Texte intégral
QUELLE EUROPE POUR LE XXIème SIECLE ?
Je voudrais d'abord remercier le général Novak pour son accueil, Lionel Stoleru pour son initiative, et dire le plaisir que j'ai à me trouver ici avec vous, aux côtés de Petre Roman, ministre des Affaires étrangères et de l'intégration européenne de Roumanie, pour un débat consacré à l'avenir de l'Europe, de notre Europe.
Pour laisser du temps à la discussion, et après les éclairages brillants que vient de nous apporter Petre Roman, je souhaiterais brièvement vous exposer les pistes de réflexion qui devraient être les nôtres dans les prochaines années, si nous voulons que l'Europe réussisse ce qui constitue sans doute la mutation la plus importante de son histoire : la réunification du continent dans la paix, la démocratie et la prospérité.
D'abord, nous devons être bien conscients que la perspective de l'élargissement de l'Europe à nos voisins d'Europe centrale et orientale, c'est-à-dire la réunification pacifique et démocratique du Continent, pour la première fois de son histoire, et le passage à une Union européenne de plus de trente membres, est la question essentielle qui nous est posée pour les prochaines années et décennies, même si nos opinions publiques n'en sont toujours pas encore bien conscientes.
Ensuite, il faut également bien voir que l'élargissement dont nous parlons n'est pas un élargissement de plus, mais bien l'évolution déterminante vers l'unification du Continent, un changement de nature et d'échelle.
Je souhaite vous faire part d'emblée de ma conviction, qui constituera le fil conducteur de mon propos. Ma conviction, c'est que cet élargissement constitue un devoir historique, totalement conforme à l'esprit d'origine de la construction européenne, puisque je vous le rappelle, l'"élimination des barrières qui divisent l'Europe" figure dans les premiers objectifs du préambule du Traité de Rome. Il nous faut maintenant assumer nos responsabilités pour faire de cet élargissement une nouvelle chance pour notre avenir commun. C'est donc dans cette perspective qu'après Petre Roman, je m'inscrirai ce matin.
- Trois grandes questions nous sont posées :
. Comment unifier l'Europe ? C'est la question des défis posés par l'élargissement à l'Europe centrale et orientale, de la méthode à suivre, du calendrier.
. Jusqu'où unifier l'Europe ? c'est la question des limites de l'Europe
. Et pourquoi unifier l'Europe ? C'est évidemment la question de notre projet commun.
1. Comment unifier l'Europe ?
- L'élargissement que nous préparons aujourd'hui constitue un double défi, pour les pays candidats comme pour l'Union actuelle à Quinze :
Pour les candidats, il s'agit de tenter de combler en quelques années les retards de développement politique, économique et social qu'ils ont subis, pour se préparer à adhérer à une Union librement consentie d'Etats démocratiques, qui ont décidé de partager une partie de leur souveraineté et d'adopter des règles communes, dans un contexte d'économie de marché.
L'ampleur du travail d'adaptation à accomplir - ce que l'on appelle la reprise de l'acquis communautaire -, est considérable en termes de modifications des structures économiques et sociales, de consolidation des institutions démocratiques, d'adaptation des cadres législatifs et réglementaires. On mesure aussi les risques politiques, sociaux et économiques qu'entraînent ces efforts douloureux d'adaptation - même si nombre d'entre eux auraient été de toute façon nécessaires, mais peut-être pas au même rythme -, tout comme on mesure, à l'inverse, les risques d'une intégration qui échouerait, faute de préparation suffisante.
- Les risques sont tout aussi réels pour l'Union telle qu'elle s'est construite depuis cinquante ans et telle qu'elle existe aujourd'hui. Les débats actuels - je pense aux prises de position de Jacques Delors - montrent bien que l'enjeu de cette tâche historique est de ne pas sacrifier l'ambition européenne à l'élargissement, de ne pas admettre un blocage des mécanismes communautaires - qu'ils soient institutionnels ou budgétaires - du fait de leur inadaptation à l'arrivée de nouveaux membres, beaucoup plus hétérogènes que lors des élargissements précédents.
- Il est donc essentiel, pour les candidats comme pour les Etats membres actuels, que le processus d'élargissement soit mené avec détermination, avec soin, mais aussi avec suffisamment d'imagination.
Il s'agit d'abord d'aider - plus exactement de continuer à aider, car nous le faisons déjà depuis plusieurs années, notamment avec le programme PHARE -, aider donc au maximum les pays candidats à suivre le chemin de l'adhésion, par un effort d'accompagnement, de coopération dans un esprit de partenariat. En effet, les exigences à leur égard ne sauraient être revues à la baisse. Il leur revient, au-delà des nécessaires réformes structurelles, de bien prendre conscience de ce qu'implique l'appartenance à l'Union, qui ne peut pas être conçue comme la simple adhésion à un club international à vocation commerciale. Je sais que telle n'est absolument pas la vision qu'ont les autorités roumaines de ce processus. J'espère - je n'en suis pas toujours sûr - que tous les candidats en ont la même conscience.
Il s'agit, ensuite, pour l'Union, de réaliser les réformes institutionnelles nécessaires à l'accueil des nouveaux membres. On le sait, les institutions que nous connaissons, prévues à l'origine pour six Etats membres, et qui fonctionnent déjà difficilement, aujourd'hui, à Quinze, seraient, dans l'état actuel des choses, inadaptées à un nombre supérieur d'Etats membres. C'est précisément l'objet de la réforme qui sera lancée, dans deux semaines, avec l'ouverture d'une Conférence intergouvernementale. Elle portera en priorité sur trois points fondamentaux : le format de la Commission européenne, afin de lui rendre toute son efficacité, la généralisation du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres et une meilleure pondération des voix au sein de ce même Conseil. Elle devrait être aussi l'occasion de réexaminer d'autres questions comme ce qu'on appelle les coopérations renforcées entre quelques Etats membres, question sur laquelle je reviendrai plus tard.
- Mais que l'on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos. Lorsque je rappelle la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous Etats membres, vous pays candidats, et les obligations que nous avons, chacun de notre côté, à remplir, je me borne à exposer une situation, je ne parle pas de calendrier. Et si la tâche à accomplir est importante pour tous, cela ne doit pas nous conduire à retarder un processus dont la réalisation est, je le répète, un devoir historique. Nous avons toujours été favorables à l'ouverture des négociations d'adhésion avec tous les pays candidats et nous avons réussi à faire prévaloir cette approche à Helsinki, en décembre dernier. Quant à la Conférence intergouvernementale, nous l'abordons avec la volonté de faire une réforme ambitieuse, mais réaliste, pour ne pas risquer de retarder l'élargissement.
- Les modalités du processus d'élargissement sont maintenant clairement posées. Conformément aux conclusions d'Helsinki, le principe de la différenciation, c'est-à-dire d'un traitement "individualisé" de chaque pays, va prévaloir. Autrement dit, chaque candidat va progresser à son rythme propre, et pourra adhérer lorsqu'il sera parfaitement en mesure de le faire.
- Sans attendre et parce qu'il est indispensable de forger d'ores et déjà le sentiment d'appartenance à un projet commun, nous devons relancer l'idée d'un forum de dialogue permanent qui associe Etats membres et pays candidats, afin que prenne forme dès maintenant cette future union de tous les Européens. La "Conférence européenne" a été conçue pour remplir cette mission, mais elle a été un peu négligée jusqu'à présent. Nous entendons bien, à l'occasion de la présidence française de l'Union, au second semestre, relancer les rencontres dans ce cadre, afin de réfléchir ensemble à l'avenir de notre Europe.
Car cette réflexion est désormais ouverte. J'en viens donc maintenant aux deux questions suivantes.
2. L'Europe réunifiée, jusqu'où ?
La question des limites de l'Union européenne, qu'on le veuille ou non, est capitale. D'abord et avant tout parce que je suis convaincu que nos concitoyens de l'Europe ne pourront vivre confortablement dans un espace en perpétuelle progression, générateur d'incertitudes. Je suis persuadé, de plus, que cette question peut être au moins circonscrite à quelques problèmes bien précis, et n'est pas, ainsi, aussi impalpable qu'il pourrait paraître.
- Tout d'abord, je crois que nous pouvons nous féliciter que le Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier, ait pris la décision, non seulement, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, d'ouvrir les négociations avec 6 nouveaux candidats, dont bien sûr la Roumanie, mais aussi de reconnaître le statut de candidat de la Turquie, même si les circonstances sont encore bien loin de permettre l'ouverture de négociations avec ce pays.
- Cette extension, qui concerne largement l'Europe du sud-est, avec la Roumanie et la Bulgarie, permet ainsi de dégager les contours d'une Europe ayant dépassé la coupure brutale des années de guerre froide. Une Europe qui retrouvera son unité, de l'espace baltique jusqu'aux Balkans, en passant par l'Europe centrale hongroise, tchèque et slovaque, c'est-à-dire une Europe largement réconciliée avec son passé et avec ses racines.
- Au-delà de cette Europe qui se dessine déjà, d'autres pays aspirent à l'ambition européenne. Nous ne pouvons l'ignorer, même si nous avons un peu de temps pour y réfléchir.
- Si l'on excepte les quelques pays de la moitié occidentale de l'Europe qui n'ont pas encore fait le choix de l'Union, comme la Suisse ou la Norvège, et dont la place sera parmi nous s'ils le décident un jour, la question des frontières recouvre deux zones essentielles :
. Les Balkans occidentaux, tout d'abord, c'est-à-dire les pays de l'ex-Yougoslavie (à l'exception de la Slovénie, déjà candidate), ainsi que l'Albanie. Il est clair qu'ils auront vocation, le moment venu, quand la démocratie et la paix aura été établie solidement chez eux et entre eux, à rejoindre l'Union européenne. Cela ne sera pas simple. Je le sais, mais je ne vois pas comment nous pourrions répondre négativement à cette demande, alors que nous venons d'admettre officiellement la Turquie comme candidat. Cela a soulevé des interrogations. On ne peut les éluder, et nous pourrons en reparler, si vous le souhaitez. Pour moi, la question culturelle - ou pour être plus clair, les aspects ethniques et religieux - ne sauraient être mis en avant pour exclure certains pays de l'aventure européenne. L'Europe a une histoire, elle est une réalité multiculturelle depuis des siècles. Vouloir l'ignorer n'aurait aucun sens. Ce serait vouloir amputer notre identité d'un de ses éléments déterminants. Ce serait appauvrir l'Europe.
- Revenons à la question des frontières de l'Europe de demain. La question qui vient ensuite est celle de la frontière orientale de l'Union européenne. S'agissant des marches occidentales de l'ancienne Union soviétique, la Biélorussie, l'Ukraine et la Moldavie, nous devons bien être conscients qu'au fur et à mesure de l'adhésion de leurs voisins baltes, polonais, slovaques, hongrois ou roumains, leur volonté de rejoindre l'Union sera plus forte.
Et puis, il y a la grande question de la Russie. Mais elle se pose dans des termes différents. Je ne crois pas que la Russie ait jamais vocation à adhérer à l'Union européenne. Je ne suis pas sûre qu'elle le demandera. Si cela devait être le cas, je ne crois pas que l'Union, pas plus que la Fédération de Russie, d'ailleurs, y aurait intérêt. Car la taille et le poids de ce partenaire bouleverseraient totalement la nature de l'Union et sa relation avec le reste du monde. En revanche, la Russie demandera, à juste titre, à avoir un statut particulier, une relation privilégiée avec l'Union européenne. Et nous devrons répondre à cette attente. C'est essentiel pour l'Union européenne.
Toutes ces questions n'ont évidemment pas à être tranchées aujourd'hui. Nous n'avons aucun intérêt à nous enfermer dans une telle contrainte. Ce qui est certain, c'est que la stabilité de la Russie est essentielle à celle du continent tout entier et que l'Union se doit, en dépit des difficultés, en dépit des tentations de désengagement, de bâtir une relation spéciale et forte avec Moscou. Nous nous y employons, malgré les problèmes de l'heure, et notamment les risques que fait peser, sur la relation privilégiée entre l'Union européenne et la Russie, le conflit en Tchétchénie et le comportement des autorités russes dans cette région.
On voit bien que la question des frontières de l'Union européenne ne pourra trouver une solution précise et rapide. Elle progressera dans le temps, notamment en fonction des effets qu'auront les adhésions des actuels candidats sur les voisins extérieurs à l'Union. Mais nous devons avoir ces questions présentes à l'esprit, même si nous n'avons pas encore toutes les réponses. Prenons garde aujourd'hui, en tout cas, à toute réponse qui se voudrait définitive. C'est pourquoi, en attendant de pouvoir plus concrètement les formuler et d'avoir une vision plus claire des contours de notre Europe, nous devons poursuivre la réflexion sur le contenu du projet européen.
3. J'en viens donc à mon troisième point : l'Europe unifiée, pour quoi faire ?
C'est la question fondamentale à laquelle nous devons sans cesse revenir, parce qu'elle est plus pertinente que jamais : en effet, quel peut être le sens de cette construction inédite dans laquelle nous sommes si profondément impliqués, à la veille d'une mutation qui va conduire à un changement d'échelle radical ?
Quel doit être aujourd'hui notre projet européen, quelles peuvent être nos ambitions communes ?
- Je crois que, face à ceux qui estiment incompatibles la poursuite de la construction européenne telle que nous la connaissons depuis le début et l'élargissement de l'Union à toute l'Europe, notre réponse doit se faire en deux temps : il faut, d'une part, retrouver les ambitions premières de la construction européenne et d'autre part, rechercher les conditions d'une Europe plus souple dans ses modes de fonctionnement, j'oserais dire une Europe plurielle, celle de la diversité des modalités de fonctionnement, dans l'unité de l'ambition.
- Rappeler les principes essentiels de la construction européenne, c'est d'abord consacrer l'exigence de paix, c'est-à-dire la raison d'être première de cette aventure, imaginée au sortir de la seconde guerre mondiale par des hommes et des femmes animés de la volonté de sortir, pour toujours, l'Europe d'une logique d'affrontements et de divisions, qui, avec l'apparition de l'arme nucléaire, pouvait remettre en cause l'existence même du Continent.
C'est ensuite réaffirmer l'exigence démocratique, consubstantielle à l'exigence de paix, et qui reste tout autant à consolider dans les nouvelles démocraties de l'Est qu'à parfaire dans nos démocraties plus anciennes. Et reconnaissons, à cet égard, que ce qui est en train de se dérouler en Autriche, nous interpelle très gravement : car comment pourrait-on se résigner à ce qu'un parti qui prône des théories aux antipodes des valeurs européennes puisse accéder au pouvoir dans l'un des Etats membres ?
C'est, enfin, retrouver l'ambition d'un développement économique cohérent avec la recherche de la justice sociale, ce modèle européen social et culturel, qui fonde notre identité, et que nous devons promouvoir plus que jamais dans le contexte du débat sur la maîtrise de la mondialisation.
- Dans cet esprit, notre rôle est de dire clairement que, non seulement la participation des pays d'Europe centrale et orientale à ce projet de civilisation n'est pas un obstacle, mais qu'elle est bien une condition de sa réussite complète et durable.
La coupure brutale et contre-nature du continent pendant cinquante ans a imposé la construction hémiplégique de l'Europe. Elle était aussi source de divisions, de faiblesses, d'instabilité. Elle est aujourd'hui surmontée et ces pays ont pleinement vocation à rejoindre l'Union. Le cur de l'Europe bat autant à Prague ou à Bucarest qu'à Paris ou à Berlin. C'est une évidence historique, géographique, culturelle et je suis sûr que sur ce point Petre Roman - dont le cur bat aussi à Toulouse - ne me démentira pas. Ces pays apporteront à l'Union leur diversité et leur richesse. La paix sur le continent, la démocratie, le développement économique et social - ces objectifs fondamentaux de la construction européenne - pourront plus certainement s'enraciner et se consolider sur l'ensemble du Continent.
- Bien sûr, cette Union de plus de trente membres devra fonctionner différemment, afin de gérer son nombre et sa diversité, faute de quoi elle s'enliserait pour ne plus laisser subsister qu'une sorte d'union douanière assortie peut-être de quelques modestes ambitions politiques.
- La gestion du nombre appelle des mutations institutionnelles importantes. J'ai évoqué la réforme institutionnelle qui doit permettre à la Commission européenne et au Conseil des ministres de pouvoir fonctionner à plus de vingt membres.
- Il faudra aussi réfléchir à d'autres évolutions afin d'organiser cette Europe plurielle, où tous ne pourront pas suivre les mêmes politiques au même moment et à la même vitesse. La diversité n'est pas antinomique de la construction européenne. En ce sens, il n'y a pas à choisir, selon moi, entre élargissement et approfondissement. Il faut faire les deux parallèlement et admettre que tous les pays ne participent pas aux mêmes politiques au même rythme. En ce sens, plutôt que d'affirmer que nous ne pourrons avoir à 30 les mêmes ambitions qu'à 15, je préfère dire que nous ne pourrons pas tous poursuivre les mêmes ambitions au même rythme, mais que notre objectif devra être de permettre aux Etats membres les plus volontaires de montrer le chemin avec la même énergie qu'au cours des décennies précédentes.
- Le Traité d'Amsterdam a inventé le système des "coopérations renforcées". Il faut assouplir leur fonctionnement pour qu'il soit mieux praticable et qu'il nous permette d'avancer, tout en préservant l'essentiel de ce qui a été bâti depuis cinquante ans. En d'autres termes, cela signifie concilier l'intangibilité des principes fondateurs de l'Union (il ne s'agira pas d'une Europe à la carte, car aucun pays ne doit croire qu'il n'entre que dans un ensemble à vocation commerciale sans idéaux et engagements politiques), mais aussi la souplesse du dispositif.
- Telle devra être notre priorité pour la décennie à venir : organiser la future Europe à trente, afin qu'elle nous permette d'aller plus avant dans la réalisation des objectifs des "pères fondateurs" : dans la poursuite de la mise en place d'un espace économique et social permettant la croissance et le plein-emploi, de même que la réduction des inégalités en Europe, à l'intérieur de chaque pays et entre les pays, dans l'approfondissement de la démocratie et de l'Etat de droit, dans la mise sur pied d'une Europe forte, en mesure de conforter la paix sur son territoire et de porter son message et ses valeurs dans le monde, grâce à une politique étrangère et de défense commune, efficace et conduite en bonne intelligence avec nos alliés atlantiques.
Il s'agit également de construire l'Europe des citoyens, un espace de sécurité et de liberté, un espace de l'éducation et des savoirs, un espace de culture, là encore pour unir les forces et les diversités des Européens, sans les uniformiser - bien au contraire - et pour leur permettre de promouvoir ces valeurs dans le monde. A cet égard, le projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne auquel nous travaillons aujourd'hui est essentiel, car il sera l'expression de ce lien entre les citoyens autour de valeurs communes.
- Il faudra continuer, bien sûr, à poser la question de l'architecture générale de l'Union européenne, c'est-à-dire la question de la nature de l'ensemble ainsi créé. Vous le savez, le débat sur le fédéralisme européen est vieux comme la construction européenne. J'ai coutume de dire qu'il est aujourd'hui soit trop tard, soit trop tôt pour l'évoquer. Il y a, de fait, dans l'Union telle qu'elle existe aujourd'hui, des éléments de fédéralisme. Dans le même temps, les Etats nationaux conservent - et conserveront - toute leur pertinence.
Conclusion
- Vous le voyez, les prochaines années seront décisives. Nous devons savoir les aborder avec volonté et réalisme, même si le chantier est colossal.
- Je ne veux surtout pas sous-estimer les risques et les difficultés, comme Petre Roman lui-même l'a fait, d'ailleurs. L'effort à accomplir par les Etats candidats reste énorme. Les tendances centrifuges seront réelles, et sont peut-être même recherchées par ceux qui, déjà membres ou candidats, ont une autre idée, disons plus utilitariste, de l'Europe.
- Il est en tout cas essentiel que, dès maintenant, membres anciens, comme la France, et candidats ardents et convaincus comme la Roumanie, travaillent ensemble de façon plus intense. Des rencontres comme celle d'aujourd'hui ne peuvent que nous y inciter fortement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 février 2000)
Je voudrais d'abord remercier le général Novak pour son accueil, Lionel Stoleru pour son initiative, et dire le plaisir que j'ai à me trouver ici avec vous, aux côtés de Petre Roman, ministre des Affaires étrangères et de l'intégration européenne de Roumanie, pour un débat consacré à l'avenir de l'Europe, de notre Europe.
Pour laisser du temps à la discussion, et après les éclairages brillants que vient de nous apporter Petre Roman, je souhaiterais brièvement vous exposer les pistes de réflexion qui devraient être les nôtres dans les prochaines années, si nous voulons que l'Europe réussisse ce qui constitue sans doute la mutation la plus importante de son histoire : la réunification du continent dans la paix, la démocratie et la prospérité.
D'abord, nous devons être bien conscients que la perspective de l'élargissement de l'Europe à nos voisins d'Europe centrale et orientale, c'est-à-dire la réunification pacifique et démocratique du Continent, pour la première fois de son histoire, et le passage à une Union européenne de plus de trente membres, est la question essentielle qui nous est posée pour les prochaines années et décennies, même si nos opinions publiques n'en sont toujours pas encore bien conscientes.
Ensuite, il faut également bien voir que l'élargissement dont nous parlons n'est pas un élargissement de plus, mais bien l'évolution déterminante vers l'unification du Continent, un changement de nature et d'échelle.
Je souhaite vous faire part d'emblée de ma conviction, qui constituera le fil conducteur de mon propos. Ma conviction, c'est que cet élargissement constitue un devoir historique, totalement conforme à l'esprit d'origine de la construction européenne, puisque je vous le rappelle, l'"élimination des barrières qui divisent l'Europe" figure dans les premiers objectifs du préambule du Traité de Rome. Il nous faut maintenant assumer nos responsabilités pour faire de cet élargissement une nouvelle chance pour notre avenir commun. C'est donc dans cette perspective qu'après Petre Roman, je m'inscrirai ce matin.
- Trois grandes questions nous sont posées :
. Comment unifier l'Europe ? C'est la question des défis posés par l'élargissement à l'Europe centrale et orientale, de la méthode à suivre, du calendrier.
. Jusqu'où unifier l'Europe ? c'est la question des limites de l'Europe
. Et pourquoi unifier l'Europe ? C'est évidemment la question de notre projet commun.
1. Comment unifier l'Europe ?
- L'élargissement que nous préparons aujourd'hui constitue un double défi, pour les pays candidats comme pour l'Union actuelle à Quinze :
Pour les candidats, il s'agit de tenter de combler en quelques années les retards de développement politique, économique et social qu'ils ont subis, pour se préparer à adhérer à une Union librement consentie d'Etats démocratiques, qui ont décidé de partager une partie de leur souveraineté et d'adopter des règles communes, dans un contexte d'économie de marché.
L'ampleur du travail d'adaptation à accomplir - ce que l'on appelle la reprise de l'acquis communautaire -, est considérable en termes de modifications des structures économiques et sociales, de consolidation des institutions démocratiques, d'adaptation des cadres législatifs et réglementaires. On mesure aussi les risques politiques, sociaux et économiques qu'entraînent ces efforts douloureux d'adaptation - même si nombre d'entre eux auraient été de toute façon nécessaires, mais peut-être pas au même rythme -, tout comme on mesure, à l'inverse, les risques d'une intégration qui échouerait, faute de préparation suffisante.
- Les risques sont tout aussi réels pour l'Union telle qu'elle s'est construite depuis cinquante ans et telle qu'elle existe aujourd'hui. Les débats actuels - je pense aux prises de position de Jacques Delors - montrent bien que l'enjeu de cette tâche historique est de ne pas sacrifier l'ambition européenne à l'élargissement, de ne pas admettre un blocage des mécanismes communautaires - qu'ils soient institutionnels ou budgétaires - du fait de leur inadaptation à l'arrivée de nouveaux membres, beaucoup plus hétérogènes que lors des élargissements précédents.
- Il est donc essentiel, pour les candidats comme pour les Etats membres actuels, que le processus d'élargissement soit mené avec détermination, avec soin, mais aussi avec suffisamment d'imagination.
Il s'agit d'abord d'aider - plus exactement de continuer à aider, car nous le faisons déjà depuis plusieurs années, notamment avec le programme PHARE -, aider donc au maximum les pays candidats à suivre le chemin de l'adhésion, par un effort d'accompagnement, de coopération dans un esprit de partenariat. En effet, les exigences à leur égard ne sauraient être revues à la baisse. Il leur revient, au-delà des nécessaires réformes structurelles, de bien prendre conscience de ce qu'implique l'appartenance à l'Union, qui ne peut pas être conçue comme la simple adhésion à un club international à vocation commerciale. Je sais que telle n'est absolument pas la vision qu'ont les autorités roumaines de ce processus. J'espère - je n'en suis pas toujours sûr - que tous les candidats en ont la même conscience.
Il s'agit, ensuite, pour l'Union, de réaliser les réformes institutionnelles nécessaires à l'accueil des nouveaux membres. On le sait, les institutions que nous connaissons, prévues à l'origine pour six Etats membres, et qui fonctionnent déjà difficilement, aujourd'hui, à Quinze, seraient, dans l'état actuel des choses, inadaptées à un nombre supérieur d'Etats membres. C'est précisément l'objet de la réforme qui sera lancée, dans deux semaines, avec l'ouverture d'une Conférence intergouvernementale. Elle portera en priorité sur trois points fondamentaux : le format de la Commission européenne, afin de lui rendre toute son efficacité, la généralisation du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres et une meilleure pondération des voix au sein de ce même Conseil. Elle devrait être aussi l'occasion de réexaminer d'autres questions comme ce qu'on appelle les coopérations renforcées entre quelques Etats membres, question sur laquelle je reviendrai plus tard.
- Mais que l'on ne se méprenne pas sur le sens de mes propos. Lorsque je rappelle la situation dans laquelle nous nous trouvons, nous Etats membres, vous pays candidats, et les obligations que nous avons, chacun de notre côté, à remplir, je me borne à exposer une situation, je ne parle pas de calendrier. Et si la tâche à accomplir est importante pour tous, cela ne doit pas nous conduire à retarder un processus dont la réalisation est, je le répète, un devoir historique. Nous avons toujours été favorables à l'ouverture des négociations d'adhésion avec tous les pays candidats et nous avons réussi à faire prévaloir cette approche à Helsinki, en décembre dernier. Quant à la Conférence intergouvernementale, nous l'abordons avec la volonté de faire une réforme ambitieuse, mais réaliste, pour ne pas risquer de retarder l'élargissement.
- Les modalités du processus d'élargissement sont maintenant clairement posées. Conformément aux conclusions d'Helsinki, le principe de la différenciation, c'est-à-dire d'un traitement "individualisé" de chaque pays, va prévaloir. Autrement dit, chaque candidat va progresser à son rythme propre, et pourra adhérer lorsqu'il sera parfaitement en mesure de le faire.
- Sans attendre et parce qu'il est indispensable de forger d'ores et déjà le sentiment d'appartenance à un projet commun, nous devons relancer l'idée d'un forum de dialogue permanent qui associe Etats membres et pays candidats, afin que prenne forme dès maintenant cette future union de tous les Européens. La "Conférence européenne" a été conçue pour remplir cette mission, mais elle a été un peu négligée jusqu'à présent. Nous entendons bien, à l'occasion de la présidence française de l'Union, au second semestre, relancer les rencontres dans ce cadre, afin de réfléchir ensemble à l'avenir de notre Europe.
Car cette réflexion est désormais ouverte. J'en viens donc maintenant aux deux questions suivantes.
2. L'Europe réunifiée, jusqu'où ?
La question des limites de l'Union européenne, qu'on le veuille ou non, est capitale. D'abord et avant tout parce que je suis convaincu que nos concitoyens de l'Europe ne pourront vivre confortablement dans un espace en perpétuelle progression, générateur d'incertitudes. Je suis persuadé, de plus, que cette question peut être au moins circonscrite à quelques problèmes bien précis, et n'est pas, ainsi, aussi impalpable qu'il pourrait paraître.
- Tout d'abord, je crois que nous pouvons nous féliciter que le Conseil européen d'Helsinki, en décembre dernier, ait pris la décision, non seulement, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, d'ouvrir les négociations avec 6 nouveaux candidats, dont bien sûr la Roumanie, mais aussi de reconnaître le statut de candidat de la Turquie, même si les circonstances sont encore bien loin de permettre l'ouverture de négociations avec ce pays.
- Cette extension, qui concerne largement l'Europe du sud-est, avec la Roumanie et la Bulgarie, permet ainsi de dégager les contours d'une Europe ayant dépassé la coupure brutale des années de guerre froide. Une Europe qui retrouvera son unité, de l'espace baltique jusqu'aux Balkans, en passant par l'Europe centrale hongroise, tchèque et slovaque, c'est-à-dire une Europe largement réconciliée avec son passé et avec ses racines.
- Au-delà de cette Europe qui se dessine déjà, d'autres pays aspirent à l'ambition européenne. Nous ne pouvons l'ignorer, même si nous avons un peu de temps pour y réfléchir.
- Si l'on excepte les quelques pays de la moitié occidentale de l'Europe qui n'ont pas encore fait le choix de l'Union, comme la Suisse ou la Norvège, et dont la place sera parmi nous s'ils le décident un jour, la question des frontières recouvre deux zones essentielles :
. Les Balkans occidentaux, tout d'abord, c'est-à-dire les pays de l'ex-Yougoslavie (à l'exception de la Slovénie, déjà candidate), ainsi que l'Albanie. Il est clair qu'ils auront vocation, le moment venu, quand la démocratie et la paix aura été établie solidement chez eux et entre eux, à rejoindre l'Union européenne. Cela ne sera pas simple. Je le sais, mais je ne vois pas comment nous pourrions répondre négativement à cette demande, alors que nous venons d'admettre officiellement la Turquie comme candidat. Cela a soulevé des interrogations. On ne peut les éluder, et nous pourrons en reparler, si vous le souhaitez. Pour moi, la question culturelle - ou pour être plus clair, les aspects ethniques et religieux - ne sauraient être mis en avant pour exclure certains pays de l'aventure européenne. L'Europe a une histoire, elle est une réalité multiculturelle depuis des siècles. Vouloir l'ignorer n'aurait aucun sens. Ce serait vouloir amputer notre identité d'un de ses éléments déterminants. Ce serait appauvrir l'Europe.
- Revenons à la question des frontières de l'Europe de demain. La question qui vient ensuite est celle de la frontière orientale de l'Union européenne. S'agissant des marches occidentales de l'ancienne Union soviétique, la Biélorussie, l'Ukraine et la Moldavie, nous devons bien être conscients qu'au fur et à mesure de l'adhésion de leurs voisins baltes, polonais, slovaques, hongrois ou roumains, leur volonté de rejoindre l'Union sera plus forte.
Et puis, il y a la grande question de la Russie. Mais elle se pose dans des termes différents. Je ne crois pas que la Russie ait jamais vocation à adhérer à l'Union européenne. Je ne suis pas sûre qu'elle le demandera. Si cela devait être le cas, je ne crois pas que l'Union, pas plus que la Fédération de Russie, d'ailleurs, y aurait intérêt. Car la taille et le poids de ce partenaire bouleverseraient totalement la nature de l'Union et sa relation avec le reste du monde. En revanche, la Russie demandera, à juste titre, à avoir un statut particulier, une relation privilégiée avec l'Union européenne. Et nous devrons répondre à cette attente. C'est essentiel pour l'Union européenne.
Toutes ces questions n'ont évidemment pas à être tranchées aujourd'hui. Nous n'avons aucun intérêt à nous enfermer dans une telle contrainte. Ce qui est certain, c'est que la stabilité de la Russie est essentielle à celle du continent tout entier et que l'Union se doit, en dépit des difficultés, en dépit des tentations de désengagement, de bâtir une relation spéciale et forte avec Moscou. Nous nous y employons, malgré les problèmes de l'heure, et notamment les risques que fait peser, sur la relation privilégiée entre l'Union européenne et la Russie, le conflit en Tchétchénie et le comportement des autorités russes dans cette région.
On voit bien que la question des frontières de l'Union européenne ne pourra trouver une solution précise et rapide. Elle progressera dans le temps, notamment en fonction des effets qu'auront les adhésions des actuels candidats sur les voisins extérieurs à l'Union. Mais nous devons avoir ces questions présentes à l'esprit, même si nous n'avons pas encore toutes les réponses. Prenons garde aujourd'hui, en tout cas, à toute réponse qui se voudrait définitive. C'est pourquoi, en attendant de pouvoir plus concrètement les formuler et d'avoir une vision plus claire des contours de notre Europe, nous devons poursuivre la réflexion sur le contenu du projet européen.
3. J'en viens donc à mon troisième point : l'Europe unifiée, pour quoi faire ?
C'est la question fondamentale à laquelle nous devons sans cesse revenir, parce qu'elle est plus pertinente que jamais : en effet, quel peut être le sens de cette construction inédite dans laquelle nous sommes si profondément impliqués, à la veille d'une mutation qui va conduire à un changement d'échelle radical ?
Quel doit être aujourd'hui notre projet européen, quelles peuvent être nos ambitions communes ?
- Je crois que, face à ceux qui estiment incompatibles la poursuite de la construction européenne telle que nous la connaissons depuis le début et l'élargissement de l'Union à toute l'Europe, notre réponse doit se faire en deux temps : il faut, d'une part, retrouver les ambitions premières de la construction européenne et d'autre part, rechercher les conditions d'une Europe plus souple dans ses modes de fonctionnement, j'oserais dire une Europe plurielle, celle de la diversité des modalités de fonctionnement, dans l'unité de l'ambition.
- Rappeler les principes essentiels de la construction européenne, c'est d'abord consacrer l'exigence de paix, c'est-à-dire la raison d'être première de cette aventure, imaginée au sortir de la seconde guerre mondiale par des hommes et des femmes animés de la volonté de sortir, pour toujours, l'Europe d'une logique d'affrontements et de divisions, qui, avec l'apparition de l'arme nucléaire, pouvait remettre en cause l'existence même du Continent.
C'est ensuite réaffirmer l'exigence démocratique, consubstantielle à l'exigence de paix, et qui reste tout autant à consolider dans les nouvelles démocraties de l'Est qu'à parfaire dans nos démocraties plus anciennes. Et reconnaissons, à cet égard, que ce qui est en train de se dérouler en Autriche, nous interpelle très gravement : car comment pourrait-on se résigner à ce qu'un parti qui prône des théories aux antipodes des valeurs européennes puisse accéder au pouvoir dans l'un des Etats membres ?
C'est, enfin, retrouver l'ambition d'un développement économique cohérent avec la recherche de la justice sociale, ce modèle européen social et culturel, qui fonde notre identité, et que nous devons promouvoir plus que jamais dans le contexte du débat sur la maîtrise de la mondialisation.
- Dans cet esprit, notre rôle est de dire clairement que, non seulement la participation des pays d'Europe centrale et orientale à ce projet de civilisation n'est pas un obstacle, mais qu'elle est bien une condition de sa réussite complète et durable.
La coupure brutale et contre-nature du continent pendant cinquante ans a imposé la construction hémiplégique de l'Europe. Elle était aussi source de divisions, de faiblesses, d'instabilité. Elle est aujourd'hui surmontée et ces pays ont pleinement vocation à rejoindre l'Union. Le cur de l'Europe bat autant à Prague ou à Bucarest qu'à Paris ou à Berlin. C'est une évidence historique, géographique, culturelle et je suis sûr que sur ce point Petre Roman - dont le cur bat aussi à Toulouse - ne me démentira pas. Ces pays apporteront à l'Union leur diversité et leur richesse. La paix sur le continent, la démocratie, le développement économique et social - ces objectifs fondamentaux de la construction européenne - pourront plus certainement s'enraciner et se consolider sur l'ensemble du Continent.
- Bien sûr, cette Union de plus de trente membres devra fonctionner différemment, afin de gérer son nombre et sa diversité, faute de quoi elle s'enliserait pour ne plus laisser subsister qu'une sorte d'union douanière assortie peut-être de quelques modestes ambitions politiques.
- La gestion du nombre appelle des mutations institutionnelles importantes. J'ai évoqué la réforme institutionnelle qui doit permettre à la Commission européenne et au Conseil des ministres de pouvoir fonctionner à plus de vingt membres.
- Il faudra aussi réfléchir à d'autres évolutions afin d'organiser cette Europe plurielle, où tous ne pourront pas suivre les mêmes politiques au même moment et à la même vitesse. La diversité n'est pas antinomique de la construction européenne. En ce sens, il n'y a pas à choisir, selon moi, entre élargissement et approfondissement. Il faut faire les deux parallèlement et admettre que tous les pays ne participent pas aux mêmes politiques au même rythme. En ce sens, plutôt que d'affirmer que nous ne pourrons avoir à 30 les mêmes ambitions qu'à 15, je préfère dire que nous ne pourrons pas tous poursuivre les mêmes ambitions au même rythme, mais que notre objectif devra être de permettre aux Etats membres les plus volontaires de montrer le chemin avec la même énergie qu'au cours des décennies précédentes.
- Le Traité d'Amsterdam a inventé le système des "coopérations renforcées". Il faut assouplir leur fonctionnement pour qu'il soit mieux praticable et qu'il nous permette d'avancer, tout en préservant l'essentiel de ce qui a été bâti depuis cinquante ans. En d'autres termes, cela signifie concilier l'intangibilité des principes fondateurs de l'Union (il ne s'agira pas d'une Europe à la carte, car aucun pays ne doit croire qu'il n'entre que dans un ensemble à vocation commerciale sans idéaux et engagements politiques), mais aussi la souplesse du dispositif.
- Telle devra être notre priorité pour la décennie à venir : organiser la future Europe à trente, afin qu'elle nous permette d'aller plus avant dans la réalisation des objectifs des "pères fondateurs" : dans la poursuite de la mise en place d'un espace économique et social permettant la croissance et le plein-emploi, de même que la réduction des inégalités en Europe, à l'intérieur de chaque pays et entre les pays, dans l'approfondissement de la démocratie et de l'Etat de droit, dans la mise sur pied d'une Europe forte, en mesure de conforter la paix sur son territoire et de porter son message et ses valeurs dans le monde, grâce à une politique étrangère et de défense commune, efficace et conduite en bonne intelligence avec nos alliés atlantiques.
Il s'agit également de construire l'Europe des citoyens, un espace de sécurité et de liberté, un espace de l'éducation et des savoirs, un espace de culture, là encore pour unir les forces et les diversités des Européens, sans les uniformiser - bien au contraire - et pour leur permettre de promouvoir ces valeurs dans le monde. A cet égard, le projet de Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne auquel nous travaillons aujourd'hui est essentiel, car il sera l'expression de ce lien entre les citoyens autour de valeurs communes.
- Il faudra continuer, bien sûr, à poser la question de l'architecture générale de l'Union européenne, c'est-à-dire la question de la nature de l'ensemble ainsi créé. Vous le savez, le débat sur le fédéralisme européen est vieux comme la construction européenne. J'ai coutume de dire qu'il est aujourd'hui soit trop tard, soit trop tôt pour l'évoquer. Il y a, de fait, dans l'Union telle qu'elle existe aujourd'hui, des éléments de fédéralisme. Dans le même temps, les Etats nationaux conservent - et conserveront - toute leur pertinence.
Conclusion
- Vous le voyez, les prochaines années seront décisives. Nous devons savoir les aborder avec volonté et réalisme, même si le chantier est colossal.
- Je ne veux surtout pas sous-estimer les risques et les difficultés, comme Petre Roman lui-même l'a fait, d'ailleurs. L'effort à accomplir par les Etats candidats reste énorme. Les tendances centrifuges seront réelles, et sont peut-être même recherchées par ceux qui, déjà membres ou candidats, ont une autre idée, disons plus utilitariste, de l'Europe.
- Il est en tout cas essentiel que, dès maintenant, membres anciens, comme la France, et candidats ardents et convaincus comme la Roumanie, travaillent ensemble de façon plus intense. Des rencontres comme celle d'aujourd'hui ne peuvent que nous y inciter fortement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 février 2000)