Déclaration de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine, à Paris le 26 janvier 2004.

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Circonstance : Deuxième Forum Union européenne - Amérique latine, organisée par la revue "Problèmes d'Amérique latine", à Paris le 26 janvier 2004

Texte intégral

Monsieur le Président Pascal Lorot,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Président de la Banque interaméricaine de Développement,
Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Un an, presque jour pour jour, après une première édition très réussie, j'ai grand plaisir à prendre part à cette deuxième édition du "Forum Europe-Amérique latine", organisé par la Revue "Problèmes d'Amérique latine". Cette rencontre, née d'une excellente idée, prend la forme d'un rendez-vous régulier et je m'en réjouis. Comme vous le savez, Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, devait être ici aujourd'hui, mais les exigences du calendrier européen en ont décidé autrement. Il m'a chargé de vous exprimer son regret de ne pouvoir participer à cette réunion.
Les semaines à venir seront en effet fastes pour les relations entre la France et l'Amérique latine. Votre forum inaugure une série de rencontres particulièrement importantes : le 28 janvier, le président Chirac recevra le président Lagos ; le 30, il retrouvera le président Lula da Silva à Genève avec le Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, je l'accompagnerai pour ce déplacement. De son côté, Dominique de Villepin se rendra au Chili, en Argentine et au Brésil du 2 au 4 février ; enfin nous accueillerons, les 5 et 6 février, M. Derbez, ministre des Affaires étrangères du Mexique. Ces rendez-vous successifs montrent bien l'importance que revêt pour la France la relation avec l'Amérique latine.
Les travaux de ce colloque arrivent donc à point nommé. Je voudrais ici saluer les co-organisateurs, particulièrement M. Pascal Lorot, directeur de la Revue "Problèmes d'Amérique latine" et M. Daniel Pecaut, directeur de la Rédaction, pour leur initiative bienvenue. Je tiens aussi à saluer tout particulièrement le président de la Banque interaméricaine de Développement, notre ami M. Enrique Iglesias. L'institution qu'il préside joue un rôle primordial en Amérique latine et dans les Caraïbes, tant dans le domaine économique que dans le domaine social - j'y reviendrai - et je voudrais, au nom du gouvernement français, lui rendre hommage pour cette action tout à fait remarquable. Je tiens également à saluer la présence du ministre chilien de la Planification et de la Coopération M. Andrés Palma Irarrázaval, celle de M. Perez de Cuellar, ancien Secrétaire général des Nations unies, celle de l'ambassadeur du Mexique et ancien ministre, M. Claude Heller, celle aussi de M. Graça Lima, ambassadeur du Brésil auprès de la Commission européenne, sans oublier deux directeurs de la Commission européenne, MM. Tomás Duplá del Moral et Karl Falkenberg. Je salue enfin la présence parmi nous de nombreux universitaires et chercheurs, liés pour beaucoup à l'Institut Choiseul et à la Revue "Problèmes d'Amérique latine". Cette synergie entre politiques, responsables du développement, diplomates et universitaires est nécessaire et nous devons en tirer le meilleur parti. Vos travaux de ce matin me laissent penser que nous sommes sur la bonne voie.
Je souhaiterais pour ma part vous livrer quelques observations sur l'année écoulée, qui a été, je crois, riche d'enseignements. Le premier, c'est que l'Amérique latine a exprimé clairement sa volonté de rassembler ses forces et d'envisager son avenir à l'échelle du continent.
Après la "décennie perdue" et les crises qui ont suivi la mise en oeuvre des politiques d'ajustement structurel, une prise de conscience a semble-t-il eu lieu : il existe bien une communauté de destin chez les Sud-Américains. Sans verser dans les généralisations réductrices et donc abusives, il apparaît en effet que les pays d'Amérique latine, malgré la diversité et la richesse de leurs personnalités nationales, sont confrontés à des défis communs.
Quelles qu'en soient les intentions positives, les politiques d'ajustement structurel ont montré leurs limites. Elles n'ont pas apporté aux populations les bienfaits attendus. Il ne s'agit pas de remettre en cause les principes de vertu économique et financière du désormais célèbre consensus de Washington, mais il est clair qu'une dimension sociale doit en accompagner la mise en uvre, sans quoi il ne peut y avoir de développement réel ni durable. De plus, au sein des opinions, les politiques d'ajustement structurel sont perçues, dans une large mesure, comme un échec de la démocratie. Nous ne pouvons certes que nous réjouir de l'enracinement, malgré les exceptions cubaine et haïtienne, de celle-ci et de l'Etat de droit dans l'ensemble de la région, symbolisé par la Charte démocratique interaméricaine adoptée à Lima en 2001 ; mais nous ne pouvons ignorer les aspirations des populations et leur sentiment de frustration au regard d'une vie quotidienne qui n'a pas encore bénéficié des retombées de cette démocratie. La priorité accordée aux politiques sociales s'impose donc naturellement, comme l'a clairement exprimé le groupe de Rio dans le "consensus de Cuzco" adopté en juillet 2003. Celui-ci a en effet pour ambition d'étendre à l'ensemble du sous-continent une vision politique fondée sur l'éthique de l'action publique, la nécessité de faire reculer la pauvreté et de réduire les inégalités, tout en maintenant les conditions d'une croissance durable par le paiement de la dette et des politiques monétaires et budgétaires rigoureuses.
Le problème que je viens de décrire nous est du reste familier, à nous Européens : il est au coeur d'une interrogation incessante sur l'organisation de nos sociétés. Je pense d'ailleurs que nous nous rejoignons très largement pour considérer que l'Etat doit garder un rôle d'impulsion et rester le garant des intérêts collectifs. Le modèle de développement économique et social auquel nous sommes attachés doit en effet prendre en compte, de manière équilibrée, à la fois les vertus de l'économie de marché, celles de la responsabilité sur le plan financier, et la dimension sociale qui en est l'indispensable complément. Il est bon que nous ayons sur ces sujets, que l'on rassemble aujourd'hui sous le vocable de "gouvernance", un dialogue nourri. Nous avons à apprendre les uns des autres pour enrichir notre réflexion : comment pourrions-nous, par exemple, ignorer les pistes ouvertes à Porto Alegre ?
En tout état de cause, notre intérêt commun est de voir réussir les expériences tentées en Amérique latine pour répondre à toutes ces questions. Pour votre continent, malmené par les crises des dernières années, c'est le moyen de connaître enfin une plus grande stabilité.
L'attrait qu'ont exercé l'une sur l'autre l'Amérique latine et la France a longtemps tenu à l'influence de notre pays dans le domaine des idées politiques, notamment au moment des indépendances. Cette séduction mutuelle s'explique aussi par nos nombreuses affinités culturelles, au point que l'on a pu parler d'une véritable "communauté de culture". Mais depuis une dizaine d'années, nous assistons au formidable essor d'autres liens, ceux de l'économie grâce à l'attrait que vous exercez auprès de nos entreprises. Par leurs investissements qui s'accompagnent d'importants transferts de technologie, elles sont aujourd'hui présentes un peu partout sur votre continent. Aujourd'hui, l'Union européenne est l'un des tout premiers partenaires commerciaux de l'Amérique latine, elle y est le premier investisseur et le premier pourvoyeur d'aide.
J'ajoute que par son expérience, celle acquise au cours de ces cinquante années de construction patiente, l'Union peut servir de référence utile pour votre continent en quête d'intégration régionale. C'est le deuxième enseignement essentiel de l'année qui vient de s'achever : en 2003 nous avons perçu, au sein des enceintes existantes, un grand élan en faveur du renforcement de l'intégration régionale dans votre continent. Je pense notamment au rapprochement entre le Mercosur et la Communauté andine des Nations, esquissé à Montevideo au mois de décembre, mais aussi ailleurs, en Amérique centrale et dans la Caraïbe, sans négliger les ouvertures vers d'autres horizons, avec la constitution de la Zone de libre échange des Amériques et l'approfondissement de la relation avec l'Union européenne. Cette recherche d'un pôle de stabilité en Amérique latine, nous la comprenons et nous l'encourageons : elle est dans votre intérêt comme dans le nôtre. En outre, elle contribuera sans nul doute à un meilleur fonctionnement de la société internationale : une Amérique latine plus stable, plus cohérente, mieux assurée, ne peut qu'être bénéfique à l'action multilatérale.
Naturellement, nous savons bien que ce projet collectif n'implique pas une totale communauté de vues sur le degré et les modalités de l'intégration. Il ne nous appartient pas d'en juger. Pour notre part, nous souhaitons en tout état de cause voir aboutir dans les prochains mois la négociation entre l'Union européenne et le Mercosur. Nous nous réjouissons déjà des acquis de 2003 en particulier des accords, signés le 15 décembre à Rome, sur le dialogue politique et la coopération renforcée, tant avec la Communauté andine des Nations qu'avec plusieurs pays d'Amérique centrale. Mais je pense aussi à l'accord de libre échange signé, l'année précédente, avec le Chili. Nous avons devant nous, il est vrai, encore beaucoup de travail et des questions difficiles à régler, comme l'agriculture. Quoi qu'il en soit, nous avons un cap. Tenons-le. Il existe encore bien des domaines pour lesquels il est possible de développer les relations entre l'Union européenne et l'Amérique latine. Il me semble que nous pourrions faire plus et mieux en ce qui concerne les échanges universitaires et la formation. De part et d'autre de l'Atlantique, ce serait pour les étudiants, les chercheurs comme pour l'ensemble de la population, un formidable moyen de nous enrichir mutuellement et de resserrer davantage encore nos liens. Je vous invite à y réfléchir, notamment dans la perspective du prochain Sommet Union européenne-Amérique latine de Guadalajara au mois de mai.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr le 28 janvier 2004)