat pour les salariés. Le gouvernement dit qu'il ne veut pas augmenter les prélèvements mais il le fait quand même! Il a une démarche à la fois incohérente et hypocrite. Nous, nous demandons une vraie réflexion de fond sur la fiscalité et sa répartition sur les ménages.
Le gouvernement envisage de plafonner la franchise d'un euro. Où situer selon vous cette limite ?
Le plafonnement par la loi n'est qu'une garantie pour un an. Rien n'empêchera une autre loi de financement de revenir dessus. Nous sommes opposés au principe même de cette logique de déremboursement.
Quand vous voyez la réforme allemande qui prévoit une baisse des cotisations maladie, la France n'est-elle pas, une fois encore, à contre-courant ?
La réforme allemande est très contestée, y compris par les syndicats qui sont vent debout. Cette réforme organise des transferts importants sur les ménages qui ont d'ailleurs sévèrement sanctionné le chancelier Schröder dans les urnes.
Tous les gouvernements qui font des réformes ont été sanctionnés par les électeurs, tout comme la CFDT, dans les scrutins syndicaux pour son soutien à la réforme des retraites. La démocratie est-elle malade à ce point ?
À la CFDT, nous avons enregistré des reculs dans certains secteurs publics, où la réforme des retraites était plus difficile à faire accepter car les efforts demandés sont importants. Pas dans le privé, où les résultats électoraux sont positifs.
S'agissant des politiques, nous sommes entrés dans une démocratie de la sanction. En France, depuis vingt ans, tous les gouvernements ont été sanctionnés, y compris ceux qui n'ont pas fait de réforme. Ce que les électeurs sanctionnent, c'est le chômage qui provoque l'exclusion de façon durable, et l'impuissance à résoudre les problèmes de logement, d'emploi, de protection sociale. Peut-être que les syndicats, pas assez implantés, ont eux aussi une responsabilité là-dessus.
Justement, où en sont vos relations avec vos homologues? Dans sa journée de mobilisation aujourd'hui, la CFDT est quasi seule avec l'Unsa.
Mais nous sommes loin d'être seuls ! Nous sommes avec la Mutualité, qui pèse lourd dans le mouvement social, et avec de nombreuses associations de la société civile, depuis les familles jusqu'aux accidentés du travail, les associations de consommateurs ou Aides. Et les grands syndicats médicaux viendront dialoguer avec nous: j'y vois un symbole de la reconnaissance du rôle que joue la CFDT. Un mouvement important se dessine. Nous avons toujours dit à la CFDT que nous étions favorables à un élargissement du paritarisme sur l'assurance-maladie.
Oui, mais côté syndical stricto sensu, vous êtes assez isolés ?
La CFTC et la CFE-CGC ont des expressions différentes mais ne sont pas très éloignées de nous. Je note aussi la modération de FO, et sa critique constructive. Mais nous avons, avec FO, des désaccords forts sur des sujets bien délimités: les rapports avec la Mutualité dont nous pensons qu'elle a un rôle important à jouer, alors que FO y voit une amorce de privatisation. Notre deuxième différend porte sur la dette sociale dont FO accepte le report dans le temps, pas nous.
Justement, vous êtes hostile au prolongement de la CRDS, et en même temps vous voulez défendre le pouvoir d'achat...
En prolongeant la CRDS, on joue sur le pouvoir d'achat dans vingt ans. C'est une drôle de conception de la politique! Encore une fois, le gouvernement ne peut pas baisser les impôts d'un côté et reporter les dettes sur les générations futures de l'autre. Il serait plus logique de revoir la fiscalité d'aujourd'hui, pour éviter de creuser les inégalités entre générations.
Si vous êtes aussi exigeant aujourd'hui, n'est-ce pas aussi pour corriger le précédent des retraites ?
Nous ne regrettons rien. Outre les 500 000 départs avant 60 ans et la revalorisation des basses pensions, je vous rappelle que nous avons sur les retraites un rendez-vous incontournable en 2008 pour revoir le financement: à cette échéance seront renégociés la durée et le montant des cotisations.
Quant à l'assurance-maladie, notre discours est constant depuis 1995. Le gouvernement a d'ailleurs puisé dans nos propositions une partie de son projet. Mais il ne va pas assez loin pour être efficace.
Nous avons toujours dit que, sur la maladie, on ne serait pas dans un donnant-donnant comme sur les retraites car les sujets ne peuvent pas être mis en balance. Il y a quatre points fondamentaux: l'organisation des soins, l'accès à une mutuelle pour tous, la gouvernance du système et le financement. Il faut les considérer les uns après les autres, pas les uns par rapport aux autres: si l'organisation des soins est mauvaise, on ne va pas l'accepter sous prétexte que la gouvernance est bonne!
Vous dites que les gouvernements ont été sanctionnés sur leur politique sociale et leur impuissance face au chômage. Qu'attendez-vous de Jean-Louis Borloo ?
La réforme du RMI-RMA et de l'ASS n'a fait que conforter cette critique de la politique sociale. Si Jean-Louis Borloo songe à améliorer le RMA, c'est bien que la première copie n'était pas bonne, en particulier parce que le RMA ne donne pas de droits sociaux (chômage, retraite). C'est notre demande. L'approche de Jean-Louis Borloo est intéressante. Il reprend certaines de nos propositions pour les jeunes et pour la coordination des actions publiques vis-à-vis des chômeurs, pour leur suivi hors et dans l'entreprise, avec une forme de tutorat et une validation des acquis. Mais pour le moment, il n'a pas les moyens de ses ambitions. On le jugera en fonction des arbitrages que le gouvernement lui accordera.
(Source http://www.cfdt.fr, le 23 juin 2004)