Déclaration de M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication, sur les perspectives de la politique culturelle, notamment le développement de la culture numérique, la diversité culturelle et la laïcité, Paris le 19 janvier 2004.

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Circonstance : Cérémonie des voeux à la presse à Paris le 19 janvier 2004

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Mes chers amis,
Mesdames, Messieurs,
Mes chers amis,
Le monde change. C'est le propre de l'aventure humaine que de faire le pari du changement, de faire du changement le moteur du progrès. La presse, vous, Mesdames et Messieurs, êtes les témoins de cette dynamique. Vous en êtes également les acteurs.
La presse change elle aussi. L'actualité de ces derniers jours nous en administre la démonstration. L'Express paraît désormais, à compter d'aujourd'hui, le lundi. Le Monde 2 est devenu hebdomadaire et accompagne la livraison du samedi. Le Figaro Magazine propose en supplément de son offre déjà riche un film DVD. La presse manifeste ainsi qu'elle a fait le choix du changement, c'est-à-dire du développement.
Avant d'évoquer le bilan de l'année écoulée et les perspectives de celle qui s'ouvre, je tiens, puisque l'existence ne se limite pas à la vie publique et à la vie professionnelle, puisqu'elle embrasse, comme le dit Saint-John Perse les " plus hautes mers intérieures " à vous souhaiter, très amicalement, une bonne année 2004 et à vous prier de partager ces voeux avec tous ceux qui vous sont chers.
Les voeux sont l'antique expression de l'optimisme des Hommes, de leur conviction que demain doit être meilleur qu'aujourd'hui, que si le ciel, la providence, le sort, le hasard n'y sont pas pour rien, il appartient également à la volonté de chacun d'y concourir. " Aide-toi, le ciel t'aidera " est bien l'expression de cette sagesse conquise sur la foi aveugle en la fatalité.
Je reviens de Bam où j'ai vu la solidarité des Hommes face à la fatalité des forces aveugles des entrailles de la terre. Je me souviens de l'hommage à Jean Hélène autour des siens, à l'Oratoire du Louvre, et de l'expression, par tous ceux qui y prirent la parole, de leur refus d'une autre fatalité, celle de l'injustice et de la haine.
Cette pensée de fidélité qui s'adresse à Jean Hélène, va également vers tous ceux qui, en 2003, ont risqué et parfois perdu leur vie pour le service de l'information.
Le service de l'information est un service exigeant. C'est un service de l'intelligence, du discernement, de la responsabilité et donc de la démocratie.
A tous ceux qui l'exercent, j'adresse, en ce début d'année, l'expression de mon respect et de mon estime.
Les médias de façon générale sont au cur de toutes les métamorphoses du monde. Parfois rendus responsables, en Occident, de certaines des dérives de nos sociétés démocratiques, ils doivent répondre à un besoin de plus en plus exigeant de savoir et de comprendre. Ils doivent trouver une place nouvelle dans un monde marqué non plus par la rareté mais par le déferlement de l'information. La culture de la gratuité remet en cause, notamment dans le cas de la presse écrite, certains aspects de leur modèle économique. Les mouvements de concentration qui les affectent soulignent la nécessité de l'exigence de pluralisme, tandis que les menaces d'uniformisation donnent un caractère impérieux au combat pour la diversité culturelle. Tout cela sur fond d'une accélération incessante des mutations techniques, qui renouvellent en permanence les modes de production, de diffusion, de distribution de l'information.
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L'année qui vient de s'achever a été emblématique de ces évolutions. Je ne veux pas lasser votre patience en me livrant à une longue énumération de tout ce qui a été accompli par mon ministère en 2003. S'agissant du domaine de la communication, j'ai d'ailleurs eu l'occasion de le faire lors du débat organisé à l'Assemblée Nationale il y a quelques jours. Permettez-moi donc de me limiter à quelques coups de projecteur.
Parce que les technologies évoluent sans cesse, nous avons préparé l'arrivée de la télévision numérique terrestre dans les foyers, engageant ce projet dans la phase concrète de sa réalisation. Grâce aux possibilités ouvertes par le numérique, les français pourront accèder à un plus large choix de chaînes.
Parce que l'ouverture sur l'extérieur de nos sociétés s'accompagne d'un besoin profond et légitime d'enracinement, nous avons relancé les télévisions locales, qui vont connaître un nouvel essor grâce notamment à l'ouverture maîtrisée des secteurs interdits.
Parce que l'accélération de la circulation de l'information s'accompagne d'un besoin grandissant de pluralisme et de diversité, nous avons soutenu, dans un paysage dominé par les agences anglo-saxonnes, la vocation mondiale de l'Agence France Presse, en concluant avec elle un contrat d'objectifs et de moyens, traduisant un important effort financier de l'Etat.
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Cette adaptation permanente à la réalité mouvante d'un monde en devenir guidera également notre action en 2004.
Pour accompagner l'évolution technologique, la transposition du " paquet télécoms " permettra de prendre en compte l'apparition de la distribution de la télévision sur le réseau téléphonique grâce à la technologie ADSL et de donner un cadre de développement à la radio numérique, cependant que le déploiement de la télévision numérique terrestre sera naturellement poursuivi avec détermination.
Pour multiplier les points de vue et faire entendre une voix différente, nous lancerons une chaîne française d'information internationale. A l'intérieur même de l'Hexagone, la télévision publique, et d'abord France Télévisions, conforté dans sa vocation par un contrat d'objectifs et de moyens rénové, fera entendre sa nécessaire singularité, illustrant chaque jour le combat toujours recommencé pour la diversité et pour la différence. RFO lui sera rattaché pour mieux contribuer à enrichir ce lien unique qui unit la métropole aux outre-mers français.
Parce que, dans un monde marqué par la surabondance de l'information, la presse écrite a un rôle essentiel d'analyse, d'explication, de prise de recul, nous soutiendrons sa situation économique, en trouvant notamment un nouvel équilibre à sa relation avec la Poste. L'Etat accompagnera ses démarches de modernisation de sa fabrication, de sa distribution et de sa diffusion et soutiendra son effort de reconquête de son lectorat, notamment parmi les plus jeunes.
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Ce sont les mêmes inspirations qui ont guidé mon action dans le domaine de la culture, et qui continueront de l'orienter. Le ministère de la culture n'est pas un temple, sourd aux bruits de l'époque, une thébaïde où se retirer à l'écart de l'agitation du monde. Au contraire, il reçoit de plein fouet les tempêtes, à l'avant-garde des grands défis de notre temps. C'est pourquoi il faut résolument l'adapter, le moderniser, le mettre en mouvement et en initiative.
C'est le sens du grand chantier de réorganisation du ministère que j'ai ouvert dès mon arrivée. L'administration centrale, les directions régionales, les musées nationaux ont été rénovés dans leurs structures et dans leur fonctionnement. Cette action s'inscrit naturellement dans l'indispensable effort de réforme de l'Etat engagé par le Gouvernement.
Réformer l'Etat, c'est aussi rapprocher l'action publique des citoyens, pour mieux répondre, et davantage, à ce désir de local que j'évoquais tout à l'heure. Le ministère de la culture s'est décentralisé. Les compétences ont été clarifiées. Les grandes institutions parisiennes ont commencé à essaimer en région, tandis que nous lancions un grand programme de médiathèques de proximité, les ruches.
De même que j'ai voulu que le ministère, souvent taxé de parisianisme, investisse résolument la province, de même lui ai-je assigné l'ambition d'aller au-devant de nouveaux publics, et d'utiliser pour cela tous les moyens des nouvelles technologies de l'information, je pense par exemple au portail culture.fr. Nous amplifierons ces actions en 2004, notamment en direction des jeunes, et en faisant de cette année celle de la culture numérique. J'aurai prochainement l'occasion de développer les événements qui seront retenus pour illustrer ce thème tout au long de l'année 2004, événements qui concerneront tous les champs artistiques - la musique, la photographie, la vidéo, le cinéma, les arts graphiques -.
Pour répondre à ces objectifs, les moyens consacrés à la culture ont été consolidés, qu'il s'agisse des crédits publics, substantiellement accrus, qu'il s'agisse des moyens privés, encouragés par des mesures d'encouragement fiscal, dans le cadre de la loi sur le mécénat ou du nouveau crédit d'impôt en faveur de la production cinématographique, qu'il faut maintenant , j'en suis conscient, étendre à l'audiovisuel.
Parce que le combat pour la diversité culturelle dans le monde est aujourd'hui fondamental pour structurer un nouvel ordre international équilibré, la France a par ailleurs obtenu de la convention sur l'avenir de l'Europe, la préservation de la règle cruciale de l'unanimité en matière de commerce des services culturels et audiovisuels, et joué un rôle moteur dans l'élaboration, dans le cadre de l'UNESCO, d'une convention sur la diversité culturelle.
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La diversité sera la clé du nouveau monde qu'il nous appartient de construire. L'uniformité constitue un danger majeur. Ignorées, humiliées, blessées, les identités se rebellent jusqu'à devenir meurtrières, selon la juste formule d'Amin Maalouf. La confrontation créatrice et salutaire des cultures tend alors à s'abîmer dans le choc destructeur des civilisations.
Pour éviter ces écueils, notre monde a besoin de donner toute sa place à l'Autre, de reconnaître pleinement la diversité des cultures. Les périls de l'intolérance, de l'exclusion et de la haine nous désignent la responsabilité particulière qui incomberait à la culture de défendre et de promouvoir des valeurs de tolérance, de respect des différences, de fraternité. Ces valeurs, je souhaite les inscrire, en 2004, au fronton de ce ministère.
C'est la raison pour laquelle j'engagerai, en 2004, le ministère de la culture et de la communication dans quatre initiatives, que je détaillerai au cours des prochaines semaines, initiatives visant de façon conjointe, à promouvoir les trois principes qui seuls garantiront à la France, à la société française, un développement équilibré et fraternel. Le premier c'est la reconnaissance de la diversité dont nous sommes faits, principe dont la méconnaissance conduit aux rejets, à l'exclusion, un rétrécissement de notre identité culturelle. Le second c'est le choix que fait la République de proposer à tous, quel que soit le terreau de leur enracinement particulier, des horizons partagés, l'horizon notamment de l'amour de la liberté, de l'égalité de la fraternité, choix qui rejette le repli équivoque et solitaire de chacun sur ces seuls particularismes. Le troisième c'est la nécessité, d'une règle consentie, la règle de la laicité dans tous les espaces de la vie civique et de l'apprentissage du " vivre ensemble ". Cette règle n'est ni un rejet, ni un refoulement mais bien l'expression, je le disais d'un code, c'est-à-dire d'un choix, donc le contraire de la soumission à une fatalité.
A compter du prochain 26 août, date anniversaire de la déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, j'invite, chaque année, chaque commune de France à prendre l'initiative d'organiser ou de soutenir ou d'encourager, l'organisation de pique nique de la fraternité. Ce rendez-vous, à la fin de la période des vacances, sera l'occasion pour chacun de retrouver les autres, ses proches, ses voisins, ses amis, des inconnus, de partager avec eux le temps d'un repas, sa joie et son intelligence, à savourer la diversité des gourmandises et des usages, à se remémorer aussi les principes qui fondent la Déclaration des Droit de l'Homme dont l'utilité à notre temps est si manifeste.
Je souhaite que ces repas soient fraternels, généreux et que toute la gamme des musiques du monde y résonnent. Le ministère de la culture et de la communication ouvrira tous les domaines nationaux dont il a la garde, domaines issus du domaine royal devenus domaines de la République et donc domaines de tous.
Trois autres initiatives viendront soutenir ce projet de rassembler nos concitoyens de façon dynamique autour à la fois de ce qui les distingue et de ce qui les unit.
Un " passeport pour la France " sera remis à chaque jeune français, dans l'année de ses 18 ans, et donc dans celle de son accès à la citoyenneté complète. Ce livret lui rappellera les grands moments de notre histoire partagée, les principes qui fondent le pacte républicain et lui donnera accès à chacun des monuments, domaines, et musées dont le ministère de la culture a la responsabilité.
J'ai par ailleurs confié à Michel Colardelle, directeur du musée des arts et traditions populaires, le Commissariat d'une exposition consacrée à la France dont l'itinérance commencera à Reims en novembre 2004 pour se poursuivre à Toulon, Mulhouse, le Havre, Nancy, Montauban, Tours et Quimper.
Enfin, il m'a semblé que le moment était venu de travailler à un projet de restitution au Panthéon, au lieu de l'esprit civique, de toute sa place dans le paysage culturel et démocratique de notre Pays. J'aurai l'occasion de vous en parler très prochainement.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 20 janvier 2004)